Tunisie : la fondation de la deuxième république

La nouvelle Constitution tunisienne signe la naissance de la 2e République.
La nouvelle Constitution tunisienne signe la naissance de la 2e République.

Trois ans après la chute de Ben Ali, la nouvelle Constitution tunisienne a été célébrée par une quarantaine de chefs d’État et de dignitaires venus à Tunis pour saluer l’avènement d’une nouvelle République.

L’islamisation rampante de la Tunisie

C’est au lendemain des sanglantes "émeutes de la faim" en 1984, que le mouvement Ennahda, issu du Mouvement de la tendance islamique (MTI) s’implante en Tunisie. Son fondateur, Rached Ghannouchi, converti au Caire à la doctrine de la confrérie des Frères Musulmans, s’engage en 1969 dans l’islamisation de la société tunisienne avec des prêches dans les mosquées, l’activisme des associations caritatives, l’entrisme dans la police, la justice, l’administration, les collèges et les universités. 

Après la fuite de Ben Ali, le gouvernement de transition légalise le parti islamique, jusque-là interdit. En octobre 2011, Ennahda remporte une victoire éclatante aux élections à l’Assemblée Constituante, raflant même quatre des dix sièges réservés aux Tunisiens en France. Il forme alors un gouvernement tout puissant avec les trois ministères clés qu’il s’est appropriés : l’Intérieur, la Justice et les Affaires étrangères et s’attelle à la rédaction d’une nouvelle Constitution. 

Au pouvoir, Ghannouchi n’a cessé de déclarer qu’il respectera les règles du jeu démocratiques pour rassurer les investisseurs étrangers, sans renoncer toutefois à son programme politique, .entre celui du FIS dont il a tiré le bilan en Algérie et celui de l’AKP turc, dont le modèle passe pour modéré, démocratique et pacifiste parce qu’il procède par étapes à l’islamisation de la société. 

Le programme mis en route à Tunis, visait à faire appliquer par la Constituante les thèses qu’il avait exposées dans un livre : "Les libertés publiques dans l’État islamique", Beyrouth, 1993. La Charia écrit-il est "la source principale de toute législation, le rôle d’un chef d’État est d’accomplir la religion, d’éduquer l’oumma selon l’islam et le souverain doit être impérativement musulman."

À propos de la laïcité, il dit que «l’on ne saurait concevoir de société islamique laïque ou de musulman laïque si ce n’est en renonçant à ce qui est essentiel en islam. Car une société ne peut être islamique qu’à condition de ne pas être laïque et d’accepter l’unicité de Dieu". (Interview au quotidien Algérie Actualité du 12 octobre 1989). 

L’entrée en résistance du peuple tunisien

Pendant deux ans, Ghannouchi s’est employé à islamiser par étapes l’enseignement, les médias, l’administration et tout l’appareil d’État. Il a ensuite tenté d’inscrire la charia en tant que religion d’État dans la Constitution et rompre ainsi avec le caractère civil de celle de 1959 qui comprenait un article majeur : l’émancipation de la femme. La réaction acharnée des organisations laïques, des femmes, des enseignants des artistes et du puissant syndicat UGTT dans la rue et l’intervention des démocrates dans les débats au sein de l’Assemblée Constituante ont fait avorter cette entreprise ; Ghannouchi n’était pas un rempart contre le salafisme mais son promoteur. 

Sur un arrière-plan de crise économique et sociale dramatique, l’assassinat de l’opposant Chokri Belaïd et du député Mohamed Brahimi, la mise hors-la-loi des des Frères Musulmans en Égypte analogue à celle du FIS en Algérie, le rejet du régime corrompu et arbitraire d’Erdogan ruinant avec lui le prestige de l’AKP, et la prudence du bailleur de fonds qatari, ont imposé le départ de Ennahda du gouvernement. 

La nouvelle Constitution

La notion de "sacré", d’identité "arabo-musulmane" et la référence à "l’islam comme religion" ne sont que des concessions formelles accordées à Ennahda pour qu’elle sauve la face, mais l’essentiel est le retour à la Constitution de 1959 avec des acquis démocratiques renforcés : 

  • "La Tunisie a un "régime républicain, démocratique dans le cadre d’un État civil".
  • "La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain".
  • "Les libertés d’opinion, d’expression, d’information et d’édition sont garanties tout comme le droit syndical et le droit de grève ». 
  • "L’égalité entre tous les citoyens en droits et en devoirs, sans discrimination aucune" et pour écarter toute équivoque "l’État s’engage à protéger les droits acquis de la femme, les soutient et oeuvre à les améliorer."
  • "Le travail est un droit pour chaque citoyen et citoyenne. L’État prend les mesures nécessaires à sa garantie sur la base de la compétence et de l’équité". 
  • "L’État garantit le libre exercice de tous les droits démocratiques, ainsi que le droit à "un enseignement public et gratuit dans tous ses cycles et veille à fournir les moyens nécessaires pour réaliser la qualité de l’enseignement, de l’éducation." 

Avec cette Constitution, la démonstration a été faite que le printemps arabe ne conduit pas forcément à l’hiver islamique. 

Pendant la cérémonie organisée pour l’adoption de la nouvelle Constitution, le président Hollande, VRP du grand patronat, a salué un "texte majeur qui fait honneur à votre révolution", preuve que "l’islam est compatible avec la démocratie" (!) et que "vous incarnez l’espoir dans le monde arabe, et bien au-delà". Conscient que l’expérience tunisienne allait bouleverser les régimes autoritaires de toute l’Afrique et ailleurs, le président du Tchad, Idriss Deby a déclaré que : "C’est une invitation aux États de la région à suivre ce bel exemple."

Comme le premier ministre algérien Abdelmalek Sellal a félicité le peuple tunisien, on peut lui suggérer de proposer en remplacement du quatrième mandat envisagé du président légume Bouteflika, l’organisation d’élections libres à pour une Assemblée Constituante chargée d’élaborer une Constitution digne du peuple algérien. 

Précisons que l’élection d’une Assemblée Constituante a été le mot d’ordre central du mouvement national depuis l’Étoile Nord Africaine et qu’il a été plébiscité par le Congrès des AML de mars 1945, il y aura soixante-dix ans l’an prochain. Pour aider M. Sellal dans sa réflexion, nous l’invitons à lire notre livre consacré à cette question 

Jacques Simon

Plus d'articles de : Maghreb

Commentaires (5) | Réagir ?

avatar
Azzouz Kouicem

c est la seule et unique democratie dans le monde arabe je leur souhaite bon courage et je salue ce peuple eduque et sur les autres civilisations je salue leurs partis politiques qui ont su transcender leur clivages

avatar
Massine Ait Ameur

Franchement je ne vois aucune difference entre cette constitution Tunisenne et celle de l'Algerie. Certains textes qui parlent de liberte fondamentales et des libertes sont beau sur le papier mais leur applications est une autre paire de manches: la langue de bois en est la regle. Donc RAS!

visualisation: 2 / 5