Petites phrases et injures assassines en politique

On se rappelle du mémorable "naâl bou li mayhabnech ! », lancé par Amara Benyounes
On se rappelle du mémorable "naâl bou li mayhabnech ! », lancé par Amara Benyounes

La dictature, a dit Coluche, c’est ferme ta gueule ! Et la démocratie, c’est cause toujours !

Petites phrases, querelles, attaques personnelles, meublent la scène politique nationale, au moment même où l’horizon économique de notre pays tend à s’obscurcir, conséquemment à la chute brutale du prix du baril de pétrole. Et le «ferme ta gueule» adressé par un homme d’affaires à Louisa Hanoune en est l’illustration ! Il n’est pas à mettre dans le compte d’un quelconque dérapage, vulgaire, du débat politique, a souligné, la semaine passée l’éditorialiste du Quotidien d’Oran. On est devant une sommation de se taire, poursuit-il, faite par un représentant du business, qui l’affirme, politiquement, et affiche, clairement, ses ambitions !

C’était parfait pour lancer une nouvelle polémique, très algérienne, écrivait aussi l’excellent chroniqueur du même journal, Abed Charef, qui ajoutait que "les échanges entre les belligérants, ne volent pas très haut".

Les réseaux sociaux, ravis de l’aubaine, se sont, d’ailleurs, enflammés au lendemain de cet échange, avec les commentaires du type «bien fait pour sa gueule» lancés par certains à l’adresse de la Chef du Parti des Travailleurs tandis que d’autres, offusqués par «l’arrogance des nouveaux riches» trouvent la réplique aussi déplacée que vulgaire». Il suffit, faut-il ajouter, que quelqu’un soit pris comme «tête de Turc» pour que tous les internautes lui tombent dessus. A la diabolisation de la victime, s’ajoute sa dévalorisation ; elle subit une moquerie cinglante et souvent obscène et le préjudice est énorme au moment même où le recours contre les méfaits de la toile reste insignifiant voire impossible.

Ailleurs, le législateur commence à réfléchir à une proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif contre les messages à caractère diffamatoire ou injurieux, qui fleurissent sur les réseaux sociaux. Et au chroniqueur de se demander si on n’est pas, aujourd’hui, en présence d’une nouvelle doctrine politique : "ferme ta gueule !". Doctrine, assurément ! Nouvelle, non, car en Algérie, nous sommes au stade où les ennemis de la liberté d’expression ont toute licence de s’exprimer. Tout comme les censeurs qui se sont déchainés contre le film "El Wahrani" !

On le constate, tous les jours, le langage politique régresse. L’exemple nous est donné par le politologue Ahmed Adhimi et sa petite phrase concernant Louisa Hanoune «elle est atteinte de ménopause politique», a-t-il dit, ce que d’aucuns n’ont pas hésité à assimiler à une offense voire à une "injure sexiste". Le discours de la classe politique algérienne n’est, décidément, plus ce qu’il était. Hier, fécond, révolutionnaire et progressiste, aujourd’hui, fait d’injures, d’invectives et de menaces. La preuve est contenue dans l’algarade publique et la manière brutale avec laquelle, l’homme d’affaires a apostrophé, Louisa Hanoune, chef de parti politique et de surcroit femme, ce qui ne laisse présager rien de bon concernant les joutes à venir.

Ce qui est aussi révoltant, c’est le silence-radio, observé par les autres partis et leur porte-voix, à croire qu’ils sont ravis de la tournure que prend cette affaire. Ils détournent le regard, mine de rien, comme l’a fait, récemment, Nicolas Sarkozy quand Alain Jupé, un de ses rivaux à venir, a été copieusement sifflé à Bordeaux.

Transition utile, pour rappeler que Nicolas Sarkozy, ancien président de la République française, spécialiste de la provocation avec son «casses toi pov’ con !», excelle dans le genre. Avant lui, il y a eu aussi le mémorable «taisez-vous El Kabbach» adressé, sur un ton péremptoire, par Georges Marchais, chef du parti communiste, au célèbre animateur qui l’empêchait de décliner son discours. Ces passe-d’armes entre politiciens et journalistes ne sont pas spécifiques à tel ou tel pays et l’insulte n’est pas un fait nouveau en politique. Elle est symptomatique de la dérive langagière et comportementale de nos sociétés.

Si l’on remontait l’histoire, on apprendrait ainsi qu’en 1801, Napoléon Bonaparte est couvert d’insultes par un ancien commissaire du gouvernement qui le traite de "coquin" et de "couillon couronné de bouses de vaches". En 1851, Victor Hugo fustige à son tour le président Louis Napoléon Bonaparte, le gratifiant de "Napoléon le petit". L’année du coup d’Etat, Napoléon /, deviendra, "Naboléon", "Bouffon" ou encore «Césarion», sous la plume de l’écrivain.

En Algérie, les hommes politiques n’ont pas attendu, longtemps, pour parler «dru et cru». Sous la pression des joutes oratoires, leurs mots refoulés sont, parfois, pleinement exposés, publiquement, notamment par les chaînes de TV privées. Ces dernières en veulent toujours plus et pour faire de l’audience, elles créent et survendent, elles-mêmes, des événements, même si cela ne se justifie pas. Elles sont dans l’instantané, à la différence d’un «20 heures» qui peut se préparer tout au long de la journée et, elles usent les thèmes et les sujets, recherchent le scoop, le font tourner en boucle, sans prendre la peine d’en vérifier la source. D’où les problèmes.

On se rappelle du mémorable "naâl bou li mayhabnech !", lancé par Amara Benyounes qui le poursuit à ce jour. Tout récemment, la toile nous a restitué l’échange aigre-doux entre le wali de Béjaïa et le représentant du FFS, le premier traitant l’autre de «voyou» et au second de lui asséner, publiquement, un cinglant "voleur !". Ce qui va, probablement, hâter le mouvement des walis, qu’on dit imminent ! Cette indignation, des uns et des autres, qui s’exprime de manière aussi discourtoise que brutale, semble plutôt convenir à certains qui pensent que la politique, c’est un sport de combat où tous les coups sont permis. Les paroles les plus blessantes, les plus insultantes, et parfois…les plus amusantes sont, paradoxalement, bien accueillies par le peuple. Comme celle dont on se lasse jamais et qui a eu pour auteur Lionel Stoléru, homme politique Français qui disait à propos de Marcel Dassault, qui fut député de l’Oise jusqu’à sa mort à 94 ans : "il sera candidat à l’Assemblée Nationale jusqu’à sa mort, après il se présentera au Sénat !".

Il y a aussi tous ces noms d’oiseaux, dont sont affublés les responsables politiques : "cervelle d’oiseau" pour définir le manque d’intelligence, "dinde" pour désigner une femme stupide, "perruche ou pie" pour quelqu’un de très bavard.

Qui se souvient de ce "Ferme ta gueule" méprisant lancé à Louisa Hanoune.

Mais, du "ferme ta gueule !", c’est aussi inédit que choquant au regard de la violence du propos. Victime, Louisa Hanoune, l’a appris à ses dépends, elle qui a pris, légitimement, la parole pour livrer son sentiment, concernant la présence de membres du gouvernement parmi l’assistance, venue écouter l’allocution du candidat à la présidence du FCE. Il faut dire, que s’indigner et dénoncer à tout va est courageux de la part de ceux qui ont fait de la politique leur métier ; mais on attend des hommes politiques, qu’on partage ou pas leurs idées, qu’ils se donnent aussi les moyens de changer ce qu’ils dénoncent !

Aujourd’hui, ils sont victimes "d’injonctions" à la limite de "l’insulte" comme Louisa Hanoune. Mais souvent, ils commettent eux-mêmes des dérives inacceptables. En effet, dans une démocratie, toute la campagne électorale, par exemple, est censée s’inscrire dans le débat sur les programmes et la réflexion sur les idées. Or et loin de cette conception, certains politiques se rabattent sur les stratégies électorales d’une bassesse inouïe, plutôt que de mettre en avant leurs visions et programmes. Propos diffamatoires, insultes, discours haineux sont pratiquement le lot quotidien de ces politiques pour tenter de jeter le discrédit sur leurs adversaires.

Comment ne pas être saisi de stupeur, ou de dégoût par de tels comportements électoraux, comme ceux qui nous sont parvenus, par exemple, de Tunisie avec ce florilège, proféré par un membre du parti présidentiel, mettant en cause, d’une façon insidieuse, l’âge du candidat Beji Caïd Essebsi : «je ne voterai pas pour un cadavre ambulant» ; la presse locale opposée à ce candidat, à sortie aussi ces manchettes incroyables : «il faut honorer les morts en les enterrant», ou encore «la chaine Tunisie 7, le sponsor officiel du cadavre numéro 7».

Mais pourquoi tant de haine, se demandait, Ikhlas Latif, un journaliste tunisien. Cela cacherait-il autre chose, derrière ? Les débats sérieux de fond sont relégués aux oubliettes ! On élève un écran de fumée dans le but de détourner l’attention des citoyens des questions gênantes. On est loin de l’ambiance de la "révolution des jasmins", et du soulèvement populaire qui a émerveillé le monde avec le fameux "dégage", largement déployé aux regards admiratifs, urbi et orbi.

Dégage, c’est à la fois une phrase, un mot et un message. Son succès a été planétaire et il vient de sa capacité à se décliner d’une infinité de manières. Puisée dans la langue de Molière, elle a été traduite en "Irhel" en Egypte avec les résultats que l’on sait. Et, personne avant la révolution tunisienne, ne pouvait prédire la fortune du mot "dégage !". Expression familière, elle est aujourd’hui imposée comme une injonction politique, principalement dans les pays arabes. Partie comme un cri de cœur, cette expression est devenue le mot d’ordre populaire, par excellence, le mieux partagé au Moyen-Orient et même ailleurs.

C’est une sorte de "sms" politique, plus besoin de perspectives encore moins de prospectives, a dit le sociologue Driss Jebali et encore moins de plan ou de gosplan. Le slogan suffit ! Dégage, est devenu à lui tout seul, une sémantique politique, un mot "projectile", selon le sens qui lui a été donné par Alain Rey, l’un des plus grands spécialistes de la langue française. Nul besoin de jugement, nul besoin de présomption d’innocence. On sort du simple registre politique pour pénétrer dans celui de la revanche symbolique, du défoulement libérateur et, surtout, plus grave des règlements de compte. La rue Vs pouvoir. La rue contre le wali, le maire ou tel directeur d’entreprise détesté par les travailleurs. Mot d’ordre, il restera, incontestablement, dans l’imaginaire. Presque autant que le célèbre "no passaran !" associé à Dolorès Ibarru Gomez, et prononcé par les partisans de la seconde République en lutte contre les rebelles nationalistes commandés par Franco.

Fait d’armes du peuple ! Génie du peuple !

Métier des journalistes, aussi ! Ces derniers friands de toutes ces petites phrases prononcées, comme on dit "off the record", micro fermé, qui font que la relation entre journalistes et responsables publiques, peut paraître parfois, ambigüe. Certaines déclarations sont faites en toute intimité, mais la confiance est brisée quand le propos ou le mot, exprimé en aparté, souvent pour décontracter l’atmosphère, donc de manière non officielle, est rapporté et dévoilé au grand public.

Comme celui «susurré» presque par Abdelmalek Sellal à un sénateur-ami, lors de la dernière campagne électorale et qui lui a valu une «levée de boucliers» et une «bronca» générale, suite à un micro-baladeur et une captation d’image plus ou moins clandestine ; il est allé jusqu’à s’en excuser, mais rien n’y fît. Les journalistes et les réseaux sociaux ont en fait leurs «choux-gras». Les habitants de la wilaya de Batna l’ont déclaré «persona non grata» ; heureusement pour lui, son adjoint de campagne, ancien wali de la région et homme de dialogue, s’est déplacé sur les lieux, pour tout d’abord «recoller les morceaux» et réconcilier, ensuite, notables-population et Premier ministre. Pourtant, la ficelle était grosse tout comme la manipulation politicienne qui en a été faite.

De ce qu’on a qualifié "d’impair" d’Abdelmalek Sellal et du tohu-bohu qui en a résulté, on peut déduire au moins ceci :

  1. En politique, on ne s’embarrasse pas de scrupules pour marquer des points à son adversaire, au besoin en recourant à l’insulte et à l’invective.
  2. Le "gentlemen-agreement", presse et personnel politique n’est pas pour demain, dès lors qu’on ne distingue plus le journaliste militant, du militant journaliste.

Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins, avec cette baisse brutale du prix du baril de pétrole et la «mise à nu» qui nous attend !

Les Agériens veulent savoir, tout savoir des projets du gouvernement et des intentions de l’opposition ! Ils veulent, désormais, qu’on parle à leur intelligence et non pas qu’on leur impose un langage de charretier, en guise de débat et de programme politique. Et pour commencer, ils sont en droit d’exiger de la classe politique, tous bords confondus, de se déterminer, très vite, par rapport à l‘injonction de «fermer sa gueule» adressée à Mme Louisa Hanoune.

Il faut, clairement, le dire : ce qui est attendu d’eux, ne réside pas dans la défense des thèses de cette dernière, qu’on peut aimer ou pas, mais de l’idée qu’ils se font eux-mêmes de la liberté d’expression. Et leur silence dans cette affaire, pèsera lourdement, dans les prochaines échéances électorales.

Cherif Ali

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Mouloud FEKNOUS

Franchement, rien de surprenant ! Et en dépit du fait que j’exècre cette dame pour ses prises de positions et sa chita, je trouve que les propos dont elle a été l'objet et tenus par un soit disant chef d'entreprise sont indignes du comportement humain civilisé! Mais cette engeance l'est -elle vraiment ! Non, puisqu'il s'agit souvent de ARAYA qui se sont enrichis par le trabendo, la cupidité, la rapine etc..

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Amnay Djennadi

En fait ce qu'il faut c'est qu'ils la ferment tous comme ils sont !

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