Document : Intervention de Benflis à la Conférence nationale sur les libertés et le changement démocratique

Ali Benflis
Ali Benflis

Nous publions l'intervention d'Ali Benflis à la Conférence nationale sur les libertés et le changement démocratique.

Mes tous premiers mots sont pour vous dire combien mes frères et collègues au sein du Pôle des Forces du Changement et moi-même avons été sensibles à l’aimable invitation que vous nous avez adressée pour participer à l’importante rencontre que vous organisez aujourd’hui. Cette rencontre est d’une importance particulière à nos yeux. Je suis persuadé qu’elle fait déjà date dans notre histoire politique et ce pour au moins trois raisons :

La première raison : est qu’elle a créé une dynamique de convergence entre les forces politiques de l’opposition, une convergence dans le cadre de laquelle il est devenu possible de bâtir une force de proposition capable de contribuer au règlement de la crise politique et de l’impasse institutionnelle auxquelles l’Algérie est actuellement confrontée.

La seconde raison : est que cette dynamique de convergence est alimentée par un constat et une lecture de la nature et des causes de cette crise et de cette impasse qui présentent de grandes similitudes.

La troisième raison : est que cette dynamique participe d’une même identification des conditions à réunir et des objectifs à viser quant au règlement de cette crise et à la sortie de cette impasse. J’ajouterai, sur une note plus personnelle, que dès lors qu’il s’agit de libertés et de changement démocratique ma place est tout naturellement aux côtés de ceux qui en plaident la cause, la défendent et entendent la promouvoir. Tout le projet politique que je viens de soumettre au peuple algérien tirait son sens et sa substance de cette cause des libertés et du changement démocratique.

Dans notre rencontre d’aujourd’hui, je crois pouvoir exprimer le sentiment de tous les présents en disant que nous ne sommes réunis par aucune autre considération et par aucun autre calcul sinon l’intérêt de notre nation et le service de notre peuple. Nous n’avons pas d’arrière-pensées; nous n’avons pas d’agenda caché ; nous n’avons pas d’objectifs déguisés.

Dans la sincérité et la transparence, nous affirmons que nous ne sommes guidés que par le souci de contribuer à la solution de la grave crise de régime qui sévit dans notre pays et qui lui occasionne des retards et des dommages incalculables.

Oui, ce qui affecte l’Algérie, aujourd’hui, est une crise de régime dans tous les sens du terme, une crise dont le régime nie l’existence.

Le projet de révision constitutionnelle dont nous venons d’être rendus destinataires reflète parfaitement cet état d’esprit. Il révèle combien le régime en place reste attaché à ses vieux réflexes, à ses méthodes dépassées et à ses lectures faussées des mutations nationales et internationales qui devraient à elles seules lui faire prendre conscience de la nécessité de se remettre en cause et de changer.

Cette saisine des forces politiques et sociales d’un projet de révision constitutionnelle peut s’apprécier sous cinq angles :

  • celui du diagnostic de la crise,
  • celui de la démarche imposée unilatéralement,
  • celui du contenu,
  • celui de l’objectif visé,
  • et celui du résultat attendu.

1.- Sous l’angle du diagnostic de la crise

Le mal dont souffre actuellement l’Algérie n’est pas dans sa Constitution. Il est dans une crise politique et une impasse institutionnelle réelles. La crise politique est le produit de l’illégitimité des institutions de la base au sommet de l’Etat. L’impasse institutionnelle est, quant à elle, la résultante directe d’institutions –Présidence de la République- Gouvernement et Parlement- à l’arrêt du fait de la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme devenu clairement incapable de les assumer.

Le règlement de cette crise politique et la sortie de cette impasse institutionnelle ne résident clairement pas en un ravalement constitutionnel de façade. Elles exigent bien au contraire l’ouverture d’un processus politique global dont le point de départ serait le règlement de la double problématique de la légitimité et du fonctionnement des institutions et dont le règlement de la problématique constitutionnelle serait le couronnement.

2.- Sous l’angle de la démarche :

La démarche est celle d’un régime qui cherche à gagner du temps par tous les moyens. Ce régime ne veut pas changer. Il ne cherche qu’à se régénérer alors qu’il est à bout de souffle aux yeux de tous.

Cette démarche ne vise manifestement pas à trouver une issue à la crise politique et à l’impasse institutionnelle à laquelle est confronté notre pays, elle vise seulement à perpétuer le régime en place.

3.- Sous l’angle des objectifs visés par le régime en place :

Disons-le en toute franchise et sincérité, le régime en place et ses hommes ne se sont pas distingués, quinze années durant par leur souci ou leur intérêt pour la séparation des pouvoirs, pour le rôle du Parlement, pour l’indépendance de la justice, pour la place de l’opposition ou les droits et les libertés des citoyens.

Le souci soudain et le regain d’intérêt qu’ils manifestent pour tous ces sujets trouve son explication ailleurs que dans le mérite propre de ces réformes. Cette explication se trouve dans leur tentative grossière d’enrober et d’imposer leur but réel : mettre fin à la concentration du débat actuel sur la nature du système politique algérien et sur la crise de régime à laquelle nous faisons face et le déplacer vers la révision constitutionnelle qui deviendrait ainsi le seul centre d’attention. C’est ce que j’appelle un acte de diversion par excellence. L’objectif du régime en place est là et nulle part ailleurs.

4.- Sous l’angle du contenu de la révision constitutionnelle proposée.

Nous pouvons nous poser ensemble un certain nombre de questions sur ces amendements et y répondre :

  • Ces amendements modifient-ils le caractère personnel et autoritaire du régime algérien ? Non.
  • Ces amendements instaurent-il un pouvoir politique responsable, contrôlable et rendant des comptes ? Non.
  • Ces amendements établissent-ils la séparation des pouvoirs et érigent-ils de véritables contre-pouvoirs comme cela est le cas de tous les régimes présidentiels? Non.
  • Ces amendements règlent-ils la crise de légitimité et de fonctionnement des institutions ? Non.
  • Ces amendements sont-ils susceptibles de contraindre le pouvoir en place à conformer ses pratiques et ses comportements à la Constitution et aux Lois ? Non.

5.- Sous l’angle des résultats que le régime en place attend de la révision constitutionnelle :

L’initiative du régime en place manque tellement de subtilité qu’il est possible d’y lire avec beaucoup de facilité les véritables intentions et les résultats qu’il en attend. Quels sont-ils ?

  • En premier lieu, il est manifeste que l’initiative du régime en place vise le gain de temps. Alors que se posent la problématique centrale de la nature du régime politique dont le pays a besoin, le pouvoir entend gommer cette problématique en nous entrainant vers de simples consultations sur des sujets qui n’ont pas de rapport avec les urgences et les priorités de l’heure.
  • En second lieu, le pouvoir en place sent et sait qu’il est illégitime et il est donc pressé de clore ce chapitre au moyen d’une caution et d’une légitimation qu’il pense pouvoir gagner au moyen de la révision constitutionnelle.
  • En troisième lieu, le pouvoir est le premier à savoir que les institutions de la République sont à l’arrêt et cet arrêt découle directement du fait que la plus haute charge de la République n’est plus assumée. Au moyen de son initiative le régime en place pense pouvoir aussi clore définitivement ce chapitre.

Voilà les résultats réels que ce régime attend de son initiative. Cette initiative du régime en place ne mène pas au règlement de la crise de régime que vit notre pays. En différant son règlement elle lui permet de s’aggraver.

Toutes les forces politiques et sociales soucieuses de l’intérêt national appellent à hâter ce règlement pour mettre fin, au plus tôt, à cette épreuve que notre pays peut surmonter avec la sagesse et le courage nécessaires de tous ses enfants.

La Coordination pour les Libertés et le Changement démocratique propose une plateforme qui va dans ce sens. Je tiens, au nom du Pôle des Forces du Changement à la féliciter pour cette initiative louable qui vient enrichir notre réflexion commune au sujet des réponses possibles à apporter à la crise politique et à l’impasse institutionnelle auxquelles notre pays fait face. Le Pôle des Forces du Changement s’est réuni et a examiné avec une grande attention le contenu de cette Plateforme. Nous sommes parvenus aux quatre conclusions principales suivantes :

  • Notre première conclusion est que nous partageons la même conviction que la nature du régime politique algérien est au cœur de cette crise et que cette nature personnelle et autoritaire doit changer ;
  • Notre seconde conclusion est que, tout comme vous, nous estimons que notre pays est prêt pour un changement démocratique et notre peuple l’attend ;
  • Notre troisième conclusion est que, dans la même direction que la vôtre, nous estimons que la citoyenneté et la souveraineté populaire doivent être le socle de la pratique politique dans notre pays ;

La citoyenneté est une et indivisible. Elle est une en ce qu’elle doit être la même pour tous et tous doivent en jouir sans marginalisation injuste et sans exclusion arbitraire. Il ne peut y avoir de supra- citoyenneté et une infra- citoyenneté. Elle est indivisible en ce que les droits qui s’y rattachent qu’ils soient politiques, ou économiques ou sociaux ne peuvent être séparés les uns des autres sans que soient créées une citoyenneté pleine et entière, d’un côté, et une citoyenneté limitée, de l’autre, sous le toit de notre République. Le changement démocratique auquel nous aspirons et auquel nous œuvrons devra rétablir la citoyenneté dans son unité et son indivisibilité sans lesquels son sens serait altéré et sa substance dénaturée.

Enfin notre quatrième et dernière conclusion est que, dans une parfaite identité de vues, avec vous, nous considérons qu’il est grand temps que l’Algérie soit dotée d’un Etat de droit, d’institutions démocratiques et d’un cadre protecteur des droits et des libertés.

Nos analyses de la nature et des causes de la crise politique que nous connaissons se rejoignent. Nous avons la même vision du moyen de son dépassement en mettant fin au régime politique personnel et autoritaire qui gouverne le pays. Et nous nous assignons le même objectif d’instauration d’un Etat démocratique dans notre pays.

C’est au niveau de la démarche, nous semble-t-il, que nos sensibilités et nos appréciations soulèvent des interrogations auxquelles nous devons apporter des réponses ensemble. Ces réponses sont indispensables pour trois raisons :

  • Elles serviront à éclairer d’avantage notre peuple sur le sens de notre démarche.
  • Elles lui permettront de se sentir concerné et impliqué dans la sortie de crise que nous proposons.
  • Elles nous permettront de le sensibiliser et de le mobiliser afin de bénéficier de son appui dans la tâche que nous entreprenons.

Ces interrogations et les nécessaires réponses à leur apporter concernent cinq problématiques essentielles que nous avons identifiées au sein du Pôle des Forces du Changement et que je souhaite évoquer devant vous.

  • La première problématique concerne le postulat de départ : Nous considérons que l’Algérie fait face à une crise de régime caractérisée par l’illégitimité des institutions et un édifice institutionnel à l’arrêt. En conséquence, pour nous, c’est cette crise de régime qui doit être réglée et traitée en urgence. En conséquence, nous estimons que tout processus constitutionnel devant être ouvert ne pourrait intervenir que comme couronnement d’une entreprise consensuelle dont le point de départ serait le règlement de cette crise de régime.
  • La deuxième problématique concerne le peuple lui-même qui doit être impliqué et avoir son mot à dire. De notre point de vue, tout règlement que nous serions amenés à proposer devra réunir les conditions de légitimité et de représentativité. A cet égard, il nous parait d’une grande importance de ne pas créer chez notre peuple l’impression que le règlement de la crise ne concerne que le pouvoir en place et l’opposition politique nationale.
  • La troisième problématique concerne cette même question de la légitimité, c'est-à-dire la légitimité du gouvernement de transition et celle de l’instance chargée de préparer la nouvelle Constitution du pays. Le Pôle des Forces du Changement a la conviction que ces deux organes proposés se doivent de remplir les nécessaires conditions de légitimité et de représentativité.
  • La quatrième problématique concerne la situation actuelle critique et pressante. La démarche proposée par la plateforme risque d’être longue. Or le pays n’est pas gouverné alors même que sa situation interne est fragile et sa situation extérieure menacée par l’instabilité et l’insécurité de son voisinage. La question est donc : que faire pour surmonter cette situation urgente et pressante ? Allons-nous laisser perdurer cette situation jusqu’à l’issue de la transition à supposer que le régime l’accepte et qu’elle voit le jour.
  • La cinquième problématique concerne l’articulation des mécanismes de la transition proposés par la plateforme. Ces mécanismes ne nous semblent pas adaptés à la nature de la crise de régime à laquelle nous faisons face et à sa complexité.

De même, ces mécanismes ne prennent pas en charge tous les aspects de cette crise. Ils se focalisent sur son aspect constitutionnel qui n’est sans doute pas le plus pressant. Je veux le répéter, la crise actuelle n’est pas une crise constitutionnelle mais, bien plutôt une crise de régime.

Mes chers frères et collègues permettez moi de conclure cette réflexion que j’ai tenu à partager avec vous par ces mots : le règlement de la crise actuelle n’est pas une affaire strictement bilatérale entre l’opposition et le régime en place. En cette affaire, il y a une troisième partie déterminante qui tient dans ses mains les clés de ce règlement : il s’agit du peuple algérien lui-même sans lequel aucune initiative n’a de chances réelles de succès. Cette sortie de crise à laquelle nous œuvrons ne devrait, en aucune manière, créer chez notre peuple l’impression qu’elle n’est qu’une opération menée par des appareils, éloignés ou coupés de la société, ne cherchant qu’à partager le pouvoir ou à se succéder les uns aux autres au pouvoir.

Enfin cette sortie de crise ne saurait réunir les conditions de sa réussite que par la représentativité et la légitimité qu’elle saura gagner en ralliant à elle l’adhésion populaire la plus large.

Le changement démocratique n’est plus une demande réservée à l’opposition. Il est une revendication légitime du peuple algérien tout entier. Nous nous devons donc de nous organiser pour porter fidèlement cette revendication et à en être les porte-paroles loyaux.

Ali Benflis

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Commentaires (9) | Réagir ?

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dahmane benyoucef

Ce pouvoir doit partir, tout le monde le dit. Il répond toujours qu'il ne partira pas et ça aussi tout le monde le dit.

Maintenant le peuple attend les hommes qui le feront partir où sont ils ??????

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dahmane benyoucef

Sachant que le pouvoir a dejà annoncé qu'il ne reconnait pas cette initiative de transition, pourquoi alors ne pas envisager un plan de riposte concret sur le terrain pour faire entendre la volonté populaire. Des discours on en a entendu dejà des tonnes depuis 1962

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