Gaz de schiste: une perte sèche pour le contribuable algérien

Les conséquences environnementales de l'exploitation du gaz de schiste ont été ignorées par le pouvoir.
Les conséquences environnementales de l'exploitation du gaz de schiste ont été ignorées par le pouvoir.

Un voile d'inquiétude entoure la décision d’exploiter le gaz de schiste dans le sud algérien.

1.- Position du problème

En affichant ouvertement devant la presse sa satisfaction d’avoir placé quatre périmètres sur les 31 proposés, le responsable d’Alnaft a non seulement dévalorisé les dépenses publiques mais aussi méprisé le contribuable. En se comportant de la sorte, il a fait comme si préparer, maturer, lancer et traiter les soumissions d’un appel d’offre ne coûtaient rien aux Algériens. A la limite si ces opérations auraient été prises en charge par le sureffectif de Sonatrach, ceci épargnerait des dépenses inutiles. Cette entreprise reste publique, elle conserve son privilège de continuer d’agir au nom de l’Etat comme par le passé, l’existence des deux agences créées par la loi très controversée des hydrocarbures de 2005 n’est plus d’actualité que par Alnaft. Il faut souligner par ailleurs que même les blocs attribués ont été pris par des consortiums sous l’égide des multinationales déjà présentes en Algérie. Stigma-Shell exploration a remporté le périmètre de Timssit, situé dans l’est du pays et pour lequel il était l’unique soumissionnaire. C’est également le cas pour le consortium Enel-Dragon Oil qui a obtenu le périmètre de Msari Akali ainsi que le périmètre de Tinrhert- Nord. Statoil le périmètre de Boughezoul a été quant à lui attribué au consortium Repsol Algérie-Shell exploration. Notons que ce dernier gisement se trouve dans les couches de calcaire fissuré situées dans le nord du pays, type d’exploration abandonnée depuis la fameuse découverte d’Oued El Gatran dans la wilaya de Bouira. Il est clair que le changement de la réglementation qui s’est opéré il n’y a pas si longtemps (janvier 2013) n’a pas atteint ses objectifs de créer un engouement d’attractivité pour le domaine minier national. Donc, comme cela a été dit depuis bien avant (01), ce n’est ni la fiscalité et encore moins le terrorisme qui font fuir les investisseurs mais le tripotage de la réglementation, l’incohérence de la démarche économique et l’instabilité des institutions qui apparemment inquiètent les capitaux étrangers. Plus grave encore, aucune offre relative à l’exploration et le développement d’hydrocarbures non conventionnels (gaz et huiles de schiste...) n’a été présentée. Or, l’appel portait sur l’attribution de 17 périmètres où des hydrocarbures conventionnels sont mixés avec des non-conventionnels (essentiellement des réservoirs compact-tight), dans le but de consolider le potentiel important de l’Algérie dans ce domaine. Ce qui implique que l’intérêt pour la valorisation des hydrocarbures non-conventionnels ne semble pas encore concret. Voire, l’engagement à développer ce type de ressources, pourtant avalisé par l’exécutif, semble contraint, irréalisable à terme. Ce faisant, les résultats de ce quatrième appel d’offres confirment la tendance observée lors des trois précédents appels, tous marqués par un très faible nombre de périmètres octroyés. Il faut rappeler que dans le cadre du processus de sélection, des «data-room», organisés durant deux mois, on a remarqué la participation de plus de 34 compagnies, totalisant 241 consultations couvrant la totalité des 31 périmètres. Les séances de clarifications pour des questions d’ordre fiscal, légal et technique, soulevées par les compagnies, se sont déroulées mais ne semblent pas convaincre grand monde. Programmée en août dernier, cette séance d’ouverture des plis avait été reportée à deux reprises, avant d’avoir lieu fin septembre, avec ce résultat qu’on connaît. Indiquons que les contrats relatifs aux périmètres attribués seront signés fin octobre prochain.

Pourtant comme la ruée vers l’or enrichit les marchands de pelles et de tamis, celle du gaz de schiste n’en fait pas exception en attirant les entreprises et les organismes de formation qui revendiquent l’expertise du forage horizontal et les techniques d’extraction des ressources non conventionnelles. Ces firmes ont recours parfois au lobbysme par le biais des experts algériens sur place ou basés à l’étranger. Ainsi pour eux, les techniques ont évolué et les couches productrices du gaz de schiste sont éloignées des zones urbaines et donc ne présentent aucun risque pour le cas algérien. En plus et malgré ce résultat mitigé de cet appel d’offre, les cadres de Sonatrach ne perdent pas de temps pour sillonner le monde entier afin attirer les entreprises en leur assurant un plan de charge. Ainsi les Français qui ont interdit l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste par principe de prévention, ses institutions qui ont contribué à dissuader François Hollande à signer la réglementation qui le concrétise (02) se proposent d’assurer la formation de la fracturation hydraulique dans les Ecoles algériennes. Pourquoi le gouvernement insiste sur l’orientation du pays vers les ressources non conventionnelles? Quels sont exactement les raisons pour l’Algérie d’éviter cette aventure ? A qui profite la décision de lancer la production du gaz de schiste en Algérie ?

2.- Comment est perçue cette question par les décideurs algériens ?

Depuis la publication de la carte des pays détenteurs de réserves de gaz de schiste par l’US Energy information Administration (EIA) et qui place l’Algérie en 3e position mondiale que les dirigeants n’arrêtent pas de se délecter comme si le sol leur offrait les solutions à tous les problèmes actuels et futurs. Or, l’Algérie ne souffre pas de problèmes de disponibilité de ressources mais celui de sa gestion et de son débouché.

Cette nouvelle est plus triste que réjouissante pour au moins deux raisons. La première est que si tous les pays qui figurent sur la carte de l’EIA se mettraient à exploiter et développer le gaz de schiste, il ne resterait aucune part pour l’Algérie dans le marché gazier. La deuxième serait la dépendance éternelle des générations futures de ces ressources fossiles et demeureront victimes du syndrome hollandais. Faudrait-il continuer à chaque occasion de s’écarter des vrais problèmes et souffler le chaud et le froid au lieu de présenter des solutions sur le court et le moyen terme. Ainsi la Banque d’Algérie par la voix de son gouverneur n’arrête pas de tirer la sonnette d’alarme sur la contraction des recettes pétrolières et le gonflement de la facture d’importation. Ensuite est venu le tour des rapports de la Banque mondiale et celui de la Statistical Review of Energy 2014 de BP pour montrer chiffres à l’appui le recul des performances pétrolières et gazières de l’Algérie. D’un autre côté et dans toutes ses sorties médiatiques, le ministre de l’Energie et des mines algérien se montre extrêmement rassurant. Pour lui le bouleversement des données fondamentales que connaît le marché du gaz est tout à fait normal et n’a aucune conséquence en perspective sur les contrats avec les partenaires de l’Algérie. En d’autres termes, les pressions de la part des firmes italiennes, espagnoles et autres que subit actuellement Sonatrach pour baisser son prix et le déconnecter de celui du pétrole ne risquent en cas d’aboutir. Il annonce à l’occasion que l’Algérie est sur le point de mettre en production l’une des plus grandes découvertes jamais réalisée depuis plus de 50 ans et pas très loin du géant Hassi R’mel.

Commentant le rapport 2013 de l’AIE qui annonce un déclin de la production des principaux gisements pétroliers et gaziers de l’ordre de 0,4% entre 2014-2018 et qui pourrait lourdement affecter les recettes en devises à cet l’horizon, il dira que cet épuisement est logique étant donné l’ancienneté des gisements et que tout est mis en œuvre pour renverser cette tendance par de nouvelles découvertes. Pourtant, c’est lui-même qui, en janvier et février 2012, n’a pas manqué d’alerter l’opinion publique sur le modèle de consommation interne qui par sa croissance d’année en année va obliger l’Algérie de mobiliser toutes les formes de ressources énergétiques si elle ne veut devenir importatrice net d’ici à 2020. Le Premier ministre semble, même s’il vient juste de prendre les commandes suivre cette prudence quitte à déroger à certaines règles pour contredire son ministre des Finances qui lui prône la rigueur dans la distribution des revenus et surtout de ne pas céder à la pression de la rue. Les opérationnels comme le PDG de Sonatrach qui sont directement sur le terrain avouent leur impuissance à peser sur le marché du gaz face à l’effondrement des prix et surtout à la récession économique de l’Europe qui restreint la demande et donne ainsi aux clients traditionnels de Sonatrach la possibilité d’exiger d’elle plus de coopération et de compréhension sinon ils se tourneraient ailleurs. Les experts étrangers, amis de l’Algérie et surtout européens, ne veulent pas offusquer les officiels, analysent et concluent à ce que ces derniers veulent bien entendre. Pour eux, la Sonatrach est dans une position confortable par le simple fait que ses recettes d’exportation soient supérieures à ses besoins budgétaires. Mais quand vous les abordez sur la dimension temporelle de cette tendance, ils disent qu’elle risque de durer, pour combien de temps ? Il y a très peu de visibilité. En tout cas assez de temps pour que l’Algérie aura entièrement consommé ses réserves sans pour autant exploiter un iota des autres ressources. Pourquoi ? A en croire ces officiels, le gaz de schiste est prévu à l’horizon de 2040 et une centrale nucléaire en 2025.

3.- La réponse ne se trouve pas chez Sonatrach

Il faut rappeler d’emblée que Sonatrach est une société par action (SPA) dont toutes les parts appartiennent à l’Etat. Elle n’a pas d’associés. Elle a des objectifs politiques, celui de servir d’instrument au développement national. Il est tout à fait naturel que celui qui la dirige obéit plus à des impératives politiques que celles économiques. Depuis sa création, ce mastodonte a su assumer ces contradictions sans pour autant les faire apparaître au grand public. Donc les contradictions qui se sont apparues récemment entre le ministre et les PDG de Sonatrach relèvent désormais de l’amateurisme managérial et un manque de stratégie de communication. On a vu défiler sans les citer plusieurs PDG à Sonatrach qui sont partis de leur propre chef ou limoger pour ne pas avoir supporter que l’Etat s’immisce dans les affaires internes de l’entreprise pour la simple raison que leur position les font oublier qu’il est propriétaire et le seul garant de cette vache à lait. Donc de nombreux experts de l’étranger ne conçoivent, voire ne tiennent pas compte de ce fait dans leur analyses et donc trahi leur complaisance pour des raisons souvent lucratifs (consulting, vente de service, recherche une entrée dans les entreprises du groupe Sonatrach etc.)

Abdelaziz Bouteflika

Le pouvoir actuel est responsable des éventuelles conséquences de l'exploitation du gaz de schiste.

4.- Quel est en définitive le problème de la démarche économique actuelle ?

Même si la démarche économique entreprise après l’indépendance reste historiquement et idéologiquement discutable (03), il existe une unanimité sur le fait que les changements opérés par les différents gouvernements qui se sont succédé sur le modèle de développement ont échoué. Cet échec a extrêmement fragilisé l’économie nationale et la rendue fortement dépendante de facteurs exogènes dont le contrôle échappe complètement aux décideurs. Il s’agit de prix du baril sur lequel on indexe celui du gaz, le cours du dollar, montant de la facture de vente des hydrocarbures et enfin les conditions de pluviométrie qui régule la facture alimentaire. Il est donc tout à fait normal que l’Algérien s’intéresse plus que tout autre à l’évolution du marché gazier pour drainer des devises nécessaires à son développement et s’enquérir de la santé du dollar.

En 2013, les exportations algériennes hors hydrocarbures ont totalisé 2,18 milliards de dollars, soit 3% de la valeur globale des exportations. Ce pourcentage tombe à 1,1% si on en retranche celles réalisées par Sonatrach (hydrocarbures) et Fertial (ammoniac) (04). Quatre entreprises réalisent 83% de ces exportations. Sonatrach a exporté pour 935 millions de dollars de produits dérivés des hydrocarbures en 201, contre 481 millions de dollars pour Fertial (ammoniac). Somiphost (phosphates) et Cevital (sucre) sont les deux autres exportateurs importants dont les montants restent relativement marginaux eu égard aux chiffres globaux des exportations. Pour arriver à cette performance médiocre, le consommateur algérien se prive des belles dattes qu’elle met à la disposition du marché européen pour une facture ne dépassant pas les 25 millions de dollars, les truffes pour 8 et 3 pour l’échalote. L’ancien «Grenier de Rome» n’exporte en total que pour 34 millions de produits agricoles pour payer une facture alimentaire de plus de 8 milliards de dollars. Ce qui est très inquiétant c’est que malgré leur poids dans le PIB et les recettes extérieures de l'Algérie, les hydrocarbures n'ont pas d'impact sur le fonctionnement de l'économie. En effet, plus le temps passe, plus ce secteur fortement capitalistique consomme la rente qu’il procure. En trente ans selon le ministre de l’Energie et des mines (05), c’est á dire de la nationalisation jusqu’à l’arrivée de Bouteflika au pouvoir, plus de 800 milliards de dollars ont été pompés dans ce secteur et pour quel résultat ?

Aujourd’hui, les incertitudes sur l'avenir des gisements en cours d'exploitation poussent à investir davantage dans l'exploration, ce qui provoque une situation inédite. Les investissements du secteur de l'énergie devraient dépasser les 100 milliards de dollars à l'horizon 2017, mais leur impact sur l'économie restera marginal. Ce qui crée un véritable malaise, avec cette impression que le monde des hydrocarbures est totalement non seulement déconnecté du reste de l'économie algérienne mais éloigne de plus en plus la possibilité de trouver une alternative à cette rente dans des délais raisonnables.

En plus, ces dernière années deux événements majeurs viennent aggraver cette situation de l’Algérie, au demeurant inconfortable. Le premier est la consommation interne en gaz pour la production de l’électricité et en carburant pour faire face à un parc automobile incontrôlable ne cesse de croître pour atteindre des proportions inquiétantes qui a contraint Sonatrach à importer plus de 2,3 millions de tonnes en 2011, en hausse de 78% par rapport à 2010 afin de satisfaire le marché national (06). Le deuxième est cette révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis qui a obligé pour la première fois Sonatrach à baisser le prix de son Sahara Blend de près de 85 cents pour pouvoir le vendre car le pétrole de schiste a atteint la qualité de légèreté et charge en soufre dont bénéficiait le pétrole algérien sur la Côte Est des Etats-Unis (07). Il faut préciser toutefois que l’Algérie tire du marché américain près de 18 milliards de dollars dont 96% en hydrocarbures (08). La réalité est qu’aujourd’hui le marché américain lui échappe par ses barrières évidentes. En effet, tout porte à croire que la position algérienne reste constante et se déconnecte de plus en plus des réalités du marché. En Europe et en dépit de la concurrence, elle peut faire valoir ses atouts de proximité mais sa position demeure l’otage de deux paramètres qui lui sont propres : sa dépendance vis-à-vis des revenus qu’elle tire de exportations des hydrocarbures avec lesquelles elle importe pour près de 80% des besoins de la population et des entreprises. Ensuite elle reste aussi tributaire de sa dépendance de la consommation interne par les volumes de pétrole et de gaz qu’elle devra lui réserver. Sur le court terme, plus elle maîtrise ces deux paramètres, plus à l’aise elle mettra en œuvre son programme.

5.- Pourquoi les multinationales fuient le gaz de schiste algérien ?

D’abord elles ont compris et sont convaincues que l’exploitation du gaz de schiste ne peut se faire sans porter atteinte aux ressources hydriques et à l’environnement et donc devient ainsi une source de problèmes en perspective, voire même un risque pour leur investissement. Il y a, tout d’abord, un danger sur la santé humaine, ensuite, sur la contamination des eaux, le stress hydrique et, enfin, différents dommages environnementaux, sur les activités agricoles et touristiques. Sans compter les risques de microséismes. Il faut également se rendre compte que lorsqu’on raisonne sur 40 ans comme le fait actuellement les décideurs algériens, les gaz de schiste ne servent pas la transition énergétique et ne préparent ni à une énergie bon marché, ni à une énergie décarbonatée. Ensuite, le rendement énergétique de l’extraction est très mauvais, souvent les puits ne tiennent pas les rendements promis (comme cela a été constaté en Pologne, provoquant le départ prématuré des sociétés concessionnaires), alors même que les dommages environnementaux sont, eux, malheureusement irréversiblement générés et qu’il n’y a plus d’exploitants pour payer la facture. La décision prise par le gouvernement algérien dénote une panique qui va lui faire rater encore une fois la transition énergétique et le met sur une voie dangereuse pour compromettre l’avenir des générations futures. La France, pour ne citer que ce pays, exporte une technologie qu’elle ne tolère pas sur son sol, en vertu du principe de précaution, et vend à autrui une technologie dont elle connaît les risques avérés. Pendant ce temps nos cadres semblent s’accommoder en ne dépassant pas le bout de leur nez, est-ce bien raisonnable ?

Rabah Reghis, consultant, économiste pétrolier

Renvois

(01) Lire notre article paru au quotidien El Wantan du 23 -11-2011 éAmont pétrolier : du nouveau avec l’ancien"

(02) Rapport GRM-ANCRE de juillet 2012

(03) Lire notre article paru au quotidien El Wantan du 15 septembre 2012 "Bouteflika prépare son départ pour 2014 et après"

(04) Association Algérienne des Exportation, rapport 2013

(05) Le MEM au forum d’El Moudjahid du mois de février 2013

(06) Voir le bilan de Sonatrach de 2011 disponible sur leur site

(07) Information publiée le 30 mai 2013 par l’agence

(08) Déclaration du Président du conseil d’affaire américain à la chaîne le jeudi 30 mai 2013.

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Commentaires (1) | Réagir ?

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khelaf hellal

Les multinationales ne fuient pas le gaz de schiste Algérien, au contraire elles tiennent à en faire leur terrain d'expérience et une source de profits inespérée qui leur est offerte un cadeau du ciel par Boutefika & Consorts. Les conséquences désastreuses qui en découlent seront léguées aux générations futures comme la catastrophe des essais nucléaires Français de Reggane dont les effets calamiteux s'en ressentent jusque de nos jours. Bouteflika & Consorts veulent faire de notre Sahara un no man's land ou toute forme de vie sera impossible. Ils veulent sacrifier le Sahara pour faire de Mascara leur Californie, s'ils n'en font pas un autre désert là ou il n'y en a pas. Mme Royal a déclaré dernièrement qu'il n' y aura jamais d'exploitation du gaz de schiste en France tant qu'elle sera à son poste, il faut comprendre par là : allez semer votre merde ailleurs !