Tamazight et la question de sa co-officialisation constitutionnelle en Algérie

Le pouvoir algérien dénie au peuple amazigh son existence millénaire.
Le pouvoir algérien dénie au peuple amazigh son existence millénaire.

La dimension amazighe en Algérie, se représente linguistiquement parlant en tant qu’instrument de communication et ce, au sein des membres d’une multitude de communautés nationales dont les Homme (hommes et femmes) tiennent profondément à l’identité qu’à la langue, à la terre qu’à la culture.

Par Nat Mẓab

Cependant toutes les variantes de ces communautés qui, aux plans historique et scientifique, sont caractérisées par une même ossature grammaticale et une autonome et inépuisable source lexicale, occupent à nos jours une portion très importante du territoire national, disons aux 4 coins du pays. Ce phénomène de variétés découle d’un processus évolutionnaire extra-millénaire qui, du côté contenant que contenu, a marqué aussi bien la tenue linguistique amazighe que la tenue socioculturelle de l’Algérie. 

Contrairement à d’autres langues, l’Amazighe, langue mère de l’Afrique du Nord, n’avait pas été enseveli sous les grandes inondations. Il a pu se maintenir vivant chez une partie importante de cette nation amazighe (voir Ibn Kheldun) au cours des deux dernières périodes millénaires et cela, en dépit d’une succession d’invasions, de servitudes et de colonisations. Tamazight demeure depuis des périodes préhistoriques jusqu’à nos jours une même et seule langue (d’une hétérogénéité surtout lexicale et qui fait que cette langue s’atteste sous forme de variantes). Cependant cette langue amazighe a sans doute emprunté et enrichi au cours de son longue existence d’autres langues et d’autres cultures avec lesquelles elle était entrée en interaction.

L’amazighité est loin d’être un cas scolastique isolé, une découverte exotique ou insolite. Elle est un cas parmi tant d’autres dans le monde de l’humanité et reflète en outre de nos jours l’image de la revendication identitaire aussi bien autochtone qu’authentique. Elle est d’ailleurs un cri contre l’oppression, l’hégémonie et la répression. Elle est aussi pour l’Homme amazighe cette détermination de revendiquer cette inaliénable nature nationale aussi profonde que sa culture et ses racines. Il est utile de faire remarquer que pour les spécialistes les plus avertis, la langue est envisagée comme une institution sociale qui n’existe qu’en vertu d’une convention établie entre les membres de la communauté linguistique en question. 

Il est certes connu que le surgissement de l’Algérie indépendante est le produit d’une guerre de libération nationale déclenchée contre la colonisation de l’Algérie par la France. La base de cette guerre libératrice avait reposé sur un ensemble de soubassements de sociétés, d’histoire, de langues, de croyances et de cultures propres à l’Algérie toute entière, mais le scénario de la naissance de l’Etat algérien libre, après avoir été largement dominé par une seule couleur politique, avait particulièrement commencé dès l’abord de susciter diverses contestations légitimes contre la vision sociopolitique de la classe gouvernante. La question qui pourrait être soulevée en soi-même, c’était le pourquoi d’une telle nuisible naissance de l’Etat algérien ? Un retour global sur tout ce qui appartient réellement à l’Algérie profonde était, de façon maléfique, gommé du «dictionnaire politique officiel». En fait, le pouvoir politique algérien, appuyé depuis sa naissance par l’idéologie de la supériorité et l’idée chimérique qui obéit à l’équation : un Etat = une langue, avait aussi posé et imposé un problème philosophique. En se satisfaisant de cette notion vague et exclusiviste de « langue arabe nationale et officielle », la notion centrale qui, implicitement ou explicitement, incarne à ce jour l’idée de la négation de cette langue amazighe, n’épargne pas le pays. Et cette visée ne cesse de déborder le cadre linguistique pour déboucher sur un enjeu politique qui prône l’exclusion pure et simple de toute référence à l’Amazighe, sachant que l’Algérie multilingue est un fait. En réalité, tamazight constitue le véritable véhicule de la communication quotidienne et ce, à côté de l’Arabe parlé, tout cela devant un pouvoir qui a mis les mains et les pieds pour convertir la différence de l’autre (car c’est toujours l’autre qui est différent) en infériorité, en s’appuyant même souvent sur une certaine polémologie. Pour schématiser la situation, je dirais que l’on a à partir d’un conflit tout théorique, converti la richesse en pauvreté et la différence en subordination, incité à considérer la langue amazighe comme inférieure, voire comme non-langue en posant dès l’origine les prémisses d’un conflit que l’idéologie religieuse ou même civile a entretenu, et qui s’est développé dans des directions diverses pour être repris de façon platonique par tous les appareils de l’Etat. Tamazight sur sa propre terre continue d’endurer toute une situation d’amazighophobie. Les déclarations que l’on profère dénotent d’ailleurs ce que l’on croit. C’est justement là que les discours une fois analysés, apprennent des choses sur la nature intrinsèque des gouvernants. Cependant l’on a omis que tamazight avait eu l’honneur historique d’être à la base d’un puissant catalyseur du nationalisme algérien pendant toute la période coloniale, et, par la suite, elle a servi de fonder le socle même de l’expression de la revendication et de la démocratisation de la vie politique en Algérie indépendante, au point de dire que la reconnaissance de l’Amazighe est indissociable de la démocratie dont la qualité doit être traversée par une indispensable équité linguistique. Aussi bien que l’on ne doit pas à aucun moment considérer que toute prise de conscience du fait amazighe est une problématique, il ne peut être envisageable une cohésion démocratique sans sentiment de représentation profonde et réelle de tout le peuple appelé à participer entre autres au développement culturel, social qu’économique du pays. La meilleure aventure humaine est la rencontre avec l’autre, cette rencontre exige bien sa propre reconnaissance. Cette rencontre est impossible dans la laideur de l’uniformité à outrance et de la négation des réalités les plus évidentes.

Le phénomène ethnique en Algérie continue de former un thème qui oscille entre le vrai et le faux. La science ne cesse de trancher sur cette question. Tout conduit à dire que l’on a fait comme si dans ce pays il y a la présence et de peuplades amazighes et d’arabes d’Arabie pour les opposer les uns contre les autres, alors qu’en fait il n’y a eu jamais un peuplement de masse de souche arabe que ce soit en Algérie ou en Afrique du Nord. Au contraire, le fond populaire de l’Algérie est ethniquement amazighe, seulement une partie est demeurée amazighophone alors que l’autre est devenue à la longue arabo-amazighophone (ou plus ou moins arabophone) ; et cette fausse question de supposer que l’on affaire à un peuple composite, à un peuple arabe (alors que même sa langue est mise à la sauce lexico-grammaticale amazighe) nous montre donc le degré du danger que cause cette question, ce mythe de l’existence d’une ethnie qui n’existe réellement pas. A qui profite tout ça ? On tente de faire de ces indigènes arabophones, voire amazighophones, les grands oubliés de leur propre histoire aussi riche et aussi lointaine. L’un des leurres actuels consiste à opposer explicitement ou en filigrane la langue arabe classique (écrite) à celle amazighe, et cette opposition a joué un rôle important dans l’alimentation de l’endoctrinement (en contradiction flagrante avec le texte coranique), chose qui est familière dans ce paysage des conflits ayant marqué l’histoire de l’Algérie post-indépendante au point que l’on a veillé à gérer le plurilinguisme aussi sur le mode du discrédit et de la péjoration. Malgré la raison et les évidences qui conduisent au respect des langues et des sociétés, s’est dégagé donc une ligne de plus grande pente, une pulsion du pouvoir vers la séparation : imposer l’idée de 2 peuples opposés l’un contre l’autre. L’avènement politique de l’Algérie indépendante est à l’origine de l’aggravation du problème linguistique du pays. C’est autour de cette notion élémentaire que va se mobiliser énergiquement les systèmes politiques. Les pouvoirs successifs, pour façonner le pays à leur guise, n’ont pas trouvé mieux que de façonner le paysage linguistique officiel en se basant sur ce grand imbroglio selon lequel l’Islam et l’arabité sont confondus. Etre musulman est synonyme d’être arabe (sic).

Sans parler des sciences linguistiques qui considérablement font progresser les connaissances que l’on peut avoir sur la langue amazighe, cette dernière demeure un outil au service de la nation, la reconnaitre, c’est préserver l’existence nationale. Il n’y a pas lieu que la réalité de tamazight, tributaire des facteurs sociaux et politiques, soit dédaignée et/ou négligée. Ceci étant dit, les élites politiques nationales sont appelées par le devoir et le droit pour jouer un honorable et déterminant rôle dans la diffusion et le développement de l’Amazighe, cela par le biais des institutions (Ecole, administration, mass-média, l’économie,…). Si dans le cas courant, une langue officielle (voire des langues co-officielles) est toujours imposée par législation à l’ensemble ou à une partie d’un pays, pour le cas algérien, la langue amazighe qui coïncide déjà par définition avec la langue nationale (qui est dans ce cas la langue maternelle en usage par une bonne partie du peuple), et sa co-officialisation est un processus politique sensé achever entre autres la libération du pays et l’ancrage des valeurs démocratiques et républicaines dans l’Etat algérien. Il est utile de rappeler que les pouvoirs politiques algériens, synonymes d’avantages de prestige, sociaux, économiques, ont tout fait pour pencher la balance d’un côté en imposant une langue pour souvent des raisons autres que linguistiques et objectives. L’Etat algérien n’a par devoir aucune raison de faire valoir le statut d’une langue lié au prestige dont elle est entourée, et en même moment de déployer ses efforts pour que celui d’une autre langue du peuple demeure lié au mépris.

Pour les nationaux, le péril réside dans cette immense propension à l’obéissance aveugle et obscurantiste pour leur propre et pure négation. Et justement la meilleure réponse à toutes les inepties colportées par ceux qui considèrent que la langue amazighe comme un cas linguistique qui, en nécessitant que très peu d’intérêt, ne mérite pas d’être propulsé au nombre des langues officielles, réside dans cette même reconnaissance de l’Amazighe. En toute objectivité, ce dernier est à même d’être en compétition que toute autre langue. Sans évoquer ces préjugés qui se cachent sous la surface des déclarations que l’on entend ici et là, le réel et alarmant problème à soulever est celui qui fait que la langue amazighe de nature nationale est interdite de tant d’espaces nationaux. Et ce n'est pas le fait de se crisper sur une langue qui changera positivement et constructivement les choses.

Il est largement admis que dans le cadre de « l’indiscutable légitimité historique, sociale et scientifique » que la langue amazighe doit être traitée tout en se gardant de donner au social une connotation avilissante et arriérée qu’il ne peut pas avoir, parce que l’angle sous lequel l’on a voulu voir tamazight avait pris racine avec ces concepts de négativisme, d’antagonisme et d’exclusivisme ; ce qui veut dire qu’il n’y a aucune raison d’endiguer la marche de cette langue amazighe en posant la question de sa reconnaissance politique officielle en termes conflictuels ou de problèmes techniques qui ne puissent être en réalité qu’accusation gratuite et/ou vide de sens ainsi que subterfuge. Le seul problème technique, c’est seulement celui de ne pas avoir les moyens nécessaires d’appliquer cette co-officialisation de la langue amazighe. Chose qui n’est pas vrai, chose qui encore plus est vrai est tout à fait le contraire pour le cas algérien. Le problème est ailleurs. Si l’admission loyale par le centre décisionnaire d’une langue implique la notion de reconnaissance officielle, la réciproque n’est pas toujours vraie. Et c’est là que demeure l’un des problèmes contre lesquels bute tamazight. La culpabilisation absurde et les jugements de valeur se rapportant aux qualités ou défauts d’une langue relèvent de critères subjectifs qu’arbitraires. Car elle est sensée être étudiée scientifiquement, la situation de langue amazighe ne doit pas rester le fait de dilettantes politiques. C’est fondamental. En fait, les problèmes de développement de l’Amazighe ne sont pas des problèmes intrinsèques à ce dernier, et sa valeur résulte de l’accès qu’elle permet aux diverses sphères du savoir, de la connaissance intellectuelle et artistique, de la richesse et de l’enrichissement. C’est pour cela qu’un Agellid amazighe fut conduit à dire : « Aussi pauvre que soit ma langue, elle est et demeurera la plus grande de mes richesses ». J’ouvre une parenthèse pour dire que même si certaines langues sont sans aucun doute, plus difficiles à acquérir d’un point de vue relatif, aucune langue n’est plus difficile qu’une autre en tant que système. Outre l’abstrait stérile, l’ignorance, l’irrationalité et les préjugés que l’on a de cette langue, l’un des freins les plus forts au développement de la langue amazighe demeure essentiellement d’ordre politique. C’est là un comportement qui ne peut jouer que le rôle d’une barrière devant les droits linguistiques du peuple. La reconnaissance de tamazight équivaut parfaitement à la reconnaissance du droit naturel à la vie des sociétés qui la pratiquent et la reconnaissent en toute dignité. On doit comprendre que toutes les langues de l’humanité ont la même noblesse, la même capacité, la même dignité d’exprimer les pensées de l’Homme. Lorsqu’un pouvoir décide d’officialiser une langue, cette décision sera considérée comme pratique pour autant qu’elle sera suivie d’un aménagement et planification qui introduira cette langue à l’école, dans l’administration, dans les institutions, etc., pour qu’elle soit présente dans les domaines de la vie nationale. Voilà en bref ce que consiste officialiser la langue amazighe.

En fait, il y a toujours à lier les faits linguistiques au pouvoir décisionnaire et aux actes politiques. Et les répercussions que les décisions politiques ont pu avoir sur le corpus de tamazight sont jugées d’une fatalité. Aujourd’hui cette langue nationale souffre d’un processus de marginalisation et de régression qui, suivant les régions et les degrés, risque d’engendrer des problèmes plus graves. Les pouvoirs politiques, en l’absence de vision de construire, avaient non seulement appliqué, mais aussi radicalisé et accéléré le rejet politique et l’exil de tous ceux qui ne pouvaient pas engager et réaliser en Algérie un quelconque travail sur cette langue et ce, dans une extériorisation permanente. Toute cette situation a provoqué l’émergence d’un mouvement populaire décidé plus qu’auparavant à prendre en charge et à défendre sa propre langue, cette exilée sur ses propres sols. Pendant toute cette période, la cristallisation et la conscientisation de l’appartenance à cette sphère linguistique-culturelle amazighe ont connu un dynamisme sans précédent, ce qui, face à ce refus catégoriquement politique, a aussi provoqué tels chocs entre les gouvernants et les gouvernés ; alors qu’il était attendu qu’il fallût intervenir et assurer à temps cette existence nationale et instaurer sur le terrain une démocratie sociale et un développement linguistique pour maintenir une évolution naturelle et rétablir aussi des équilibres éco-linguistiques qui devraient permettre de prendre des mesures de différents ordres en partant d’un aménagement linguistique et ce, aux deux plans du statut et du corpus (la législation linguistique contenue dans la constitution algérienne est d’une grande importance aux plans du devoir de connaître et du droit d’utiliser). Mais l’encroûtement et la rapidité des bouleversements n’ont pu qu’aggraver les conséquences. Et il est largement admis que l’imbroglio relevé dans la conduite politique des classes dirigeantes vis-à-vis de la langue amazighe avait avec l’écoulement des décennies entraîné toute une méfiance, voire une distorsion, entre le tissu social et le centre décisionnaire ; comme elle a posé sur la scène nationale une problématique continue et flagrante dans la définition-reconnaissance linguistique des chartes et des constitutions successives que le pays a connues jusqu'aujourd’hui. Tout pouvoir étatique doit avoir une politique linguistique nationale, et le recours au choix des langues employées au sein du peuple (ou une partie de lui) est alors l’objet d’aménagement. D’un point de vue géopolitique, le choix d’un aménagement linguistique doit correspondre primordialement à l’intérêt immédiat et futur de l’existence algérienne. C’est l’unique voie possible et raisonnable pour l’avancée du pays vers une nouvelle société débarrassée de ces facteurs négatifs et négateurs aussi bien qu’ouverte sur ce qui est positif et constructif dans notre univers national.

Pour ne pas mener une existence diamétralement en déphasage avec les réalités du peuple, un Etat national ne doit pas omettre le fait fondamental que sans respecter le peuple, son existence ne peut pas assez durer. Ce fait est, à chaque fois, prouvé par l’histoire. Il est évidemment irrécusable qu’un Etat linguistiquement démocratique est tenu de traiter ses langues nationales sur le même pied d’égalité pour qu’il n’y ait pas de langue opprimée et de langue oppressante ou de langue favorisée et de langue défavorisée (infériorisée), car il n y a pas lieu de bâtir sur une quelconque politique de retranchement social. Pour cette raison, toute politique stratégique de la République Algérienne Démocratique et Populaire doit partir du principe axiomatique qu’il n’y a pas de classes sociales linguistiquement inférieures et de classes sociales linguistiquement supérieures. L’objectivité exige qu’’apporter des solutions louables aux questions de la promotion de Tamazight doit passer par des univers favorables. Une langue, pour qu’elle puisse se maintenir et être développée a certes besoin de reconnaissance étatique, de moyens et de supports et cela, aux différents plans. L’une des tendances du monde contemporain dans des équilibres étatiques stratégiques, est l’inscription loyale de dispositions linguistiques dans les Constitutions en raison de plusieurs facteurs, tels l’intégration sociale, la valorisation culturelle et le développement économique, l’expansion des modèles socioculturels et les valeurs culturelles que renferme toute langue. En effet, la topographie linguistique mondiale ne connaît pas l’homogénéité linguistique, mais un pays qui, sans arriver à abandonner les attitudes répressives et obscurantistes en matière linguistique, néglige, voire oublie ses problèmes, est condamné à les revivre. C’est la loi de la «réversibilité historique».

Il peut être constaté que dans l’Algérie d’après indépendance, les décisions politiques problématiques ont eu un impact colossal sur l’usage et la circulation de la langue amazighe, donc sur son statut (la constitutionnalisation), et évidement son corpus (le lexique et la grammaire). Ce qui n’a pas manqué d’avoir des conséquences déstabilisatrices sur la situation générale du pays. Les décideurs ont-ils peur qu’en officialisant la langue amazighe, ils seront entre autres appelés à débloquer d’énormes moyens et faire d’elle un vaste champ d’intervention constructive ?

La conviction, la nécessité de reconnaître et d’officialiser la langue amazighe par l’Etat algérien doit reposer sur le principe fondamental de l’égalité qui, loin de toute idée inopérante, illusoire et extralinguistique, exclut l’existence d’une langue nationale plus favorable qu’une autre. Contrairement à ce qui existe actuellement, la loi n’en doit placer aucune au-dessus des autres. La co-officialisation de l’Amazighe présidera, à coup sûr, à une plus forte implication des citoyens amazighophones dans l’appartenance à ce pays, qui est le leur. Si cette reconnaissance constitutionnelle implique une plus forte cohésion sociale de toutes les composantes du pays, au contraire méconnaitre ce droit de co-officialisation engendre à coup sûr des résistances, des amertumes apparentes ou occultes qui vont nourrir des sentiments d’exclusion, de grognes, voire de révolte. C’est là que demeure la vraie problématique que l’Etat est appelé plus que jamais à régler une fois pour toutes.

Dans l’état actuel des choses et en dépit d’accepter le statut de langue nationale (qui n’est quelque part que formel, car tamazight est nationale déjà par définition) conféré à tamazight et ce, depuis plus de 12 années, il conviendrait de préciser qu’une langue nationale est par définition la langue ou une des langues employée par un peuple ou bien une partie de lui. A cet égard, l’Amazighe est une langue populaire et, par voie de conséquence, nationale. Langue populaire en ce qu’elle sert malgré les vicissitudes de l’histoire aux communications quotidiennes dans les différentes régions du pays, et langue nationale par définition. Si cela constitue une réalité évidente, l’équation linguistique nationale notamment au plan de l’officialisation n’est pas résolue, ce qui, dans le cas où l’Amazighe demeure au plan constitutionnel tel quel, voudra dire que la mission linguistique de la prochaine constitution nationale demeurera, comme les précédentes, non accomplie ; alors que la vraie justification d’une politique linguistique nationale est de protéger les populations en leur donnant et le droit et la possibilité de parler comme elles parlent, de se faire entendre, de se faire comprendre, de s’émanciper et de participer au progrès en permettant à leur génie propre d’être déployé pleinement. Après tout, respecter la langue du peuple dans ses particularités substantielles et formelles, c’est respecter le peuple lui-même.

De nos jours, les décideurs cherchent dans l’apparence à renverser la vapeur à la faveur des intérêts des masses populaires, mais la situation amazighe ne connait qu’une prise en charge maigre et malingre par rapport à ce que revendiquent des millions de citoyens. D’une part, on fait semblant de s’adapter à cette réalité amazighe, d’autre part on continue de dresser sournoisement le rideau de fer contre cette langue. Rien que l’enseignement de cette langue, sa mesquine prise en charge nationale depuis 1995 va en s’amenuisant et ce, bien loin d’un droit fil d’une politique linguistiquement démocratique. Deux comportements contradictoires se manifestent : d’abord l’apparition d’une nouvelle attitude dont une réorganisation sous d’autres formes se dessine, ensuite les déclarations politiques qui montrent que Tamazight est un fondement algérien reconnu par le pouvoir décisionnaire. Les erreurs ne cessent malheureusement de glisser les unes après les autres. L’histoire de la prise en charge de l’Amazighe par l’Etat montre que le comportement des gouvernants à peine favorable à l’égard de Tamazight, peut être remarqué qu’il est politiquement tardif et, linguistiquement, inopportun qu’inadéquat. En effet, Il y a lieu de faire remarquer pour ne pas occulter un trait épistémologique de taille que toute reconnaissance officielle de toute langue pose toujours des problèmes qui accompagneront son aménagement aussi bien que son développement, et, à cet égard, même les sciences ne sont pas non plus exemptes de problèmes. Et toute langue peut fort bien réussir à s’adapter aux changements rapides qui se produisent dans le mode de gestion politique que dans le rythme de vie des nationaux. Ainsi le comportement réactionnaire des décideurs qui consiste à faire croire à l’hypothèse de non co-officialisation de Tamazight, est politiquement intolérable, linguistiquement inadmissible que techniquement archi-faux. Les vraies questions à aborder au sujet de l’Amazighe sont celles d’ordre historique, sociologique, anthropologique, psychopédagogique que purement linguistique. Du moment qu’il est attendu de l’Etat de reconnaitre loyalement, lucidement et courageusement l’entité linguistique amazighe pour franchir un géant pas historique sur la voie de la démocratisation de l’existence algérienne, sa conduite envers cette langue demeure bel et bien source de scepticisme. Alors que, sans se baser sur la situation synchronique qui, pour un homme non averti, est source d’ambiguïté lorsqu’il s’agit d’aborder des questions liées à l’Amazighe, la co-officialisation de Tamazight veut dire garantir le droit fondamental et ouvrir la grande porte constitutionnelle devant cet ensemble linguistique pour qu’il puisse être promu et usité dans des lieux jusqu’alors interdits et ce, dans une assurance constitutionnelle et à l’abri de toute tendance partiale, tactique ou/et de tout comportement opaque qui, en étant brulant, peut suffire à éveiller la méfiance des nationaux envers les décideurs. L’équilibre entre gouvernants et gouvernés à cet égard est plus que vital. 

Par ailleurs, il y a lieu de souligner que la politique dilatoire à l’égard de Tamazight et l’absence de disposition dans le centre décisionnaire (en n’acceptant pas sa co-officialisation) à s’adapter à cette langue, est un autre danger qui guette l’existence nationale. Il ne faut pas que toute prise en charge de l’Amazighe soit une décision vide de sens ou une politique qui tente de pousser Tamazight à souffrir silencieusement les pires agonies, comme certains gens l’entendent. Tamazight ne peut plus attendre d’autres décennies pour qu’elle soit reconnue officiellement et puisse être à l’abri de toute menace. Dans le sens constructif de l’histoire, il faut que l’Etat algérien puisse être conduit salutairement de tenter par tous les moyens disponibles, mais aussi possibles de créer un climat de reconnaissance concrète, pragmatique et loyale à l’égard de Tamazight afin de maintenir cette richesse et assurer son développement pour bâtir l’Algérie de demain sur un riche héritage national qui est à la hauteur de revaloriser le sublime goût de la diversité humaine et l’unité nationale dans un esprit de tolérance, de respect de ces langues nationales et d’intelligence. Un pays fier de sa richesse linguistique doit préserver et protéger toutes ses langues au même pied d’égalité. 

L’importance d’une définition politique claire et précise (constitutionnellement co-officielle), c’est-à-dire efficace, de la langue amazighe est primordiale dans le contexte de la démocratisation de la vie linguistique algérienne. Etant donné la lourde responsabilité populaire assumée sur ce point par l’Etat, il deviendrait alors absolument nécessaire de ne pas être opaque et/ou malveillant dans la définition constitutionnelle de la langue amazighe. Sinon, le risque sera grand d’appliquer des principes aussi rétrogrades socialement et ruineux politiquement aussi bien que de se perdre entre l’indisponibilité d’apercevoir mieux la réalité du champ linguistique national et les idées qu’on s’en fait a priori, et qui tentent vainement de masquer cette réalité. L’Etat se doit d’intégrer en définitive dans l’Algérie constitutionnelle ce qui lui appartient sur le terrain linguistique national depuis la nuit des temps, tout en s’éloignant de l’idée qui fait croire au caractère fallacieux de non co-officialisation de la langue amazighe.

Prétendre que l’irrecevabilité officielle de Tamazight est d’ordre technique n’est qu’une accusation qu’un leurre que tente de porter le centre décisionnaire, sans compter qu’une telle déclaration ne puisse être que largement étrangère aux réalités les plus objectives du pays. C’est bien ailleurs que l’on doit chercher les vraies causes des difficultés auxquelles se heurte aujourd’hui la langue amazighe. La première cause est l’absence de détermination et de loyauté pour une meilleure prise en charge de l’Amazighe par l’Etat. La deuxième réside dans la grande pauvreté des moyens mis en place. La troisième (et non pas la dernière) est l’insuffisance flagrante du développement de l’aménagement linguistique amazighe dans l’ensemble du pays.

L’ostracisme linguistique dans lequel continue d’évoluer l’Etat algérien pose une problématique lourde de signification que de conséquences. Au jour d’aujourd’hui, l’État algérien n'a pas vraiment déployer beaucoup d’efforts pour améliorer dignement le sort de la plus algérienne, de la plus ancienne et de la plus autochtone des langues nationales, ni sur le plan de son statut juridique ni sur le plan du corpus. Les vraies allégations des décideurs politiques sont surtout dues à un comportement d’ordre psychanalytique. Les décideurs omettent nuisiblement qu’inconsciemment que l’affirmation identitaire algérienne revêt hautement et profondément un caractère amazighe qui ne concerne pas seulement la partie qui se sent être l’héritière de l’Amazighe, mais la totalité du peuple. Le peuple doit se réapproprier non seulement son histoire, mais aussi la langue que pratiquait leur ascendance aussi lointaine que l’on remonte le passé.

Dans l’Algérie d’aujourd’hui, il reste encore à doter tamazight de caractère co-officiel et à définir cette base de reconnaissance digne d’une langue constitutionnellement reconnue, puisque le danger réside dans le fait que dire langue co-officielle est sans utilité s’il ne connaît pas la concrétisation sur le terrain des idées que recouvre ce type de statut à consacrer à cette langue et cela, aux plans institutionnel, juridique et jurilinguistique, législatif et réglementaire, administratif, public, etc. De toute évidence, il n’existe pas de solutions simples pour régler les questions liées au développement de Tamazight. L’Etat, devant cette langue algérienne, est appelé à compter sur l’appui de plusieurs éléments pour réussir la marche de Tamazight. Et ces efforts ne pourront toutefois être couronnés de succès sans une meilleure coordination de divers facteurs. 

Loin d’un conservatisme politique sclérosant, il s’avère que « la Royauté Marocaine » est plus sage et intelligente, plus perspicace et constructive que « la République Algérienne ». L’Etat algérien qui, en maintenant et incarnant parfaitement cet archétype de jacobinisme, continue de faire des langues algériennes un ensemble bouillonnant en ce vingt-et-unième siècle. Ceci étant donné, l’Etat algérien n’a pas encore pu s’élargir hautement aux limites de l’univers linguistique national qui lui sont bien accessibles. Il y a fatalement une contradiction entre une tendance politique anti-amazighe conçue par des cercles politiques influents et l’attachement profond à la langue amazighe que pratique quotidiennement une bonne partie du peuple. 

Le tri triptyque chronologique Amazighité/Islam/Arabité ne reflète pas réellement à présent toute la réalité algérienne, c’est plutôt cette image de contradictions entretenues et qui font que l’Algérie n’est pas logique dans ses comportements officiels. Si Tamazight est victime d’une politique linguistique inappliquée loyalement et condamnée à rester dans le domaine du symbolisme, la tergiversation et la complexité des habitudes politiques envers elle demeurent de fait le reflet de tensions dans une importante partie de la société civile nationale. Cela par conséquent conduit à rappeler que le pays n’est pas à l’abri d’une situation d’instabilité. Alors que l’extension de l’usage de Tamazight impliquera entre autres des idées spécifiques même au renforcement de l’existence des pouvoirs publics et, cela loin de toute ghettoïsation. La langue amazighe, comme le peuple, doit ipso facto être impliquée dans l’existence et le développement d’Etat national moderne. Et les rapports entre l’in vivo et l’in vitro sont sensés de cerner les enjeux d’un aménagement linguistique amazighe, ses objectifs et son adéquation à la pratique sociale. Il est du devoir de l’Etat-nation de traiter l’Amazighe dans une nouvelle approche, celle de la réflexion, de l’étude et de la mise en œuvre et, cela loin de toute situation d’impérialisme linguistique.

La situation de non prise en charge de tamazight ne doit pas et ne peut pas être un critère pertinent pour ne pas doter cette dernière de statut de langue co-officielle. Sachant que toute reconnaissance linguistique relève de la domination politique, la réalité dans laquelle existe tamazight, ne devrait toutefois pas décharger les décideurs de leur devoir d’ouverture et de reconnaissance à l’égard de cette langue, elle devrait plutôt les inciter stratégiquement à la protéger, à la promouvoir et à la développer, et aucune idée de dépérissement ne doit être épousée. Au lieu de la violer, apprenons à mettre cette existence amazighe au service de tout le peuple, car tamazight est aussi faite par les nationaux pour tous les nationaux. Si sa reconnaissance constitutionnelle en tant que langue nationale est irrévocable, sa co-officialisation demeure un fait incontournable. Alors, le centre décisionnaire algérien dans son évolution politique est-il vraiment capable de poser les jalons d’un devenir national prospère en se convaincant de l’indispensable vitalité de co-officialiser la langue amazighe ? L’histoire nous le dira

Le peuple algérien dans son fond lui suffit l’honneur d’être le possesseur d’une histoire multimillénaire, d’avoir participé à l’enrichissement de la Méditerranée et d’avoir reçu en héritage une riche langue amazighe que rien qu’à sa richesse linguistique et son capital culturel, mérite d’être prise en charge officiellement et développée salutairement pour qu’elle puisse être aussi cette alchimie catalytique en mesure de propulser le pays vers des horizons meilleurs.

N.M.

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Commentaires (7) | Réagir ?

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Aksil ilunisen

Au lieu d'attendre jusqu'a l'apres petrole pour commencer a travailler tous les chentiers que nous n'avions meme pas commence depuis 3000 ans, je crois que la question amazighe est inevitable, car il y va de la survie de toute l'Afrique du Nord,...... a moins que l'intention de Okba Ibn Nafi demeure toujours cachée par des ames convancues que l'Islam, n'etait qu'une arme d'une guerre a but expansioniste. La prevue, est que les arabes ne veuent pas "lacher prise" et leur entetement renforce de plus en plus la conviction des amazighs, a l'egard de ce que j'ai cite plus haut.

Toute dictature est limitée dans le temps et NE peut JAMAIS prendre le dessus la NATURE DES CHOISES!

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Nachabe Madih

Monsieur Nat Mzab, azul! pour cet excellent article qui montre combien votre attachement à votre langue vous est vital. Je comprends votre cri de douleur par lequel vous exprimez la revendication de tout un peuple privé de ses droits par le fait d'un pouvoir colonisateur illégitime. Sauf que voilà, je ne sais pas, mon frère, si persister dans la même tradition de revendication, telle que menée depuis des lustres, demeure toujours efficace quand nous savons que ce pouvoir imperturbable demeurera toujours autiste. Tanmirt agma.

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