Affaire Saïd Sadi / Messali Hadj : seule la dictature honore et déshonore

Hier qualifié de traître, Messali est, depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, devenu un héros national.
Hier qualifié de traître, Messali est, depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, devenu un héros national.

Une information judiciaire a été ouverte suite aux propos de Said Sadi à l’encontre de Messali Hadj. Ce dernier a-t-il trahi ? Est-il un héros ? Traître hier et héros aujourd’hui selon le régime.

Qui est Messali Hadj ? Il est le pionnier du nationalisme algérien et le père fondateur du PPA-MTLD mouvement qui a donné naissance au FLN. Et pourtant. Malheureusement pour lui, il est resté dans l’histoire de l’Algérie combattante et indépendante comme le fondateur du MNA (Mouvement National Algérien) rival du FLN et collaborateur de la France coloniale. Quelle triste fin pour un leader respecté appelé à entrer dans l’histoire de son pays par la grande porte pour finir finalement comme un traitre à la nation et un ennemi de la révolution. Cette thèse est juste et crédible et elle était même défendue par le régime algérien. Non dans un souci de vérité et d’honnêteté, car il nous a fait avaler plein de couleuvres et de mensonges mais elle correspondait à ses intérêts à une certaine période de son existence. Un régime qui définit l’héroïsme et la traitrise, le bien et le mal, le juste et l’injuste selon l’humeur et les circonstances. Il s’avère que ces dernières années, ce même régime vient de revoir ses définitions et a donc décidé de faire de Messali Hadj, le traitre d’hier, le héros d’aujourd’hui. On a donné son nom à l’aéroport de Tlemcen et à d’autres édifices. Et voilà Messali élevé sur le même piédestal que les grands martyrs tels que Ben Mhidi, Abane, Amirouche, Lotfi, etc. Des martyrs que ce même Messali a farouchement combattus. Des martyrs qui ont donné leur vie pour la naissance d’une Algérie que Messali a tout fait pour avorter.

Les déclarations de Said Sadi sur Messali Hadj ont ravivé un débat que certains pensaient oublié à jamais et que d’autres voudraient éviter pour ne pas avoir à se positionner et à revisiter une histoire faussement écrite. Une histoire dont la réécriture risque de révéler les crimes d’un régime aux abois et vivant une fin de règne catastrophique. Les détenteurs de la légitimité révolutionnaire se sentent naturellement insultés et accusent Sadi de déficit nationaliste, d’ignorance, d’atteinte aux symboles de la nation. Même s’il est en retrait de la scène politique depuis quelques années et qu’il ne bénéficie d’aucune couverture médiatique,

La dictature d’Alger a développé un flagrant complexe envers Said Sadi, vrai militant démocratique doté d’une grande culture, d’une intelligence rare, d’une foi inébranlable dans ses idéaux, d’un grand charisme et qui ne cesse d’alimenter le débat politique depuis de longues années. Sadi a toujours plaidé pour un projet de société démocratique, laïque et républicaine. Il a affronté l’idéologie intégriste et a lancé un appel à la résistance au terrorisme islamique alors que d’autres politicards avaient privilégié le silence, la fuite et même la trahison. Qui est cet homme du pouvoir capable de faire le poids face à Sadi dans le cadre du débat et de la transparence? La corruption, la surenchère nationaliste, l’intimidation, l’assassinat, etc. sont les seuls outils auxquels le régime a recours à chaque fois qu’il est acculé.

Ne pouvant attaquer de front Said Sadi sur son livre relatant la vie et le sacrifice de Amirouche et dénonçant le rôle joué par Boumediene et son Makhzen, dont Bouteflika en est un survivant et un bon représentant, dans la mort et la séquestration du cadavre du plus emblématique des colonels de la révolution, le pouvoir a préféré sauter sur l’occasion offerte par ses dernières déclarations pour crier à l’atteinte à l’honneur de nos héros. La justice algérienne, fidèle à ses parrains et commanditaires, vient de s’autosaisir dans cette affaire. Cette même justice qui garde un silence coupable ou prend trop de temps pour intervenir dans des affaires qui ont ébranlé le pays tout entier telles que l’affaire Khalifa, l’affaire Chekib Khalil, les menaces contre Kamel Daoud, etc. fait preuve d’une rapidité déroutante suite aux propos de Said Sadi s’exprimant dans le cadre d’une série de conférences non médiatisées car l’ancien président du RCD est victime de la censure d’un pouvoir qui détient le monopole des médias. Paradoxalement, la conférence où les propos sur Messali ont été tenus, suscite l’intérêt des autorités algériennes. Une justice tantôt laxiste et indifférente tantôt zélée et sensible.

Le régime algérien via ses nombreux relais dont une justice très dépendante et aux ordres, s’autoproclame seul détenteur de la morale et du mérite, distribuant gloire et honneur aux uns et bannissement et déshonneur aux autres. Il peut même faire passer le même personnage des deux cotés de la barrière selon son bon vouloir et ses calculs. Les contradictions sont flagrantes. Mais avec un régime qui méprise son peuple et se considère non comptable, tout est possible.

À priori, la distinction entre l’héroïsme et la traîtrise est évidente et clairement définie. Sauf pour les régimes totalitaires. Je me rappelle d’une scène restée célèbre dans les annales de l’histoire. Elle a lieu en 1979 et concerne le dictateur irakien Saddam Hussein qui inaugure son règne par l’exécution de certains cadres de son propre parti Baath. Au cours de cette rencontre mémorable, Saddam citant les noms des traîtres à la nation, ses frères d’hier, appelés à quitter la salle pour joindre le peloton d’exécution, se met à pleurer, alors toute l’assistance se met à pleurer, quelques minutes plus tard le même Saddam se met à rire, alors toute l’assistance se met à rire. Notre régime fait de même. Quand il pleure, tout le peuple doit pleurer et quand il rit tout le peuple doit rire. Quand il aime, tout le peuple doit aimer et quand il hait, tout le peuple doit haïr. Tel que décrété, Messali le traitre d’hier est le héros d’aujourd’hui. Pour peut-être redevenir le traître de demain si l’humeur et les circonstances du moment l’exigent! Et le peuple dans toute cette mascarade ? Il doittout simplement suivre et sautiller d’un pied à un autre sans jamais broncher ou exprimer la moindre réflexion.

Rachid Kihel

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Commentaires (9) | Réagir ?

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rachid kihel

Vous avez raison. Certes Messali a joué un rôle positif à la naissance du mouvement national mais malheureusement, il a mal viré. Est ce que la France peut excuser la collaboration du maréchal Pétain avec Hitler parce qu'il a participé la première guerre mondiale. Et si Messali est un héros, pourquoi pas Bellounis ??

Le régime algérien excelle dans la bêtise et le peuple doit malheureusement le suivre tête baissée sans réfléchir.

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klouzazna klouzazna

La gloire d'un homme se mesure par la fin et non par le début... nombreux sont les hommes qui avaient débuté leurs vies en glorieux résistants (ou opposants anarchistes) et qui l'avaient achevé en piètre collabos ou dictateurs !!! Les exemples en Afrique et en Amérique du sud se ramassent à la pelle !!!

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