Corruption en Algérie : Bouteflika réhabilitera-t-il la Cour des comptes ?

Les affaires de malversations se sont multipliés. Dernier en date Saadani et ses biens en France. Que fait la justice ?
Les affaires de malversations se sont multipliés. Dernier en date Saadani et ses biens en France. Que fait la justice ?

Le président, dans son discours d’investiture et son directeur de campagne, l’actuel le premier ministre, ont promis au peuple algérien de moraliser la société et de lutter contre la corruption. Qu’en est-il de la Cour des comptes, institution supérieure du contrôle à posteriori des finances de l’Etat (article 2) ? Institution à compétence administrative et juridictionnelle (article 3), la Cour des comptes assiste le gouvernement et les deux chambres législatives (APN-Sénat) dans l’exécution des lois de finances, pouvant être saisie par le président de la République, le chef du gouvernement (actuellement le Premier ministre) ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d’importance nationale. En tant qu'ancien magistrat à la Cour des Comptes (premier conseiller) et directeur général des études économiques entre 1980/1983.

1.- Il faut d’abord améliorer le niveau des rémunérations des cadres de la Cour des comptes et leur définir d’une manière claire leurs missions dans le cadre de la loi et surtout avoir une institution indépendante à l’instar de l’urgence de l’indépendance de la justice. Le nombre par la qualité et non la quantité est certes important car actuellement étant dans l’impossibilité d’avoir un contrôle objectif et exhaustif du fait de la faiblesse de leur nombre mais cela n’est pas une condition suffisante pour avoir un contrôle efficace, lui même lié à aux contrepoids politiques en fait à la démocratisation de la société. A titre d’exemple, actuellement le parlement, d’ailleurs très mal élu, est juste une chambre d’enregistrement. Il faut uniformiser l’action des institutions de contrôle tant politiques que techniques pour avoir une efficacité globale et ce sans verser dans les règlements de comptes, posant d’ailleurs d’une manière objective le problème de la dépénalisation des actes de gestion si l’n ne eut pas bloquer l’initiative des managers qui parfois doivent prendre des décisions au temps réel. Les différents scandales à répétitions notamment depuis l’affaire du PNDA(programme agricole), Khalifa, à Sonatrach en passant par la route Est-Ouest, mais qui touchent la majorité des secteurs, repris par la majorité des médias internationaux, discréditent l’image de l’Algérie au niveau international et démobilisent les citoyens au niveau interne. La prolifération d’institutions de contrôle, diviser pour mieux régner comme dit l’adage, dont la dernière en date est l’institution de lutte contre la corruption, est inefficace sans un Etat de droit, la démocratisation de la société et sans vision stratégique d’ensemble. Aussi, la problématique posée de l’efficacité de la Cour des comptes dont j’ai été magistrat (premier conseiller et directeur central des études économiques entre 1980/1983 du temps de feu Dr Amir) et d’une manière générale, toutes les institutions de contrôle, y compris celles des services de sécurité est fonction d’une gouvernance globale rénovée.

2.- Certes, l’on a prévu de renforcer les prérogatives de la Cour des Comptes. Mais cela n’est pas une question de lois ou de textes juridiques mais la volonté politique de luter contre la corruption et la mauvaise gestion. Les textes existent mais existent un divorce avec la pratique. Dans ce contexte, rappelons qu’en moins de 30 ans, les textes régissant le fonctionnement de la Cour des comptes, dépendante de la présidence de la République et prévue dans la Constitution (JO-RADP n° 76 du 8 décembre 1996 modifiée par la loi n° 02-03 du 10 avril 2002 JORADP n° 25 du 14 avril 2002, la loi n°08-19 du 15 novembre 2008 JORADP n° 63 du 16 novembre 2008) et le Conseil des ministres en date du 25 août 2010, qui a approuvé une ordonnance élargissant et renforçant les missions de la Cour des comptes, modifiant et complétant l’ordonnance n° 95-20 du 17 juillet 1995. L’ordonnance 2010 élargit les missions de la Cour des comptes quant au renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. «La Cour des comptes exerce un contrôle sur la gestion des sociétés, entreprises et organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l’Etat, les collectivités locales, les établissements, les entreprises ou autres organismes publics détiennent, conjointement ou séparément, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision». Ainsi, la Cour des comptes s’assurera de l’existence, de la pertinence et de l’effectivité des mécanismes et procédures de contrôle et d’audit interne, chargés de garantir la régularité de la gestion des ressources, la protection du patrimoine et des intérêts de l’entreprise, ainsi que la traçabilité des opérations financières, comptables et patrimoniales réalisées. Un autre article de l’ordonnance en question, en l’occurrence le 27 bis, stipule que «si la Cour des comptes relève des faits de nature à justifier une action disciplinaire à l’encontre d’un responsable ou d’un agent d’un organisme public soumis à son contrôle, par référence au statut de ce dernier, elle signale ces faits à l’autorité ayant pouvoir disciplinaire à l’encontre du responsable ou de l’agent concerné. L’ordonnance prévoit le pouvoir de consultation de la Cour des comptes dans l’élaboration des avant-projets annuels de loi de règlement budgétaire et cette révision confère au président de la République l’attribution de saisir la Cour des comptes pour tout dossier d’importance nationale dont, en premier lieu, le renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. En second lieu, il est question du renforcement de «l’efficacité du contrôle de la Cour des comptes à travers l’obligation faite aux responsables des collectivités et organismes qu’elle contrôle de communiquer ses conclusions aux organes délibérant dans un délai maximal de deux mois, tout en tenant informée la Cour des comptes des suites réservées». La Cour des comptes devrait travailler en étroite collaboration avec l’Office central chargé de la prévention et de la répression de la corruption. L’accent a été mis sur la modernisation de cet outil permettant de mieux contrôler l’économie nationale afin de lutter efficacement contre toute forme de détournement et atteinte aux deniers publics et au patrimoine national.

3.- Se pose cette question : les procédures de la Cour des comptes en Algérie répondent-elles aux normes internationales ? Dans un rapport publié en octobre 2013 par l'UE, les pairs encouragent la Cour des comptes à résoudre certains problèmes identifiés lors de la revue, notamment, la longueur des procédures et des délais relatifs à certaines prises de décision ; la couverture limitée des contrôles ; le manque de standardisation des méthodes de travail ; la non publication et la diffusion restreinte des rapports de la Cour. La loi algérienne oblige la Cour des Comptes à un rapport annuel dont en principe les conclusions doivent être publiques, mais tout dépend de la volonté politique de réhabiliter les prérogatives de cette Institution stratégique loin de toutes pressions, renvoyant à l’instauration d’un Etat de Droit, l’Algérie s’est engagée à respecter les normes internationales et a signé plusieurs conventions de lutte contre la corruption qui existe de par le monde mais qui prend en Algérie des proportions alarmantes menaçant la sécurité nationale. Pour répondre directement à votre question, en théorie oui, en pratique la réponse est mitigée. Et pourtant les procédures de contrôle et d’investigation sont inspirées des normes internationales, notamment celles élaborées par l’Intosai dont l’apurement des comptes des comptables publics est un acte juridictionnel portant sur l’exactitude matérielle des opérations de recettes et de dépenses portées au compte du comptable public ainsi que leur conformité avec les lois et règlements en vigueur, la reddition des comptes, tout comptable public est tenu de déposer son compte de gestion au greffe de la Cour des comptes en conservant les pièces justificatives qu’il doit mettre à la disposition de l’institution. Les ordonnateurs des organismes publics sont également tenus de déposer leurs comptes administratifs dans les mêmes formes, le contrôle de la discipline budgétaire et financière s’assure du respect des règles de discipline budgétaire et financière et prononce des amendes à l’encontre des responsables ou agents des institutions, établissements ou organismes publics ayant commis une faute ou irrégularité préjudiciable au Trésor public ou à un organisme public. Selon les normes internationales, qui devraient s’appliquer en Algérie, le contrôle de la qualité de gestion a pour finalité d’apprécier les conditions d’utilisation et de gestion des fonds et valeurs gérés par les services de l’Etat, les établissements et organismes publics et enfin l’évaluation des projets, programmes et politiques publiques, la Cour des comptes participant à l’évaluation, au plan économique et financier, de l’efficacité des actions, plans, programmes et mesures initiées par les pouvoirs publics en vue de la réalisation d’objectifs d’intérêt national et engagés directement ou indirectement par les institutions de l’Etat ou des organismes publics soumis à son contrôle.

4.- Qu’en est-il du dernier rapport de la Cour des comptes ? Dans son rapport rendu pour la première fois public, dont la presse algérienne s’est faite l’écho le 7 novembre 2012, la Cour des comptes met en relief la mauvaise gestion des deniers publics et le manque de volonté et de transparence. Le rapport de la Cour des comptes, concernant la gestion de l’argent de l’Etat, est accablant. Le rapport dénombre 105 comptes spéciaux du Trésor, dont 16 n’ont pas connu de mouvements. Le nombre de comptes d’affectation spéciale reste prépondérant avec 77 comptes, soit 73% des CST. Pour les autres catégories, il est recensé 11 comptes de prêts, 9 comptes de participation, 4 comptes d’avance, 3 de commerce et un compte d’affectation spéciale «dotation». Les ministres des Finances, de l’Agriculture, de la Culture, de l’Intérieur, de l’Industrie et de la PME se sont vus confier la gestion de 35 comptes soit 45% de la liste en vigueur. Les investigations de la Cour des comptes ont mis en exergue la gestion défectueuse des comptes d’affectation spéciale (CAS), étant sollicités pour la réalisation des projets inscrits dans le cadre des plans quinquennaux 2004-2009 et 2009-2014. Le rapport note outre la non-conformité aux principes de la comptabilité publique et aux dispositions de la loi que les objectifs assignés, que la réalisation de projets et de programmes, afférents au budget d’équipement par l’intermédiaire des CAS s’est faite en violation du principe d’affectation des crédits et du caractère exceptionnel dédié à ces comptes. La quasi totalité des CAS n’ayant pas été réalisés malgré le soutien de l’Etat et le volume des subventions. Les dépenses relatives aux CAS dans le budget de fonctionnement de 2010 ont été de l’ordre de 90% en 2010, 98% en 2009 et 162% en 2008 et la part des CAS dans le budget d’équipement est passé de 96% en 2009 à 89% en 2010. De plus, les banques ne produisent pas les états faisant apparaître la liste des bénéficiaires (particulier ou organisme) des bonifications sur les crédits accordés. Il a été noté également les insuffisances du contrôle fiscal. Sur un effectif global estimé à 13 797, en 2010, seuls 536 agents sont affectés au contrôle fiscal soit un taux faible de 4%. Sur un nombre de 376 770 dossiers fiscaux, 1 465 ont été programmés pour la vérification de la comptabilité, le rapport soulignant les insuffisances et les dysfonctionnements relevés, faute de programme de modernisation de l’administration fiscale. Pour le seul exercice 2010, le ministre des Finances a déclaré un montant exorbitant de 430 milliards de DA (près de 5 milliards de dollars) au titre des dépenses fiscales sans pour autant décliner la base de calcul, ni fournir de détails ou d’explications sur les segments d’activités et les bénéficiaires pour lesquels celles-ci avaient été consenties. La Cour des comptes note également dans son rapport que le taux de recouvrement des impôts est très faible. «A titre indicatif et pour les seuls restes à recouvrer (RAR) portant sur l’IRG et l’IBS, leurs montants ont totalisé 543 milliards de dinars (-100 dinars algériens = 1 euro), à fin 2010. La contribution des entreprises nationales à l’IBS n’est que de 44,885 milliards de DA, soit 17%, les 83% restants, soit plus de 210 milliards de DA sont réalisés avec des entreprises étrangères par voie de retenues à la source. Plus grave, le document révélé fait état de détournements et d’opacité dans la gestion des dossiers du microcrédit. Ainsi, le rapport souligne qu’une bonne partie de ces dépenses est constituée par des exonérations fiscales, dans le cadre de mesures incitatives introduites par les différentes lois de finances afin d’encourager l’investissement et l’emploi. Le montant des exonérations a atteint, en 2010, 93,66 milliards de DA, l’Andi et l’Ansej ayant bénéficié respectivement de 73,18 et 20,48 milliards de DA, soit des taux respectifs de 78% et 22% du montant global des exonérations. Malgré l’importance des exonérations accordées, le suivi des projets retenus n’a pas été au rendez-vous selon le rapport de la Cour des Comptes. L’absence de contrôle a encouragé certains promoteurs à ne pas respecter leurs obligations ou engagements. Cette situation s’est aggravée également par une défaillance dans la coordination des différents intervenants, Douanes, Impôts, Ansej et Andi. Ce qui a amené certains investisseurs à détourner les projets de leur destination initiale et, dans certains cas, à la cession des équipements acquis dans ce cadre.

En résumé, les promesses seront-elles tenues ? Car force est de reconnaitre, que ce qui a été décrit précédemment, ce sont des principales mais qu’en pratique, la Cour des Comptes est actuellement marginalisée, d’où l’urgence de sa réhabilitation en étroite collaboration avec le contrôle démocratique qui est le plus efficace. Au moment où entre 2015/2020 les ajustements économiques et sociaux seront douloureux, la chute des recettes des hydrocarbures, supposant un sacrifice partagé, cela pose la problématique de la moralisation de la vie politique et économique de toute la société algérienne réhabilitant le travail et l’intelligence, sans laquelle aucun développement à terme ne peut se réaliser.

Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités Expert International

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Commentaires (7) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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Notproud

Condamné à des travaux d'intérêt général, Silvio Berlusconi a passé quelques heures auprès de malades d'Alzheimer.

Elle est pas belle la vie !

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