La nationalisation des hydrocarbures 43 ans après : quel bilan ? (1re partie)

L'histoire retiendra les scandales financiers et que le couple Bouteflika-Khelil a failli liquider Sonatrach au profit de groupes internationaux.
L'histoire retiendra les scandales financiers et que le couple Bouteflika-Khelil a failli liquider Sonatrach au profit de groupes internationaux.

Cette double commémoration est célébrée chaque année voilà plus de 43 ans mais dès qu’un brouillard apparaît dans la conduite stratégique de la politique énergique, on ne rate pas l’occasion de le mettre sur le dos de ce processus qui a demandé d’abord une vigilance puis une mobilisation et enfin un énorme sacrifice des travailleurs.

Si le feu président Boumediene a choisi cette date pour annoncer la nationalisation des hydrocarbures en 1971, c’est qu’il comptait réussir son entreprise avec les cadres et les ouvriers du secteur. C’est ainsi que depuis pratiquement le début des années 80, de nombreuses voix, fortement affectées par l’actualité, tentent en vain d’imputer l‘échec d’asseoir une Politique pétrolière et gazière en Algérie à la nationalisation qu’ils qualifient d’hâtive, émotionnelle et coïncide avec la montée du nationalisme dans les pays pétroliers sans tenir compte de son impacte économique sur leur développement. Cette manière d’analyser un événement passé en s’appuyant sur les données du présent a conduit au dérapage qu’on connaît. Une restructuration organique et financière de Sonatrach en tant qu’instrument de l’Etat au nom du gigantisme pour le regretter amèrement quelques années plus tard. Sa coïncidence avec la commémoration de la date de création de l’UGTA se justifie amplement car sans le mouvement et la volonté ouvrière, ce processus n’aurait pas réussi. Plus tard, sur proposition du feu Abdelhak Benhamouda au ministre de l’énergie actuellement en exercice et validé par le Président Zeroual, on a donné à Sonatrach un statut de grand groupe pétrolier pour rassembler autour de lui les société ainsi déstructurées afin d’en faire de plus compétitives et redresser les erreurs du passé. Cette équipe, pour protéger ce groupe des convoitises, elle le verrouille pour rendre son unique action inaliénable, insaisissable et incessible par décret présidentiel 98-48 du 11 février 1998.Chakib Khelil est venu plus tard pervertir les objectifs de ce décret pour tenter de déverrouiller le groupe et ouvrir son capital aux entreprise de Dick Cheyney si ce n’est encore une fois une très forte contestation populaire pour contraindre les pouvoirs publics de revenir sur leur décision. Ramener donc la nationalisation à son contexte historique contribuerait sans doute à mieux comprendre sa portée et surtout à situer les responsabilités des uns et des autres face aux affaires de corruption qui gangrènent ce mastodonte de la nation. Quelles sont les circonstances de cette nationalisation ? Quels étaient ses objectifs ? Enfin, ont-ils été atteints ? Qu’en est- il après cette quarantaine d’année ?

1- Des circonstances historiques de la nationalisation des hydrocarbures

La nationalisation n’est pas spécifique à l’Algérie mais elle est apparue avec la prise de conscience de certains pays qui se sont rendu compte de l’exploitation de leurs richesses par les grandes firmes multinationales. Il y a eu le Mexique en 1938 puis l’Iran de Mossadegh en 1951.Elle n’est pas non plus la conception d’une équipe au pouvoir mais largement explicitée dans les documents doctrinaux (01). Il s’agissait en fait de récupérer les ressources naturelles et contrôler les instruments de régulation de l’économie. Le Code Pétrolier Saharien(CPS), qui était le seul cadre institutionnel avant l’indépendance,s’est trouvé modifié par les accords d’Évian en 1962 dans sa partie consacrée aux hydrocarbures dans un sens encore plus favorable aux intérêts Français et vient ainsi altérer le transfert de la souveraineté au profit de l’Algérie. En dépit de l’accord Algéro-Français de 1965, plusieurs contradictions ont été relevées dans le comportement des sociétés exploitantes: insuffisance des investissements d’exploration; gonflement artificiel des charges d’exploitation dans le seul but de réduire la marge qui revient à l‘Algérie et rapatriement insuffisant du chiffre d’affaire réalisé par le groupe ELF etc.

Plusieurs mois de négociation ont confirmé la position de la France de refuser l’alignement du pétrole algérien sur le régime fiscal pratiqué par les pays de l’OPEP et de se conformer à un contrôle de gisement par l’Algérie. Plus tard, le Général de Gaule révélerait cette stratégie de manœuvres dilatoire des ses mémoires (02). C’est donc avec la souveraineté nationale et le libre exercice de disposer de ses richesses qu’il fallait peser les conséquences de la nationalisation du 24 Février 1971. Elle consistait en fait : de récupérer 51% des intérêts français dans la production du brut ; nationaliser la totalité des réserves gazières et celle de tous les moyens de transport..

La réaction Française était violente mais prévisible : les compagnies ont essayé entre autres de faire un Embargo sur le pétrole algérien en le déclarant «rouge»

Il ne s’agit pas ici de déclencher la symbolique des années 70, mais juste souligner le caractère combatif de ce processus qui a exigé pour se concrétiser un acte de grand courage et une mobilisation très importante d’où son lien indéfectible avec l’organisation syndicale «d’antan» bien entendu.

2- le poids des hydrocarbures dans l’économie nationale est devenu un vrai casse tête

L’entreprise Sonatrach et ses tentacules parapétrolières ont été crée par une poignés d’ingénieurs Algériens après l’indépendance pour agir au nom de l’Etat dans le secteur des hydrocarbures. Son objectif est d’exploiter les richesses fossiles pour mettre des capitaux à la disposition du développement des autres secteurs qui devront prendre la relève de cette ressource tarissable. En plus, l’Etat lui assigné à titre exceptionnelle la mission de former les cadres capables de faire fonctionner les installations pétrolières sans continuer à recourir à l’assistance étrangère. Durant ses cinquante ans d’existence, Sonatrach aurait alimenté les caisses de l’Etat d’un montant de plus de 1000 milliards de dollars dont 80% durant la période 2000 -2013. (03) Le ministre de l’énergie et des mines estime que rien que le secteur pétrolier aurait absorbé 800 milliards de dollars de la nationalisation à l’arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999. (04). Elle a permis également d’importantes réserves de change (05) de 56 à plus de 190 milliards de dollars en 2013.Tout cela pour quel résultat ? Même si la démarche économique entreprise après l’indépendance reste historiquement et idéologiquement discutable (06), il existe une unanimité sur le fait que les changements opérés par les différents gouvernements qui se sont succédés sur le modèle de développement ont échoué. Cet échec a extrêmement fragilisé l’économie nationale et la rendue fortement dépendante de facteurs exogènes dont le contrôle échappe complètement aux décideurs. Il s’agit de prix du baril sur lequel on indexe celui du gaz, le cours du dollar, montant de la facture de vente des hydrocarbures et enfin les conditions de pluviométrie qui régule la facture alimentaire. Il est donc tout à fait normal que l’Algérien s’intéresse plus que tout autre à l’évolution du marché gazier pour drainer des devises nécessaires à son développement et s’enquérir de la santé du dollar. En 2013, les exportations algériennes hors hydrocarbures ont totalisé 2,18 milliards de dollars, soit 3% de la valeur globale des exportations. Ce pourcentage tombe à 1,1% si on en retranche celles réalisées par Sonatrach (hydrocarbures) et Fertial (ammoniac) (07). Quatre entreprises réalisent 83% de ces exportations. Sonatrach a exporté pour 935 millions de dollars de produits dérivés des hydrocarbures en 2013, contre 481 millions de dollars pour Fertial (ammoniac). Somiphost (phosphates) et Cevital (sucre) sont les deux autres exportateurs importants dont les montants restent relativement marginaux eu égard aux chiffres globaux des exportations. Pour arriver à cette performance médiocre, le consommateur Algérien se prive des belles dattes qu’elle met à la disposition du marché européen pour une facture ne dépassant pas les 25 millions de dollars, les truffes pour 8 et 3 pour l’échalote. L’ancien «Grenier de Rome» n’exporte en total que pour 34 millions de produits agricoles pour payer une facture alimentaire de plus de 8 milliards de dollars. Ce qui est très inquiétant c’est que malgré leur poids dans le PIB et les recettes extérieures de l'Algérie, les hydrocarbures n'ont pas d'impact sur le fonctionnement de l'économie. En effet, plus le temps passe, plus ce secteur fortement capitalistique consomme la rente qu’il procure. (08) Aujourd’hui, les incertitudes sur l'avenir des gisements en cours d'exploitation poussent à investir davantage dans l'exploration, ce qui provoque une situation inédite. Les investissements du secteur de l'énergie devraient dépasser les 100 milliards de dollars à l'horizon 2017, mais leur impact sur l'économie restera marginal. Ce qui crée un véritable malaise, avec cette impression que le monde des hydrocarbures est totalement non seulement déconnecté du reste de l'économie algérienne mais éloigne de plus en plus la possibilité de trouver une alternative à cette rente dans des délais raisonnables. En plus, ces dernière années deux événements majeurs viennent aggraver cette situation de l’Algérie, au demeurant inconfortable. Le premier est la consommation interne en gaz pour la production de l’électricité et en carburant pour faire face à un parc automobile incontrôlable et qui ne cessent de croître pour atteindre des proportions inquiétantes qui a contraint Sonatrach à importer plus de 2,3millons de tonnes à partir de 2011, en hausse de 78% par rapport à 2010 afin de satisfaire le marché national (09). Le deuxième est cette révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis qui a obligé pour la première fois Sonatrach à baisser le prix de son Sahara Blend de prés de 85 cents pour pouvoir le vendre car le pétrole de schiste a atteint les qualité de légèreté et charge en souffre dont bénéficiait le pétrole Algérien sur la Côte Est des Etats-Unis (10). Il faut préciser toutefois que l’Algérie tire du marché Américain prés de 18 milliards de dollars dont 96% en hydrocarbures (11). La réalité est qu’aujourd’hui le marché américain lui échappe par ses barrières évidentes. En effet tout porte à`croire que la`position algérienne reste constante et se déconnecte de plus en plus des réalités du marché. En Europe et en dépit de la concurrence, elle peut faire valoir ses atouts de proximité mais sa position demeure l’otage de deux paramètres qui lui sont propres : sa dépendance vis-à-vis des revenus qu’elle tire de exportations des hydrocarbures avec lesquelles elle importe pour près de 80% des besoins de la population et des entreprises. Ensuite elle reste aussi tributaire de sa dépendance de la consommation interne par les volumes de pétrole et de gaz qu’elle devra lui réserver. Sur le court terme, plus elle maîtrise ces deux paramètres, plus à l’aise elle mettra en œuvre son programme long terme qu’on examinera plus loin.

3- La contribution de Sonatrach à la formation des cadres s’est soldée par un échec

Il faut préciser que l’Etat par le biais de sa société nationale n’a pas lésé sur les moyens pour d’abord former les cadres et plus tard les mettre à niveau aussi bien en Algérie qu’à l’étranger. On peut estimer dans le cas le plus pessimiste le montant au 1/20 des dépenses totales de l’entreprise depuis sa création en 1963. Environ 40 milliards de dollars ont été consentis pour les formations longues, moyennes et courtes et ceci sans compter les bourses accordées par certains pays étrangers. Rien que les associés dans le cadre de la recherche/production (ARP) et à chaque contrat passé, ont réservé près de 1% du montant contractuel pour la formation. Tout cela pour quel résultat ? Les derniers scandales ont montré que les cadres dirigeants n’ont aucune culture managériale, ils obéissent les yeux fermés mais la bouche ouverte. Son schème motivationnel n’a pas réussi à consolider le savoir et le savoir faire. Non seulement Sonatrach voit impuissante ses différentes structures se vider de ses compétences mais les investissements consentis pour rehausser l’Institut Algérien du Pétrole (IAP), qui lui a été confié par l’Etat en 1999 au rang de pôle d’excellence s’est avéré un échec incontestable.(12) qu’est-il dans les faits ? En 1990, l’Algérie entamait sa cinquième année de crise, contrainte de répondre à une demande de plus en plus forte dans la formation supérieure, les pouvoirs publics décident d’intégrer les instituts dits de «technologie» qui servaient de support de formation aux différents secteurs à l’enseignement supérieur. Mais pour des raisons stratégiques,d’ailleurs évidentes, l’IAP a vu ses objectifs réorientés pour consacrer ses activités à la formation de spécialisation nécessaire au secteur des hydrocarbures et ce, en étroite collaboration avec les utilisateurs. Plusieurs groupes de réflexion ont été mis en place pour proposer un statut à même de répondre à ces besoins. Après étude et analyse des différentes options depuis plusieurs années et dans des circonstances particulières qu’il est inutile de rappeler pour des raisons propres au secteur, il a été décidé d’intégrer cet institut à Sonatrach, jugée capable de représenter le secteur de l’énergie et par voie de conséquence il fallait le dissoudre ce qui fût fait en juin 1999. il faut dire d’emblée que le constat fait par l’actuel ministre de l’énergie, initiateur du projet bien avant l’arrivée de Chakib Khellil n’est pas des plus réjouissants.(13). En effet, lors de l’installation du nouveau Directeur Général de ce qui reste de l’Institut Algérien du Pétrole (IAP), le ministre de l’énergie et des mines, Dr. Youcef Youcefi a eu à constater l’immense gâchis fait à cette institution de renommée mondiale. Les moyens financiers consentis par Sonatrach n’ont fait que miroiter son image externe mais en aucun cas réussit à le booster de l’intérieur pour en faire un pôle d’excellence. Le diagnostic amer est fait, les dégâts sont visibles. Déroutés par des ordres et des contres ordres, Si des mesures n’ont pas été prises, c’est probablement parce que le système est tellement atteint par l’encanaillement et la gabegie qu’il ne réagit plus aux doses de sanctions conventionnelles. Aujourd’hui, le manque d’un plan de charge au demeurant prévisible pousse son collectif des travailleurs d’enseignants-chercheurs à des conflits de bas étages comme celui d’appliquer le règlement de Sonatrach pour faire pointer un enseignant etc. Les méthodes tayloriennes n’ont jamais favorisées la créativité, bien au contraire elles renforcent le blocage individuel et le repli sur soi, est-ce le but recherché ?

Rabah Reghis, consultant et Economiste Pétrolier

(A suivre) :

3- Situation actuelle et perspective

4- Y auraient-ils des alternatives face à une telle situation?

5- Conclusion

Renvois

(01) Programme de Tripoli et la charte d’Alger

(02) Dans ses mémoires de l’espoir, le Général écrivait «pour garder la mise à disposition des gisements de pétrole que nous avons mis en œuvre et celle de nos bases d’expérimentation de nos bombes et nos fusées, nous sommes en mesure quoiqu’il en arrive à instituer une autonomie de ce vide immense.»

(03) lire l’article de Ali Titouche paru à El Watan le 15 janvier 2014 sous le titre «Sonatrach, otage de la politique.»

(04) Déclaration du ministre de l’énergie et des mines au forum d’El Moudjahid en février 2013.

(05) Gouverneur de la banque d’Algérie devant l’APN en décembre 2013.

(06) 01- lire les détails dans notre contribution parue au quotidien El Watan du 15 septembre 2012.

(07) AAE rapport 2013.

(08) Voir point 04 plus haut.

(09) voir le bilan de Sonatrach de 2011 disponible sur leur site.

(10) Information publiée le 30 mai 2013 par l’agence Bloomberg.

(11) Déclaration du Président du conseil d’affaire américain à la chaîne le jeudi 30 mai 2013

(12) Lire le periscoop du soir d’Algérie de mercredi 22 février 2012

(13) Lire l’article paru dans soir d’Algérie du 19/09/2011

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Commentaires (4) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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Bachir ARIOUAT

Le bilan, il est facile à faire, entre ce qui est détourné par les amis mafieux du chef de clan, le D. R. S., les Ministres, les généraux, les proches du chef de clan, il reste les larmes aux Algériens.

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