Les eaux pluviales, ressource inestimable, gratuite, mais méprisée en Algérie

Les villes algériennes sont totalement dépourvues d'aménagements nécessaires pour la réception des eaux de pluie et autres.
Les villes algériennes sont totalement dépourvues d'aménagements nécessaires pour la réception des eaux de pluie et autres.

Face aux défis de subvenir aux besoins d’une population en croissance galopante, et d’un développement économique et urbain tout aussi soutenu, des efforts considérables, sous forme d’investissements colossaux ont été déployés ces quinze dernières année en Algérie pour soutenir la relance économique en général, et la politique de diversification des ressources en eau et en particulier leur gestion "intégrée et durable".

Concrètement ceci s’est traduit par la dotation de notre pays de toute une pléthore de ressources aussi diverses et coûteuses, les unes que les autres. Il est certes impressionnant et rassurant de savoir qu’il y à une nette augmentation de l’alimentation en eau potable avoisinant les 95% (1), un taux de raccordement aux réseaux d’assainissement de 87% (2), un nombre de stations d’épuration opérationnelles qui est passé de 6 en 2005 à 145 aujourd’hui, et qui permet désormais la réutilisation des eaux épurées, 84 barrages déjà à disposition, en plus des 12 autres prévus pour 2016 (4). Dix stations de dessalement d’eau de mer déjà en service, et 43 au total qui devront être opérationnelles à l’horizon 2019 (4), ajoutés à cela les transferts des nappes profondes du Sahara – dont l’avenir est déjà compromis malheureusement depuis peu par l’extraction du gaz de schiste- vers les villes des hauts plateaux et vers les villes du Sud. Cependant aucune mesure concernant la conservation et, ou la gestion des eaux de pluie n’a été envisagée par les responsables Algériens en la matière, ni en milieu rural ni en milieu urbain, pourtant celle-ci devrait impérativement passer comme stratégie prioritaire, dans un pays aussi aride et pauvre en ressources hydriques que le nôtre.

Faut-il rappeler aussi que toutes ces réalisations ont été entreprises en parallèle à la mise en place de divers outils de gestion, de planification et d’aide à la décision tel que le «Plan national de l’eau, la révision du cadre législatif et réglementaire pour l’application de la loi sur l’eau de 2005, qui visent à gérer la ressource en eau dans une perspective de «développement durable». Or le principe fondamental d’une gestion intégrée et durable, n’est-il pas d’intégrer justement tous les aspects du cycle de l’eau et de leurs interrelations, et en particulier sa composante principale ; «les eaux pluviales» qui ne sont d’ailleurs mentionnées dans les textes de cette nouvelle loi relative à l’eau, que sommairement à deux ou trois reprises, et ce uniquement lorsqu’il s’agit de s’en débarrasser le plus rapidement possible.

Visiblement il s’agît d’un problème de mentalité et d’attitude, puisque les eaux pluviales et les eaux de ruissellement sont encore considérées en Algérie comme étant une nuisance à éliminer de suite, et non comme une ressource précieuse, relativement propre, qui nous tombe gratuitement du ciel, et qu’on devrait récolter, gérer, exploiter, recycler, et rendre purifiée à la nature, comme le veut la logique d’une gestion véritablement intégrée et durable digne de ce nom. Les méthodes dites «conventionnelles» de drainage des eaux de ruissellement urbaines, et qui consistent en leur évacuation rapide par canalisation -qu’on redimensionne continuellement à coûts exorbitants au gré de l’expansion urbaine-, ne contribuent en fait qu’à transférer le problème d’un endroit à un autre, plutôt que de le résoudre de manière efficace, définitive et durable.

Il est tout de même affligeant de constater que, la société qui gère les eaux du grand Alger continue d’être assistée sous contrats valant des centaines de millions d’Euros, par des entreprises étrangères supposées les conseiller sur les méthodes de gestion environnementales les plus efficaces et les plus durables, utilisent encore des méthodes de gestion totalement dépassées, qui n’ont plus cours chez eux en Europe depuis plus de 25 ans, puisque inefficaces.

La récurrence accrue du phénomène des inondations, souvent catastrophiques depuis quelques années dans nos centres urbains, même dans les régions les plus sèches, témoignent bien de l’inefficacité de ces méthodes dites «conventionnelles» encore en vigueur.

L’intense expansion démographique, économique et par conséquent urbaine, contribue de manière considérable à l’imperméabilisation des sols (Bâtiments, pavements, voiries, trottoirs, et parkings) limitant ainsi l’infiltration naturelle des eaux pluviales -qui d’ordinaire renflouent les nappes phréatiques- en accentuant le ruissellement, ainsi que les risques d’inondations lors de précipitations intenses. Dans les milieux urbains denses et artificialisés, où 80 à 100% du territoire est imperméabilisé, seulement 10% de l’eau s’infiltrent, 30% s’évaporent, et 60% ruissellent. Il est d’ailleurs communément admis que la dégradation des écosystèmes s’amorce à partir de 10% de surface imperméabilisée sur le territoire d’un bassin versant. Cette imperméabilisation n’est pas uniquement responsable du déséquilibre hydrologique local dû au déficit en eau, -qui entraine la disparition de la végétation et de la biodiversité, et qui résulte systématiquement dans l’érosion, la perte des sols et la désertification locale-, mais elle est aussi responsable de l’enrichissement de l’eau en éléments polluants, suite à son ruissellement sur les chaussées polluées par les carburants, les huiles de vidange, les résidus de pneus, et les métaux lourds. Lors de précipitations intenses, ces eaux polluées sont soit déversées directement dans les cours d’eau les plus proches à grand volumes, provoquant inondations et érosion, et étalant la pollution à échelle régionale, soit elles sont expédiées vers les stations d’épuration déjà saturées par les eaux usées, pour être finalement purifiées à coûts élevés.

Dans le contexte d’un développement plus durable, il y a donc lieu de revoir nos façons de développer le territoire de manière à créer des milieux urbains à la fois denses, moins imperméables et plus végétalisés. Il serait d’autant plus nécessaire que les eaux pluviales reprennent leur place inhérente de ressource en eau complémentaire à toutes celles déjà mobilisées, ne serait-ce que pour créer, développer, et entretenir les espaces plantés, parcs, et jardins dont les villes Algériennes manquent cruellement, et d’assainir autant que faire se peut l’air devenu irrespirable de nos zones urbaines.

Pour aller dans ce sens, la ville peut être considérée comme bassin versant, et les eaux de ruissellement comme partie intégrante du potentiel local d’alimentation en eau. Les approches et les stratégies dans ce domaine varient selon les situations, mais le principe de base reste le même ;

Il s’agît donc d’approches qui consistent pour la plupart à concevoir une nouvelle infrastructure indépendante du réseau d’eaux usées, spécifiquement pour les eaux pluviales, à moindre impact négatif sur l’environnement du territoire à aménager. Elle peut être réalisée en adoptant toute une série de procédures qui permettent de comprendre et de reproduire le comportement hydrologique précédant l’urbanisation. Dans ce contexte l’utilisation de paysages fonctionnels apparait comme un élément pratique dans le tissu urbain. Cette nouvelle infrastructure permettrait donc, à la fois le recouvrement des fonctions originelles de ces paysages à travers la mise en œuvre de stratégies d’aménagements visant à rétablir la perméabilisation, le ralentissement de l’écoulement, la réduction de la quantité d’eau de ruissellement produite et sa charge polluante, et constituent au même temps un facteur majeur de maîtrise du risque d’inondation, et de préservation des ressources en eau, et des milieux aquatiques.

Ces stratégies d’aménagement s’appliquent à plusieurs échelles du bassin versant et sont regroupées en trois catégories de mesures ou aménagements de contrôle, et de gestion;

1. Contrôle à la source: Ce sont des mesures qui s’appliquent à l’endroit où sont captées les eaux de ruissellement, et concernent le les terrains résidentiels, institutionnels, commerciaux et industriels. Certains aménagements sont conçus de façon à ce que les eaux de ruissellement franchissent 2 ou 3 mesures de traitement, ce qui permet plusieurs étapes de filtration des polluants, tout en réduisant la vitesse d’écoulement, contribuant dès lors à diminuer l’érosion et à maximaliser l’infiltration. Ils comportent les bandes filtrantes, les jardins de pluie ou des aires de bio-rétention, les citernes et bassins pour la réutilisation de l’eau, les puisards ou puits absorbants, les toitures végétalisées, et les pavages perméables.

2. Contrôle en réseau : ce sont les mesures qui s’appliquent au niveau de la trame de rue, ou à l’échelle du quartier en réseau d’assainissement purement destiné aux eaux pluviales, où celles-ci sont acheminées vers des noues (tranchées d’infiltration végétalisée linéaires), ou fossés de drainage, et bassins de rétention/’infiltration, situés dans les espace verts, parcs et jardins avoisinants.

3. Contrôle en aval : concerne les mesures qui s’appliquent en aval du secteur urbanisé, et où les eaux de ruissellement que les mesures de contrôle à la source ne parviennent pas à traiter et à infiltrer, ces eaux sont donc évacuées du quartier vers les installations réceptrices en aval, tel que les bassins de rétention secs, ou en eau, et les marais de filtration ou de lagunage, qui représentent de valeureux espaces paysagers et écologiques aussi bien pour la vie de citadins, que pour la biodiversité locale.

Pour qu’une approche de mise en œuvre d’un système d’assainissement d’eaux pluviales durable, soit véritablement intégrée, elle se doit d’être participative, impliquant aussi bien les initiateurs et concepteurs du projet, que les services municipaux compétents, et les usagers. Son succès dépend de la coopération entre tous les participants, parmi lesquels se répartissent les responsabilités, avec en premier lieu l’état, qui établit et fait respecter la réglementation en matière de gestion de l’eau, d’aménagement, de préservation de la qualité des milieux, et de prévention et de protection contre les inondations et la pollution.

Dès les étapes de planification, les élus et les services techniques des municipalités se doivent d’intégrer la gestion des eaux pluviales dans les stratégies de développement économique et d’aménagement du territoire. Ils se doivent aussi en fonction de de l’urbanisation actuelle et future de fixer les grandes orientations pour l’assainissement (eaux usées et eaux pluviales), et notamment de se donner la possibilité d’imposer des contraintes liées à la gestion des eaux pluviales pour l’urbanisation et les aménagements futurs, en s’appuyant non seulement sur les nombreux outils tel que le plan local d’urbanisme, le schémas d’assainissement, et autres, mais aussi sur une analyse hydrologique s’inscrivant dans une approche territoriales plus large afin de resituer l’opération dans son bassin versant et d’intégrer les relations amont/aval. Dès la conception du projet, les usagers ainsi que les établissements scolaires doivent être informés des règles de bonne pratique, et de préservation de l’intégrité des aménagements.

En fin pour la gestion quotidienne des aménagements, les usagers au sens large sont des acteurs essentiels ; les particuliers sont responsables des ouvrages implantés sur leurs parcelles, et les services techniques en charge de la voirie, de l’entretien des espaces verts ou de l’assainissement, pour les ouvrages publics.

La gestion des eaux pluviales ne concerne pas uniquement le milieu urbain, elle est d’une importance capital en milieu rural, et notamment dans une perspective de production agricole et horticole qui se voudraient durables et en harmonie avec la nature. Les stratégies et techniques de gestion utilisée en milieu urbain, ont pour la plupart été inspirées ou directement adoptées des techniques ancestrale de production agricole dans les zones arides et semi-aride de par le monde. Le principe de base étant le même, et consiste essentiellement à capter les eaux pluviales et de ruissellement, à les stocker en en grande partie dans le substrat des parcelles de production, ou en surface dans des bassins ou des retenues collinaires pour l’irrigation des cultures en périodes sèches.

Un système de noues (tranchées d’infiltration linéaires allant de quelque mètres à quelques centaines de mètres, larges de 1 à 3m, et profondes de 40 à 70cms, creusées le suivant une courbe de niveau, sans pente donc, avec le déblais excavé, tassé en forme diguette sur le bas-côté de la pente afin de retenir les eaux de ruissellement et de leur permettre de s’infiltrer lentement dans le sol sur toute la longueur de la noue) judicieusement disposés les unes après les autre et espacées entre elles à des intervalles allant de 4 à 12 m, elles permettent de capter et de faire infiltrer la quasi-totalité du ruissellement annuel d’une parcelle données, et de la stocker entièrement dans substrat, à l’abri de l’évaporation, agissant comme un éponge souterraine géante, elle est directement disponible aux systèmes racinaires des cultures, et permettent ainsi de réduire le recours à l’irrigation de 70 à 90%, même dans les dans zone semi-arides. Ce concept est souvent appliqué dans le domaine de réhabilitation des paysages endommagés, dans le lutte contre l’érosion, dans la lutte contre la désertification, et serait une solution beaucoup plus efficace dans la réalisation du "Barrage Vert" que les méthodes aléatoires employées depuis sa conception. Cette méthode de gestion des eaux de ruissellement permet à la végétation native de régénérer par succession naturelle beaucoup plus rapidement et avec une main d’œuvre et un entretien beaucoup plus réduit qu’avec les essences non natives. Les plantes natives résistant mieux aux parasites et autre pestes, et peuvent dans ce cadre se développer et prospérer même dans des conditions les plus hostiles du tracé du Barrage Vert le long de l’Atlas Saharien.

En dehors des milieux urbains et ruraux, un exemple de solution pratiques que la gestion des eaux pluviales aurait pu offrir avec grand succès et efficacité en Algérie, c’est au niveau de l’Autoroute Est/Ouest, et plus précisément dans la conception des aires de repos et des stations-services ; Ainsi ces installations autoroutières auraient pu être situées de manière à recevoir des volumes importants d’eau de ruissellement, qu’on aurait traité dans chaque station par lagunage ou jardins d’eau, dans un cadre paysager verdoyant et agréable pour la détente des voyageurs, l’eau purifiée aurait alimenté tous les équipements des stations-services (Toilettes, voire même le lavage autos), l’eau provenant des toitures des bâtiment, relativement propre aurait pu être utilisée pour les douches, et même rendue potable avec un minimum de purification très simple, le tout actionné par des pompes fonctionnant à l’énergie solaire. Ceci aurait certainement fait faire des économies considérables rien qu’en matière de d’alimentation et de consommation d’eau.

Face à la problématique de l’eau très complexe et les problèmes systémique que connait l’Algérie aujourd’hui, il me semble plus approprié de tirer ma conclusion en posant la question suivante : "Combien de temps va-t-on encore attendre avant de prendre sérieusement en compte cette ressource inestimable et gratuite, et l’intégrer pleinement dans le dessein national de gestion durable des ressources en eau ?"-

Dans la pratique, pour qu’une telle intégration puisse devenir effective, elle doit d’abord se faire par une révision des textes de loi actuels, et par la consolidation du cadre institutionnel, réglementaire et juridique. Ceci étant dit, il est vraisemblable que le chemin vers une possible intégration de cette ressource, passera par un changement de mentalités et d’attitudes, qui ne pourrait d’ailleurs s’opérer que par l’instruction et la formation de nos responsables politiques, nos cadres, et nos jeunes en matière d’approches et de gestion intégrée, et de travail multi- et pluridisciplinaires, pour enfin pouvoir prétendre adresser et résoudre les problèmes environnementaux complexes et nombreux de manière efficace et durable.

Pour ce faire il serait judicieux de commencer modestement par encourager une coopération plus étroite entre les ministères de tutelle (Eau, environnement, urbanisme, intérieur, et agriculture, travaux publics) et les institutions concernés, les universités et instituts de recherches, ainsi que les industrie, car cette discipline encore méconnue en Algérie représenterait à elle seule tout un nouveau secteur d’activités très dynamique, offrant d’énormes perspectives d’emploi durables aussi bien directs qu’indirects touchant plusieurs autres secteurs, ce qui stimulerait d’avantage l’activité économique et le développement des métiers de l’environnement, améliorant de la sorte le cadre de vie des citoyens, tout en préservant l’environnement et les ressources en eau.

M A. Chabou

Architecte paysagiste, consultant dans le développement durable, et spécialiste des questions de l’eau, exerçant aux Pays-Bas

Renvois

(1) M. Terra, Directeur de l’alimentation en eau potable du ministère des ressources en eau ; El Djazair.com, Mars 2014 ; http://www.eldjazaircom.dz/index.php?id_rubrique=292&id_article=3528

(2) Les schémas nationaux pour l’assainissement, publié sur le site de la délégation de l’Union Européenne en Algérie. http://eeas.europa.eu/delegations/algeria/press_corner/all_news/news/2014/06022014_fr.htm

(3) Article « 200 stations d’épuration à l’horizon 2015 » paru sur l’écho news 30-01-2013 http://www.leconews.com/fr/200-stations-d-epuration-a-l-horizon-2015-30-01-2013-161939_262.php

(4) L’Eau en Algérie, Université Mentouri Constantine, http://www.umc.edu.dz/vf/index.php/actualites-et-informations/theme-de-la-semaine/980-leau-en-algerie

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