Ali Benflis : la révision constitutionnelle est "d'une crédibilité douteuse"

Ali Benflis.
Ali Benflis.

Extraits de la conférence donnée par M.Ali Benflis devant les participants du regroupement régional Ouest du parti Fadjr El-Djedid, le 29 novembre 2014, à Oran.

Invité au regroupement régional Ouest du Parti Fadjr El-Djedid, le 29 novembre 2014, à Oran, Ali Benflis a prononcé à cette occasion une conférence intitulée "La crise algérienne entre solution globale et approche sélective" à travers laquelle, il a partagé avec les participants ses points de vue et son appréciation sur la situation qui prévaut dans notre pays.

Il est revenu notamment sur la nature de la crise que traverse l’Algérie et ses conséquences politiques, économiques et sociales ainsi que ses derniers développements avec l’annonce d’une révision constitutionnelle imminente, son appréciation à ce sujet et le rappel du projet de sortie de crise proposé par l’opposition.

Pour M. Ali Benflis, "notre pays vit une crise globale dans ses aspects politique, économique et social. Une crise qui n’est ni transitoire, ni circonstanciée, ni artificielle". Il s’agit "d’une crise de visions, de choix et de politiques. Une crise structurelle… qui se traduit au plan politique par une crise de régime, une crise de pouvoir personnel".

Le projet de révision constitutionnel annoncé il y a 5 jours par une lettre lue à l’occasion d’une rencontre des conseils et cours constitutionnels africains, n’est qu’un des "scénarios et moyens utilisés" par le régime politique en place pour se prolonger et assurer sa pérennité "alors qu’il est conscient que le pouvoir personnel a un début et en même temps une fin inéluctable et que celle-ci pointe à l’horizon".

"J’ai toujours été convaincu que ce projet n’est conçu, préparé et utilisé qu’au service d’objectifs politiciens précis et étroits sans aucun rapport avec les intérêts nationaux", a-t-il déclaré. Les manœuvres autour de ce dossier ne sont que "la preuve de l’impasse totale dans laquelle un régime politique finissant a mené notre pays. Un régime qui a fait de l’opportunisme et de l’improvisation des moyens au service d’une gouvernance dénuée de sagesse, de vision et de raison".

Ali Benflis, "cette lettre constitue une atteinte aux sentiments de tout un peuple et un mépris pour toute une Nation". Une telle démarche est "irrecevable tant dans la forme que dans le fond". Il a par ailleurs développé dans ce cadre les arguments d’irrecevabilité tant de la lettre que de la démarche qui l’a régie :

Pour la forme :

1- La forme de la lettre constitue une preuve supplémentaire de la vacance du pouvoir : "Sinon comment un projet aussi important que la révision de la loi fondamentale de notre République puisse être annoncé par une simple lettre sans que le premier responsable du pays n’assume le devoir de s’adresser à notre peuple pour expliquer les objectifs assignés à un tel projet ?"

2- L’annonce d’une révision constitutionnelle a été faite lors d’une réunion technique continentale totalement étrangère et non-concernée par le projet alors que le peuple algérien est le premier et l’unique concerné par ce projet: «Cette démarche ne s’explique que par le réel objectif du système politique d’améliorer son image à l’endroit de l’opinion officielle étrangère».

3- Ce projet de révision constitutionnelle n’est qu’un moyen que le régime politique en place utilise dans l’objectif de demeurer au pouvoir : "Est-il concevable qu’une révision constitutionnelle puisse être préparée pendant trois ans et demie sans voir le jour ? Ce retard ne cache-t-il pas d’autres intentions et d’autres objectifs que ceux annoncés au titre d’une transparence et d’une crédibilité douteuse ? N’est-il pas légitime de nous interroger sur le fait que le projet de révision constitutionnelle n’est qu’une simple carte que le régime politique imagine gagnante et qu’il brandit dès qu’il se sent accablé par l’effet de pressions multiples et qu’il ajourne dès que ces pressions s’atténuent?".

4- Cette démarche donne raison «à tout ceux qui ont soutenu que ce projet de révision constitutionnelle n’est qu’une manœuvre qui vise à faire gagner du temps au régime politique et en faisant perdre un temps précieux à notre pays».

5- Cette lettre affirme de manière catégorique que l’Algérie s’apprête à réviser sa constitution alors que le contenu même de cette révision demeure inconnu : Il s’agit là «d’un manque de considération envers ceux qui ont accepté de prendre part au projet et qui ne peuvent vérifier que leurs propositions et observations ont été prises en considération». C’est également «une volonté de marginaliser et de réduire la volonté du peuple, seul apte à approuver ou à rejeter le projet».

Pour le fond :

- La lettre affirme, dans le texte, que «l’Algérie a amorcé une dynamique démocratique depuis plus de deux décennies» : «Qui peut croire à une telle affirmation alors qu’une décennie et demie a été consacrée à assoir une personnalisation du pouvoir, à mettre en place d’une unipolarité politique et à ériger un système totalitaire ?»

- Cette lettre ajoute que «les amendements constitutionnels engagés depuis les années 1990 jusqu’à 2008 traduisent une volonté politique d’adapter la loi suprême du pays aux mutations de la société ….." : "Comment une révision de la Constitution ayant anéanti le principe de l’alternance au pouvoir, ayant supprimé la fonction de Chef du Gouvernement et remis ses prérogatives constitutionnelles aux mains d’un seul homme avide de s’approprier le pouvoir dans sa totalité, puisse être présentée comme ayant accompagné les demandes de la société et les exigences de la communauté internationale ?"

- Cette lettre soutient que «la pratique électorale a progressé et s’est améliorée» : «Est-ce qu’une telle contre-vérité est acceptable ? Comment soutenir une telle affirmation au moment où la fraude électorale a été érigée en faiseur de toutes les institutions et en décideur dans tous les rendez-vous électoraux sans exception ?».

- Cette lettre ajoute aux réussites supposées du régime politique en place «l’organisation de partis politiques et des associations» : «C’est ignorer l’amertume et la colère provoquée par la promulgation de la loi sur les associations destinées à anéantir toutes les énergies de notre société. Quant aux partis politiques, je suis témoin, près de six mois se sont écoulés sans que nous n’ayons pu à ce jour procéder au simple dépôt du dossier de constitution de notre parti. Dans les démocraties véritables, la création de partis politiques obéit à une simple procédure déclarative et n’est pas régie par une procédure d’agrément qui permet aux gouvernants actuels d’exercer un pouvoir excessif de sélectivité et d’exclusion ou de complaisance et de rétribution.»

- Cette lettre assure que le projet de révision constitutionnelle a pour objectif «d’assurer un consensus national» : «A quel consensus national fait-elle allusion alors que ce même projet a divisé la classe politique et a provoqué des fractures au sein des élites dans leurs diversités idéologiques et leurs appartenances politiques ? Ce projet n’a-t-il pas suffisamment prouvé qu’il est un projet de fracture et de division plutôt qu’un projet de consensus et d’entente ? Qui peut croire que ce projet s’inscrit réellement dans l’intérêt du pays et non au service d’un régime politique qui cherche à détourner nos regards des vrais problèmes du pays dus à l’impasse politique à laquelle nous sommes arrivés ainsi qu’à la vacance du pouvoir qui a entrainé l’immobilisme des institutions et leur absence de légitimité.»

- Cette même lettre nous apprend aussi que «ce projet doit veiller à ne verser ni dans l’imitation, ni dans l’improvisation et la précipitation» : «Ce projet est annoncé depuis avril 2011. Trois ans et demi ne sont-ils pas suffisant pour se soustraire à l’improvisation à moins qu’il ne s’agisse d’atermoiements et d’inactions dictés par des considérations autres que celle relative à la sérénité et à la prudence ? Ce souci d’éviter l’improvisation s’est-il manifesté à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2008 qui s’est concrétisée en un temps record, ne dépassant pas les deux semaines, et qui a suffi pour anéantir un projet de transition en marche ? Quant au souci d’éviter l’imitation, il convient de préciser que la démocratie constitue un tout, comprenant ses conditions et ses règles universellement reconnues et usitées. La démocratie véritable ne peut s’accommoder d’approches d’évaluation, de sélection ou de fragmentation. De fait, nos gouvernants politiques ne peuvent admettre qu’une démocratie à leur mesure en avançant l’argument de la non imitation pour adopter ce qui peut leur convenir et écarter ce qui ne peut leur convenir».

- Enfin, cette lettre a «recours au discours préféré et récurrent du régime politique et qui est celui d’agiter le spectre de la peur et du chantage sécuritaire ainsi que du marchandage d’une pseudo stabilité : C’est en fait sur ce discours ancien-nouveau que s’appuie tout pouvoir personnel et tout système totalitaire dès que leurs fondements et leurs bases sont menacés et qu’ils arrivent en fin de parcours. Comment une transition démocratique ordonnée, concertée, graduelle et pacifique peut-elle constituer une menace pour la sécurité et la stabilité du pays ? Où est l’aventure si cette transition bénéficie d’un consensus national authentique ? La douloureuse période de terrorisme qu’a connu notre pays serait-elle devenue un obstacle face aux attentes de notre peuple aspirant à un renouveau démocratique ? Faut-il comprendre à travers le ton de cette lettre qu’au nom de la lutte contre le terrorisme et pour éviter les aventures ainsi que les soubresauts, nos gouvernants politiques décident d’imposer une sentence perpétuelle à l’encontre de notre peuple l’obligeant à accepter un régime politique dépassé et à accepter un avenir sans issue et à abandonner définitivement ses aspirations naturelles et légitimes ?»

En conclusion, pour Monsieur Ali Benflis :

• Ce projet de révision constitutionnelle ne répond ni aux questions de l’heure ni aux exigences d’une sortie de l’impasse politique découlant d’une crise politique globale.

• Les objectifs déclarés de ce projet ne sont en vérité destinés qu’à cacher les faits et les réalités de cette crise politique.

• Ce projet ne constitue qu’un moyen de diversion et de distraction qu’utilise le régime politique en place à chaque fois qu’il subit des pressions et que s’accentuent autour de lui les interrogations et les demandes de comptes.

• Le régime politique en place sait parfaitement que son projet ne réglera pas la problématique politique principale qui est celle de la vacance du pouvoir et de la paralysie des institutions elles-mêmes en panne et en déficit de légitimité. Ce n’est pas son problème. Sa préoccupation principale étant de gagner du temps.

• Ce régime politique est pleinement conscient qu’une révision de la constitution voire même l’adoption d’une nouvelle constitution, n’est pas de nature à régler une crise politique multidimensionnelle complexe. Il est établi que les constitutions n’ont pas vocation à apporter des solutions aux graves crises politiques. Elles n’interviennent que pour donner un habillage juridique matérialisant des obligations politiques consensuelles. Le consensus politique constitue un préalable à une révision de la constitution.

"Au regard de toutes ces considérations, l’opposition nationale a parfaitement raison de reprocher au régime politique en place son attitude face à la situation politique actuelle et face aux composantes de la crise politique ainsi que sa fuite en avant. De notre point de vue, la nouvelle Constitution de la République doit être un point d'arrivée et non un point de départ de l'effort national visant à résoudre la crise politique actuelle".

La résolution de la crise politique actuelle ne peut s’articuler que sur "un dialogue national rassembleur et inclusif, des engagements politiques précis et stricts bénéficiant d'un consensus national, des autorités légitimes investies d'attributions et prérogatives lui permettant de mettre en œuvre ce qui a été convenu ainsi que des mécanismes précis et appropriés assurant l'accompagnement, le suivi et la garantie du respect des engagements pris, constituent l'ossature de notre projet de renouveau".

Ali Benflis a, par la suite, exposé sa vision ainsi que celle de l’opposition à laquelle appartient le Pole des Forces du changement qui partagent les mêmes aspirations pour le bien du peuple et la prospérité de la Nation, s’appuient sur le dialogue national sincère et transparent, "un dialogue dont l'objectif n'est pas que de donner la priorité à la volonté de l'un sur celle de l'autre, ou d'imposer une solution envers d'autres solutions possibles ou dicter les mesures qui satisfont certains et font ressentir de l'amertume pour d'autres. Le dialogue national authentique que seul le peuple souverain aura à arbitrer et qui n'aura pour finalité cruciale que les intérêts supérieurs qui doivent transcender tout autre objectif ponctuel ou immédiat et toute forme d'égocentrisme". Et dont l’objectif est de parvenir à un véritable consensus national regroupant toutes les positions, les avis et les propositions autour d'un objectif commun rassembleur qui est celui de sortir notre pays de sa crise actuelle et de lui ouvrir de nouveaux horizons, des horizons de transition démocratique inéluctable.

Ainsi, après avoir unifié ses rangs autour de la plateforme de "Mazafran" et après avoir organisé son action au sein d'une Instance de Concertation et de suivi, l'opposition nationale, à l'issue de sa réunion du 18 novembre, a dévoilé à l'opinion nationale sa proposition globale de sortie de crise qui s'articule autour de :

Premièrement : un constat établi de la vacance du pouvoir.

Deuxièmement : un constat de la paralysie quasi totale des institutions.

Troisièmement : l'exigence de la création d'une instance indépendante, impartiale, transparente et permanente en charge de l'organisation, du contrôle et de la proclamation des résultats.

Quatrièmement : l’exigence de l'organisation d'élections présidentielles anticipées pour combler la vacance de l'institution présidentielle, comme une première étape tendant à doter toutes les institutions de la République du d'une représentativité et d'une légitimité indiscutables.

Pour Ali Benflis, il ne fait aucun doute à ce sujet que l'opposition nationale a réussi à unir les vues et ses positions concernant la sortie de la crise politique. Cette position commune prouve si besoin était que son unique souci était de donner à sa démarche de sortie de crise un caractère concerté ; consensuel, graduel et serein :

"L'opposition nationale aura pour une part non négligeable accompli ses devoirs nationaux qu'elle partage avec l'ensemble de la société. Sortir d'une crise d'une telle envergure nécessite l'implication de l'ensemble des composantes de la société. De là découle les actions futures qui attendent l'opposition nationale.

Il est important d'informer notre peuple de la gravité de la crise politique et les risques qu'elle engendre et de le sensibiliser et le convaincre de l'efficacité de la solution de sortie de crise qu'elle propose et dont les objectifs les promesses et les espoirs sont portés par un programme de changement démocratique.

Un tel projet ambitionne d'éveiller les consciences et d'éradiquer les frustrations tout en rassemblant toutes les énergies créatrices pour mettre fin à l'état de récession dans lequel notre pays s'est englué. Ce projet ambitionne aussi à faire de la citoyenneté restitué et de la volonté populaire souveraine rétablie les solides bases pour la refondation de notre système politique".

Synthèse C.P.

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Commentaires (10) | Réagir ?

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tahar foli

merci pour l'iformation

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gtu gtu

merci pour les informations

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