Il n’y a pas que l’Algérie, l’Arabie Saoudite agite le monde pétrolier

Le ministre saoudien du Pétrole Ali al-Nouaïmi joue gros dans l'affaire de la crise pétrolière.
Le ministre saoudien du Pétrole Ali al-Nouaïmi joue gros dans l'affaire de la crise pétrolière.

Malgré les déclarations de nombreux responsables américains pour rassurer l’opinion publique, la récente sortie du ministre saoudien du Pétrole Ali al-Nouaïmi de ne pas intervenir même si les prix baisseront jusqu’ à 20 dollars le baril et la chute significative du pétrole, frappent directement l'exploitation américaine de gaz de schistes.

Le 3e pétrolier américain a déjà revu à la baisse ses investissements de 20% pour 2015, afin de rééquilibrer ses dépenses en prévision d'une rentabilité modeste. Le monde du pétrole et les pays de l’OPEP en particulier sont convaincus maintenant que l’Arabie Saoudite reste bien le "Swing Producer" des transactions pétrolières internationales et si elle voulait influencer les cours du brut, elle le pouvait mais cela ne rentre pas dans sa visée stratégique. Ce géant pétrolier aurai-il trahi les accords secrets avec ses partenaires, à leur tête les Américains ? Quel est le contenu de cet accord ? Que risque le royaume si l’opinion occidentale lui sera défavorable ? Les wahhabites pourraient-ils se passer de la ligne tracée par les Américains ?

1- Les Etats-Unis se trouvent entrainés dans un imbroglio interminable

Tout porte à croire que s’il y a un accord tacite entre le royaume et son allié américain, une fièvre baissière s’est emparée de l’Arabie saoudite pour ne pas s’arrêter une fois les objectifs géostratégiques atteints. Maintenant il affiche ouvertement son intention de mettre le paquet pour reconquérir les parts du marché perdues à cause de l’offensive des entreprises américaines pour inonder le marché avec le gaz de schiste. En effet, Ali al Nouaïmi, à l’occasion d’une interview accordée en date du 22 décembre 2014 à Middle East Economic Survey (MEES), a déclaré :"Il n’est pas dans l'intérêt des producteurs de l'OPEP de baisser leur production, quel qu'en soit le prix". Il a même écarté toute baisse de la production de brut y compris si le prix du baril s’effondrait à 20 dollars. "Même s'il descend à 20, 40, 50, 60 dollars, c’est hors-de-propos", a-t-il même pris soin de préciser. En plus le 21 décembre 2014, les membres de la Coopération économique des pays du Golfe appartenant à l’OPEP, opportunément réunis à Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis) pour un forum sur l’énergie, ont manifesté leur refus de réduire leur production. A rappeler qu’ils représentent à eux seul quelque 16 millions de barils/jour (mbj) sur un quota de quelque 30 millions fournis par l’ensemble de l’OPEP au marché mondial, lequel représente près de 90 millions de barils/jour (mbj) en 2013 et ce, en dépit de la crise frappant les pays développés depuis 2008. Quand bien même d’autres pays producteurs hors-OPEP le feraient."S’ils [ces pays] décident de réduire leur production, libres à eux. […] Mais en ce qui nous concerne, nous ne la baisserons pas. L’Arabie saoudite ne va certainement pas la réduire" avait même déclaré, sur un ton presque provocateur, le ministre saoudien du pétrole, Ali al-Nouaïmi.

Pourtant, les pays visés par cette alliance ont commencé à payer le prix. Ces provocations qui rentrent dans le prolongement direct de la décision prise lors du 166ème sommet de l’OPEP qui s’était tenu le 27 novembre précédent à Vienne, ce qui avait accéléré l’effondrement des prix du brut autour de 60 dollars, au grand dam des membres non-arabes de l’OPEP comme le Venezuela ou l’Iran, voire d’un membre arabe comme l’Algérie, pour ne rien dire des pays hors-OPEP comme la Russie. Cette dernière ne voit d’ailleurs rien moins qu’un "complot" pétrolier américano-saoudien contre son économie afin de l’affaiblir durablement et lui faire "payer" au sens propre comme au sens figuré son soutien géopolitique indéfectible au régime syrien de Bachar al-Assad, à l’instar de ce qui s’était produit dans la seconde partie des années 1980 pour "couler" l’économie de la défunte Union soviétique. Le ministre des Finances russe, Anton Guermanovitch Silouanov, estimait récemment que le montant du manque à gagner annuel pourrait s’élever à quelque 100 milliards de dollars, soit bien plus que les quelque 35 milliards de dollars de pertes induites par les sanctions occidentales mises en place pour le rôle de Moscou dans la crise ukrainienne. Une seconde "cible" de cette stratégie supposée américano-saoudienne serait également de réduire encore davantage les capacités budgétaires de la République islamique d’Iran - le pétrole représente près de 60 % des recettes budgétaires et jusqu’à 80 % des recettes d’exportation, pour des raisons plus ou moins similaires, avec en arrière-plan un moyen de pression supplémentaire dans le cadre des complexes négociations sur le nucléaire prorogées de plusieurs mois, le 24 novembre 2014, faute de finalisation. Mais les choses sont sans doute plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord. Certes, il n’est pas douteux que la chute des cours du brut affecte tout particulièrement au premier chef l’économie russe qui a besoin d’un baril à 100-110 dollars sur le plan budgétaire et dans une moindre mesure l’économie iranienne qui a théoriquement besoin d’un baril à 130-140 dollars pour être en mesure de financer les subventions gouvernementales destinées à la population. Ainsi pour Riyad, il s’agit de mettre en difficulté les producteurs américains dont les coûts de production impliquent le maintien d’un prix du baril relativement élevé, c’est-à-dire autour de 60-70 dollars. Dans une déclaration faite le 26 novembre 2014, à l’occasion de la réunion de l'OPEP à Vienne, le ministre du pétrole saoudien Ali al-Nouaïmi s’était ingénument interrogé : "Pourquoi l’Arabie saoudite devrait réduire sa production ? Les Etats-Unis sont aussi un gros producteur maintenant." En d’autres termes, elle vise d’attaquer les Américains avec leurs propres armes. N’est-ce pas l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), qui travaille pour le compte des pays de l’Alliance atlantique qui a publié dans son étude que les Etats-Unis pourraient ne plus avoir besoin d’importer le pétrole d’ici 2020 et peut être un exportateur net d’ici 2030 ?

2- L’accord historique d’Ibn Saoud avec les Américains serait-il en péril ?

La diplomatie wahhabite tente vainement de réduire cette offensive baissière à un problème commercial mais la dimension politique et la frontière entre les deux les trahissent. En réalité, tout le monde a compris l'agenda strictement saoudien à "double détente" qui relativiserait d’autant l’hypothèse d’une entente américano-saoudienne sur une dynamique baissière des cours du brut dans la mesure où, si comme l’a souligné à plusieurs reprises Ali al-Nouaïmi, l’Arabie saoudite se battait toujours officiellement pour préserver ses parts de marché amputées par l’arrivée subite sur le marché mondial du pétrole de schiste, frénétiquement exploité par les Américains, elle serait donc bien engagée dans une "guerre des prix" contre les huiles de schistes américaines. Ce que confirmeraient des propos qui auraient été tenus par le même ministre du Pétrole saoudien durant une réunion à huis-clos de l'OPEP, le 27 novembre 2014 à Vienne, d’après l’Agence Reuters. Riyad s’était de fait déjà opposée à toute réduction de la production lors de cette réunion, au grand désarroi de plusieurs autres membres du cartel des pays exportateurs dont les budgets nationaux sont laminés par la baisse brutale des cours du baril. Nouaïmi a parlé de rivalité avec les Etats-Unis pour les parts de marché. Et ceux qui voulaient une réduction de la production ont compris qu’une telle réduction était impossible, parce que les Saoudiens veulent une bataille de parts de marché. On sait historiquement que l’Arabie saoudite apparaît en effet comme un allié de longue date des Occidentaux en général et des Etats-Unis en particulier. L’expression de cette alliance tient d’ailleurs dans ce qui est passé à la postérité comme le Pacte du Quincy qui tire son nom du bateau dans lequel L’alliance fut solennellement scellée lors de la fameuse rencontre effectuée, le 14 février 1945, sur le lac Amer entre Port-Saïd et l’embouchure du canal de Suez, au large de Djeddah entre le président Roosevelt et le roi Abdulaziz Ibn Saoud, plus connu sous le nom d’Ibn Saoud. Toujours est-il que cette alliance stratégique a perduré jusqu’à aujourd’hui en dépit de sa mise à mal du fait des attentats du 11 septembre 2001, dont quinze des dix-neuf pirates de l’air kamikazes étaient de nationalité saoudienne. Elle est néanmoins moins étroite aujourd’hui malgré sa reconduction supposée en avril 2005, et ce d’autant moins que le développement des hydrocarbures non-conventionnels (pétrole et gaz de schiste) sont en passe d’assurer l’indépendance énergétique des Etats-Unis à l’horizon 2020, voire avant, ce qui dévalue stratégiquement l’alliance avec l’Arabie saoudite. C’est une marge de liberté inédite, sur le plan stratégique, dont les Américains pourront alors bénéficier. Ce deal se résume à un accès américain privilégié au pétrole saoudien en contrepartie de la sécurité militaire assurée par les Etats-Unis. Une forme d’assurance-vie pour le régime saoudien en quelque sorte, faute de quoi l’Arabie saoudite se retrouverait bien démunie face à des menaces extérieures qui, pour Riyad, prennent notamment la forme d’un supposé expansionnisme iranien sur le Golfe.

3- L’Arabie Saoudite peut-elle se passer de cette alliance ?

C’est un raisonnement très simpliste de dire que les Etats-Unis peuvent mener une politique étrangère sans se soucier des intérêts des multinationales notamment d’origine américaines. Aujourd’hui la politique du royaume commence à lui échapper et le redressement sera quelque peu difficile. Toute la question est de savoir si l’Arabie Saoudite en poussant les prix du baril au plus bas, sera-t-elle capable d’encaisser le choc. Ceux qui conduisent cette démarche disent capables de résister même si cela durera quelques années. Ils avancent pour cela le montant des recettes pétrolières et l’énorme réserve de change dont elle dispose. Ainsi, les recettes pétrolières des six pays du Golfe sont de fait passées de 317 milliards de dollars en 2008 à 756 milliards de dollars en 2012 pour entamer une descente à 729 milliards de dollars à partir 2013, selon des estimations du FMI, dont près de la moitié rien que pour le royaume saoudien. A l’issue de l’année budgétaire 2013, l’Arabie saoudite était encore parvenue à dégager un excédent budgétaire de 55 milliards de dollars grâce à des recettes pétrolières lesquelles représentent 90 % des recettes d’exportation et 75 % des recettes budgétaires qui devaient monter à plus de 300 milliards de dollars. Le nouveau fonds souverain saoudien Saudian Monetary Fund ou"fonds de réserves nationales" lancé au milieu de l’année 2014 pour recycler les surplus financiers tirés du pétrole jusqu’alors gérés par la SAMA (Saudi Monetary Agency) relevant statutairement de la banque centrale saoudienne, disposerait d’une réserve de 750 milliards de dollars. Mais de l’autre rive, on entend un autre son de cloche. Cet avis optimiste est loin d’être partagé par une personnalité particulièrement influente issue de la famille royale, un petit-fils du roi fondateur Ibn Saoud qui, dans une déclaration en date du 28 juillet 2014, estime que cette stratégie baissière du royaume présente le risque d’être catastrophique pour le royaume. A tel point qu’il aurait même adressé une lettre au ministre des finances du royaume, Ibrahim bin Abdulaziz Al-Assaf, pour le mettre en garde contre les dangers qui "menacent les dépenses et l'économie saoudienne". Selon le site iranien IRIB, Walid bin Talal aurait demandé à ce que sa lettre fût présentée au roi Abdellah pour que ce dernier fût mis au courant de la situation qu’il jugerait extrêmement préoccupante. Il entendrait sans doute de la sorte mettre en garde contre cette politique qu’il estimerait presque suicidaire, celle consistant à inonder le marché mondial de pétrole pour le saturer dans une sorte de fuite en avant baissière lourde de menace à brève échéance. Les organismes internationaux semblent partager l’avis de ce jeune prince. Ainsi les tendances actuelles du marché de l’énergie ne sont pas bonnes pour l’Arabie Saoudite. Pour commencer, l’Agence internationale de l’Energie a publié récemment des projections qui indiquent que les Etats-Unis pourraient bien rafler au géant pétrolier du Golfe la première place de producteur de la première énergie mondiale à l’horizon 2020. Mi-mai 2013, cette même agence a révélé que l’Amérique du Nord, grâce au développement rapide de son industrie pétrolière de nouvelle génération, devrait dominer la production globale de pétrole dans les cinq années qui viennent. Ces développements imprévus ne représentent pas seulement un coup porté au prestige de l’Arabie saoudite, mais également une menace potentielle à l’encontre de la prospérité économique du pays sur le long terme et tout particulièrement dans le contexte actuel post-printemps arabe, qui voit une augmentation des dépenses gouvernementales. Mais si l’avenir du royaume apparaît décidément sombre, sa réponse apparaît des plus confuses. Il faut ajouter à cela la pression du Congrès américain sur la maison blanche pour créer une équipe rattachée au ministère de la justice dont les objectifs sont d’enquêter sur les mécanismes des prix et sur éventuellement, les manipulations des cours du pétrole même aux Etats-Unis. Ce projet non encore validé, prévoit non seulement de se passer de l’Arabie Saoudite mais aussi la possibilité de poursuivre en justice les pays membres de l´Opep au nom des lois antitrust. L’AIE, la même année avait averti que toute initiative pour freiner la production pétrolière mondiale pourrait se révéler contreproductive pour l´économie mondiale. Ce pays a toujours manœuvré en utilisant son droit de veto pour un prix qui l’arrange au détriment des autres membres dont les recettes pétrolières restent vitales pour leur développement économique. Quel est justement ce prix ?

Si l’on se réfère à l’Arab Petroleum Investments Corporation, le prix qui arrange les Saoudiens se situerait autour de 94 dollars le baril, soit beaucoup moins que le prix actuel du Brent. Or comme on l’a dit précédemment, l’Iran par exemple a besoin de vendre son baril à 125 dollars pour qu’il soit rentable, ce qui explique la guerre que se livrent l’Iran et l’Arabie saoudite au sein de l’Opep. Mais en l’absence de réformes politiques profondes qui seules pourraient fournir à l’Arabie saoudite d’autres sources de revenus, ce prix de revient va sûrement selon cette même Corporation en augmentant. Cette rivalité entre des membres d’une même organisation n’est pas une dispute théorique. Elle pourrait avoir de sérieuses implications sur le futur de l’économie mondiale. Que l’Arabie saoudite le veuille ou non et elle ne le veut certainement pas, le marché global de l’énergie va s’ouvrir de plus en plus à la concurrence. Dans un marché concurrentiel, le pétrole doit être fourni par tous les producteurs en tenant compte à la fois de leurs réserves géologiques et de leurs marges. Il y a quelque chose de profondément malsain de voir les Etats-Unis, qui disposent d’environ 2% des réserves conventionnelles de pétrole produire plus de barils par jour que l’Arabie saoudite.

4- Conclusion

Il faut tout de même rappeler que les prévisions stratégiques américaines ces dernières années ont été souvent à côté de la plaque. D’abord sa propre sécurité vis-à-vis du terrorisme international. Pour rappel, ils ont été la cible de plusieurs attaques terroristes dont la plus importante est celle du 11 septembre. Ils ont échoué en Afghanistan et ils se sont trompés en Irak et en Syrie pour ne citer que ces pays-là. Ils ont encouragé l’ultra- libéralisme de la finance pour la déconnecter de la sphère économique et mener ainsi le monde à la crise de 2008. Il n’est pas extraordinaire que cette baisse des prix du pétrole si elle n’est pas redressée à sa juste mesure, mènerait vers une autre catastrophe économique. A quoi bon de profiter d’un prix bas pour faire de la croissance si une autre région du monde est en difficulté de consommer les produits de cette celle-ci.

Rabah Reghis, consultant et Economiste pétrolier

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Commentaires (3) | Réagir ?

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Massinissa Umerri

Mais ou le probleme - Les Algeriens ont leurs constantes nationales arabo-musulmanes, membre actif de ce monde, etc. Le petrole n'est-il pas une constante arabo-musulmane ?

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ali chemlal

L' Arabie Saoudite, peut s'agiter, nuire aux pays producteurs de pétrole, mais c'est un leure que de croire, qu'elle va aller a l'encontre des intéréts de son protecteur de toujours, a savoir les U S A. Il y a eu déja un précedent, durant les années 80, ou elle a mis tous les pays producteurs a genoux. Si elle s'embrouille avec son principal allié occidental, les radicaux islamistes, lui feront la "peau", ceux la méme, qu ' elle a encourgée, pour déstabiliser les pays dits "arabes" qui ne sont pas d'accord avec sa politique. L' alliance Arabie Saoudite/ U S A, vise surtout l'Iran et la Russie de Poutine, lesquels ne veulent pas courber l'échine devant le chantage des pays occidentaux, a leur téte, les U S A, qui ne veut pas d' un rapprochement entre l' Europe de l'ouest et de l'est. Le conflit Ukrainien n'est qu'un alibi, pour éloigner, l'Ukraine de la féderation de Russie.

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