Sommet Etats-Unis/Afrique à Washington : quelles perspectives ?

44 présidents africains se retrouvent avec Obama dans un sommet aux USA.
44 présidents africains se retrouvent avec Obama dans un sommet aux USA.

Comme le notent plusieurs quotidiens tant américains qu’européens, jamais dans l’Histoire, un président américain n’avait reçu autant de chefs d’Etat et de gouvernement, étant une cinquantaine à être présents dans la capitale fédérale pour parler surtout affaires, mais aussi sécurité et gouvernance.

1.- Le développement de l ’Afrique enjeu du XXIe siècle

Distancés notamment par la Chine, les Etats-Unis cherchent à combler leur retard commercial en Afrique. En 2013, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ont totalisé 210 milliards de dollars, plus du double de ceux entre les Etats-Unis et le continent (85 milliards). Les Etats-Unis, première économie du monde, sont seulement le troisième partenaire économique de l’Afrique, après l’Union européenne. Aussi ce sommet vise pour les USA selon les analystes à «recadrer» son engagement envers l’Afrique en raison de la «nouvelle concurrence de la Chine. Lors de cette rencontre le président des Etats-Unis Barack Obama a annoncé mardi la mobilisation de plus de 30 milliards de dollars - aide publique et investissements privés - à destination de l’Afrique, appelant les dirigeants du continent à créer un environnement propice aux affaires. L’Afrique couvre 30,353 millions de km2. La population est passée de 966 millions d’habitants en 2009 à 1075 millions mais sept (7) pays regroupent 51% de la population. En 2020 la population africaine devrait passer à 1,3 milliard et à 2 milliard en 2040. Malgré ses importantes potentialités, est marginalisé au sein tant du produit intérieur mondial que du commerce mondial. Le taux de croissance ces dernières années dépasse les 5% et selon COE-REXEcode le PIB en milliards de dollars PPA estimée à 2712 serait d’environ 19287 milliards de dollars US (10,4% du PIB mondial ) approchant le PIB de l’Europe estimée à 21911 milliards de dollars devançant toutes les économies de l’ex bloc soviétique y compris la Russie.

Pour 2011, selon l’IRES de Paris l’Afrique représente seulement 1,5% du PIB mondial, 2% du commerce mondial, donnant une densité de 35,7 en 2013 et 2 /3%, des investissements directs étrangers. Encore qu’à l’initiative du Nigeria suivi récemment par 37 pays africains, tenant compte notamment de l’économie souterraine, le Nigeria a revu à la hausse son PIB estimée à 510 milliards de dollars devenant la première puissance économique de l’Afrique avant l’Afrique du Sud). Encore que le PIB est un indicateur imparfait préférant lui substituer l’indice du développement humain élaboré par le PNUD devant également tenir compte de la répartition du revenu national et du modèle de consommation par couches sociales existant une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité: par exemple que 31% des africains n’ont pas accès à l'électricité. Point essentiel , Il existe non pas une Afrique mais des Afriques. Certains pays notamment le Nigeria, le Gabon, le Tchad, la République démocratique du Congo, l’Algérie, la Libye sont spécialisés dans le pétrole, le gaz et les matières premières, qui connaissent une forte demande et un prix élevé sur le marché mondial leur permettant une relative aisance financière mais artificielle en fonction des cours mondiaux et donc de la croissance de l’économie mondiale notamment des pays développés et émergents. A l’inverse, des pays comme le Bénin, le Malawi, l’Ile Maurice, le Swaziland, l’Ethiopie, le Togo, le Mali, qui sont pénalisés dans des produits qui connaissent souvent une détérioration en termes d’échange, la misère, la famine et souvent des conflits internes et externes où le budget des dépenses militaires en Afrique dépassent l’entendement humain au détriment de l’allocation des ressources à des fins de développement. Les pays constituant l’Afrique par zones sont: a-Afrique du Nord – Algérie – Égypte – Libye – Maroc – Tunisie. b – Afrique occidentale – Bénin – Burkina Faso – Côte d’Ivoire – Ghana – Guinée Bissau – Libéria – Mali – Mauritanie – Nigeria – Sénégal – Togo. c – Afrique centrale – Burundi – Cameroun – République centrafricaine – République démocratique du Congo – Guinée équatoriale – Rwanda – Tchad. d- Afrique orientale – Djibouti – Erythrée – Ethiopie – Kenya – Ouganda – Soudan – Tanzanie. e – Afrique australe et océan indien – Afrique du Sud – Madagascar – Malawi – Maurice – Zambie. – Zimbabwe.

2.- L’impact mitigé du NEPAD pour le développement de l’Afrique

Le 23 octobre 2001, au Sommet de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) qui s’est tenu à Abuja, trois chefs d’Etat africains, constatant l’échec de tous les efforts fournis en matière de développement en Afrique, prennent l’initiative de proposer une nouvelle approche dans le traitement des problèmes que vit le continentCette initiative a été une synthèse entre deux plans : celui de l’Algérie, de l’Afrique du Sud du sud-africain, appelé « Millenium African Plan » (MAP) et celui du Sénégal (permettant à la France de se positionner) dénommé plan Omega. Ces deux plans sont fusionnés pour donner la « Nouvelle initiative africaine » (NIA). La NIA prendra plus tard le nom de « Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique » ou Nepad (de l’anglais « New Partnership for African Development »). Le Nepad avait été conçu pour faire face aux difficultés que connaît le continent africain actuellement mais hélas son impact est très mitigé pour ne pas dire nul. L’objectif au départ du Nepad était par exemple de traduire en actes concrets notamment le problème de l’eau et de l’énergie. L’enjeu fondement du développement de l’agriculture qui devait reposer plus sur les cultures vivrières est un enjeu majeur du continent sans oublier les conflits comme ceux récemment entre l’Egypte et l’Ethiopie pour l’eau du Nil. Sans oublier le problème de la désertification en Afrique et donc également d’une véritable politique écologique, tenant compte de la protection de l’environnement et du cadre de vie dont les forêts. Car, il est prouvé mondialement ces dernières années dans les différents rapports de l’ONU, l’Unesco, du Conseil mondial de l’eau, que les ressources en eau vont poser un grave problème à l’humanité, les deux tiers de la planète dont l’Afrique, risquant de souffrir d’un manque d’eau grave en cas où les schémas actuels de la politique de l’eau restent inchangés. Quant à l’accès à l’énergie des pays africains qui en sont dépourvus, il était prévu le développement des infrastructures de transport et de communication, notamment les grands projets comme le Nigal -gazoduc Nigeria-Europe via Algérie nécessitant un financement prévu au départ à plus de 7 milliards de dollars US mais qui a été réévalué en 2012 à plus de 15 milliards de dollars toujours malheureusement en gestation, avec la connexion des gisements tchadiens de gaz qui sont des projets structurants pour l’Afrique. Par ailleurs, les sujets tels que l’intensification de la pauvreté et le sous-développement des pays africains ainsi que la constante marginalisation de l’Afrique nécessitent ainsi que la corruption montre le peu d’impacts de cette organisation. Le rapport conjoint BAD-GFI diffusé le 29 mai 2013 met en relief que l’Afrique a pâti de sorties nettes de fonds de l’ordre de 597 milliards de dollars à 1 400 milliards de dollars, entre 1980 et 2009, après ajustement des transferts nets enregistrés pour les flux financiers sortants frauduleux et que la fuite des ressources hors de l’Afrique au cours des trente dernières années – l’équivalent du PIB actuel de l’Afrique – freine le décollage du continent. «L’idée reçue a toujours été que l’Occident injecte de l’argent en Afrique, grâce à l’aide étrangère et aux autres flux de capitaux du secteur privé, sans recevoir grand-chose en retour. Notre rapport inverse le raisonnement : l’Afrique est en situation de créancier net par rapport au reste du monde depuis des décennies», a déclaré Raymond Baker, directeur du Centre de recherche et de défense basé à Washington. Comment dès lors fixer durablement les populations par un développement durable et éviter ce mythe d’eldorado artificiel notamment l’Europe, l’Amérique ou l’Australie ? L’Afrique perd chaque année 20 000 professionnels comme conséquence de la «fuite des cerveaux», selon le bulletin de la Commission européenne. Un tel exode influe négativement sur le continent dont le départ des compétences intellectuelles vers d’autres continents contribue à marginaliser l’Afrique dans les systèmes mondiaux du savoir. Le fait que ces personnes qualifiées et compétentes ne retournent pas dans leur pays, souvent pour des raisons de marginalisation par le pouvoir constitue la cause de l’impossibilité pour l’Afrique, d’entrer dans l’arène mondiale du savoir.

3.- L’Afrique et les tensions au Sahel

Depuis des siècles, l’Afrique via le Maghreb est liée avec l’Europe où les relations entre les deux rives du Sahara et les dynamiques de la conflictualité saharienne actuelle interpellent les USA et l’Europe sur les relations de toutes natures entre le Maghreb et l’Afrique noire et notamment subsaharienne avec la pénétration de l’islamisme radical à ne pas confondre avec l’islam religion de tolérance à l’instar du judaïsme ou du christianisme avec des menaces réelles tant au Maghreb, que dans le reste du monde. Nous avons assisté dans la région à de profondes mutations de la géopolitique saharienne après l’effondrement du régime libyen, avec des conséquences pour la région et avant l’intervention française à la sécession du Nord-Mali. Déjà, les rapports entre le Sahel et la Libye de Kadhafi étaient complexe jouant sur les rivalités tribales et les asservissant grâce à la rente des hydrocarbures. Kadhafi disparu, ce pays n’ayant jamais eu d’Etat au sens proprement dit , des centaines de milliers, dont 15 000 missiles sol-air étaient dans les entrepôts de l’armée libyenne, puis ont équipé les rebelles au fur et à mesure de leur avancée dont une partie a été accaparée par différents groupes qui opèrent au Sahel. Le directeur du FBI, James Comey, qui a affirmé le 14 novembre 2013 devant le Congrès qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) constituait une forte menace aux intérêts américains et occidentaux dans la région de l’Afrique du Nord et du Sahel. C’est donc dans un contexte d’instabilité dans la zone sahélo-saharienne, que la France avait accueilli les 6 et 7 décembre 2013 les chefs d’Etat africains. La résolution finale avait insisté sur l’urgence de lever les contraintes du fait que la corruptibilité générale des institutions pèsent lourdement sur les systèmes chargés de l’application des lois et la justice pénale en général qui ont des difficultés à s’adapter aux nouveaux défis posés par la sophistication des réseaux du crime organisé. La collaboration inter-juridictionnelle est ralentie par l’hétérogénéité des systèmes juridiques notamment en Afrique du Nord et en Afrique noire. De plus, la porosité des frontières aussi bien que la coordination entre un grand nombre d’agences chargées de la sécurité aux frontières posent de grands problèmes. A terme, il s’agira d’attirer graduellement les utilisateurs du système informel vers le réseau formel et ainsi isoler les éléments criminels pour mieux les cibler tout en diminuant les dommages collatéraux pour les utilisateurs légitimes. La plupart des dirigeants du Maghreb, d’Afrique, d’Europe et des Etats Unis d’Amérique s’accordent dorénavant sur la nécessité de coopérer davantage face à la menace de l’insécurité et du crime organisé. Il s’agit dorénavant de mettre l’accent sur l’obligation de mettre en application une stratégie interrégionale qui associe l’ensemble des pays de la zone en plus des partenaires européens et internationaux, du fait que la région est devenue un espace ouvert pour divers mouvements terroristes et autres groupes qui prospèrent via le trafic d’armes ou de drogue, menaçant la sécurité régionale et par ricochet l’Europe et les USA. D’où l’urgence d’une coopération tant africaine que mondiale dans la lutte contre la criminalité transnationale nécessitant une amélioration des bases de données afin de lutter efficacement contre le crime transfrontalier et le terrorisme.

4.- La responsabilité avant tout des dirigeants africains

Disons-le franchement, les dirigeants africains portent une lourde responsabilité devant leur population et doivent favoriser l’Etat de Droit, la bonne gouvernance, donc la lutte contre la corruption et les mentalités tribales, la protection des droits de l’Homme et s’engager résolument dans la réforme globale, donc la démocratisation de leur société tenant compte de l’anthropologie culturelle évitant de plaquer des schémas déconnectés des réalités sociales. Les dirigeants tant du continent Asie dont la Chine, américains qu’européens et africains doivent s’attaquer non aux apparences privilégiant les intérêts marchands étroits de court terme, mais à l’essence du mal afin de favoriser un développement global. Ce développement devra se fonder sur l’éthique ( la moralisation de ceux qui dirigent la Cité ) conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale renvoyant à une refonte de l’architecture des relations internationales et des structures des pouvoirs africains dont certains achètent avec la complicité des Occidentaux des châteaux à l’étranger , alors que leur peuple souffre de la famine. Le développement de l’Afrique sera profitable à l’ensemble des autres espaces économiques évitant cette migration clandestine avec des milliers de morts. .Dans le cas contraire, il est à craindre des crises politiques à répétition, les pays d’Afrique, seront alors à l’aube d’une crise majeure. Bon nombre de citoyens africains traversent une crise morale du fait du manque de valeurs au niveau du leadership avec le danger d’une polarisation de la société. Le fossé entre les riches et les pauvres devient de plus en plus grand. L’écart de revenus renforce les inégalités en matière de richesse, l’éducation, la santé et la mobilité sociale. Je mets en garde contre les conséquences pernicieuses du chômage. Une génération qui commence sa carrière dans un désespoir avec la récession laisserait des cicatrices profondes, spécialement parmi la jeunesse». Cependant évitons la sinistrose, où nous avons récemment, malgré des conflits à une nette amélioration dans bon nombre de pays d’Afrique partagé par bon nombre d’observateurs internationaux. C’est ce qui explique que parallèlement au sommet des chefs d’Etat se sont tenus entre 2009/2013 plusieurs forums économiques regroupant plusieurs centaines de personnalités africaines et des deux rives de la Méditerranée, afin de dynamiser le développement de l’Afrique dans le cadre de co-partenariats et des co-localisations. La nouvelle réunion qui se tient à Washington n’en est que le prolongement devant tenir compte de la rivalité du couple USA/Europe –Chine pour le contrôle économique de ce continent vital. L’erreur fatale serait d’opposer en ce XXIème siècle les USA et l’Europe qui ont le même objectif stratégique, bien qu’existant certains rivalités tactiques de court terme, la stratégie des firmes transnationales tendant à atténuer les divergences et uniformiser les relations internationales. Mais en dehors de ces forums, l’Afrique sera ce que ses dirigeants et ses populations devant éviter toute vision européo-centriste, et voudront qu’elle soit par une nouvelle vision garantissant la régénération de l’Afrique. Il est donc impératif pour les pays développés et pour l’intérêt de l’humanité qu’à une vision strictement marchande se substitue un co-développement pour une richesse partagée tenant compte, d’une bonne gouvernance par une lutte efficace contre la corruption qui mine les nations africaines. L’Afrique pour peu que les dirigeants dépassent leurs visions étroites d’une autre époque, a toutes les potentialités pour devenir un grand continent avec une influence économique dans la mesure où en ce XXIe siècle l’ère des micros-Etats étant révolue et que la puissance militaire est déterminée par la puissance économique. Pour cela, des stratégies d’adaptation au nouveau monde sont nécessaires pour l’Afrique, étant multiples, nationales, régionales ou globales mettant en compétition/confrontation des acteurs de dimensions et de puissances différentes et inégales. Face aux menaces communes et aux défis lancés à la société des nations et à celles des hommes, les stratégies de riposte de l’Afrique doivent être collectives, étant l’objet de toutes les convoitises (notamment USA via Europe/Chine). Le continent Afrique est un enjeu géostratégique majeur au XXIe siècle avec plus de 25% de la population mondiale, d’importantes ressources non exploitées, sous réserve d’une meilleure gouvernance et d’intégrations sous-régionales à l’horizon 2030/2040. L’axe de la dynamisation de la croissance de l’économie mondiale devrait se déplacer de l’Asie vers l’Afrique expliquant en partie les tensions actuelles. L’Afrique dont le Maghreb sous-segment de l’Afrique du Nord, devant servir de pont entre l’Europe et l’Afrique noire, est appelé à se déterminer par rapport à des questions cruciales et de relever des défis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils dépassent en importance et en ampleur les défis qu’il a eus à relever jusqu’à présent. En bref, le dialogue des civilisations s’avère plus que jamais nécessaire à la cohabitation entre les peuples et les nations. La réunion initiée par les Etats Unis d’Amérique est louable, les Africains devant être conscients que dans les relations internationales actuelles n’existent que des intérêts et donc les aspects positifs doivent favoriser des co-partenariats, pour une prospérité partagée , loin des anciens préjugés de domination.

Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités et Expert International

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Commentaires (1) | Réagir ?

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klouzazna klouzazna

encore plus de SOUMMISSIONS !!!