Pas de deuil pour Assia Djebar

Pas de deuil pour Assia Djebar

Le drapeau de mon pays ne s'est jamais mis en berne pour les écrivains, les poètes et les savants, mais on avait descendu le croissons, le blanc, le vert et même l'étoile pour Son Altesse Royale, le Bédouin.

Vive ceux qui ont mis devant nos yeux le plus sombre des voiles et qui ont sucé nos os jusqu'à la moelle.

Non, Assia, le drapeau ne descendra pas pour toi, l'Algérie officielle ne te pleure pas, elle ne te reconnaît pas, elle ne veut pas de femmes et d'hommes comme toi. Pour les longs bras, c'est bon débarra, même s'ils n'osent pas le dire à haute voix.

Pour eux, tu as trahi ton pays parce que tu n'écrivais pas en langue du palais, alors tu ne mérites pas d'être citée dans nos lycées et universités. Tu as aussi failli en écrivant ce qui suit :
En 1957 "La soif" pour eux c'est un mensonge, parce que durant la période du baroud, cette horde ignorait la soif et la faim.
En 1958 "Les impatients", c'était eux les impatients, car durant la révolution, ils étaient impatients d'avoir la patrie en leur possession.
En 1962, "Les enfants du Nouveau Monde" c'est en cette année que ces immondes se sontconstitué en bande pour que ne nous verrons jamais le Nouveau Monde.
En 1967, "les alouettes naïves", deux ans déjà que le Putschiste s'est proclamé roi au-dessus de toutes les lois et les alouettes naïves applaudissaient ce souverain.
En 1969, "poèmes pour l'Algérie heureuse", en cette année, une femme comme toi, qui ne léchait pas la botte du roi, Taous Amrouche Marguerite est interdite par des mesquins du festival panafricain de chanter ses poèmes pour l'Algérie qu'elle voulait aussi heureuse.
En 1969, "rouge l'aube", tu as prédit l'enfer que vivra vingt-trois ans plus tard notre terre.
En 1980 "Femmes d'Alger dans leur appartement" tu as fait parler les tableaux de Picasso et Delacroix et en avril quatre-vingt c'était les femmes d'Alger de Tizi et d'Algérie qui pleuraient les enfants du printemps et les insurgés constantinois révoltés pour l'identité et contre les scélérates lois et la langue de bois.
En 1987 "Ombre sultane", la république des Chouhada (Martyrs) est proclamée Sultanat.
En 1991, "Loin de Médine", loin de cette ville sacrée, précisément dans ma patrie et en référence à cette cité, se préparait un Djihad loin de tout ijetihad (effort de réflexion) que les femmes et les hommes éclairés ont payé de leur vie.
En 1995, "Vaste prison", les décideurs ont bouché tous les horizons, ils ont remplacé par la bêtise la raison et ils ont fait de la patrie une vaste prison.
En 1996, "Le blanc de l'Algérie", pas le blanc de l'espoir, mais le blanc du linceul. On enterrait nos intellectuels comme on le fait aujourd'hui pour toi, chère académicienne.
En 1999, "Ces voix qui m'assiègent : En marge de ma francophonie", ils ont assiégé le français, l'anglais et tout ce qui est vivant en le remplaçant par le vent du levant.
En 2007, "Nulle part dans la maison de mon père", oui, tu n'es qu'une femme et la maison de ton père revient à ton frère. Tu représentes le mal et tu n'as pas le droit d'hériter comme ce mâle.

Et encore d'autres ouvrages que tu as conçus avec courage en dépit de ceux qui veulent tourner sur toi la page.

Notre Assia Djebar, tu es étrangère à nos universitaires et une inconnue pour nos écoliers, ils ne comprennent pas tes écrits, car les Dieux de l'Algérie leur avaient imposé la langue d'El Boukhari, au moment où leurs enfants étudient aux USA, en Angleterre et à Paris. Ces privilégiés maitrisent la langue française et adorent Pascal Blaise et connaissent sur le bout des doigts les œuvres d'Eugène Delacroix, chantent Claude François et maitrisent l'histoire des rois gaulois et communiquent en langue de Molière avec leurs pères et mères. Ils n'ont jamais pris le cartable vers nos étables à l'ambiance macabre où l'on ne raconte à nos enfants que les fables.

Madame Djebar, nous ne comprenons plus les lettres et les arts, ils ont pris notre part. Eux, sur les cimes et nous, c'est dans l'abime qu'ils nous déciment. Ils nous poussent à maudire la feuille et la plume, la prose et la rime et dire "je hais" à la place de "j'aime". Au travail, ils nous ont rendus infirmes et ils nous ont initiés au crime.
Tu as voulu aider ta patrie, ils t'ont poussé à t'exiler. Tu as voulu nous initier, ils t'ont effacé et ils t'ont classé dans le passé. Tu as reçu des prix, ils les ont ignorés. Tu es entré à l'académie, ils n'ont jamais aimé. Tu as rimé pour l'Algérie, ils ont vomi tes écrits. Tu as filmé les femmes qu'ils ont marginalisées, ils ne peuvent nullement te primer.
Mais, lorsque le peuple s'éveillera, tu seras toujours là. Tu ne seras pas récompensé par les pétrodollars, mais gravie dans les mémoires et tu resteras éternelle. Ce peuple érigera pour toi, Dib,Yacine, Feraoun et Mammeri des statues dans les musées, mais eux, ils seront emportés par les eaux usées.

Rachid Mouaci

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Commentaires (5) | Réagir ?

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klouzazna klouzazna

VOilà la dame qui mérite les honneurs !!! et non pas une starlette nostalgique de l'ère coloniale !!!

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anwa wiggi

Azul fellawen,

Les deux sont les enfants de l' Algérie, les deux on aimé leurs pays et les deux méritent le respect.

Quant à l' ère colonial, on est en plein dedans.

Thefagh França, Thkhedmed el Djazair.

Assia et Roger n' ont pas eu droit au deuil national contrairement au colon bédouin d' Arabie Saoudite.

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urfane

Toute considération due à son talent littéraire à part, sa disparition entre les interstices de l'identité, de l'histoire, de la vie tout court, invoque en moi cette malheureuse expression bien "moliereienne" : l'arroseur arrosé. Paix à son âme. Ses œuvres parleront pour elle.....

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