Hier, je n’avais pas vingt ans…

C'était hier, à Alger. Autre temps...
C'était hier, à Alger. Autre temps...

C’était hier ou il y a longtemps, je n’avais pas encore vingt ans, enfant puis adolescent, rêveur et innocent, confiant en des lendemains mieux éclairés, florissants. C’était les années du plumier et du papier buvard, de l’encrier et du tableau noir, et une humeur d’arc-en-ciel, puis les pantalons pattes d’éléphant, et les tifs longs pour les garçons.

Hier, l’instit avait raison, même s’il avait tort. Hier, pour l’examen d’entrée en sixième, avec cinq fautes en dictée, c’était un zéro, une note éliminatoire. Aujourd’hui, si l’élève formule une phrase plus ou moins correctement et effectue un gribouillage même truffé de fautes, c’est déjà pas mal, car il arrive au moins à s’exprimer. Mais aujourd’hui, d’un autre côté, il est des enfants qui se débrouillent assez bien, souvent dans toutes les matières, et gare aux rejetons qui s’amuseraient à corriger les erreurs de leurs enseignants. Sait-on jamais ? Hier, si tu te hasardes à faire le pitre en classe, tu reçois une petite raclée de la part du Prof, ensuite une baffe ou une tannée de ton vieux, c’est selon. Aujourd’hui, le Prof a intérêt à se tenir à carreau, des garnements montreront leurs dents, quand ce n’est pas leurs biceps ou un couteau. Hier, nous changions parfois de trottoir, en croisant le maître, sachant le profond respect qu’on lui vouait. Aujourd’hui, les fonctions s’inversent : c’est le prof qui changerait de trottoir ou de rue, en apercevant au loin ses élèves, car risquant d’être toisé. Hier, aucun candidat au bachot ne pouvait atteindre un 18 de moyenne générale, car pour ce faire il fallait un 18 en philo ou dans une matière littéraire, chose inimaginable ou tout au moins rarissime.

Hier, la raison et la rationalité primaient à l’école, donc forcément ailleurs. Aujourd’hui, c’est la mémorisation qui prévaut et le copier-coller du cybercafé d’à côté est appelé exposé ou recherche documentaire. Et malgré le taux de croissance démographique plus important hier, l’école algérienne éduquait et formait. Aujourd’hui, et parce qu’elle a du pain sur la planche, nous ne pouvons alors souhaiter que bien du courage à madame la ministre de l’Education Nationale.

C’était hier, l’eau courante qui coulait et roucoulait dans les caniveaux. Le coiffeur et ses impeccables ciseaux .Et le fameux Ploum Ploum. Bien sûr, c’était une eau de toilette bon marché, mais il vaut mieux sentir Ploum Ploum ou en être aspergé que de passer près de nos ordures actuelles exposées aux quatre vents. Pour les coiffeurs de cette époque, le stérilisateur était apparemment obligatoire ; aujourd’hui ce machin est ignoré par les tondeurs de crâne. Et par les services d’hygiène, tant qu’on y est. Alors les ciseaux sont douteux à couper efficacement les cheveux les plus souples sur l’une des têtes du troupeau. Les peignes et les brosses édentées, chez bon nombre de ces artisans, font l’effet d’un râteau sur la caboche du pauvre client. Et alors pour qui veut aujourd’hui, diminuer les risques et s’épargner des désagréments, il n’aura qu’à mouiller sa tête chez lui, et se présenter avec son propre matériel (serviette, rasoir, ciseaux et autres) chez le tondeur de tignasses.

Et puis hier, le service rapide au café, l’impeccable blouse blanche du serveur. On l’appelait garçon ! Il venait de suite. Aujourd’hui, on l’appelle « Khouya yarham oualdik » pour espérer un service pas trop lent. Car si on l’appelle garçon, on risque de ne pas être servi, ou pire, bonjour les coups de poing, sinon une tasse ou tout un plateau chargé, expédié au milieu de la figure. Et puis avant dans nos cafés, les cuillères étaient propres et nullement entassées dans un verre rempli d’une eau trouble où baignent des bidules en suspension. Hier, pour faire des courses et contenir ses provisions, on se servait de paniers en osier. Maintenant, plus la peine de trimballer le panier, on vous « offre » des sachets en plastique qui étaient noirs et qui ont changé de couleur. Mais c’est toujours du plastique ! Vous les verrez partout ces sachets : sur terre, air et mer, sur les chaussées, sur les trottoirs, dans les terrains vagues, dans les entrées d’immeuble, sur les routes, dans les ruelles, dans les boulevards, en ville, dans les villages, sur les plages, en rase campagne, pleins ou vides, fermés ou éventrés par les rats , ou les chats, ou les chiens errants. Comme vous verrez presque partout des bouteilles vides en plastique ou des canettes vides aussi, de limonade, d’eau minérale, de bière. Et puis sachant que la dégradation naturelle des déchets est extrêmement longue, variable d’un matériau à un autre, la durée de vie d’une canette en acier ou d’un pneu en caoutchouc étant d’un siècle, celle d’une couche jetable ou d’un sac en plastique, d’au moins 4 siècles, ces déchets finiront par avoir notre peau, celle de nos enfants, puis de nos arrières petits-enfants, cela sans compter maints déséquilibres et les diverses maladies qui en résultent. Par la faute de notre incivisme, nous clamserons et nos corps se décomposeront bien avant nos propres déchets que nous balançons, çà et là, au gré de notre humeur. En outre, avec le Ramadhan, avoir les yeux plus gros que le ventre, engendre des dépenses supérieures à la consommation réelle, la différence étant à balancer aussi, aux abords des poubelles bourrées à bloc. Ainsi, le recyclage, le tri des déchets et l’application stricte du principe du pollueur payeur, ne semblent pas être pour demain la veille.

Pour revenir à hier, il y avait plus de bars, et moins de mosquées. Moins de psychotropes et de drogues. Donc beaucoup de bars, mais moins de bagarres. Est-ce bizarre ? Et puis aujourd’hui, le bistrot s’est démocratisé, popularisé : il est à ciel ouvert, disséminé dans les ruelles peu éclairées, les endroits isolés, les coins et les recoins. Sous le ciel d’Algérie une gigantesque taverne, puis encore des sachets pleins et divers papiers d’emballage partout sur son sol. Et des épluchures de fruits. Partout. Et des canettes vides et des bouteilles vides, partout et à ciel ouvert aussi. Devant Dieu et ses créatures, comme on dit. Aujourd’hui, et parce qu’elle a du pain sur la planche, nous ne pouvons souhaiter que bien du courage aussi, à madame la ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement.

C’était aussi hier, le paysage culturel étincelant, subjuguant la rétine de générations qui, par nostalgie, pourraient paraphraser en une sorte de pirouette, une citation bien connue : La culture c’est ce qui ne reste plus, mais qu’on ne peut pas complètement oublier. Hier à Oran, au centre-ville et dans maints quartiers, de nombreuses salles de cinéma bien tenues où l’on pouvait savourer, quelques fois en famille, des productions nationales et étrangères de bonne facture. Des films mythiques aussi, dont un genre était qualifié sarcastiquement de spaghettis par le pays de l’oncle Sam. Et les ouvreuses et la consommation d’esquimaux. Et les mémorables moments de télé cinéclub, de séries et de films télévisés, à une époque où la chaine TV était unique. Citons quelques titres de séries : L’incendie, Le Saint, Le Virginien, Chapeau melon et bottes de cuir, Les Incorruptibles ….Mentionnons également ce téléfilm algérien ayant pour titre «Le Sorcier» avec dans le rôle principal, le talentueux artiste, poète et journaliste, feu Mohamed Bouzidi. Ainsi, le recours aux amulettes et aux pratiques de la sorcellerie était farouchement combattu.

Et puis c’était le temps des speakerines, des programmes lus par des visages devenus familiers. Mais pourquoi ont-ils évincé les speakerines et mis fin à cette relation personnalisée, tout en nous gavant d’une publicité parfois fade, même si celle-ci a sa raison d’être ? Il semble plus agréable ou plus commode d’écouter une voix que de lire le texte d’un programme TV d’autant plus que l’analphabétisme, même s’il a nettement reculé, demeure encore présent dans les foyers. Pourquoi ont-ils enterré cette forme de convivialité ? Est-ce du suivisme importé du Nord où l’analphabétisme est insignifiant ? Chez nous, cela n’arrange apparemment, ni les analphabètes, ni les presbytes, ni les enfants peu ou pas scolarisés, mais seulement les sourds-muets, si ceux-ci savent lire, évidemment !

D’autre part, mentionnons qu’hier, les groupes de théâtre amateur ou professionnel, nous gratifiaient de remarquables représentations. Des centres culturels et leur variété de services, des galeries d’art, des librairies bien fournies, des bouquinistes, et puis à Oran par exemple, les époustouflants radio-crochets au Palais des sports ou au théâtre de verdure.….

Aujourd’hui dans cette métropole qui a franchi son million et demi d’habitants, avec un pôle universitaire important, les activités culturelles ont rétréci comme peau de chagrin. Ainsi presque tous les cinoches ont mis la clef sous le paillasson ou se sont transformés en gargotes ou autres bazars. Seule la cinémathèque active assez régulièrement. Et puis, même confortable et climatisée, même avec de beaux films, cette salle obscure, censée éclairer les esprits, n’arrive pas à drainer grand monde. Apparemment, le cœur n’y est plus. Rachitique aujourd’hui, la chose culturelle ou artistique. Les bouquinistes ont disparu, les librairies en activité proposent souvent des livres à des prix foldingues. En d’autres mots, cette culture-là semble être dans le coma et cède sa place à celle de l’estomac. Car n’est-ce pas cette culture-là qui nous différencie de l’hippopotame ou du chou-fleur ? Aujourd’hui donc, et parce qu’elle a du pain sur la planche, nous ne pouvons souhaiter que bien du courage également, à madame la ministre de la Culture.

C’était donc hier, les mariages où l’on ne faisait pas que se trémousser et ingurgiter les décibels, les fêtes familiales permettant de chaleureuses retrouvailles. Hier Guerrouabi et "El Barah j’avais vingt ans", le groupe légendaire The Beatles, Serge Reggiani chantant des textes de Boris Vian, Marcel Khalifa ceux de Mahmoud Darwich dont sa Rita, sans omettre Pata Pata ou Ifrikia de la grande Dame Myriam Makéba, et j’en omets beaucoup d’autres. Des films et des chansons cultes. Pour l’autre culte, on en a déjà fait allusion : une foi sereine, une tolérance certaine. Hier, plus de liesse et moins de stress. Peu de sous, mais «le cœur vaste». Donc une certaine joie de vivre. Non pas la hantise de mourir. Les véhicules roulaient moins vite, on communiquait par lettres et cartes postales, cela prenait du temps, mais les instants avaient l’arôme du miel. Le goût du sel. C’était hier, les portraits du Che sur les tee-shirts, la karantika chez Chergui, face au lycée Ibn Badis et près du CEG Ibn Khaldoun, et je ne saurais tout exprimer. Ou tout citer, parce que cela risque d’être long. Et parce que certains détails s’embusquent au fond de la mémoire, car l’on ne peut avoir vingt ans tout le temps, mais juste un instant…. celui d’un battement de cils.

Rachid Brahmi

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Commentaires (8) | Réagir ?

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bachir annabi

posez la question a boutef et ses sbires +fakakir sic...

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khelaf hellal

C'était la belle époque ou la jeune fille Algérienne pouvait circuler librement en mini-jupe ou en jupe maxi, libre à elle, sans être agressée du regard, sans qu'on lui balance des insanités blessantes jusqu'à la taxer de pute. C'était aussi la belle époque ou même la femme en Haik aguichait le poète, l'amoureux de la beauté, l'artiste en quête de modèle. C'était la belle époque ou les parfums de femme, la musique douce, le sourire aux lèvres et le respect mutuel n'ont rien à voir avec les engueulades de rue , les sifflements, le voyeurisme et le hittisme d'aujourd'hui. On sent que notre peuple a régressé sur tous les plans, il est presque retourné à sa condition de colonisé, d'indigène de seconde zone . Une condition qui lui est imposée par le système post-indépendance qui l'a abandonné à sa misère matérielle et culturelle à tel point qu'il participe de lui-même à son auto-destruction, à son enfermement idéologique.

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