"Une dynamique conflictuelle inédite n’est pas à écarter"

Bouteflika a fait de l'Algérie la risée du monde.
Bouteflika a fait de l'Algérie la risée du monde.

Enseignant-chercheur à la Faculté des sciences politiques de l’université d’Alger, ainsi que dans plusieurs universités européennes et américaines, Rachid Tlemçani revient sur la candidature, pour un quatrième mandat, du président Bouteflika à la présidentielle du 17 avril prochain, et fait l’état des lieux de la conjoncture politique algérienne actuelle. Pour l’auteur de Élections et Elites en Algérie, entre autres, un risque conflictuel, voire un dérapage n’est pas exclu.

Notre Afrik : Pourquoi la candidature du président Bouteflika pour un 4e mandat suscite-t-elle autant d’hostilité ?

Rachid Tlemçani : Cette candidature suscite en effet de sérieux problèmes pour la simple raison que l’Algérie aurait pu être un autre pays, si le pouvoir n’avait pas été géré d’une façon tribale et liberticide. Elle aurait pu prendre une autre destinée, compte tenu des prix élevés du pétrole depuis les années 2000 et d’une bonne pluviométrie. Ça n’a pas été le cas. Elle a dépensé, sous les trois précédents quinquennats du président Abdelaziz Bouteflika, plus de 600 milliards de dollars pour des résultats médiocres. Aujourd’hui, elle importe tout, y compris l’équipe nationale du football, une fierté nationale.

Ce qui pose problème pour ce quatrième mandat, c’est la gravité de la maladie du chef de l’Etat. Celui-ci n’a plus les capacités physiques et intellectuelles pour assumer sa fonction. L’Algérie est devenue la risée mondiale. Il s’accroche au pouvoir contre vents et marrées à l’image des Cheikhs arabes du Moyen Orient. Les kleptomanes arabes ne quittent le pouvoir que dans un cercueil ou quand ils sont chassés par la rue.

Le président Nelson Mandela a donné pourtant une grande leçon d’humilité à tous autocrates de notre continent. Il a quitté le pouvoir après avoir exercé un seul mandat. Il avait pourtant un immense capital de sympathie et de support dans son pays et à travers le monde entier. 

En Algérie, pour la première fois de son histoire, une forte opposition contre la tenue d’une élection a vu le jour. C’est aussi la première fois que des Algériens manifestent ouvertement et publiquement contre une parodie électorale. Même si le président Bouteflika souhaite se retirer, il lui serait très difficile de le faire. Il est devenu, d’un certain point de vue, l’otage de groupes de pression, de groupes des affaires qui ont fait main basse sur l’économie du pays.

Le président avait laissé croire en 2013 qu’il allait se retirer. Comment peut-on expliquer son revirement ?

Le président Bouteflika, lors de son discours de mai 2013 à Sétif (Est du pays), avait déclaré haut et fort qu’il était temps de faire passer le flambeau à la jeune génération post-coloniale qui représente plus 70% de la population. Il avait a utilisé l’expression, "tab djenana" (notre époque est révolue). Une forte opinion avait rapidement déduit de ses propos qu’il n’allait pas briguer un 4e mandat. C’est aller vite en besogne ! Ceux qui sont arrivés à cette conclusion ne connaissent pas très bien la nature réelle des éléments constitutifs de la culture traditionnelle, une culture autoritaire et despotique. Une culture politique ancrée dans des archaïsmes ancestraux, qui est répandue dans les pays africains et du Moyen-Orient. Plus grave encore, cette culture est développée même au sein des élites technologiques bardées de diplômes délivrées par des universités les plus prestigieuses du monde. Le mal est très profond.

Cette crise ne découle-t-elle pas de la rupture, sous le règne de Bouteflika, du consensus autour du partage du pouvoir et de la rente pétrolière ?

Pour rappel, l’ensemble des groupes politiques et personnalités avaient accepté, en 2008, la trituration de la Constitution. Les plus récalcitrants s’étaient tus après avoir reçu des rentes de situation, des pactoles. Les "capitaines de l’industrie", censés promouvoir la libre entreprise et la démocratie, s’étaient même empressés, toute honte bue, de faire allégeance à l’autoritarisme oriental, au despotisme à visage musulman.

Le tripatouillage de la constitution a fait disparaitre l’article limitant à deux les mandats présidentiels. La présidence à vie est ainsi ouverte. Cinq ans plus tard, tout le monde était d’accord pour que le président Bouteflika rempile pour un autre mandat. L’argument massue avancé : il avait réussi à faire avorter le «printemps arabe» et dévier la vague des révoltes populaires vers d’autres destinations. Pour ce faire, il avait injecté plus de 20 milliards de dollars dans des augmentations substantiellement des salaires de toutes les catégories professionnelles. Cette masse d’argent a finalement atterri dans les poches des commerçants et péculateurs sans scrupules. Selon le discours officiel, la paix sociale n’a pas de prix. Elle peut même se faire au détriment de la rationalité économique. D’après le slogan en vogue, l’Algérie a connu la stabilité politique (contrairement à ce qui se passe en Tunisie, Libye, Egypte et Syrie) alors que des émeutes, marches, grèves et sit-in sont quotidiens à travers le pays. En réalité, c’est l’immobilisme ambiant qui constitue une déstabilisation sournoise, elle est en train de déchiqueter le tissu social et briser la solidarité nationale.

Et l’armée, dans tout çà, quel est son rôle ?

L’armée est, depuis l’indépendance en 1962, au cœur du pouvoir politique et du monde des affaires. Elle a toujours fait prévaloir la légitimité révolutionnaire, historique, au détriment de la légitimité institutionnelle. Mais, cette légitimité avait brutalement volé en éclats lors des émeutes d’octobre 1988. L’armée avait tenté, durant la "décennie rouge" (1990), de redorer son blason en menant une lutte implacable contre l’islamiste radical et djihadiste. Mais, c’est le Département des renseignements et de la sécurité (DRS), la police politique, qui est sorti de cette épreuve comme l’institution la plus forte de l’Etat sécuritaire. Il est devenu un Etat dans l’Etat. Sa présence est partout dans la vie des Algériens.

Dès son intronisation en 1999, le président Bouteflika voulait, coûte que coûte, s’accaparer de la totalité des pouvoirs : institutionnel et formel. Dans la perspective du quatrième mandat, il a ainsi tenté un coup de force décisif dès son retour de France, après une longue hospitalisation. Il a réussi à restructurer le DRS et à placer ses fidèles à des postes dans ce puissant appareil sécuritaire. Cette réorganisation a fait, évidemment, de nombreux mécontents et victimes. Comme on le sait, le service des moukhabarates dans les régimes autoritaires n’est pas une affaire de structures mais de réseaux.

Comment voyez-vous l’Algérie après 17 avril ?

Il est très difficile de prévoir l’avenir proche. La situation est très volatile. Mais si la protestation électorale fait jonction avec la protestation sociale, une dynamique conflictuelle inédite marquera l’évolution du pays. Comme second cas de figure, un deal comprenant des démocrates, des islamistes et des nationalistes, serait trouvé dans les arcanes du pouvoir. Ce consensus, relevant d’une époque révolue, serait encadré par l’armée. Ce deal ne fera qu’exacerber la profonde crise de légitimité de l’Etat sécuritaire.

Propos recueillis par Mohamed Arezki Himeur, correspondant en Algérie

In Notre Afrik, n° 43, avril 2014

Plus d'articles de : Débats

Commentaires (2) | Réagir ?

avatar
Khalida targui

meme quand il etait basahtou en bone santé, il n'a pas assumé il a coulé le bled et sa brobaganda c'est la mafia sa famille qui l'a fait pour rien laissé walou meme pas l'herbe pour les generations qui vont venir d'ailleurs elles sont deja dingo

avatar
Senatus Consult (Ath Yanni)

Il n'est pas exclu de se retrouver en fin de parcours sur un conflit politico-militaire a l'ivoirienne où les prémices se présente d'une façon identique a celle de la côte d'ivoire.

Qui ne se rappele de ce feuilleton entre le président déçu de Laurent Gbagbo et son premier ministre Alassane Ouattara soutenue par la France.

Cette fois-çi, il faut juste inverser les acteurs et voir l'arrivant, "arriver de loin", aprés avoir goûté au pouvoir et façonné par le systeme.

La quéstion reste posée de savoir ce que ferait Benflis au cas où il verrait qu'il a été grugé aprés avoir crù et promis a toute une masse de l'Est et chaoui a un changement face a un Ouest tranquille qui croit a demi mot au maintien de leur poulin qui les arrangent plus qu'ils ne les dérangent.

Qu'il soit de l'un ou de l'autre, l'Algérie n'est pas prête de voir le bout du tunel. Si bout y aura, c'est les Benbellistes ou les Boumediennistes qui se pavaneront sur le trône.