La campagne présidentielle algérienne réduite à un paquet de promesses

Elu avant le 17 avril, Bouteflika ne pourra faire de discours aux Algériens, comme il n'en fait plus depuis deux ans.
Elu avant le 17 avril, Bouteflika ne pourra faire de discours aux Algériens, comme il n'en fait plus depuis deux ans.

Les citoyens algériens, qu’il faudrait au demeurant arrêter de les considérer comme un bas peuple qui ne comprend rien à ce qui se passe, ne sont pas faciles à manipuler.

Ils savent tout et les résultats des prochaines élections vont étonner plus qu’un. En effet, le taux d’abstention sera record non pas parce que les boycotteurs le demandent mais la plupart des jeunes approchés pensent que quel que soit le candidat, rien ne changera. Les jeunes fonctionnaires voteront par peur d’être démasqués et surtout éviter des ennuis professionnels. C’est inutile de perdre son temps, ils savent bien que Bouteflika, candidat "indépendant" en même temps président en exercice, ne dépense aucun sou de sa poche, sa campagne est entièrement prise en charge sur les dépenses publiques.

A travers les chaînes étrangères paraboliques et les réseaux sociaux, ils se sont rendu compte de l’ampleur de la problématique des candidats en exercices dans le monde et notamment aux Etats-Unis avec Obama, en France avec Sarkozy et en Allemagne avec Merkel. Sellal a démissionné de son poste de premier ministre pour se consacrer à la campagne pendant 22 jours durant lesquels les observateurs lui comptent les dépenses alors que la vraie campagne est terminée depuis près d’un mois. Il a commencé sa visite depuis la dernière rentrée en sillonnant les 48 wilayas. Il a vidé le fond de péréquation pour elles mais aucun centime n’est encore rentré dans les caisses jusqu’à ce que les collectivités locales bénéficiaires rendent compte de leurs résultats après le 17 avril prochain. En ce qui concerne les fonctionnaires, selon des témoignages, leur assiduité dans les meetings est comptée au péril de leur poste de travail. Que dire alors des corps constitués, des jeunes demandeurs d’emploi, des investisseurs dans les dossiers sont en instance, des soumissionnaires des offres publiques, des malades devront être transférés à l’étranger etc. Benyounes, Ghoul agissent en chef de parti, qui dit qu’ils ne sont pas en congé de leur poste officiel et qui les empêcheraient de le faire. Belkhadem et Saidani courent pour le FLN, Bensalah pour le RND. Quant à Ouyahia, il sacrifie ses week-ends. Ils savent aussi que le mode de gouvernance en vigueur depuis l’indépendance n’a ni éthique ni morale lorsqu’il s’agit de sauver l’ordre établi.

C’est aussi surprenant d’apprendre qu’un député vient de claquer la porte de la chambre parlementaire parce qu’il vient de se rendre compte qu’elle roule pour le système. S’était-il interrogé sur la voie qui l’a mené au parlement ? Les tractations avec le parti qu’il représente etc. ? Les Algériens savent aussi que la France et partant l’Union Européenne (UE), les Etats-Unis et la Russie de Poutine soutiennent la candidature de Bouteflika pour éviter de s’aventurer avec un autre qu’ils ne connaissent pas. L’UE en particulier n’enverra pas d’observateurs bien que sollicitée par Bouteflika parce qu’elle lui fait une entière confiance ! Donc les motifs qu’elle a avancés en cette période spécialement sont fallacieux. Ces trois pays, engagés dans la lutte contre le terrorisme islamique, à l’instar de l’Algérie, considèrent le rôle de stabilisateur régional du pays comme stratégique. L’Algérie abrite ainsi à Tamanrasset, une base d’écoutes de la CIA. La Russie, elle, lui a vendu quarante chasseurs Sukhoï Su 30 dernier cri. Et c’est sur ordre de Bouteflika que l’Algérie a fourni les carburants nécessaires aux soldats français de l’opération Serval au Mali. Ce qui expliquerait la longue, même très longue convalescence du président algérien aux Invalides, cet été, après son hospitalisation au Val-de-Grâce. Un séjour précieux pour pouvoir aujourd’hui se présenter à nouveau aux bons soins d’une certification française. Ils savent pertinemment qu’il est malade et il vient de le confirmer lui-même dans sa lettre adressée à ces concitoyens à la veille du lancement de la campagne électorale. Il ne peut ni marcher ni parler normalement donc il ne pourra ni discourir, ni soutenir physiquement ceux qui le font à sa place mais orientent les uns et les autres en fonction des objectifs arrêtés par le système dans son ensemble.

Même élu, Bouteflika ne pourra pas prêter serment, la main sur le Coran, devant les caméras, debout face à un parterre constitué d’invités, algériens et étrangers, et la presse nationale et internationale. Il était inutile aussi de pirater le site Internet du candidat Bouteflika pour demander au peuple de boycotter l’échéance du 17 avril car il n‘écoutera pas. Pourquoi ? Parce que selon toute vraisemblance l’alternative n’est pas à la hauteur. Concrètement, Les mouvements abolitionnistes qui appellent au changement radical, que ramènent-ils en contrepartie ? Ont-ils donné des consignes de vote ? Si le citoyen ne vote pas, c’est toujours Bouteflika qui restera au pouvoir, même pour une période de transition. L’expérience a été tentée dans les années 90 avec les municipalités, les maires sortants ont continués de gérer et après ?

Aucun des candidats qui lui sont concurrents ne dévoilent les grandes lignes d’un programme chiffré, convaincant. Le changement de la période du service national dans sa durée et dans sa forme ou l’augmentation de la bourse des étudiants règlent-ils les difficultés chroniques de la jeunesse qui représente plus de 60% de la population active ? De quelle manière peut-on régler aujourd’hui le problème des disparus ? N’est-il pas suicidaire de s’attaquer sans donner des preuves aux soi disant intérêts occultes des puissances étrangères au moment même où le pays en a grand besoin de ces investisseurs. N’est-il pas phraséologique ? Si le Qatar se permet de chasser sur les marchés gaziers algériens et guette la moindre occasion pour l’y exclure, ce n’est pas qu’il est fort et insolent mais parce que nos dirigeants lui permettent ces brèches. La chaîne wahhabite Iqraa n’arrête pas de verser de l’huile sur le feu dans les événements de Ghardaïa appelant carrément à l’extermination de la communauté ibadhite d’Algérie pendant que nos diplomates se montrent frêles devant les Saoudiens. Lors de sa visite lorsqu’il était en forme, notre président n’a-t-il pas embrassé le roi de ce pays sur son épaule ? Donc on récolte ce qu’on sème. Pourquoi un candidat souhaite-t-il un seul et unique mandat, pas plus ? demande-t-il du temps pour régler ses comptes au détriment des activités économiques ? Comment peut-on promettre en un seul mandat l’aboutissement de la suffisance alimentaire lorsqu’on sait que l’Algérien ne sait plus travailler la terre laquelle terre est devenu un vaste terrain artisanal bétonné ? Comment peut-on aider les jeunes qui ont joué le jeu des micro-crédits et du soutien de l’Etat et qui sont incarcérés pour défaillance de remboursement etc. Ces génériques devront rentrer dans des axes stratégiques comme les moyens techniques pour baisser le chômage, les voies et les moyens pour développer le secteur industriel, de santé, de l’éducation, du tourisme pour ne parler que de ceux là, intéresser les jeunes à l’agriculture pour la redynamiser et limiter ainsi la facture alimentaire, trouver des solution pour la croissance continue des importations. Enfin the last but not the least, quelle est l’alternative aux hydrocarbures qui continuent à eux seuls d’irriguer l’économie nationale.

Les Algériens savent que si tel devait être l’issue de la présidentielle du 17 avril, elle aura été convenue à l’issue d’un bras de fer entre deux clans qui auront fini par s’entendre sur un point et un seul : les uns et les autres gagneraient à s’entendre. Peu importe le contenu du deal tant qu’il s’agit de préserver l’essentiel, le pouvoir et le partage de la rente. Cela expliquerait ce concert de remises à l’ordre dont font l’objet les contestataires ostentatoires. Le système sait sacrifier un des siens lorsqu’il y va de sa survie. Nombreux sont des responsables, qui en leur temps l’avaient appris à leurs dépens, comme bien d’autres un peu plus tard. Que dire alors de ce menu fretin qu’est l’actuel renfort ? Les groupes de contestataires au sein du système même n’ont plus qu’à faire preuve de patience. On leur apportera la tête des zélés sur un plateau, mais pas avant le moment opportun, seulement une fois acquis le quatrième mandat. Ceci est l’enjeu de taille. Maintenant ce que Bouteflika ne sait pas, ou on ne veut pas l’ennuyer dans sa convalescence c’est l’ampleur des dégâts des événements de Ghardaïa , de la grève dans le secteur de l’éducation, celle des cheminot etc. On lui a fait comprendre que pour le moment tout va bien "Madame la marquise" et que sa candidature est fortement sollicitée par l’ensemble de la société civile et de la population.

Même s’il est sur une chaise roulante, son ego ne lui permet pas une humiliation. Il l’a clairement fait savoir lors des trois derniers mandats dont le score était en net croissance : 1999 près de 73,6% pour passer en 2004 à 85% et fini en 2009 à plus de 90%. Cette fois-ci les circonstances sont particulières et inédites dans le monde entier. Outrepasser les règles pour forcer une candidature, cela est possible dans les régimes autocratiques et ils sont nombreux dans le monde. Mais se porter candidat et faire sa campagne électorale par procuration est une situation unique dans l’espace et dans le temps. Il est fort probable que même avec le bourrage des urnes, le score de 2009 reste impossible parce que flagrant. Ceux qui se sont engagés, voire même, peut-être rassurés le président d’un plébiscite commencent à avoir chaud. Ceci explique le comportement de Sellal de demander aux citoyens de Bordj Bou Arreridj de lui remonter le moral.

A moins que tous ces calculs soient à côté de la plaque et l’information en circulation dans les réseaux sociaux et qu’ils considèrent comme une reprise sur le site du Nouvel Observateur soit crédible. En effet, ce prestigieux hebdomadaire cite une source sécuritaire qui aurait évoqué l’existence d’un compromis avec l’armée et Saïd, frère cadet de Bouteflika mais surtout chef du clan présidentiel, pour que son frère puisse mourir à son "bureau", afin que lui soient organisées des funérailles nationales. Comme pour feu Boumediene et Boudiaf, assassiné, en 1992. Malgré l’invraisemblance habituelle de ses propos, le vieux colonel Bencherif en évoquant la gravité de la maladie de son "ami" s’est exprimé dans son état "enfant", or la vérité sort souvent de "leur" bouche. Si tel est le cas où est l’intérêt de l’Algérie dans tout cela ? 

Rabah Reghis, consultant et économiste pétrolier

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Commentaires (5) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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Aksil ilunisen

Certes, les puissances etrangeres ont deja etabli une equation pour l'Algerie avec Bouteflika a la Presidence. Helas! Au lieu d'etre plus avertis et nationalistes, lachement, nos mediocres hauts fonctionnaires de l'Etat ont abdiqué a une telle arnaque.

Le plus grand defi est l'apres Bouteflika!

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