Une enquête à Ouadhia

Hacène Hirèche
Hacène Hirèche

Atteinte au droit à la vie privée ou contrôle politique ?

Début février 2014, je rentre en Algérie pour des raisons professionnelles (y former des cadres) et personnelles (voire ma famille). J’y découvre, comme souvent lors de mes nombreux voyages, un pays meurtri, des Algériens inquiets, une société quasi dépressive. L’incertitude, la peur, parfois la misère gagnent un nombre importants de personnes.

Même la richesse ostentatoire d’une minorité inspire plus la déconvenue que le succès. L’arrogance affichée par certains nouveaux parvenus traduit, manifestement, une souffrance psychique profonde. La réussite dans les affaires est souvent, je dis bien souvent parce la généralisation serait malvenue, le résultat de soumissions, de compromissions humiliantes, de tricheries mesquines, de magouilles en tout genre, de tractations douteuses ou d’opérations déloyales. Les luttes d’influence ont travesti les rapports sociaux, familiaux, économiques et politiques. Il est difficile de trouver des repères et la grille de lecture s’en trouve, elle aussi, altérée.

Ce climat d’eaux troubles dans un pays que la confiance a déserté et dans lequel tous les coups semblent possibles a mis la société algérienne en ébullition. Des jeunes surgissent là où on ne les attend pas pour dire leur ras-le-bol et pour s’opposer, à leur manière, à un pouvoir d’égocrates usé et usant.

Alors les contestations se multiplient partout dans le pays et les journaux, toute obédience confondue, titrent régulièrement sur les violences sociales et institutionnelles qui frappent de nombreux quartiers, de nombreux villages comme ils titrent sur les réactions multiformes des laissés-pour-compte. Le drame qui se joue dans le M’zab en est une terrible illustration comme ce fût le cas en Kabylie en 1980 et en 2001 pour ne citer que ces exemples frappants.

La réponse d’El-Mouradia et de ses tentacules à ces situations explosives est de redoubler de férocité. La répression multiforme s’abat avec démesure entraînant ses lots d’arrestations, de blessures et de mort d’hommes. Lounis Aït Menguellet, dans un de ses textes, nous en a avertis depuis longtemps avec clairvoyance : nous sommes en face d’ "un pouvoir qui n’a de compte à rendre à personne…" (ahkim ur nesâi ahkim, anwa ara yagwad ma yeqim…).

Dans une situation aussi délétère et j’en viens à mon cas personnel et non moins inquiétant, j’apprends à la veille de mon retour en France que le secrétaire général de la daïra Iwadiyen (Ouadhia dans la wilaya de Tizi-Ouzou) dont fait partie mon village, a diligenté une enquête à mon sujet, oui "une enquête au pays" comme dirait Driss Chraïbi ! Des personnes de la daïra et de mon entourage sont approchées pour être questionnées sur ma filiation, sur mes activités professionnelles, culturelles, politiques, et tutti quanti ! A l’évidence il y a lieu de s’interroger sur cette méthode hors cadre judiciaire que l’on croyait révolue depuis l’avènement du « pluralisme politique » lors même que celui-ci s’apparente, jusque-là, à un miroir aux alouettes.

Que signifie cette intrigue menaçante à l’heure où les commis de l’Etat seraient mieux inspirés de s’occuper à répondre aux besoins de la société, à travailler à régler les soucis des citoyens, à faire face aux convulsions d’un pays en péril ? S’agit-il d’une démarche grotesque d’intimidation ? Ou s’agit-il de procès d’intention relatif à mon combat pour l’officialisation de Tamazight qui seraient alors concomitants avec ceux orchestrés contre moi en France par des officines qui se cachent derrière la fielleuse Ennahar-tv et par certains responsables d’un groupuscule fratricide qui s’affaire fébrilement à échafauder des plans pour un avenir radieux de la Kabylie sur des relais internet également fielleux? Que traduisent ces convergences de pratiques insidieuses qui cherchent à nuire à un universitaire résolu à exercer son esprit critique ?

Pourquoi le secrétaire général de la daïra se contente de répondre qu’il fait son boulot quand un proche parent l’interroge sur les tenants et les aboutissants de cette enquête ? A quoi dois-je m’attendre lors de mes prochains voyages dans mon pays où j’ai commencé à transférer mes savoirs et mon savoir-faire en y assurant périodiquement des séminaires pour cadres d’entreprises algériennes et européennes ? Dans quel état d’esprit je me rendrai désormais chez moi, dans ma région, dans mon village, sachant que je suis probablement la cible de groupes occultes agissant au nom d’institutions officiels? Pourquoi une enquête aux allures inquisitrices alors que je suis parmi les universitaires qui, depuis toujours, disent ce qu’ils font et font ce qu’ils disent ? Veut-on me faire payer ma solidarité exprimée ouvertement en faveur du M’zab meurtri et marginalisé par un Etat sectaire ? Ou suis-je devenu le mouton noir du coin pour avoir manifesté ouvertement ma révolte de voir un homme âgé et malade s’entêter à vouloir rempiler pour un quatrième mandat marqué, comme les trois précédents, d’illégitimité ? Ou s’agit-il d’une dérive locale liée aux luttes que se livrent les clans au pouvoir dans cette phase de transition pré-électorale caractérisée par l’opacité et l’instabilité ?

Peut-on espérer obtenir, un jour, des éclaircissements sur ce procédé inadmissible d’un commis de l’Etat sur un universitaire qui refuse tout simplement de rester aphone devant l’ampleur de la tragédie que vit l’Algérie ? A l’évidence on n’en est pas encore là ! Mais en tout état de cause, ma famille, mes amis et moi-même tenons pour responsables tous les agents d’institutions qui auront ordonné et mené cette enquête dans tout ce qui porterait atteinte à mon intégrité physique, morale ou intellectuelle. Et j’en appelle aux femmes et aux hommes épris des droits humains à rester vigilants face à cette inquisition institutionnelle qui peut, à tout instant, concerner chaque Algérien y compris et peut-être surtout ceux qui, de bonne foi, ont cru bon de revenir périodiquement de l’étranger exercer leur talent auprès de leurs concitoyens afin de les faire profiter de leur expérience!

Hacène Hirèche

Universitaire et consultant

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Commentaires (3) | Réagir ?

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sarah sadim

c'est un pouvoir exogene installé apres exfiltration massive de la france, il est là (ce pouvoir) uniquement pour détruire l'authenticité algérienne, alors vous attendez quoi?

Votre génocide, lui vous parle avec le gourdin et vous, vous lui parlez de poésie......

Deux univers qui s'affrontent ok

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Massinissa Umerri

"... et par certains responsables d’un groupuscule fratricide qui s’affaire fébrilement à échafauder des plans pour un avenir radieux de la Kabylie sur des relais internet également fielleux? "

Faites-vous reference au MAK, ou est-ce seulement un jeu de devinettes?

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