Economie : le Pacte d’Instabilité et de dépression

Economie : le Pacte d’Instabilité et de dépression

Le niveau des endettements publics et les réformes structurelles n’ont – aujourd’hui – aucune importance et ne sont qu’un détail infime de l’Histoire de la crise européenne.

Il y a en effet bien plus urgent à régler, à savoir la demande agrégée anémique et la très faible inflation. Pourtant, c’est comme si – par manque de culture économique – nos dirigeants se focalisent exclusivement sur des problématiques secondaires et, ce, pendant que l’Europe se consume de l’intérieur. Hélas, rien ne semble avoir changé depuis que Confucius affirmait il y a déjà 2500 ans «quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt»…

L’Europe et sa technocratie n’apprendront-ils donc jamais rien' Car, de fait, l’Union européenne commet – aujourd’hui en 2014 – les mêmes erreurs grossières que celles des Etats-Unis lors de la Grande Dépression, c’est-à-dire dans les années 1920 et 1930. La politique monétaire (c’est-à-dire les taux d’intérêt, la BCE, bref: Mario Draghi) se révélant actuellement incapable de redresser une demande et une consommation en état de léthargie chronique, seules des politiques publiques (donc du ressort des Etats) seraient à même de vaincre cette prophétie auto-réalisatrice qui veut que moins de demande aboutisse nécessairement à…encore moins de demande, et donc à moins de production.

C’est de stimulus fiscal et c’est de déficits budgétaires dont l’Europe a besoin. Car, au risque de choquer la pudibonderie de nos dirigeants et économistes orthodoxes, le chômage élevé n’est en rien la conséquence de l’«indiscipline budgétaire» : il découle en droite ligne d’une anémie de la demande. Tout le contraire même car, s’il y a du chômage, c’est qu’il n’y a manifestement pas assez de déficits !! Ce premier enseignement de la Grande Dépression américaine est donc ignoré par l’intelligentsia européenne qui, en lieu et place de stimuli et de relance comme armes pour résorber la trappe de liquidités actuelle, s’est fendu d’un Pacte de Stabilité et de Croissance, synonyme d’austérité. En réalité, ce dogme de l’équilibre budgétaire achève de transformer aujourd’hui l’Europe en un désert économique et crucifie les citoyens européens en exigeant de pays comme la France, l’Espagne, le Portugal, ou la Grèce qu’ils boivent le calice jusqu’à la lie.

La Grande Dépression US et l’étalon-or ne nous ont-ils pourtant pas appris que l’activité économique ne redémarre évidemment pas en imposant la déflation ? En outre, il est totalement contre-productif sur le plan macroéconomique d’exiger que les nations européennes les moins compétitives soient les seules à subir les indispensables ajustements et ré équilibrages dont l’Union à désespérément besoin pour renouer avec la croissance et avec l’emploi. Là aussi, les dirigeants politiques et économiques européens devraient s’inspirer de la Grande Dépression US ayant conduit ce pays à rompre logiquement avec l’étalon-or et, en conséquence, à procéder à une série de dévaluations ayant redonné du souffle à l’économie américaine. L’étalon-or agissait effectivement comme un carcan qui contraignait aux dévaluations intérieures, autrement dit à des réductions salariales menant droit à la déflation.

Aujourd’hui, l’Union européenne ne peut unilatéralement rompre avec son propre étalon – l’euro – sur lequel les Etats n’ont aucune prise. Il est néanmoins possible de neutraliser partiellement les effets pervers de cet euro là, générateur de déflation, en faisant appel à la solidarité européenne. Très concrètement – et très simplement aussi -, ceci consisterait en une tolérance accrue à l’inflation au sein des membres les plus compétitifs et, ce, en lieu et place de réduire les prix et les salaires au sein des nations les moins compétitives. Une inflation à 3% en Allemagne qui coexisterait avec un taux d’inflation de 1% dans les autres pays de l’Union suffirait, à terme, à rétablir les équilibres européens, tout en épargnant aux populations périphériques, aux italiens comme aux français d’être traités comme les victimes expiatoires d’une Europe mal conçue.

Les Allemands doivent comprendre qu’ils ne peuvent éternellement court-circuiter leurs partenaires européens, car la concurrence à l’intérieur de l’Union européenne est bien plus rude et plus impitoyable que la compétition entre l’Union et le reste du monde ! Le contrat européen exige donc des membres ayant bénéficié d’une inflation très basse pendant plusieurs années qu’ils manifestent leur solidarité – et qu’ils honorent leur part du contrat – en la laissant filer provisoirement au-dessus de leur seuil de tolérance. C’est un profond changement de mentalité qui doit donc s’opérer au sein des membres les plus riches de cette Union, persuadés d’être vertueux en se maintenant très nettement en-dessous de 2% d’inflation, alors qu’ils pratiquent, en réalité, une concurrence tout aussi déloyale qu’inhumaine.

Michel Santi, économiste

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