Meziane Azaïche, patron du Cabaret sauvage, à cœur ouvert

Meziane Azaïche.
Meziane Azaïche.

Ce mercredi 19 mars, une date on ne peut plus évocatrice, Barbès café, un spectacle musical qui fait revivre l’histoire de l’émigration algérienne qui a germé dans la tête de notre interlocuteur, l’«électrique», Meziane Azaïche, revient sur la scène du Cabaret sauvage, dans le parc de la Villette, pour une dizaine de jours. Sans doute les derniers, si l’on en croit la très nostalgique affiche qui l’annonce. Meziane Azaïche, directeur du Cabaret sauvage poursuit son entretien avec le matin.

A cette occasion, nous avions commencé à donner la parole au fondateur et propriétaire des lieux qui est aussi le créateur de cet envoûtant spectacle, la semaine dernière. A la veille du dernier round, nous vous proposons la suite des savoureuses conversations que nous avons eues avec lui.

Le Matindz : Peut-on qualifier cette époque de ta période hippie ?

Meziane Azaïche : Si tu veux, mais moi, je dis plutôt que j’étais quelqu’un qui était à la recherche d’expériences constructives, d’un idéal que je n’avais pas trouvé dans mon pays d’origine. Je cherchais un chemin qui aurait été à même de me mener vers le monde.

Le matindz : Dans les années soixante-dix, les gens de ton âge, du mien donc, rêvaient bien de partir. Sans doute pas de la même manière, pas pour les mêmes raisons que les jeunes d’aujourd’hui…

M. A : Moi mon rêve, à l’époque, était de me sauver, en fait. Je me rappelle avoir rencontré, il y a quelques années, ici, au cabaret sauvage, madame Boumédienne qui m’a avoué être admirative pour tout ce que j’y accomplissais. Elle m’a dit «mais comment vous êtes arrivé à tout cela» ? Je lui répondu "c’est un peu grâce à votre mari, madame, que j’en suis là, sans lui je ne serais peut-être jamais parti d’Algérie." On se sentait si mal en tant que jeunes qu’on quittait le pays, à l’époque, à la moindre porte qui s’ouvrait, on partait, sans aucune hésitation, sans aucun calcul, n’importe où. Avec, à peine 350 Dinars de pécule !

Le Matindz : Tu parlais du service militaire que tu as passé dans des conditions extrêmement difficile puisqu’il s’est déroulé au cours de la période 1975-77, où nous étions à deux doigts de la guerre avec le Maroc. Tu l’as vécu dans les tranchées et les casemates. Tu as trouvé le sort qu’on t’y avait réservé juste ou plutôt injuste ?

M.A : Je trouvais qu’il y avait des choses justes et d’autres injustes. Je m’explique : Défendre, par exemple le peuple sahraoui, je trouvais que c’était très juste d’autant qu’il me semblait que le Maroc s’est montré, sur le coup, très opportuniste. Un caractère que je déteste particulièrement. Les sahraouis se battaient depuis des années, avaient fait tout un travail politique pour récupérer leurs terres. Le jour où ils ont obtenu gain de cause, le Maroc, qui n’avait jamais revendiqué ce territoire ou du moins qui ne s’était jamais battu pour l’avoir, se pointe pour spolier les sahraouis de leur victoire. Je trouvais cela injuste. Par contre, le contexte de guerre en lui-même, je l’ai trouvé profondément injuste. Souviens-toi des conditions dans lesquelles nous vivions, puisque tu y étais toi-même. La faim, le froid, la saleté, l’isolement, la chaleur…Quand tu écoutais la radio algérienne, elle te disait «cette guerre-là, n’existe pas…» Alors que toi tu es sur le front et que tu sais qu’à n’importe quel moment, tu peux te prendre une balle. On vivait dans le mensonge le plus complet.

Nous, nous étions très maltraités, alors que nous n’étions que des appelés du contingent. Nous n’étions même pas reconnus. On ne disait à personne que nous étions à la guerre. J’ai portant des amis qui y ont laissé leurs vies. Leurs parents n’ont même pas pu voir leurs visages une dernière fois. On leur a amené leurs gosses dans des cercueils plombés et on leur a dit qu’ils avaient été victimes d’accidents de voiture…

Le Matindz : Revenons à toi, Meziane, tu arrives en France où tu vis et travaille très peu de temps avec ton oncle, ça se termine mal. Cela s’est passé, il y a un peu plus de trente ans. Par quels sentiers es-tu passé pour en arriver au « cabaret sauvage » ?

M.A : Franchement, je n’ai jamais trop galéré. J’ai toujours fait ce que je désirais faire. Dès le début, je savais et j’étais décider à créer, un jour ou l’autre, un lieu où il devait y avoir de l’énergie, un lieu d’échanges et la première chose positive que j’ai réalisée et qui constitué la première étape sur le chemin d’aujourd’hui, c’était l’achat, pour une misère, moins de 5000 euros d’aujourd’hui aux enchères, d’un bistrot, dans le XXe arrondissement de Paris. Un des bistrots qui a très vite été fréquenté par des nuées d’artistes français et même du monde entier, attirés, il faut le dire, par l’esprit d’une association que j’avais fondée avec des amis du 13e, et qui lui servait de socle. Avec cette association que l’on avait dénommée «culture au quotidien», que je codirigeais, avec Ramon, un ami, aujourd’hui décédé, nous étions parvenus à créer 40 cafés culturels dans Paris ! Nous arrivions, certains jours à avoir 140 artistes programmés dans ces lieux. Difficile à croire vu d’ici ! Nous l’avons, pourtant fait avec «culture au quotidien». Il faut savoir qu’on arrivait, alors à rémunérer notre centaine d’artistes à chacun de leur passage. Ça se passait en 1982 ! C’était tout simplement prodigieux. Il faut dire que nous avions été bien aidés par Jacques Lang qui nous a alloué une subvention annuelle avec la contrepartie, toujours assumée d’animer certains quartiers de Paris dont la butte aux cailles, par exemple. Cet argent nous a essentiellement servi à insonoriser les Bar dans lesquels on recevait nos artistes, dont certains sont, d’ailleurs devenus des stars par la suite. Tu vois, j’ai, donc, toujours été dans cette mouvance vouée à l’échange, au plaisir partagé.

Le Matindz : Lorsque je t’écoute, je me dis que finalement les histoires qui circulent sur la genèse du « cabaret sauvage » relèvent de la légende. Il se dit, en effet, que le cabaret appartiendrait à un vieux retraité kabyle qui a gagné deux fois de suite au loto et qui t’a chargé de trouver une idée de placement. Tu aurais opté pour le cabaret, il en serait le vrai propriétaire et toi l’animateur.

M.A : C’est de la mythomanie mais ça mérite tout de même une explication. En fait, l’idée du cabaret sauvage a incubé longtemps, elle est venue tout doucement. Quelques années avant de le créer, je m’étais lancé dans un pari insensé : Racheter, un restaurant très réputé, le Zéphir, un deux étoiles du 20ème, où le menu de base démarrait à 450Frs et où le seul changement de garniture te revenait à 60Frs, racheter ce temple de la gastronomie, donc, pour le transformer en gargote culturelle qui bientôt a fait le plein et ameuté quelques artistes parmi les plus brillants tels que Higelin ou Arthur H. C’est avec ce dernier que l’idée d’un spectacle sous chapiteau est née. Pendant six, je l’ai produit dans un chapiteau de la Villette, où je me suis occupé de tout. C’est à ce moment-là que j’ai compris que c’était cela que je voulais faire. A l’issue de ses six mois de spectacle, Arthur a décidé de faire une pause de deux ans. C’est que j’ai décidé de créer le cabaret, après avoir repris ses musiciens.

Arezki, le mythique retraité existe. C’était quelqu’un qui travaillait chez moi au Zéphir comme plongeur. Dès le démarrage du cabaret, Avec les Bachibouzouks, les musiciens d’Arthur que j’ai récupérés, on a joué quatre mois à guichets fermés, un spectacle qui s’appelait… Le Cabaret sauvage, c’est le spectacle qui s’intitulait ainsi, pas la salle. Nous n’avons arrêté que sur injonction de la préfecture de police, qui trouvait nos sketchs trop virulents à l’égard de Pasqua. C’est d’ailleurs le même Charles Pasqua qui a bousillé mon association en fermant, par exemple 33 des quarante bistrots que nous gérions à Paris. C’est à ce moment-là, que j’ai pris la décision de créer ma propre structure en rachetant le «cabaret sauvage» et le construisant en dur. J’avais alors signé un contrat avec la direction du parc de la villette qui courait sur six mois. ils ont mis de l’argent avec moi, et nous avons démarré sur un engagement commun. Au bout d’un moment, un nouveau directeur est arrivé qui a remis en cause tous ces engagements. J’avais alors investi toutes mes économies dans la construction de cette salle que je voulais appeler "les nomades rageurs". J’allais me retrouver sur la paille. le jour où j’ai appris la reculade du parc de la Villette, voilà qu’apparait Arezki, mon plongeur !

Il m’apprend qu’il a gagné au loto. Dans un premier temps la française des jeux a essayé de nous embrouiller. Après vérifications je m’aperçois qu’Arezki a gagné dix fois plus que ce qu’il croyait.

Je l’aide à récupérer son argent, je lui ouvre un compte bancaire. Je ne connaissais absolument pas ses intentions. Quelques jours plus tard, ayant appris mes tracas avec le parc, il est venu me voir pour me proposer de s’associer avec moi. J’accepte et il rentre dans ma structure à hauteur de 50%. Pas plus. Au bout de sept ans, j’ai racheté ses parts, non sans lui avoir auparavant proposé de lui vendre les miennes, ce qui ne l’intéressait pas. Voilà pour la légende du loto.

Le Matindz : Comment passe-t-on de hippie, d’aventurier à entrepreneur ?

M.A : Franchement, je n’y ai jamais pensé. Il faut peut-être aller chercher la réponse du côté de la relation que j’avais avec mon père. J’ai de, tout temps rêvé de travailler dans le culturel mais j’ai aussi, toujours, aimé le commerce. Je n’aime pas l’argent. C’est ce qu’on peut faire avec qui m’intéresse. La question de la dignité n’est jamais trop loin de ce genre de questionnement… Regarde toutes ces affiches autour de toi, tous ces noms sont ceux des personnes qui vont se produire au cabaret sauvage. C’est ce que j’appelle l’échange. Sans argent, sans risques, tu ne peux pas les ramener. Je ne sais pas faire l’argent pour le seul argent comme je ne sais pas faire de la culture sans argent. Si tu vas dans le mur, il n’y a personne pour venir te ramasser. Jamais !

Le Matindz : comment devient-on ce que tu es sans avoir trop été à l’école,

M.A : Je te l’ai déjà dit, il faut aller sur la tombe de Jim Morrison, s’ouvrir et se frotter au monde. Plus sérieusement, il faut s’armer de fierté, de principes et ne jamais renoncer. Je te raconte une anecdote : Un jour, je me suis engueulé avec mon père, j’ai pris mon barda et je suis parti de chez lui, à Paris. Quelque temps plus tard, un jour de grand froid, je passais boulevard Ménilmontant et je l’aperçois, assis sur un banc. Je passe en le rasant et en faisant mine de ne pas l’avoir vu. Lui aussi faisait de même, arrivé à son niveau, il a fait semblant de faire tomber un billet de 500Frs. Je l’ai ramassé et je suis retourné le voir en lui tendant le billet : «Attention, papa, tu as fait tomber de l’argent !» Il se lève, furieux en m’insultant et en me rétorquant : «Tu m’as déjà vu faire tomber un billet ?» Nous sommes restés fâchés bien longtemps…

Le Matindz : Tu es toi-même papa, à présent, comment gères tu t’es conflits avec eux ?

M.A : Je suis rarement en désaccord avec eux mais quand cela arrive ça me plonge dans la mélancolie parce que ça me renvoie à ma propre enfance et aux désaccords que j’ai pu avoir avec mon paternel et je me dis que je suis, peut-être, en train de reproduire l’entêtement que je reprochais à mon père. A chaque fois, ça me met mal à l’aise à un point incroyable. Du fait que je sois né là-bas et eux ici, je pense qu’il y a tout de même une fracture. Une fracture considérable même parce que déjà, je n’arrive pas à leur faire passer toutes les valeurs de mon enfance. Prenons par exemple la plus jeune de mes cinq enfants. C’était celle qui communiquait le moins avec moi. J’étais torturé de ne pas être compris d’elle. Il a fallu Barbès café, spectacle sur lequel je l’ai faite travailler à la médiation culturelle. Travail dans lequel elle s’est investie à fond en allant dans les foyers, à la rencontre des anciens, en se documentant, en écoutant des heures et des heures de musique algérienne, en relisant la presse de l’époque etc… Pour qu’elle comprenne enfin d’où je venais et qu’elle se rapproche de moi. Il restera, malgré tout, énormément de choses que nous ne pourrons jamais leur faire partager même quand on la chance comme moi, d’avoir un aîné comme Christopher qui a tenu à célébrer son mariage en Algérie, qui a tenu à aller sur la tombe de sa grand-mère lorsqu’elle est décédée au pays et qui tient à aller présenter son enfants à sa famille de là-bas, en dépit du fait qu’il soit moitié breton !

Le Matindz : Voilà une transition qui nous ramène tout droit au spectacle dont tu as eu l’idée, que tu as conçu et que tu as co-écrit avec Naima Yahi: Barbès café. Quelle mouche t’a piqué pour quitter ton bureau de gestionnaire et endosser le costume de concepteur et de directeur artistique ?

M.A : Avec "culture au quotidien", je faisais exactement ce que je fais avec Barbès café mais avec une autre culture. Tu le disais toi-même, plus on vieillit, plus on a besoin de nos racines. Plus on vieillit, plus l’Algérie nous bouffe le cerveau. Je suis certes gestionnaire mais j’ai toujours gardé un pied dans la création. Il ne faut pas oublier que j’ai fait les «folles nuits berbères» pendant huit ans, et chaque année, c’était un gros défi. Il en a été de même pour les nomades rageurs, spectacle qui brassait des tas de cultures du monde. Je suis et resterai dans la création même si je ne me suis jamais prétendu ou proclamé artiste.

Le Matindz : Tu ne fais pas de la création engagée. Serais tu partisan de l’art pour l’art

M.A : Moi je suis un conteur. Je suis là pour raconter le quotidien des gens à un moment donné de l’histoire, je suis là pour faire des clins d’oeuils au futur, c’est comme cela, à mon sens, que peut se manifester la position politique d’un Homme. Ce sont les situations de la vie qui sont importantes, ce ne sont pas ma vie et la tienne. Ce qui compte pour moi, c’est l’intérêt général. Barbès café est un exercice de mémoire et la mémoire, c’est bien l’intérêt général… Nous sommes de grands ingrats. Pourquoi je mets en scène nos anciens chanteurs ? C’est un peu pour dire que sans eux rien de ce que nous écoutons aujourd’hui n’existerait. Tiens sans eux, est ce que je serais là à diriger le Cabaret sauvage ? Est-ce que d’autres triompheraient sur les scènes des Zénith ou de l’Olympia ? Rien de moins sûr ! Ces vieux que je mets en scène dans Barbès café, je trouve que même la France devrait revendiquer leur travail comme partie prenante de son patrimoine. Ces anciens étaient algériens et français ! Personne n’a le droit de les oublier. Barbès café est une ode à l’émigration algérienne, pluriculturelle et multiculturelle. C’est une ode à l’harmonie dans laquelle ceux qui nous ont précédés dans l’immigration ont vécu. Prochaine étape, je prépare un grand spectacle de cabaret qui racontera l’histoire des nombreux cabarets orientaux, essentiellement algériens, qui ont joué un vrai rôle dans la chanson mais aussi dans le mouvement national et la guerre d’Algérie. La mémoire, toujours la mémoire…

Entretien réalisé par Meziane Ourad

Barbès café

Du 19 03 2014 AU 29 03 2014

Cabaret sauvage Parc de la Villette

TEL : 0142090309

Mail : www.cabaretsauvage.com

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