Vanité d’homme et chute d’Empire

Vanité d’homme et chute d’Empire

En ce début de second semestre de notre première année de Droit coïncidant en fait à ce premier semestre de l’année 1973, à cette Faculté de Droit de Ben Aknoun, nous reprenions nos cours après notre retour de vacances d’hiver.

Nous avions bénéficié en ces temps, d’une brochette de professeurs dont la renommée internationale dépassait de loin l’enceinte étroite de notre Faculté. Certains cours nous harassaient par l’effort suprême que nous devions déployer pour en saisir les multiples et complexes théories tantôt domptables et abordables par nos esprits trop sollicités tantôt rébarbatives à souhait .D’autres par contre étaient plus plaisants à suivre car donnant l’occasion à nos imaginations éveillées de surfer sur les vagues du progrès des sociétés anciennes portées par l’évolution des institutions législatives judiciaires, et administratives. 

Une œuvre décapitée 

L’un des cours – module qui captait favorablement nos esprits bien attentionnés était celui de l’Histoire des Institutions aciennes. Ce cours encadrait l’évolution des sociétés grecque et romaine et nous donnait une rétrospective bien lointaine de ce que fût alors la démocratie la loi, le pouvoir,

La liberté, la propriété le maitre, l’esclave la cité et le citoyen. Notre illustre professeur ou serviteur comme il se plaisait lui-même à s’appeler avait une singulière façon de délivrer son cours, s’emparant dés qu’il montait sur l’estrade du micro toujours présent sur le pupitre l’enroulait autour de son cou puis l’accrochait à l’aide d’une pince à linge au revers du col de sa veste, et étrennant généralement son discours à l’aide d’une anecdote, ou la citation d’un fait divers insolite s’élançait subrepticement dans le corps de la leçon du jour an arpentant infatigablement cette large estrade allant de la chaire au tableau du milieu de la chaire à l’un des bouts opposés à celle-ci revenant furtivement au pupitre pour consulter rapidement ses notes sans nous donner le temps de nous en apercevoir aussi occupé que nous étions à boire avidement le débit énergique et enchanteur de cette voix enjouée qui sortait d’une bouche encadrée par une lèvre supérieure bien rasée et cerclée en dessous par une barbe en collier finement taillée d’une blancheur entamée qui forçait le respect le faisant paraitre comme le témoin authentique d’âges révolus dont il pouvait seul connaitre tous les secrets. 

En ce jour donc, jovial et gouailleur comme lors de ses saillies auxquelles il nous avait habitué, nous regardant nonchalamment en parcourant de ses yeux malicieux les travées de l’amphithéâtre mais prenant patience voulant donner le temps aux derniers retardataires des 400 étudiants que nous étions de prendre place et de nous préparer à recevoir les énoncés d’un autre cours magistral. Mais aujourd’hui notre aimable professeur à notre grand étonnement ne s’était pas éloigné de son pupitre et restait collé à sa chaise .Il n’avait pas encore saisi son micro qui restait devant lui, encastré dans son support. Nous nous méprenions de cette attitude inaccoutumée la mettant sur le compte de la fatigue ou d’un coup de froid qui l’obligeait à cette position immobile sur sa chaise.

Nous nous trompions alors sur la vraie raison de ce repli momentané. Une fois le silence dans l’amphithéâtre acquis, il commença par se lâcher ainsi : "J’ai l’habitude mauvaise ennuyeuse diront certains d’entre vous de vous rabattre les oreilles avec des histoires ramenées de livres aux pages jaunies plaisantes grimaçantes, hallucinantes terrifiantes, hilarantes et tragiques à la fois. 

Mais, aujourd’hui je vous dirais comment je suis sorti vainqueur d’un défi que m’ont lancé vos camarades en deuxième année et qui étaient assis l’an passé sur les mêmes bancs que vous aujourd’hui. Donc marquant un temps d’arrêt suivi d’une moue assez expressive "vos camarades’" poursuivit-il "se sont rapprochés de moi à la fin du semestre écoulé et m’ont informé" marquant un autre temps d’arrêt encore et lorgnant du regard les yeux des étudiants serrés sur les bancs ‘’ qu’une statue était "parquée" dans le parc automobile de la Wilaya de Médéa. Ils souhaitaient que je me déplace jusqu’à cette localité pour examiner et donner mon avis sur cette découverte qu’ils pensaient être très intéressante. ‘’ Mais ajoutait-il mi malin mi-jovial ‘’ vos camarades m’avaient encore informé que la statue trouvée était sans tête et que si je parvenais à l’identifier je serais honoré d’être l’invité d’un royal couscous. J’acceptais aussitôt le défi". 

Alors là, notre professeur comme un aigle qui allait prendre son élan vers le ciel prolongea son cou vers l’avant et ajouta levant l’index de sa main droite vers le haut la voix hilarante et moqueuse :

"Mais, j’avais une autre condition à imposer à mes hôtes médéens. Il fallait que je ramène ma sœur avec moi. Ils me répondirent qu’elle serait la bienvenue. Alors le soir même j’appelais ma sœur à Paris. On se parlait au téléphone. Mais on ne s’était pas vu depuis quatre ans. Je lui disais qu’on était invité à un couscous à Médéa et que l’on ne pouvait rater pareille occasion. Elle commença par rechigner invoquant courses et affaires ceci et cela et qu’on pouvait laisser à une autre fois. Alors, je lui ai dit : écoute ce sera cette fois ou jamais. Si tu ne viens pas la semaine prochaine à Alger, ce n’est plus la peine de m’appeler dorénavant. Et je te promets de ne plus t’appeler ni demander après tes nouvelles. Devant mon insistance, et mon obstination, elle finit par donner son accord.

Le jour convenu, mes hôtes médéens furent au rendez-vous. Le couscous roulé main bien garni accompagné d’un doux petit lait était excellent. Ma sœur épatée par ce plat qu’elle chérissait était très contente. Après le déjeuner mes hôtes me dirigèrent vers l’endroit où était gardée la statue.

C’était une statue décapitée. Le professeur s’empara soudain du micro l’accrocha à son col de veste se leva de sa chaise et se mit à arpenter l’estrade de long en large nous venions de comprendre que le cours venait de commencer.

Arma Cedant Tagae 

Nous nous étions saisis de nos cahiers pris nos stylos prêts à prendre note. 

"Cette statue, disait-il , dont il manquait la tête était certes une énigme pour mes hôtes médèens, sans qu’elle le fût pour moi. Car c’est en scrutant le sculptage du vêtement qui couvrait le corps de la statue étêtée que j’avais pu deviner l’appartenance et le rang du personnage. Sachez qu’une statue est élevée pour commémorer la mémoire ou la gloire d’un haut dignitaire ayant généralement exercé un pouvoir sur une société donnée. Dans notre cas cette statue dont l’origine remonte à cette phase décadente de la fin de l’empire romain en Afrique du Nord ne pourrait appartenir qu’à un seigneur local, certainement personnage sans grande envergure. Statue destinée sans doute à orner son jardin privé plutôt qu’à être exposée sur l’un des forums de ces cités romaines érigées sur le limes –partie utile sécurisée occupée par les Romains –ouvert à la colonisation au profit de l’Empire romain.

Mais le fait que la statue soit recouverte d’une toge peut suggérer aussi qu’il peut s’agir d’un magistrat civil. Ce qui écarte d’emblée l’hypothèse de son appartenance à un chef militaire, qui devrait être revêtu dans ce cas d’un paludamentum. L’élément déterminant qui confortait mon hypothèse sur l’insignifiance de cette représentation granitique était la malfaçon affligeante et rachitique de ses membres supérieurs. De surcroit les pieds étaient encore unis présentés comme en un seul bloc à peine si l’on notait un sillon marquant les limites entre les deux membres et des bosses en guise d’orteils. Or, dans l’art sculptural romain, c’est le travail d’orfèvre des membres inférieurs qui doit informer sur le statut social du personnage ; un sénateur consul romain travaillé dans le granite doit avoir les pieds chaussées de sandales et sanglés jusqu’aux genoux ; un proconsul se contenterait de simples sandales ; mais la statue d’empereur doit avoir les pieds recouverts de bottines et le pied sanglé de lanières jusqu’au dessus du genou. Vous avez sans doute remarqué que la statue objet de ma fructueuse randonnée n’ayant aucun signe distinctif pouvant la ranger dans l’une des catégories honorifiques suscitée reste d’une insignifiance avérée révélatrice de cette période de décadence de la présence romaine en Afrique du Nord. Néanmoins, je vous ferais remarquer que la toge ce vêtement en grosse laine fait d’une seule pièce qui nécessite l’aide d’une tierce personne pour l’enfiler revêt un aspect spécifique dans la civilisation romaine puisqu’il est le signe et l’attribut du pouvoir pour celui qui la porte. Le port de la toge balise en fait la démarcation du terrain entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire, et fait écho à cet adage bien romain : arma cedant tagae Les armes cèdent le pas a la toge) en d’autres termes : le civil prime sur le militaire

Le pain et les jeux …. cette éternelle obsession des peuples

Je rappellerais que la période dite du ‘’Haut Empire’’ que nous avons revu au premier semestre a duré plus de deux siècles de 27 av. J-C à 192 de notre ère. Et nous abordons aujourd’hui cette phase dite de la décadence de l’Empire Romain, ses acteurs ses origines ses causes et son impact sur les institutions de cette époque. Nous parlerons donc du déclin de l’Empire Romain occidental couvrant l’Italie, les Balkans, la Gaule, les territoires germains

L’Hispanie, la Maurétanie, et la Numidie. (Ces deux dernières couvrant l’actuelle Algérie)

Sur la cause de ce déclin s’affrontent deux principales thèses. Celle défendue par Edward Gibbon soutenant que l’Empire Romain a amorcé son déclin lorsque le citoyen romain a perdu sa vertu civique oubliant graduellement son devoir de défense de l’Empire face aux mercenaires barbares (non-Romains). Il affirme aussi que le déclin de Rome est lié au facteur de l’expansion démesurée de son Empire. Les supports institutionnels (sénat- magistrature – commandement militaire) ont cédé sous la pression du poids des obligations quotidiennes de gestion et des attaques répétées des territoires par les populations conquises auparavant par les légions romaines.

Cependant une autre thèse défendue par Arnold Toynbee, affirme que l’Empire Romain était en soi 

un système corrompu. Le maintien de l’Empire n’a été possible que parce qu’il y a l’afflux de ce butin provenant de tous ces territoires conquis. L’autre faiblesse de ce système de gouvernance est la discrimination parmi les citoyens en matière de paiement de taxes : le système dont la survie dépendait de la noblesse -grande propriétaire terrienne- avait exempté cette élite de toute taxation sans reconnaitre cet avantage aux petits propriétaires terriens. Cependant l’Etat romain devait soutenir les coûts de la défense militaire de l’Empire et les fastes des empereurs. Les besoins financiers continuent à s’amplifier, mais les moyens d’y subvenir tarissaient graduellement. 

Ces deux thèses s’affrontant et se complétant offrant tout de même une perception analytique des deux revers de cette médaille ternie de l’Empire Occidental Romain ne pourraient se retrouver confortées dans l’œil scrutateur de l’historien objectif que par cette sentence acerbe de cet auteur satirique romain Juvenal (II * siècle) qui avait sévèrement critiqué en son temps l’obsession du peuple envers « le pain et les jeux »- ( panis et circenses ).

Notre professeur s’engagea alors à ce moment à dénouer le fil du micro du pourtour de son cou, puis à le décrocher du col de son veston tout en le maintenant à portée de sa bouche nous apostropha en des termes enjôleurs planant son regard sur cette multitude studieuse que nous étions :’’et maintenant s’il arrive encore à une âme charitable de buter sur une autre statue même estropiée n’hésiter pas à me le faire connaitre .Pourvu qu’elle n’ait pas perdu la tête. Je vous promets de mettre un nom dessus. "Deux étudiantes avaient levé leur mains et les faisaient pivotaient au dessus de leurs têtes puis lancèrent :’’Nous offrons le couscous"’. Etant assis ce jour à la première travée des bancs se trouvant face à notre professeur j’avais aussitôt levé mon bras pour lui faire signe de bien vouloir me prêter attention et criais très haut essayant de capter aussi l’oreille distraite des autres étudiants dans ce brouhaha croissant cet adage qui représentait pour moi la quintessence du cours d’aujourd’hui : "Arma cedant tagae". 

Lui, le visage narquois, le regard soudain tourné vers le plafond et le visage arborant une mine désabusée répliqua : "No garantie".

Abida Errached

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Commentaires (1) | Réagir ?

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karim haddad

merci monsieur ebida:MESSAGE RECU 5/5..

l'agerie des gueux de 2014 n'a pas encore evolué comme celle de rome d'il ya 2000 ans car

chez eux ARMA NOOOOO CEDANT TAGAE!!