Debout, les morts ! (1)

Les tirailleurs algériens, nos premiers héros.
Les tirailleurs algériens, nos premiers héros.

Ils s’appelaient Ahmed, Djilali ou Mohamed et ils mouraient entre les Vosges et l’Alsace. "Allahou Akbar !". Leurs dépouilles abandonnées aux anonymats d’hier et de demain, Ahmed, Djilali ou Mohamed, des hommes sans patrie et sans cause, des indigènes, des types enchaînés qui se battaient pour libérer les uns et les autres. Mon grand-père, nos arrière-grands-pères, cherchons bien, leur photo jaunie doit être quelque part, martyrs d'une cause qui n'était, au départ, nullement la leur mais qui, avec le temps, est devenue la nôtre.

Par Mohamed Benchicou

À l’heure où le monde s’apprête à commémorer le centenaire de la Première Guerre mondiale, qui était totalement inhumaine, celle où l’on expérimenta sur l’homme les nouvelles techniques de tueries de masse, on se prend à penser aux Poilus algériens morts dans la Marne ou à Verdun, et que l’on va sans doute sacrifier aux futiles urgences du moment, aux petites polémiques, au pugilat électoral… Pourtant, ces hommes sans patrie et sans destin sont les pères de la première fierté algérienne : ils avaient participé à la libération du monde avant de libérer leur propre sol. Et qui dit que leur propre sol aurait été libéré, cinquante ans plus tard, s’ils n’avaient contribué, eux, à terrasser la bête immonde ?

Nous leur devons une part de notre temps. Je sais, ce n'est pas le moment, on n'a pas la tête à ça, et puis, un centenaire, ça tombe toujours mal, cette année c'est le quatrième mandat, hier c'était le troisième, demain… Qui sait ce que nous réserve demain ? C'est ce qu'ils se disaient, je crois, Ahmed, Djilali ou Mohamed, à l'heure de mourir sous la neige, en anonymes, pas en héros - les indigènes ne meurent jamais en héros dans la guerre des autres -, seulement en inconnus, en vague martyr dont on oubliera le nom à peine gravé sur une pierre tombale.

"Ahmed, Djilali, Mohamed, soldats de la division de chasseurs alpins, morts pour…" Morts pour qui en fait ? Pour qui et pourquoi ?

Ils ne se faisaient sans doute aucune illusion sur la piètre mémoire humaine. Peut-être même nous pardonneront-ils nos amnésies, eux qui se sont battus pour un monde libéré et probablement oublieux, oublieux mais libéré, beau, insouciant et qui ne saurait rien de ses soldats indigènes. Qu’importe la gloire ! De toute façon, le soldat Djilali est mort en anonyme, en banal morceau de chair noire et basanée comme toutes celles qui brûlent, depuis un siècle, autour des champs de bataille. 

Oui, mais, allons-nous les laisser, au bout d'un siècle, pour un autre siècle, avec ce poids d’un mort honteux ? Un de ces morts qui auraient toujours tort car, après leur mort, il n’y aurait plus personne pour les défendre ou, tout au moins, s'en souvenir. Un mort honteux d’une guerre dont personne ne sut si elle avait été gagnée ou perdue, dont on ne se rappela ni l’époque ni les prétextes qui avaient servi à la déclencher, mais uniquement des parrains qui en furent les seuls vainqueurs.

Ils s’appelaient Ahmed, Djilali ou Mohamed et ils étaient nos premiers héros. En les évoquant, nous nous reconstituerons nous-mêmes. Ces hommes ne savaient pas s'ils allaient rester indigènes aux yeux du monde libéré. Mais ils sont allés jusqu'au bout de cette guerre devenue la leur puisqu'elle conduisait à la délivrance des hommes. En libérant les peuples du monde, eux qui étaient asservis, ils ouvraient une brèche de lumière dans la nuit. C'est de cette brèche que nous vivons, un siècle après. S'ils ne l'avaient pas fait, nous ne vivrions de rien.

M.B.

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Commentaires (8) | Réagir ?

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Bachir ARIOUAT

C'est beau, le méritent des autres surtout lorsqu'ils étaient esclave de leurs dominateurs sous la puissance coloniale de la France, ils ont participaient à la libération du monde disent certains, mais que font-ils leurs petits enfants, ils sont devenus esclaves sous une forme plus moderne de l'ancienne puissance coloniale et de ses alliés.

A quoi, cela aura servie de faire plus de sept années de guerre, pour arrivée au résultat que nous connaissons, l'ancienne colonie a planifiée de restait maitresse du pays, sans s'encombrer des vicissitude du peuple Algérien, la France nous a donner notre indépendance, mais en ayant pris soins de placé ses hommes au sommet des états Africains et compris nos mafieux, qui obéissent au doigt et à l'oeil à l'ancienne puissance coloniale.

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khelaf hellal

Je corrige mon othographe ci-dessous : Rendons un autre hommage à ces soldats indigènes de la décennie 90, qui ont tenu en respect, qui ont apprivoisé (pas apprivoisonné) et qui ont domestiqué la "bête immonde " comme la désignait feu El Hachemi Cherif.

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