Baisse des recettes pétrolières: le gouvernement Sellal tourne en rond

Le gouvernement Sellal est en train de conduire l'Algérie droit dans le mur
Le gouvernement Sellal est en train de conduire l'Algérie droit dans le mur

Les pays exportateurs de pétrole se réuniront fin novembre 2014 pour examiner les conséquences de la baisse du cours du pétrole sur les économies des membres, estimée à prés de 25% en moins de six mois. En effet, leur rencontre du 11 juin dernier n’a semble-t-il pas su prévoir une telle chute des cours en si peu de temps. Ils avaient estimé que les prix du brut sont à un niveau confortable pour les pays producteurs et consommateurs ainsi que pour l’industrie pétrolière avait déclaré à l’époque Ali al-Nouaïmi, qui ne s’attendait dorénavant à aucune décision sur le plafond de production, fixé à 30 millions de barils par jour (mb/j) depuis fin 2011.

En dépit des assurances données par son ministre des Finances, l’Algérie avait dépêché des émissaires auprès du royaume saoudien, croyant encore à son leadership pétrolier. Bien que de nombreux experts tentent d’imputer cette situation à la récession de l’économie mondiale notamment aux pays émergents avec à leur tête la Chine qui a perdu beaucoup en croissance, près de 7%, Les manœuvres politiques ont joué à tirer les prix du brut vers le bas. Qui tire les ficelles de cette stratégie baissière ? A-t-elle un caractère structurel ? Quelles sont les conséquences immédiates sur les pays fortement dépendant des recettes pétrolières ?

1- Les calculs des Saoudiens se sont avérés contre-productifs

En voulant faire subir le supplice du pendu au monde entier, l’Arabie Saoudite se tire une balle dans le pied. En effet, son association avec les Etats-Unis pour pousser les prix du brut vers le bas afin d’étrangler les Russes pour les contraindre à modifier leur politique à l’égard de la Syrie et l’Ukraine pour les Américains a selon toute vraisemblance permis l’ouverture d’une alliance très gênante non seulement pour le royaume mais probablement pour l’Amérique et l’Europe : celle de la Russie-Chine. D’abord le budget de 2015 de la Russie est établi en fonction d’un prix du pétrole s’élevant à au moins 100 $ le baril. Les emprunts du Kremlin auprès des habituels investisseurs étrangers en 2015 ne dépassent toutefois pas 7 milliards de dollars, auxquels s’ajoutent 27,2 milliards de dollars empruntés à l’intérieur du pays. Pour le niveau des dépenses habituelles de ce pays, ce n’est pas du tout une inquiétude outre mesure. L’objectif des Saoudiens, qui est d’essayer de se substituer à la Russie comme principal fournisseur de pétrole de l’Union européenne, n’est rien d’autre qu’une chimère. Pour y arriver, il faudrait que les raffineries de l’Union européenne soient réaménagées de façon à pouvoir traiter le brut léger saoudien, ce qui coûte une fortune. Sur un autre plan, les choses sont plus juteuses, car au cœur de la stratégie du royaume, il y a cette rancœur contre Washington, qui n’a pas rempli sa promesse de faire partir Assad et qui n’a pas assouvi l’obsession néoconservatrice de bombarder l’Iran. Pire encore (pour les Saoudiens), Washington semble pour le moment plus déterminé à faire tomber le calife Ibrahim que Bachar al-Assad, et s’apprête aussi à signer un accord sur le nucléaire avec Téhéran le 24 novembre, dans le cadre des négociations avec les pays du P5+1. Cette attitude suiviste des Saoudiens a ouvert les yeux des Russes pour se tourner vers la Chine. Le vice-Premier ministre de la Chine, Wang Yang, le résume clairement : "La Chine est prête à exporter à la Russie des produits concurrentiels, comme des biens agricoles et de l’équipement pétrolier et gazier, tout en étant prête à importer des produits de l’ingénierie russe". En ajoutant à cela la hausse des importations d’aliments en provenance d’Amérique latine, on pourrait difficilement conclure que Moscou est sur la corde raide. La Chine vient de signer à Moscou une série d’accords de coopération touchant une foule de secteurs, comme l’énergie, les finances, la navigation par satellite et la liaison ferroviaire à grande vitesse. Pour la Chine, qui, en 2011, a dépassé l’Allemagne comme premier partenaire commercial de la Russie, les deux parties en ressortent gagnantes. Pour leur part, les banques centrales chinoises et russes viennent de signer un accord d’échange bilatéral de leurs devises nationales s’élevant à 150 milliards de yuans, d’une durée de trois ans. Cet accord est également extensible. La City de Londres rouspète, mais c’est ce qu’elle fait tout le temps. L’élément crucial de ce nouvel accord, c’est qu’il fait abstraction du dollar US. Pas étonnant qu’il soit devenu un élément clé de la guerre économique par procuration que se livrent les USA et l’Asie, où tous les coups sont permis. Pour Moscou, c’est un baume contre bien des effets secondaires de la stratégie saoudienne.

2- L’alliance Iran/Irak est sur la voie de la concrétisation

Avec cette légère ouverture économique du monde occidental envers les Iraniens, ils se sont rapprochés des Irakiens pour une alliance afin qu’à long terme, ils prendraient le contrôle de l’OPEP et donc écarterait le veto Saoudien sur les prix. Il faut dire que l’Irak a encore de nombreux défis à relever pour devenir le géant pétrolier qu’il ambitionne d’être d’ici quelques années. Le potentiel pétrolier de l’Irak est très important : au coude à coude avec l’Iran pour la position de deuxième producteur de brut de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le pays possède 9% des réserves mondiales d’or noir, selon la BP Statistical Review of World Energy. L’Irak est au pétrole conventionnel ce que les États-Unis sont au pétrole non conventionnel. Les exportations irakiennes de brut ont en effet bondi entre 2010 et 2012, passant de 1,88 million de barils par jour (mbj) à 2,4 mbj fin 2012, selon Thamir Ghadhban, ancien ministre irakien du Pétrole et aujourd’hui proche conseiller du Premier ministre irakien. Et l’Irak ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : le pays ambitionne de porter sa production à 4,5 mbj fin 2014 et à 9 mbj en 2020, contre 3,4 mbj actuellement, d’après la Stratégie énergétique nationale intégrée (INES) présentée par le gouvernement fédéral irakien. Cet objectif est jugé trop ambitieux par certains observateurs, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) envisageant par exemple une production irakienne de 6 mbj en 2020.Mais le gouvernement irakien est décidé de surmonter tous les obstacles. Le pays doit notamment améliorer ses infrastructures, à la fois pour apporter de l’eau sur les sites pétroliers et pour exporter le pétrole. Ces infrastructures sont l’une des clefs pour augmenter les exportations. De nouveaux oléoducs vont être construits, L’objectif est de porter la capacité d’exportation de pétrole au sud du pays : d’où sort la grande majorité du brut irakien : 3,8 mbj actuellement à 6,8 mbj en 2017. La bureaucratie crée beaucoup de frustrations chez les compagnies internationales qui se plaignaient des délais requis pour obtenir des visas ou réaliser les importations de matériaux nécessaires. Quant à la sécurité, elle reste une source d’inquiétude pour les entreprises même si le nombre d’incidents reste faible, comparé au pic de 2006-2007 où de nombreux oléoducs ont été attaqués. En ce qui concerne l’épineuse question des relations entre le gouvernement fédéral irakien et le gouvernement régional du Kurdistan, les autorités de la région autonome Kurdistan ont récemment signé plusieurs accords de prospection pétrolière avec des compagnies étrangères, contre l’avis du gouvernement central de Bagdad, qui les juge illégaux. Les diplomates et les spécialistes estiment que les problèmes entre Bagdad et la région autonome kurde, dotée d’une grande partie des réserves de brut du pays, sont l’une des plus lourdes menaces pesant sur la stabilité à long terme du pays. Dans tous les cas de figures et en cas de la coopération entre l'Iran et l'Irak et la réalisation des objectifs prévus pour l'augmentation de la capacité de production du pétrole, l'on arrivera, à court terme à un chiffre susceptible de remettre en cause la suprématie de l'Arabie Saoudite sur les marchés mondiaux du pétrole, d'autant que ces deux pays disposent des réserves qui sont, a total, supérieures à celles de l'Arabie Saoudite.

3- La situation interne du royaume n’est pas réjouissante

Les tendances actuelles du marché de l’énergie ne sont pas bonnes pour l’Arabie Saoudite. Pour commencer, l’Agence internationale de l’Energie a publié récemment des projections qui indiquent que les Etats-Unis pourraient bien rafler au géant pétrolier du Golfe la première place de producteur de la première énergie mondiale à l’horizon 2020. Mi-mai 2013, cette même agence a révélé que l’Amérique du Nord, grâce au développement rapide de son industrie pétrolière de nouvelle génération, devrait dominer la production globale de pétrole dans les cinq années qui viennent. Ces développements imprévus ne représentent pas seulement un coup porté au prestige de l’Arabie saoudite, mais également une menace potentielle à l’encontre de la prospérité économique du pays sur le long terme et tout particulièrement dans le contexte actuel post-printemps arabe, qui voit une augmentation des dépenses gouvernementales. Mais si l’avenir du royaume apparaît décidément sombre, sa réponse apparaît des plus confuses. Il faut ajouter à cela la pression du Congrès américain sur la maison blanche pour créer une équipe rattachée au ministère de la justice dont les objectifs sont d’enquêter sur les mécanismes des prix et sur éventuellement, les manipulations des cours du pétrole même aux Etats –Unis. Ce projet non encore validé, prévoit non seulement de se passer de l’Arabie Saoudite mais aussi la possibilité de poursuivre en justice les pays membres de l´OPEP au nom des lois antitrust. L’AIE, la même année avait averti que toute initiative pour freiner la production pétrolière mondiale pourrait se révéler contreproductive pour l´économie mondiale. Ce pays a toujours manœuvré en utilisant son droit de veto pour un prix qui l’arrange au détriment des autres membres dont les recettes pétrolières restent vitales pour leur développement économique. Quel est justement ce prix ?

Si l’on se réfère à l’Arab Petroleum Investments Corporation, le prix qui arrange les Saoudiens se situerait autour de 94 dollars le baril, soit moins que le prix actuel du Brent. Or L’Iran par exemple a besoin de vendre son baril à 125 dollars pour qu’il soit rentable, ce qui explique la guerre que se livrent l’Iran et l’Arabie Saoudite au sein de l’OPEP. Mais en l’absence de réformes politiques profondes qui seules pourraient fournir à l’Arabie Saoudite d’autres sources de revenu, ce prix de revient va sûrement selon cette même Corporation en augmentant. Cette rivalité entre des membres d’une même organisation n’est pas une dispute théorique. Elle pourrait avoir de sérieuses implications sur le futur de l’économie mondiale. Que l’Arabie Saoudite le veuille ou non et elle ne le veut certainement pas, le marché global de l’énergie va s’ouvrir de plus en plus à la concurrence. Dans un marché concurrentiel, le pétrole doit être fourni par tous les producteurs en tenant compte à la fois de leurs réserves géologiques et de leurs marges. Il y a quelque chose de profondément malsain de voir les Etats-Unis, qui disposent d’environ 2% des réserves conventionnelles de pétrole produire plus de barils par jour que l’Arabie Saoudite.

4- La tendance baissière n’arrange personne

La fourchette des prix entre 70 et 80 dollars fait mal aussi bien à ceux qui sont à l’origine du déclenchement de la tendance baissière que ceux qui en subissent les conséquences. Donc, une correction s’impose. Les Saoudiens font semblant de ne rien ressentir. Ils ne cessent de répéter qu’ils sont à l’aise avec le pétrole à 90$ le baril, avec le pétrole à 80 $ le baril pour les deux prochaines années, et même avec un prix du baril oscillant entre 50$ et 60$ pour ses clients asiatiques et nord-américains. La réalité, c’est que le prix du brut Brent est déjà en deçà de 90$ le baril parce que l’économie de la Chine et de l’ensemble de l’Asie a commencé à ralentir, quoiqu’à un degré moindre qu’en Occident. La production est toutefois demeurée élevée, surtout en Arabie Saoudite et au Koweït, et ce, malgré la très faible quantité de pétrole libyen et syrien sur le marché, et le fait que l’Iran a été contraint de réduire ses exportations d’un million de barils par jour en raison de la guerre économique que lui livrent les États-Unis à coup de sanctions. Le royaume emploie une stratégie de fixation des prix de prédateur, qui se résume à réduire la part de marché de ses concurrents à moyen et à long terme. En théorie, cela pourrait empoisonner la vie de bien des joueurs, et notamment aux Etats-Unis où le développement des énergies, la fracturation hydraulique et le forage en eau profonde deviendront non rentables sans compter les producteurs de brut lourd et corrosif, comme l’Iran et le Venezuela. Il ne fait cependant aucun doute que c’est la Russie qui est dans la mire n’est pas la seule à subir les conséquences d’une offensive irréfléchie des Saoudiens.

5- Les Algériens doivent-ils s’inquiéter de cette tendance ?

La démarche du gouvernement algérien ces derniers temps est malheureusement à côté de la plaque pour au moins deux raisons. La première est que la baisse de la production des gisements pétroliers Algériens est entamée depuis plus de deux ans, ce qui signifie qu’elle n’est pas en mesure de mettre sur le marché des quantités supplémentaires du brut pour combler le déficit sur le court terme. Par contre le gouvernement pense régler un problème immédiat avec une solution qui pourrait se réaliser à long terme : celle d’exploiter le gaz de schiste. L’avertissement donné par les résultats du quatrième appel d’offre ne semble pas le dissuader à en croire les déclarations rassurantes du ministre des finances et celui de l’énergie. La deuxième raison est que malgré les rapports contenants des recommandations des institutions internationales comme le FMI et la Banque Mondiale, aucune plateforme consensuelle n’est mise en place par les différents partenaires sociaux et politiques pour entamer une nécessaire rationalisation du budget de l’Etat. Ce qui pourrait être sûr, c’est qu’une reprise économique mondiale reste possible. Pourquoi ? Parce que les principaux pays occidentaux y travaillent pour. Les coupes budgétaires opérées en France et en Allemagne en sont la preuve irréfutable. Donc un redressement de la demande du pétrole dans le monde pourrait intervenir à court terme. Maintenant revenir à un baril à 140 dollars prendra certainement le temps du démarrage effectif de la croissance mondiale. Or, à en croire le rapport du FMI, le prix le plus bas pour un équilibre des dépense de l’Algérie se situe autour de 120 dollars, niveau impossible à atteindre d’ici 2017. C’est pour cela que les dépenses doivent correspondre aux moyens.

Donc continuer de mentir à soi-même en gonflant le fonds de régulation des recettes et l’utiliser comme un amortisseur de choc n’est pas la solution. Il faut dans l’immédiat réduire les importations dont le montant ne cesse de croître depuis une décennie. Revoir la structure des niches fiscales et avoir le courage de dire au peuple à qui profitent les subventions de l’Etat pour notamment celles sur les carburants et les produits de large consommation. Les chiffres sont éloquents : l’année 2014 va terminer avec des dépenses de fonctionnement qui avoisine les 85 milliards de dollars, en augmentation de près de 30% par rapport à 2013. Sa structure est effrayante, près de 40 milliards de dollars servent à payer des fonctionnaires et 25 autres pour subventionner les produits importés comme le lait, le blé, certains médicaments, le sucre, le café etc. Ce montant faramineux fait travailler plus les pays qui exportent que les nationaux. En dépit de ce sacrifice financier énorme, prés d’un fonctionnaire sur cinq ne veut pas céder sa place aux jeunes. Cette situation bloque non seulement l’ascenseur social mais ne règle pas le chômage pour autant.

6- Conclusion

Avecune production nationale qui satisfait les 30% des besoins des ménages et des entreprises, le reste étant importé, une dépendance de l’économie nationale à 98% des hydrocarbures, près d’un million d’emplois précaires formés par une masse de contractuels, un million de nouveaux venus d’ici fin décembre, cette baisse si rien n’est entrepris entre temps ne fera que creuser l’écart du déficit budgétaire. Le fonds de la régulation des recettes fondera comme de la glace. Il est fort probable que d’ici la fin du quatrième mandat, l’Algérie sera dans la même situation que celle de 1999 avec des Maliens, des Syriens et des Libyens à la charge en plus. Auquel cas, on aura pédalé pendant 20 ans à vide.

Rabah Reghis, Consultant et économiste Pétrolier

Plus d'articles de : Analyse

Commentaires (8) | Réagir ?

avatar
adil ahmed

merci

avatar
khelaf hellal

Même la formule du "Clé en main " que nos gouvernants affectionnent beaucoup sert les interêts des multinationales qui s'y installent durablement en imposant leurs conditionalités de management à long terme dans l'exploitation de leurs équipements pour en garantir la rentabilité. Dans certains cas c'est carrément l'opa sur la production qui est recherchée, ce qui emmène nos gouvernants à importer de l'etranger ce qu'ils produisent chez eux comme par exemple le complexe d'Arcelor Mittal, l'usine des Renault Symbol.

avatar
khelaf hellal

d'autres exemples : L'ENGI, les Cimenteries

visualisation: 2 / 7