Ghardaïa, parlons-en... en toute franchise

Ghardaïa.
Ghardaïa.

Etant natif de la ville de Béni-Isguen, j’ai longtemps évité, par souci d’objectivité, de commenter les évènements qui touchent la région du M’zab, considérant que le sujet, délicat et complexe, pourrait irriter les sensibilités des uns et des autres.

Mais ne rien faire, n’est-il pas une façon de cautionner les dépassements et les injustices que subissent les habitants de cette vallée réputée pour être un havre de paix et de tranquillité ? En même temps peut-on considérer comme juste et objectif l’analyse d’un regard extérieur, loin des réalités du terrain? L’objectivité, n’est pas, neutralité, elle exige, de la critique et de l’autocritique pour qu’elle soit honnête et juste. 

J’entends beaucoup de gens dire que l’origine de ce qui se passe au m’zab depuis longtemps – et aujourd’hui, plus grave que jamais, n’est ni religieuse ni ethnique. Tout le monde s’accorde pour dire que c’est là un problème de cohabitation. Pour instaurer un «vivre ensemble» dans la durée, qui est presque une mission impossible pour le moment, ne conviendrait-il pas de définir avant tout la signification de ce concept et sa perception par chacune des communautés existantes ? Autrement dit, qu’attend l’arabophone-malékite du mozabite-ibadite et inversement ?

La vision idéaliste de la société chez beaucoup de personnes, laisse peu de place à une culture de tolérance et de respect de l’autre. Ces différences, qu’elles soient ethniques ou religieuses, au lieu d’être perçues comme un acquit enrichissant du patrimoine culturel national, deviennent des instruments de division, menaçant de mettre en péril l’unité nationale.

Il est évident que les facteurs déclenchants de ces violences inqualifiables sont relatifs à des questions économiques et de société, ainsi qu’au mal vivre et au manque de perspectives chez les jeunes. Il appartient, donc, aux communautés coexistant d’être assez mûres et averties pour ne pas se tromper d’ennemi et d’arrêter de se rejeter la responsabilité en culpabilisant l’autre, faisant de lui le bouc émissaire de tous ses malheurs. 

En effet, là où des questions économiques et sociales identiques, provoquant la colère des citoyens dans d’autres région du pays, et se traduisent par des affrontements avec les représentants de l’Etat et par le saccage des édifices publics, dans la vallée du M’zab, c’est d’autres citoyens et leurs biens qui portent le chapeau en subissant l’effet de ces frustrations qui, au fur et à mesure, prennent la forme d’affrontements intercommunautaires. Il y a de quoi se poser la question de savoir si l’Etat algérien, depuis l’indépendance, s’est sérieusement soucié du bien-être et du vivre ensemble de ses populations.

Parlons-en franchement ! C’est avouer qu’un des aspects négatifs de la politique socialiste des années soixante-dix, était le virus de l’assistanat, introduit au fil des ans dans la mentalité des algériens, tuant en eux tout esprit d’initiative, d’entreprise et d’innovation, stérilisant ainsi leur sens de responsabilité. L’histoire retiendra que le mozabite a, dès le départ, refusé cet état d’esprit et réfuté « le principe du moindre effort », préférant la sueur de son labeur aux différentes tentations. 

En définitive, dans la vallée du M’zab cohabitent aujourd’hui deux modèles différents de société. D’une part, la communauté mozabite dont la valeur du travail et du gain bien acquit fait partie de ses devises fondamentales, et d’autre part les communautés arabophones qui partagent son espace, scindées en trois façons de vivre. On y trouve les «travailleurs» qui comme les mozabites s’investissent dans des activités licites, il y a les «trabendistes» de tous genres qui se sont orientés vers le commerce informel (net d’impôts) ou pire encore vers des activités carrément illicites, où les gains sont plus importants et plus faciles et enfin, la troisième frange ; les «assistés», survivants de l’époque socialiste, qui comptent sur la distribution de rentes, attendent qu’on leur «fasse» ou qu’on leur «donne».

Et en réponse à l’Etat qui ne veut pas exaucer sa demande de logements, terrains et emplois…, cette dernière catégorie trouve son expression dans le pillage, saccage et incendie des biens de ses concitoyens de toujours. Résultats du carnage : de jeunes martyres, de graves blessés et des sinistrés sans toit et sans activité. 

Il est clair que pour préserver ses intérêts et fructifier ses activités malsaines, la main des barons «trabendistes» n’est pas étrangère à cet inqualifiable «défoulement» sur les commerces, jardins, habitations et cette fois-ci, cimetières et monuments, en option. Et lorsqu’on remarque la partialité flagrante des forces de l’ordre et le mutisme des autorités, ne sommes-nous pas en droit de se poser la terrible question : A qui profite véritablement ces crimes ?

En quoi la communauté mozabite est-elle responsable du malaise social des autres ? Qui a empêché les communautés arabophones de mettre en place, à l’image de leurs voisins mozabites, des structures sociales, où la solidarité de tous est basée sur le compté sur soi de chacun ? Ce n’est qu’ainsi que le Mozabite a pu survivre à la confiscation, sous la révolution agraire, de ses palmiers et terres agricoles pour les céder à «ceux qui n’en ont pas», afin de créer un, soi-disant, équilibre social. Résultat de cette politique qui n’a pas cru nécessaire de prendre en ligne de compte les aspirations et spécificités de chaque population. Le résultat : patrimoine inexploité et biens abandonnés ! 

Parlons-en franchement ! C’est reconnaitre que la communauté Mozabite est mieux structurée et mieux organisée, ne comptant sur personne pour subvenir à ses besoins. Chose, qui lui à permis de mieux gérer la collectivité et les besoins de ses sociétaires. La gestion de la vie commune des mozabites est assurée en majorité par la société elle-même : les mosquées, les écoles coraniques, les associations,…. Ces structures et bien d’autres, activent et s’activent géré aux donations de ses bienfaiteurs et à l’engagement de ses bénévoles, qui travaillent d’arrache-pied pour un but unique, l’intérêt général. Même si cet intérêt général est limité dans l’espace et ne concerne qu’une seule communauté, je ne vois aucun mal à ça, à partir du moment où les fonds publics ne sont pas sollicités, et l’argent du contribuable non plus.

Ignorant cet aspect des choses, beaucoup de gens pensent que la communauté mozabite est privilégiée par l’Etat, voire même protégée, grâce à son statut de minorité culturelle. C’est cette pensée qui laisse le champ libre à toute forme de jalousie et de haine qui se traduisent par le regard, la parole et le geste.

Comme je l’ai déjà cité, ce qui pourrait être perçu comme un banal incident dans n’importe quelle région du pays, devient au M’zab le facteur déclencheur d’une guerre civile. De telles situations ne seraient jamais aggravées et amplifiées, si l’Etat avait répondu présent à l’appel, dès leur déclenchement. L’Etat aurait-il d’autres priorités plus importantes quede gérer les préoccupations de ses citoyens ?

Parlons-en franchement ! C’est dire que le "vivre ensemble" n’est pas, l’effacement d’une identité au détriment de l’autre, en la contraignant à se fondre dans la masse. C’est, au contraire la préservation et la promotion des langues régionales, des traditions et de la culture en général de chaque contrée qui font la richesse d’une grande nation.

Au moment où, à travers le monde des voix s’élèvent pour la valorisation des spécificités cultuelles, grand nombrede nos autorités continuent de considérer que la société mozabite vie recroquevillée sur elle-même dans un cercle fermé, alors qu’au fond, elle ne fait que perpétuer un héritage patrimoniale mondialement reconnu en matière d’architecture, d’urbanisme, et d’organisation sociale.

On pourrait croire que mes propos sont exagérés. Dans ce cas-là, qu’on m’explique pourquoi dans les manuelles scolaires, rien ne parle sur l’Ibadisme que la communauté mozabite pratique depuis des siècles, et tente de préserver contre vents et marées.

Intéger la pensée Ibadite, considérée, après le Malékisme, comme le deuxième rite musulman en Algérie dans la composante sociologique et culturelle du pays, serait la meilleure démonstration d’un esprit tolérant et respectueux des différentes écoles juridiquesde l’Islam. N’est-ce pas : "Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux" ?

Certains espèrent naïvement voir un jour les Mozabites sortir de leur «ghetto». Mais pour aller où ? Le soi disant «replié sur soi» de la société mozabite n’est-il une forme de rempart qui lui procure un semblant de sécurité pour préserver ses acquits communautaires ?

Pour traiter les causes et non pas les résultats d’un pareil conflit social, un Etat juste et fort doit commencer par reconnaître les spécificités, traditions et coutumes propres à chaque région pour pouvoir instaurer un vrai climat de confiance, où chacun, dans le respect de l’autre, puisse s’épanouir pleinement dans sa culture maternelle, sans qu’il soit inquiété.

La solution ? Il est évident qu’après le cumul de ces années de frustrations, occasionné par de violents affrontements entre deux communauté, une solution immédiate et définitive n’est pas pour demain. Maintenant, à la question de savoir si on peut encore garder l’espoir, même après les graves évènements qui viennent de se produire, la réponse est que nous sommes obligés d’y croire, malgré tout, car nous somme tous condamné à vivre ensemble.

Sans vouloir faire dans la lecture binaire : le "nous" Mozabites et le "eux" arabophones, j’ai tenté d’exposer les faits selon ma propre vision des choses, sans démagogie ni chauvinisme. Dieu m’est témoin qu’à aucun moment je n’ai voulu présenter les deux communautés sœurs, par "ange" pour l’une et "démon" pour l’autre. J’ai juste voulu mettre l’accent sur la différence de conception entre deux modèles de société, et souligner par la même occasion les raisons pour lesquelles aucune des politiques successives en Algérie n’a pu ou n’a voulu faire en sorte que les populations des diverses régions de notre vaste pays, s’enrichissent de leurs diversités et échanger dans la paix et la sérénité.

Hadj Aïssa Kouzi

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