Algérie : les nouveaux profs de "journalisme responsable"

Algérie : les nouveaux profs de "journalisme responsable"

On est sorti de ce 3 mai 2008, plus érudits et avec la conscience apaisée grâce à nos anciens bourreaux devenus nos nouveaux professeurs de journalisme !
Bouteflika, Belkhadem, Boukerzaza, Djiar : nos dirigeants décidément aussi gonflés que les bibendums, s’y sont tous mis à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse pour nous enseigner le « journalisme professionnel et responsable ».
Avec ses airs doctes, ses leçons de morale et sa pudibonderie assassine, ses cours de « responsabilité » assénés sur un ton ridiculement doctoral, absurdement emphatique, à la « presse adolescente » qui n’a rien compris au métier, cette confrérie de Ponce Pilate non contente d’avoir fait des journaux algériens des éléments de décor de sa démocratie de façade, veut, en plus, en être le tuteur et le gardien de la morale..
Cela commence par le président de la République qui écrit dans son message « Après l’ouverture du champ médiatique et la consécration de la liberté de la presse, la mission de la presse algérienne doit être orientée aujourd’hui vers la professionnalisation. » Merci M. le président ! Mais de quelle ouverture du champ médiatique parlez-vous avec une télé unique et des radios uniques, avec une agence de presse dont vous vous dites le rédacteur en chef ? Et de quelle consécration de la liberté de la presse faites-vous état ? Celle au nom de laquelle vous avez emprisonné neuf journalistes et suspendu trois journaux dont Le Matin ?
Le relais est ensuite brillamment pris par son chef du Gouvernement qui clame que « comparativement à d’autres pays, la presse algérienne jouit d’une grande marge de liberté d’opinion et d’expression » et que « l’’édification nationale en Algérie a besoin, en permanence, de plumes sincères et responsables qui estiment que le journalisme est une profession et une responsabilité.» Belkhadem, à l'hôtel Hilton, parlait à un auditoire complaisant dans un séminaire organisé, hélas, par des organisations censées défendre la presse algérienne. Qu’avaient donc à faire un membre d’un gouvernement liberticide et des personnages symbolisant la répression dans un forum qui traitait de liberté de la presse ? Il était clair que la rencontre devait servir de tribune au gouvernement algérien pour faire passer sa nouvelle image. Et dire que le représentant de la FIJ à Alger m’a proposé d’y prendre part. Outre l’affront de me faire asseoir avec les représentants de mes bourreaux, on m’obligeait à m’associer à leur subterfuge !

Il est vrai, cela dit, que nous n’avons jamais manqué d’éminents professeurs en journalisme convivial. La tentation de soigner la presse algérienne de ses dévergondages est aussi vieille que la tentation de plaire aux souverains.
Notre éducation commença, en effet, avec Saïd Sadi et sa « Lettre à mes amis de la presse » qui reste le modèle de la bonne intention chafouine dans un univers de truands. C’était du temps où le RCD apportait sa dot à la cohabitation avec Bouteflika. Avec le temps, le leader du RCD a pu mesurer à quel point les dévergondages ont sauvé ce qui restait d'honneur et que c'était bien sur cette presse libertine et adolescente qu’a pu reposer quelque espoir de ressusciter de ses égarements.
Mais la leçon numéro une a été apprise : le « journalisme professionnel et responsable », se mesure à la tranquillité qu'il procure à ceux qui le pratiquent. Leçon numéro deux : le journalisme professionnel s'apprécie au nombre de pages de publicité offertes par le clan présidentiel et au nombre de voyages effectués dans les bagages du chef de l'Etat ! Avec ces deux préceptes fondamentaux, dont on devine qu'ils sont des solides garanties pour l'exercice indépendant et « éthique » du métier, vous êtes blindés pour le restant de votre carrière. Il suffit de suivre le prospectus de la presse convertie au jésuitisme, à la tartuferie et aux élégances de la hâblerie. La presse algérienne diffame ? Mais bien sûr, messieurs, bien sûr ! On parle bien sûr de l'autre presse, pas celle qui voyage avec le président, mais l'autre, celle qui paie ses factures d'imprimerie, l'autre qui se fait suspendre, et jeter en prison, ces gazettes à ce point ignares du journalisme professionnel qu'ils se font harceler par le fisc, harceler par les imprimeries, harceler par les policiers, les magistrats, les flics de Zerhouni, puis maintenant par leurs gouvernants érudits en déontologie et indignés par tant d'impiété envers les religions bouteflikiennes ! La presse algérienne diffame ? Mais voyons, comment désigner autrement ces révélations sur les grands chambellans tortionnaires et les gros cardinaux milliardaires qui mettent si mal à l'aise à l'heure du toast avec le chambellan et à l'heure bénite où le cardinal devient « source autorisée » ?

Car on l'a bien compris : par diffamation condamnable, on entend celle qui vise les gens du pouvoir, pas celle qui accable les quidams d'en bas. Quand on traite les enseignants grévistes de « rentiers aventuriers », c'est de la clairvoyance assumée. Quand on évoque la torture subie par un adolescent de Tiaret ou de Chlef dans une caserne de gendarmerie, cela devient de la diffamation. Alors va pour les enseignants ! Il faut bien se faire les dents sur une proie facile si l’on veut afficher quelque virilité devant sa descendance.
Voilà pourquoi on est sorti de ce 3 mai 2008, plus érudits et avec la conscience apaisée : Beliardouh, en fin de compte, n'était qu'un vulgaire diffamateur accablant la mafia locale, Hafnaoui et Bachir Larabi méritaient bien leurs jours de prison qui croyaient s'attaquer aux notables d'El Bayadh et de Djelfa au mépris de l’éthique et de la déontologie !
Quel bonheur d’être dirigés par de si brillants érudits en journalisme !

Mohamed Benchicou

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Commentaires (9) | Réagir ?

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Ghanima

La liberté d'expression est un moyen et une arme trés puissante pour pourfendre et confondre les imposteurs et les magouilleurs. Si vous vous rappelez bien, meme la célèbre juge d'origine Norvégienne Eva Jolie, avait appuyé le fait que la liberté de la presse et la liberté d'expression ont beaucoup aidé à lever des affaires de corruption économique lors de sa visite en Algérie. Laissez-donc les journalistes faire leur boulot et tenez-vous en au votre Messieurs Les Responsables! Ne cherchez pas à en imposer ni à vous dérober derriére les apparences de Saintes-Nitouches et l'acharnement contre les Journalistes !

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houari meskine

je demande à monsieur Benchicou de faire une enquête sur les généraux qui détiennent le vrai pouvoir en Algerie.

on entend parler de clans de généraux, qui sont ils et qui sont leurs alliés parmi les journalistes.

faite le monsieur Benchicou vous n'avez rien à perdre.

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