Cannes, une palme d’or et d’Algérie

Affiche du film "Chronique des années de braise"
Affiche du film "Chronique des années de braise"

La fête du cinéma, de la culture s’est clôturée, les flonflons se sont éteints, et la fièvre est retombée à Cannes qui retrouve ses airs de province.

Il y a longtemps – en 1975 – l’Algérie fut honorée à Cannes d’une Palme d’or "tombée du ciel", la plus oubliée, la plus occultée de l’histoire du festival, jamais nommée, inconnue du public cannois si averti, des critiques pointues – nouvelle vague – très peopolisés et bien pire méconnue des Algériens forcés à l’inculture.

Lorsque ce grand évènement culturel nous tomba sur la tête dans ces années noires, si difficiles – de grande terreur politique, de débâcle démocratique et de soumission culturelle – nous fûmes ébahis, sidérés même. Ainsi le cinéma algérien pouvait accoucher d’un chef d’œuvre ?! D’un monument ?!

Le film réalisé par Mohamed Lakhdar Hamina au grand souffle lyrique écrit la grande épopée de la guerre d’Algérie avec ses héros, ses hauts faits d’armes contribuant à forger les mythes historiques dont cette Algérie nouvelle postindépendante avait besoin. Film de guerre, il portait à l’écran le combat pour l’indépendance de l’Algérie "sans aucun risque" comme l’écrivait il y a longtemps un critique. Empruntant son style, son mode de narration, son climat dramatique et même nous pourrions dire mélodramatique (centré sur le héros) aussi bien aux grands films de guerre américains qu’au grand cinéma soviétique à la manière artistique d’un Dovjenko (portant la trace de la formation de son auteur à Prague à l’ère soviétique, comme beaucoup de cinéastes algériens) le film a-t-il vraiment plu aux spectateurs de la grande salle ?

A Alger, la rumeur courut que feu le Président Houari Boumediene quitta la séance en cours de projection, mécontent. Pourtant nul film de commande n’a autant incarné la liaison insécable très forte en ces temps-là en Algérie entre Art et politique, intimement liés au régime qui permit, aida et autorisa son accouchement.

Film conforme à l’orthodoxie officielle marqué bel et bien de son empreinte, de ses diktats, il donna au public cannois une fresque de notre histoire dans l’esprit anticolonial dans une conjoncture internationale où le tiers-mondisme se vendait bien. Film au style « américain forcé » il se fit à Laghouat avec une équipe technique entièrement étrangère, avec un acteur principal d’origine grecque (inconnu), le seul acteur algérien sollicité pour jouer le rôle du fou errant, le si populaire Rouiched, fut évincé.

Le comble c’est que ce film "patriotique" tourné en 70 mm, produit quadriphone ne fut même pas projetable dans les salles algériennes inadaptées à tant de modernité technique ! Film de prestige que pensez – hier comme aujourd’hui – d’un budget estimé à plus d’un milliard d’anciens francs, laissant pour compte les réalisateurs des autres œuvres en devenir du jeune cinéma algérien qui protestent et montent un manifeste de réalisateurs en colère … subissant tracas administratifs et financiers - en rage !

Dans cette période sombre de notre histoire où la culture était confisquée, où la censure frappait impitoyablement, où il fallait subir le fait du prince, pourquoi l’Algérie a-t-elle eu tant besoin d’un film vitrine produit pour l’extérieur ?

Avait-elle tant besoin d’exporter en ce lieu l’image de grande puissance tiers-mondiste ?

Ceux qui essayèrent de produire en dehors de la doxa officielle autre chose, qui explorèrent d’autres voies, qui parlèrent une autre langue cinématographique opérant des virages thématiques – revendiquant pleinement leur statut d’artiste – payèrent cher leur insoumission, leur refus idéologique et artistique : censure – interdiction d’’écran – avortement d’oeuvre.

Poussés à la relégation dans leur appartement HLM, chômeurs mensualisés officiellement par un Etat indifférent à leur quotidien, à la leur statut, à leur sort d’intellectuels condamnés au silence enfoncés dans un exil intérieur, ils partagèrent leur grande solitude avec d’autres exilés de l’intérieur. Plus que toute profession (avec celle de journaliste) il nous semble que celle-ci souffrit beaucoup de l’Etat autiste fabriquant des intellectuels torturés, tourmentés vomissant manques et frustrations dans de minables troquets comme le décrit si bien Tohar Djaout dans sa mise en scène romanesque des Vigiles (roman) leur offrant une existence, les élevant au rang de personnages de roman.

De nombreux cinéastes firent les frais de l’appareil de contrôle mis en place par le régime.

Qui a vu "Peuple en marche" de René Vautier et Ahmed Rachedi mis sous scellé ? (La censure aurait été due à l’évocation du rôle historique du Président Ben Bella), "Mektoub" d’Ali Ghanem interdit de sortie évoquant en dehors des statistiques le sujet si sensible de l’émigration et qui frappa à toutes les portes pour que l’on puisse voir son film.

Qui a eu la chance de voir le si dérangeant "Le ciel et les affaires" (quel titre !) de Mohamed Bouamari soumis à la coupure, forcé aux remaniements, lui pourtant qui ouvre la voie à l’activité par un sujet brûlant et qui interroge avec insolence et audace la question de l’Islam et de la pratique maraboutiste.

Qui connait le talent de Farouk Beloufa avec son merveilleux, si attachant Nahla qui osait s’égarer sur des sables mouvants, abordant et explorant le lien existentiel douloureux et tourmenté du rapport des intellectuels arabes au problème palestinien – film qui fut sabordé à sa diffusion.

Juste pour dire avec quelques exemples que beaucoup de cinéastes (il y en a bien d’autres) n’échappaient pas à la censure d’état mise en place à travers le C.A.C. (Centre Algérien du Cinéma) réglant, contrôlant, mettant sous tutelle et programmant la main basse sur la création cinématographique.

C’est dans cette conjoncture que la "substance pensante et dirigeante de l’Algérie" qui ne s’intéresse plus qu’à son trône se trouva un commis qui fréquente ses salons, à qui on offrit un fief à l’O.A.A. (L’Office des Actualités Algériennes) où il régna en maître et grand seigneur et qui se fit pour elle chantre de l’Algérie.

Ainsi le pouvoir pouvait confier à son cinéaste organique de lui fabriquer son cinéma et qui signa – Yasmina, la Voix du Peuple et avec un peu plus de finesse, "Le Vent des Aurès".

Ce cinéma d’État dans ces année de plomb auquel ont contribué d’autres cinéastes – œuvre à laisser le champ libre à l’inculture construisant meurtrièrement à la déculturation

du peuple algérien qui, lassé des fresques héroïques et guerrières, détourne le regard vers d’autres horizons orientaux pour une culture de pacotille (avec la complicité généreuse de l’unique télévision d’État …), participant par le vide, par une culture en jachère, à une islamisation culturelle rétrograde, autre forme de colonisation entrainant les Algériens dans un véritable reflux idéologique de masse, acculturation accouchant d’une société algérienne clivée dans et par la violence.

"Chronique des années de braise" reste quant à sa réception une véritable énigme. Etonnamment, il fait d’abord l’unanimité de la presse française – il est vrai qu’il est un des premiers films vu à l’étranger qui brise le tabou sur la Guerre d’Algérie. Puis, heureusement pour l’intelligentsia française qui retrouve sa lucidité et son insolence, la distance critique reprit sa juste place. Loin de la célébration et du ton laudatif, le film fut éreinté à sa sortie, la critique française se déchainant, considéré même par certains comme "un film de falsification" comme le redéclare la revue Cinéma–mars 1976 – numéro auquel nous devons beaucoup pour cet article.

Finalement le film rate son destin de film-phare, d’œuvre culturelle mondiale.

A l’heure où le cinéma algérien est en proie à toutes les vicissitudes, assujetti au règne de la débrouille, aux lois du marché où la culture est toujours en marge, où les masses sont condamnées à la culture des mosquées et même de la Grande Mosquée par les nouveaux rois de l’Algérie (Dommage pour ceux qui ont cru au rêve d’un Cinnecita algérien promis par M. le Président), nous nous posons toujours des questions de simples bons sens.

Qu’est-ce qui nous a valu cette Palme d’or ? Quelle est sa vraie valeur ? Quel a été son vrai prix ? La rumeur courut qu’elle fut "achetée", que Cannes fut inondée par l’argent du pétrole algérien (on sait que le cinéma a besoin de capitaux pour se faire et se montrer !)

Nous pouvons toujours garder l’illusion que cette Palme d’or serait due à un quelconque attachement à l’Algérie, aux "qualités artistiques intrinsèques" du film ! Mais on aimerait avoir la vraie histoire, si M. Jacob, l’ex-président du Festival et Mme Jeanne Moreau, la Présidente du Jury – un beau Jury ! Un bon cru avec les écrivains avec Antony Burgess, Pierre Sallinger, le réalisateur André Delvaux et l’actrice Léa Masari - pouvaient parler, témoigner, lever le voile, révéler le dessous des cartes, nous aider à construire un peu de vérité historique, combler un blanc de notre histoire culturelle, de notre histoire tout court.

Ce qui est sûr c’est que la réception des films algériens fait problème ; on mesure à travers l’accueil qui leur est fait l’évolution du public français, de la société française, de sa sensibilité à l’Algérie, à son actualité, à son Histoire. Aucune menace de plasticage comme pour le film Hors la loi de Bouchareb – il y a pas longtemps – qui osait évoquer le 8 mai 1945 à sa manière, ni d’interdiction d’écran comme pour "La Bataille d’Alger" (qui lui fit une carrière internationale !) ni de censure étatique française comme pour "Les Porteuse de feu" de Faouzia Fekiri qui ose interroger et montrer à l’écran le courage de jeunes poseuses de bombes !

Autres temps, autre France, autre Algérie !

Ouahiba Hamouda

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