Mohammed, prends ta valise !

 Photo d'une œuvre de Kamel Yahiaoui.
Photo d'une œuvre de Kamel Yahiaoui.

La pièce "Mohamed, Prends ta valise !" parle d’aliénation et de liberté en narrant le périple d’un jeune homme qui, confronté dans la France des trois glorieuses et trois-huit (ou 3X8) à l’exclusion, l’injustice et les moqueries d’exploiteurs, fuira sa condition humaine en retournant en Algérie où, mal reçu, berné et exploité de nouveau par des arrivistes sans scrupules, il décidera de reprendre la route de l’immigré nulle part accepté mais luttant toujours pour garder sa dignité et s’émanciper.

Par Saadi-Leray Farid (*)

Contrairement à ce que pourrait sous entendre la reprise du titre de la comédie montée en 1971 par le dramaturge et écrivain Kateb Yacine, il ne s’agit pas ici d’inviter les Algériens à partir vers des cieux plus cléments (comme l’auront entrepris de faire les 840.000 exilés de ces quinze dernières années), mais de placer Mohammed Djehiche, l’actuel directeur du Musée d’art moderne d’Alger (MAMA), devant ce choix : soit, il laisse sa place à un autre administrateur, soit il profite de l’attendue, mais toujours retardée, reprise des travaux d’aménagement de son pôle culturel pour prendre son bâton de pèlerin (donc sa valise), entreprendre, comme autrefois Ulysse, un beau voyage, une villégiature lui permettant de changer de paysage et (peut-être) de se mettre à la page de la locution "art contemporain". İnitialisée en Algérie sans discernements critiques, elle n’a pas pu devenir la borne chronologique, statutaire et dialectique permettant de mieux discerner les différents acteurs du champ de l’expression du sensible, d’identifier qui a apporté, à tel ou tel moment, une autre plus value esthétique. La reconduction (au niveau du MAMA) d’hommages, posthumes ou non, préalablement accommodés au niveau du Musée des Beaux-Arts d’El Hamma en l’honneur de ces "Pères-Pairs" ou doyens de la peinture algérienne que sont Mohamed Khadda, M’hamed İssiakhem, Choukri Mesli puis Lazhar Hakkar, n’a pas permis de distinguer le genre contemporain de celui plus anachronique de moderne, d’enregistrer par conséquent une nette césure entre une nouvelle et une ancienne génération abusivement affiliée à l’ "École de Paris".

Revenus de leur pérégrination européenne ou maghrébine, certains de ses membres (İssiakhem, Khadda, Martinez, Mesli, Samsom, Zerarti) furent rattachés au cubisme, à l’expressionnisme abstrait ou abstraction lyrique, contribueront par là même à la constitution d’un spicilège (même sporadique) rassemblé par Jean de Maisonseul et à la ponctuation d’un clivage avec l’orientalisme pictural et l’iconographie du "Héros pur", une coupure que notre Mohammed national annihilera en affichant sur les cimaises du MAMA les déclics révolutionnaires de Les Photographes de Guerre: Djounoud du noir et blanc puis El Moudjahidate, nos héroïnes. Les clichés garniront les murs d’un ancien souk consumériste devenu, à ces moments là, une succursale du Musée de l’Armée édifié en 1984 (en échos au trentième anniversaire du déclanchement de l’insurrection du 1er Novembre 1954) et non pas la "Maison d’avant-corps perturbateurs" n’y trouvant dès lors plus leur aises transgressives. Hors, la mission première de Mohammed était d’offrir des assises et amplitudes à des subversions constitutives à l’extension du champ artistique et à l’audibilité de "maillons subalternistes" désormais grippés puisque poussés à suivre un sentier balisé par la bienséance protocolaire et l’intoxication aux martyrs.

Le récurrent parangon de "renouveau dans l’authenticité" (culturelle et révolutionnaire) impacte tellement le champ artistique, que le MAMA s’est vu attribuer deux monstrations qui inhiberont et affecteront sérieusement la reconversion des concepts d’art-création et d’artiste-créateur, enjeux primordiaux de la modernité esthétique mais désormais en retrait à cause d’une recapitalisation symbolique et d’un statut offrant la part belle aux représentants du ministère des Moudjahidine ou à celui des Affaires religieuses et des wakfs, des émissaires autorisés à délibérer sur le règlement ou la distribution interne du Musée. Possédant un droit inquisiteur sur ses contrats, conventions, dons, legs, comptes annuels ou budget, ils peuvent de surcroît intervenir au sein de son conseil d’orientation pour imposer eux-mêmes un prétendant à la consécration ou une thématique, censurer les œuvres qui, par exemple, suggéreraient une certaine sécularisation au cœur même de l’entendement socio-culturel de la pensée stable et unique. Si ces missi dominici interfèrent dans l’organigramme du Musée d’art moderne d’Alger (MAMA), cela stipule que celui-ci est tenu de recevoir de l’autorité symbolique une rente mémorielle. Alignée à deux reprises sur ses cimaises, elle conditionnera grandement l’aperception esthétique de Mohammed, lequel détectera donc à travers les effigies de soldats et partisanes les référents historiques d’un "Soi algérien" «(…) pas seulement politique, mais artistique».

Son estimation visait ceux qui en coulisse lui reprochaient d’avoir complaisamment ouvert son espace à des argentiques de guerre. Pour revalider sa première option, le directeur du MAMA soutiendra (donc avec cette fois l’exposition El Moudjahidate, nos héroïnes) que les épreuves sélectionnées comportaient des aspects éminemment plastiques. Hors, ce que l’on nomme la "photographie plasticienne" (terme introduit en 1998 par la critique d’art française Dominique Baqué) qualifie les multiples symbioses nées du brassage İmages-Beaux-Arts, une jonction qui prendra le contrepied du photojournalisme sur lequel se focalise le rendez-vous annuel Visa pour l’image. La manifestation de Perpignan n’est pas réservée au "photojournalisme plasticien" (celui-ci exige des vicissitudes plus cérébrales) mais au mythe anthropologique du reporter-chasseur captant "l’instant décisif et absolu", à une presse-spectacle déversant en continu un flux visuel destiné à la masse. Elle ne fait que perpétuer la révélation mystique du scoop rivalisant avec la photo-choc et shop des paparazzi, qu’offrir du crédit au pouvoir magique d’explorateurs-baroudeurs supposés emprisonner avec leur prise-seconde la totalité de l’événement dans la cellule d’un épisode infalsifiable car indivisible, c’est-à-dire rare, donc authentique mais cependant banalisé sur les autoroutes de l’information. Éliminant toute prétention panthéiste et exhaustive, la "photographie plasticienne", qui n’est à confondre ni avec la photographie dite "créative", appliquée ou de reportage (souvent en noir et blanc, cette dernière a adopté les calibres classiques) se départira de la prégnance de l’instant décisif (investi par Henri Cartier-Bresson), larguera sa prétendue vérité persuasive, bousculera les postulats de l’acte instinctif revendiqué par le photojournalisme, se délestera du poids de sa propre histoire ou particularité et stimulera une intuition ou "claire-voyance" répercutant autre chose que la simple technicité de l’image. C’est au cours de la décennie 70 que s’estompera la frontière séparant jusque-là la photographie des arts plastiques, une levée des barrières mise en résonnances par l’exposition de Michel Nuridsany, İls se disent peintres, ils se disent photographes. Elle montrait en effet comment la photographie a abandonné les courants traditionnels de la "forme reportage", c’est-à-dire le stade de simple configuration résiduelle de la temporalité, pour situer le curseur de son autonomie esthétique sur le registre de la quotidienneté, glisser au ras des pâquerettes du réel de manière à s’immiscer dans les réseautages de l'art contemporain.

Si les cadres 30x40 cm ou les sous-verres 50x60 cm absorberont dans les années 70-80 une "photographie créative" prônant, contre la pluralité chromatique, encore l’antithétique Noir et Blanc, délimiteront de nouveau l’œuvre conventionnelle afin de protéger le processus de l’artefact indépendant, des controverses mobiliseront des protagonistes s’ingéniant à filtrer l’image sur les épurations de l’art conceptuel et minimaliste. İls l’entraineront (entre 1960 et 1980) dans les sphères plus intimistes de l’émotion et du tempo social, rétabliront à travers elles la notion kantienne du Beau, instaureront un recueillement feutré et méditatif qui fera de la photo un médium à part entière. Estimant qu’il ne suffit pas d’inventer, d’autres instigateurs s’empareront entre 1970 et 1990 du déjà-là de manière à se servir dans le panoptique protéiforme de l’histoire de l’art ou le réservoir gigantesque de ses iconographies viatiques. Les stratégies d’entrelacement que souscrira le postmodernisme des années quatre-vingt, consacrera la déconstruction d’un progressisme linéaire voué à la foi en l’essence innée d’une expression du sensible se transcendant à l’intérieur de son propre champ, là où la "photographie plasticienne" va justement donc s’engouffrer pour, à l’encontre du dogmatisme greenbergien insistant sur l’idée que l’art n’évolue que dans le dépassement de sa pureté intrinsèque, perturber de l’intérieur les présupposés fondateurs d’une œuvre recourbée sur elle-même ou son unicité perfectible. Refusant la croyance en la supposée saine irréductibilité de la création, elle épousera une hétéronomie offrant les densités de fragments existentiels qui, comme les médias, s’interpénètreront les uns aux autres au sein de "formats-tableaux" attestant qu’il y a du sens performatif. Depuis une vingtaine d’années, les artistes n’hésitent pas à hybrider des réalisations fusionnant la peinture, la sculpture, la littérature et la photographie, laquelle noue des complicités électives ou sélectives et s’exhibe dans le marché de l’art où elle n’illustre plus le raisonnement théorique ou événementiel des installateurs et vidéastes mais imprime le sien propre. Tout en renonçant à la totalité bonifiée, au "Grand-Tout", la "photographie plasticienne" profanera la dévotion artistique et la perception subliminale de son auteur, subvertira ces convenances et valeurs ontologiques du modernisme que sont l’authenticité (ou rareté) et l’originalité (ou singularité), participera à la défragmentation de la hiérarchie des Beaux-Arts, à la critique du mirifique, donc de la représentation des "Héros purs" que Mohammed s’emploiera à réhabiliter au dépend de la désacralisation des constantes culturelles, du décloisonnement des clôtures et tabous politico-religieux sous la surveillance accrue de la police des mœurs et de sa "vida blindada" (vie blindée).

Une plongée underground dans l’imagologie (examen des relations entre les écrivains et les pays étrangers telles que celles-ci se traduisent dans les œuvres littéraires) ou la contre-culture des mondes de l’art contemporain, lui aurait assurément évité de refourguer les vieux schémas propagandistes de la culture de combat. Mais, comme une gélatine qui s’étire sans progresser, il endossera l’habit du derviche tourneur, pratiquera la danse des cercles concentriques de façon à désorienter les profils propices au personnalisme et concentrer l’attention sur les clichés "patriotiques" d’une culture de résistance contraire à l’imaginaire du génie créateur, non pas celui du Prodige enfermé dans sa bulle déiste mais de l’agitateur en contact permanent avec l’altérité polysémique.

Confirmé par décret présidentiel (du 1er septembre 2008), l’ex-suppléant du Musée des Beaux-Arts du quartier d’El-Hamma a exporté ses réflexes d’ancien conservateur au sein d’une institution officialisée en décembre 2007 afin (dira-t-il dans un entretien de 2012) «(…) d’accueillir les expositions d’art visuel d’Alger, Capitale de la culture arabe», de façon donc à satisfaire les fastes de la seconde vaste manifestation politico-diplomatique qui, après celle de 2003 en France, était tout autant vouée à améliorer l’image que les "ordonnateurs" avaient l’intention de renvoyer de leur pays. En quête d’une apologie politique à thésauriser auprès de la communauté internationale, d’un vernissage permanent à lustrer ou enduire sur la "Concorde civile" (ou "Réconciliation nationale"), les "Hauts décideurs" du régime militaro-industriel conviendront de l’agencement des anciennes galeries algériennes de la rue Larbi Ben M’Hidi en musée de manière à ce que la vitrine héliotrope de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) soit aussi la leur. Ces maîtres de la domination ou caution symbolique pourront ainsi parachuter tel ou tel peintre, prescrire telle ou telle monographie. C’est donc pour cela qu’autour d’une table d’un des restaurants de l’hôtel El-Aurassi, nous poserons (en présence de l’historienne Anissa Bouayed qui, en souriant, aura d’emblée saisi la part implicite de l’intervention) à Mohammed cette interrogation : «Que veulent-ils faire du MAMA ?», d’un lieu qui, sous influences ou pressions externes, réussira à plomber la reconnaissance extensive de l'artiste-créateur (terme donc alloué à un avant-corps apte à extraire de l’existant et de l’agir-humain de la plus-value esthétique). Sans consistance historiographique ou analytique, ce modèle s’appréhende encore trop souvent en raison de l’itinéraire militant, tiers-mondiste ou anti-impérialiste de quelques intervenants et non pas à l’instar d’une touche éminemment formelle. Une certaine communauté de goûts pérennisera par conséquent en Algérie les arbitraires visuels et logomachiques d’une culture politique de combat née pendant la Guerre de Libération nationale.

Ces diverses remarques soumettent l’hypothèse que le nouveau dôme muséal ne servira pas à mettre en exergue la Personne de l'artiste, prorogera en somme les injonctions d’une Plate-forme de la Soummam (août 1956) énonçant «La condamnation définitive du culte de la personnalité» et la «(…) rupture avec les positions idéalistes individualistes», incitera à déloger de son piédestal le Génie créateur, à mettre ainsi à bas une figure postromantique susceptible de concurrencer le zaïmisme (sorte d’aura captivante du chef) d’Ahmed Ben Bella, de Houari Boumediène et maintenant d’Abdelaziz Bouteflika. L’homologation du MAMA réifiera à ce titre la première phase de recapitalisation symbolique amorcée lors de Djazaïr 2003, le fera aux dépens de l’élargissement d’un champ pourtant traversé et segmenté par une adversité-diversité des langages. Ce bradage de la modernité artistique relève d’un enjeu consistant à ne pas accorder de respirations aux individus, à les maintenir sous la dépendance des enfumages emblématiques d’une légitimité historique rétive à la narration du "Je" d’avant-corps en mesure de délaisser complètement les antiennes ou vieux tropismes au profit de miasmes paradigmatiques et anti-déterministes. İl leur faut en cela l’appui épistolaire ou charismatique d’intellectuels et concepteurs à même de matérialiser des problématiques sous couvert de scénographies aux buts cognitifs et pédagogiques, de vulgariser des matériaux discursifs indispensables à leurs prérogatives et épanouissements mais que Mohammed, cet auxiliaire de la dépendance archétypale, empêche toujours de s’exprimer en se réservant des commissariats artistiques hautement rémunérés (connaître leur montant procèdent aussi des observations sociologiques) et, pire, en assertant le 16 décembre 2013 que «(…) franchement, nous n’avons pas de grands artistes d’art contemporain en Algérie».

Colporter un tel discriminant sans préciser au préalable le manque délibéré d’infrastructures culturelles et les verrouillages bureaucratiques mis en chaînes depuis un demi-siècle pour cadenasser la société dans ses présupposés archaïques, la maintenir en état d’allaitements providentiels et de dépendances symboliques, c’est porter un jugement de valeur propageant des connotations néo-colonialistes. Celles-ci transparaîtront dans l’esprit d’un ancien directeur de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger conditionné par un curieux suivisme pro-"H’izb França" (parti de la France), voire une paresse herméneutique l’entraînant à utiliser l’acronyme FİAC pour annoncer l’ouverture du premier Festival international de l’art contemporain alors qu’il désigne depuis 1975 la Foire internationale d’art contemporain de Paris (initiée en janvier 1974 au sein de l'ancienne gare de la Bastille, elle se dénommait alors Salon international d'art contemporain).

Dans le texte, "Les Abattoirs d’Alger : dépeçage de Nadia Labidi-Cherabi, ministre de la Dystopie", nous avions d’ailleurs délibérément écrit Foire internationale d’art contemporain au lieu de Festival international de l’art contemporain pour donc, en la sous-entendant, railler cette tendance à la mimésis, dénigrer l’usurpation, dénoncer la reprise mécanique du sigle FİAC. Lorsque nous chercherons à savoir s’il fut accaparé pour désigner un événement inhérent aux arts-plastiques ou, comme écrit au sein de l’organigramme de 2013, usité de manière généraliste afin de présenter «(…) un cycle de concerts de musiques du XX° siècle (...)» ?, Mohammed noiera, comme à son habitude, le poisson en distillant une excuse approximative. De plus, nous voulions être certains que l’abréviation FİAC correspondait bien à l’appellation (non contrôlée) Festival international de l’art contemporain et non à celle de Festival international d'art contemporain, comme cela est parfois écrit. Ce type de réclamation peut paraître exagéré, mais il ne l’est pas dans le domaine universitaire où tout doit être minutieusement consigné et souligné au nom de la discipline et d’une certaine honnêteté intellectuelle.

Pour exemple, lors de notre soutenance de thèse, le sociologue de la Culture, Benamar Médiène, maintiendra (en tant que membre du jury) que la contraction MAMA était le diminutif de Musée d’art moderne d’Alger alors qu’il synthétisait déjà, il est vrai bizarrement, l’appellation Musée d’art moderne et contemporain d’Alger, et même dorénavant Musée public national d’art moderne et contemporain d’Alger. Autrement dit, on est passé en sept années de MAMA à MAMCA puis à MPNACA, à donc un imbroglio pour ainsi dire kafkaïen. En ajoutant à la désignation Musée d’art moderne d’Alger (MAMA) le vocable "contemporain", Mohammed (ou l’ex-patron de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel) refusera donc de délimiter une distance chronologique et critique entre les deux genres (moderne et contemporain). Les ambiguïtés relevées autour du vocable "contemporain", des acronymes FİAC et MAMA révèlent du dilettantisme, d’un manque flagrant d’une piste ou ligne directive et d’approches approximatives qui ressortent dans la cartographie programmatique d’un homme naviguant sur les brèves échéances du "courtermisme" puisqu’il est impossible de savoir en aval qu’elles sont les projets prévus en 2015, 2016, voire 2017, et de confectionner des rédactions en rapport à tel ou tel futur parcours récapitulatif ou prochain sélectionné, comme cela se pratique au sein de la plupart des institutions muséales du même acabit. On a la désagréable impression que tout chemine de manière conjoncturelle sous le prétexte, à nos sens fallacieux, qu’il n’existerait pas en Algérie, et en dehors de ce pays, de chercheurs ou universitaires (algériens, algéro-européens ou étrangers) capables de fournir des réflexions exhaustives, des commentaires et exégèses esthétiques.

Tout en laissant entendre (au cours d’un entretien concédé à la maître-assistant Nadira Laggoune-Aklouche) vouloir «(…) constituer une équipe qui puisse assurer le relais », qu’il se souciait donc de sa succession, Mohamed dévoilera que les statuts en vigueur ne légiférant que sur le recrutement «(…) des diplômés en archéologie, Beaux-Arts ou sciences humaines», il souffrait du défaut de techniciens ou scientifiques et était dès lors contraint de s’occuper de tout, entre autres, de tâches allant «(…) de la recherche des œuvres à l’établissement des contrats d’assurance en passant par l’édition des catalogues et la gestion de budgets (car), il faudra attendre des années avant qu’un personnel qualifié ne soit disponible sur le marché ». Pour remédier à ces supposés carences, Mohammed a-t-il convoqué des personnes œuvrant, à l’intérieur et l’extérieur du pays, sur le champ culturel ou artistique algérien dans l’optique de connaître l’avancée de leurs travaux et justement compenser les pénuries remarquées ? NON. Au contraire, lorsque nous le solliciterons en mai 2010, il refusera de façon biaisée l’interview (alors que, entrepris en rapport à une enquête de terrain, le déplacement Paris-Alger-Mostaganem fut assumé à nos frais, comme du reste l’hébergement et la location d’une voiture) et n’appréciera pas le fait que nous récupérions auprès d’une assistante (très serviable) du Musée national des Beaux-Arts d’El-Hamma, le double des revues malthusiennes concoctées en son sein au milieu de la décennie 80. Ces documents sont indispensables aux "fouineurs" et autres rats de bibliothèques de tous horizons, d’autant plus qu’a été remis aux calendes grecques « (…) un centre de documentation qui offrira une base de données sur les artistes algériens, ce qui facilitera le travail des chercheurs ne bénéficiant aujourd’hui que d’informations parcellaires.», garantissait Mohammed dans le magazine Diptyk d’octobre-novembre 2011. Manifestement, il ne veut pas déléguer certaines prérogatives lui attribuant une confortable rétribution (ce qui nous incommode, ce n’est pas qu’il perçoive de fortes rémunérations, mais que celles-ci ne s’appliquent pas aux exercices à fournir et aux aptitudes requises) puisqu’en plus de son salaire mensuel il doit probablement (ce que nous supposons donc sans informations complémentaires de sa part) toucher des surplus financiers à chaque commissariat artistique, des prestances opportunistes à l’occasion desquelles il rédige le préambule des catalogues. Provoquer, par simple esprit de lucre ou parcimonie, le désert autour de soi pour se présenter borgne-roi au pays des aveugles, c’est laisser supposer que khlassou erdjal felblad hadi (qu’il n’y a pas de compétences dans cette contrée), c’est se prétendre le nec plus ultra des critiques d’art, c’est privilégier les prétéritions bifides, abouliques et rétives aux ostensibles initiatives de ceux qui veulent activer de plain-pied au sein du bourbier analytique et y décanter de possibles alternatives. Sur ce point, nous interrogerons Mohammed sur la défection avérée d'une historiographie artistique, un vide qui pose de facto le problème de la politique d'achat du Musée d’art moderne d’Alger (MAMA), du Musée d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMCA) ou encore donc du Musée public national d’art moderne et contemporain d’Alger (MPNACA).

Les questions étaient : sur quels critères de valeurs, paradigmes, tropismes ou concepts peut-on s'appuyer pour prendre des décisions conditionnant le jugement des spectateurs auxquels il faut apporter des réponses tangibles sur les notions indispensables et incontournables d’art-création et artiste-créateur ?

Comment allez-vous pouvoir cerner ces notions primordiales en l’absence de perspectives historiques ? Allez-vous mobiliser des réflexes psycho-sensoriels, donc subjectifs, et dans ce cas faire fi d’analyses qui peuvent apporter des éclaircissements argumentés ?

Au sein même d’une production, comment cibler l’œuvre majeure, celle qui, caractérisant une voie esthétique, justifiera une spéculation marchande lorsqu’une salle des ventes sera opérationnelle en Algérie ? (un projet de loi sur la profession de commissaire-priseur est en discussion depuis le 14 octobre 2014)

Encore une fois, aucune réponse ne viendra instruire nos expectatives. Si l’acquisition et le don d’une conséquence production, l’édition d’une quarantaine de répertoires ou actes de colloques ont indéniablement contribué à nourrir l’amour de l’art de quelques regardeurs, à satisfaire leur curiosité, le MAMA, MAMCA ou MPNACA ne dispose toujours pas «(…) de réserve pour stocker les œuvres (…). Dans de telles conditions, comment espérer accueillir des collections venant de musées étrangers ?», se demandait dans Le Monde diplomatique de décembre 2010 l’architecte Halim Faïdi. En soulignant que le «(…) bureau sur site» prévu au 25 rue Larbi Ben M’Hidi n’est pas encore apprêté, il mettait lui aussi l’accent sur du "j’men-foutisme". Plusieurs négligences suivront une précipitation événementielle prenant le pas sur tout le reste puisqu’une fois terminés les rites auto-congratulatoires d’Alger, capitale arabe de la culture, plus aucune préoccupation majeure ne viendra combler un laisser-aller constaté au niveau des normes de sécurité, se soucier des besoins conviviaux permettant à Mohammed de recevoir dans de bonnes conditions des interlocuteurs comme le directeur du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM). Disposé à motiver un partenariat artistique entre les deux sites culturels, il se résoudra à confier que « Pour l'instant, on n'a pas été très loin dans la réflexion (…), pas de projet avec l'Algérie. ». Bruno Suzzarelli ajoutera avoir rencontré en 2011 Khalida Toumi afin d’initier «(…) des coproductions d'expositions ou que l'Algérie puisse accueillir des expos que nous produirions». Mais désintéressé, négligeant ou rétif à cette interlocution, Mohammed boudera une généreux dessein «(…) encore au stade des paroles » et confortera la réflexion d’Halim Faïdi arguant qu’à l’échelle du Palais Moufdi-Zakaria «(…) on fait croire aux Algériens que le MAMA est un musée, alors qu’au mieux ça n’est qu’une galerie! Tout ça n’est que de l’affichage, du trompe-l’œil !».

Censés être achevés au courant des années 2009-2010, les travaux d’intérieur furent écartés ou retardés en raison de la célébration du Cinquantenaire de l’indépendance et du blocage d’une enveloppe spéciale. İnterrogé par la gazette Diptyk déjà citée, Mohammed signalait que le ministère de la Culture palliait aux déficits ou creux de son budget de fonctionnement (d’un montant de 600.000 euros) en injectant «(…) chaque année une aide financière conséquente (…). C’est ce qui nous permet de maintenir un rythme de quatre expositions par saison, à raison de 200.000 à 400.000 euros par manifestation». À ses yeux, l’important était d’encourager la formation et l’action didactique afin «(…) qu’un public tenu trop à l’écart des réalités artistiques (…) se rapproche de l’art moderne et contemporain», que «(…) l’essentiel de la production algérienne, (…)» soit vue par le plus grand nombre d’intéressés de manière à les accoutumer aux différentes démarches créatives, que le Festival international de l’art contemporain (FİAC), qui se veut «(…) le croisement entre les positions esthétiques, le discours théorique et la pratique dans l’art contemporain», réfléchisse distinctement une intelligence «(…) dont l’objectif premier est d’initier (…), de découvrir les créations actuelles».

Au sein d’un libellé lisible sur le site du Musée, le premier guide du MAMA, MAMCA ou MPNACA insiste sur la portée d’un Festival international de l’art contemporain (FİAC) aiguillonné sur des palliatifs pontifiant «(…) la confrontation de la scène locale et le dialogue avec des modes d’expression et des discours esthétiques venus d’ailleurs afin d’enrichir et d’ouvrir le paysage artistique algérien (de) confronter les styles, les époques et les groupes, (de) permettre à l’Algérie de se positionner sur l’échiquier artistique international d’où elle n’a été que trop absente ». Elle est d’autant plus zappée ou ignorée que chaque proposition des agents culturels activant à l’étranger est systématiquement rejetée, soit pour défendre une espèce d’identité arabo-musulmane (planifiée depuis le Programme de Tripoli de mai-juin 1962 sur les rouages de l’immaculée conception), soit parce que, conscient de sa non crédibilité, le gardien du Temple préfère faire l’autruche en se détournant délibérément des questions gênantes. İl les renie car elles posent distinctement les réquisits et désidératas de plasticiens souhaitant gagner leur visibilité en dehors de concentrations politico-diplomatiques et autres commémorations qui reflètent et illustrent parfaitement «(…) la façon dont la classe dirigeante instrumentalise la politique urbaine au service de ses intérêts particuliers.», ajoutera Halim Faïdi.

Satisfait de son rôle et de ses postures, Mohammed maintiendra être «(…) sur la bonne voie », vouloir poursuivre son plan muséal afin de construire une réputation. La notoriété envisagée nécessitait une bonne communication autour des conférences alors que celle intitulée "Art et engagement politique"(et à laquelle nous collaborerons en décembre 2012) ne déplacera tout au plus qu’une cinquantaine d’Algérois. De là notre malaise, un embarras notifié via un mail expliquant que notre souhait était de toucher le plus grand nombre d'individus. İl faisait aussi remarquer au coopté du MAMA, MAMCA ou MPNACA, qu’au même moment se tenait (le 16 décembre 2012 à la galerie "Dar el Kenz" de Chéraga, proche banlieue d’Alger) une exposition de peinture (d'une inconnue) qui bénéficiera de six grands articles dans autant de journaux différents alors que les deux journées d’études des 12 et 13 décembre n'auront été révélées que par deux papiers reprenant les résumés rédigés dans les plaquettes.

D’autre part, si l’apport de 19 commissaires gagera de l’implication de «(…) 464 artistes algériens et étrangers (d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Europe, d’Amérique et d’Asie) » (indique le livre-rétrospectif Le Mama, une histoire, une passion, déjà six ans), les appels à contribution feront l’impasse sur quelques unes de nos envies de prestations, notamment d’organiser une exposition autour du "Champ du Signe". Elle en aurait esquissé l’axe médian et l’arborescence, c’est-à-dire les sillons annexes creusés par des néo-avant-corps s’inscrivant dans le processus désinhibant d’une dé-singularisation/re-singularisation pour répondre à leur façon à la tentative aouchemite interrompue en 1968 à cause de l’ostracisme des philistins et béotiens ou le maillage territorial des pourfendeurs d’espaces. Considérant que le 05 juillet 1962 marque, en vertu d'un certain anti-assimilationnisme et non-cosmopolitisme culturels, une cassure temporelle, historique, conceptuelle et esthétique, une fêlure avec certains habitus ou doxa comme l’art pour l’art, nous évoquions aussi la possibilité de provoquer un débat sur les notions d’involution, d’arbitraire culturel, de domination et violence symboliques ou de galvauder les concepts ou expressions "re-singularisation", "plongée fanonienne" et "esthétique du soleil". Ces constructions grammaticales bonifient désormais un discours en mesure d’alléguer comment s’est opéré en Algérie le passage du genre moderne au contemporain (un glissement concrétisé entre 1983 et 1984) et quels en sont les principaux moteurs ? Mais plutôt que d’entériner une franche coopération, Mohammed fera encore la sourde oreille, surfera sur les chicanes récipiendaires de ses petits profits accumulés à partir de privilèges l’agréant en même temps commissaire de la cinquième édition du Festival national de la photographie d'art (FESPA) commencée le 09 octobre 2014 à Alger et président de la septième édition du Festival international de la miniature et de l’enluminure (du 13 au 20 octobre 2014 à Tlemcen). Ces dernières disciplines possédant depuis peu un musée à Alger et Mohammed étant formé en histoire de l’art musulman, la logique voudrait qu’il en prenne les rênes, quitte donc le MAMA, MAMCA ou MPNACA et que soit installé à sa place un duo de "super-viseurs".

À ce stade, nous verrions bien une espèce de curateurs-gestionnaires plutôt qu’un artiste-commissaire ou artiste-concepteur plus enclin à contempler son nombril. Trop centré sur son égo, il lui serait, à notre humble avis, difficile d’objectiver les installations, vidéos et autres interventions qui dénotent la mutation comportementale des plasticiens et concourent au caractère changeant de leur statut. Celui-ci étant en voie de solution juridique, il reste à l’adapter aux dispositions d’agents culturels et opérateurs économiques non engoncés dans les schèmes de pensées étroites, à l’atteler au professionnalisme d’un marché de l’art malheureusement en panne de galeries apparaissant et dépérissant souvent à grande vitesse. Si les acheteurs ont tendance à comparer une peinture à un simple objet de décoration destiné à remplir un mur vide, certains se l’approprient comme une marque de réussite sociale mais pas en tant que relique sacrée et précieuse, cela d’autant moins qu’aucune Maison de ventes n’a émergé pour aiguiser l’appétit spéculateur d’autres afficionados. Les concernés se contentent donc de ce que leur donnent à voir quelques espace et en l’occurrence un MAMA, MAMCA ou MPNACA dont la superficie globale de 13.000 m² n’est occupée qu’au quart (soit environ 3.000 m²). Mohammed est l’intendant d’une architecture qui sonnera faux tant que la nouvelle ministre de la Culture n’aura pas pris la ferme décision d’achalander des salles qu’il faudra aussi peut-être un jour baptisées en leur attribuant le nom d’un promoteur de l’art moderne et/ou contemporain.

Celui de Jean-Louis Pradel nous vient d’autant plus naturellement à l’esprit que son décès est survenu le vendredi 18 octobre 2013 et son "évaporation crématoire" 05 jours plus tard, soit maintenant une année. Associé aux rédactions ou lignes éditoriales de La Quinzaine littéraire, du Quotidien de Paris, de Télérama, de Connaissance des arts, de Beaux-Arts Magazine, d’Opus international ou de l’Événement du jeudi, le critique d’art nous aura ainsi quittés sans faire de bruit, sans même laisser une pierre tombale où se recueillir, sans cérémonial symbolique, sans assignation à résidence, sans trace, fioriture, charge ou fardeau pour sa famille. Puisqu’il ne reste de la dépouille de Jean-Louis que des cendres, qu’un deuil effacé et anonyme, qu’une désolation répandue en torrent de larmes, son épitaphe sur une cloison blanche du MAMA, MAMCA ou MPNACA ne serait pas de trop, ne serait-ce qu’en regard du "service rendu à la Nation" ainsi qu’à des plasticiens algériens. Nietzche a éprouvé une culture de la souffrance (nommée dolorisme) et pour la surmonter, l’ex-étudiant de philosophie savait qu’elle s’évanouit au contact des épidermes de la création artistique. Aussi, à ceux qui débarqueront en France dans le cadre de Djazaïr 2003 avec un décousu physico-mental à rapiécer après une "Décennie noire", il leur concoctera des Voyages-d’artistes illuminés des spots de l’Espace EDF-Électra de Paris. Les heureux élus arrivés de l’autre côté de la Méditerranée auront eu le plaisir et l’avantage d’être embarqués dans l’engouement éthique et substantielle d’un homme irradié par l’art. À l’instar d’Obélix tombé dans la marmite d’une potion magique, il en était imbibé des pieds à la tête et aura, à ce titre, su enjoliver la bonne image que les garants de l’ordre établi voulaient transmettre de l’Algérie aux publics de l’Hexagone.

Sans verser ou sombrer dans le pathos, il nous semble donc normal de ne pas l’abandonner dans l’ingratitude des marges de l’oubli, de lui dédier par ailleurs l’exposition Drapeau ostentatoire que nous aimerions voir être acceptée au MAMA, MAMCA ou MPNACA avant que Mohammed fasse ses bagages. L’option de départ le pousse donc à prendre sa valise pour, faute de quitter définitivement l’endroit convoité, continuer à l’habiter mais à condition d’accéder à la voûte d’intelligibilité du monde des sensations agissantes, d’entreprendre en cela la vaste remise en cause(s) porteuse des investigations et persévérances anti-plagiat. À ce sujet, notre ultime recommandation concerne et vise ceux qui se déplacent à l’Université Paris VIII pour, sans gêne aucune, siphonner au sein de notre thèse de doctorat des données, indices et nomenclatures sans même prendre la peine déontologique de citer l’auteur ou, tout aussi dommageable (et de plus répréhensible), photographier frauduleusement des reproductions protégées (une indication finale mentionne distinctement l’interdiction).

Ce n’est plus un bâton de pèlerin que nous leur conseillons d’adopter mais de se protéger du retour de bâton que nous actionnerons sans ménagement en les traînant devant la juridiction habilitée. La trentaine de dissertations livrées gratuitement depuis une année sur le site du journal en ligne le MatinDz devrait amplement suffire pour ne pas avoir à subir de telles inconvenances.

S.L.F.

(*) Docteur en sociologie, Secrétaire du Groupe autonome de réflexions sur l’art et la culture en Algérie (GARACA).

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Commentaires (1) | Réagir ?

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uchan lakhla

Tant que le pouvoir est pris en otage par une bande de ploutocrate, ignares, incompétents et criminels, Mohamed est condamné à prendre sa valise et ira voir ailleurs.