Sotchi : les jeux olympiques de l’espionnage ?

Vladimir Poutine
Vladimir Poutine

Tous ceux qui iront aux Jeux olympiques d'hiver de 2014 pourraient bien en avoir beaucoup plus pour leurs argents que ce dont ils s’attendaient.

Ils pourraient même être propulsés en plein milieu d’un roman d’espionnage. Sotchi est au centre d’un immense système de sécurité qui a le potentiel de permettre aux Russes de glaner une quantité industrielle de renseignements utile sur le reste du monde pendant les olympiques. En fait, la structure actuelle pour épier tous les étrangers est tel qu’on peut déjà dire que ce sera du 7 au 23 février les olympiques de l’espionnage en Russie.

Beaucoup se sont demandé pourquoi la ville proposée par Poutine est près d’une des régions les plus dangereuses au monde. Les groupes terroristes séparatistes du Caucase tout près ont basculé dans l’islamisme dans les années 1990 après les guerres de Tchétchénie. Le groupe islamiste du Daguestan qui a revendiqué les attentats de Volgograd dans une vidéo mise en ligne est bien connu des renseignements russes. Le fait que les Jeux olympiques ont été victimes à plusieurs reprises d'attentats terroristes aide aussi à créer cet effet de panique. Soi-disant pour se protéger, les Russes ont mis sur pied pour ces jeux la plus importante mission d’espionnage depuis la fin de l’URSS. Affirmant rechercher des kamikazes, les services de renseignements russes ont transformé la ville en une forteresse ou tout équipement informatique est systématiquement espionné. Moscou contrôlera non seulement les communications des athlètes, mais aussi des journalistes et finalement de toute la population. Cette cybersurveillance sera la plus vaste jamais enregistrée pour des olympiques.

Tout cela se fait à la face même du monde et en conformité avec les règles en vigueur dans le pays. Une loi fédérale russe permet au service de renseignements d’enregistrer toutes les données qui circulent dans les réseaux de communication russes, y compris tout ce qu’il y a sur l’Internet et les téléphones incluant les fax. La Loi stipule d’ailleurs que les appareils de communication des visiteurs doivent être « totalement transparents » pour les services de sécurité. En novembre, le premier ministre Dmitri Medvedev a aussi signé une résolution qui permet aux autorités de créer une base de données qui inclura tous les visiteurs à Sotchi. Tout renseignement porté par une personne ou ses outils informatiques dans le « cercle d’acier » autour de Sotchi peut donc être récolté et analysé. Toute information privée ou non sur tout équipement électronique branché ou non à l’Internet risque d’être dupliquée, détruite ou modifiée pendant ces jeux olympiques. Le filtrage des renseignements ne sera quand même pas titanesque puisque le comité de Sotchi a précisé que 70 % des billets étaient réservés aux Russes. Le nombre d'étrangers qui se déplaceront à Sotchi sera donc minime. Compte tenu des importants coûts pour le déplacement, ce sera les citoyens les plus riches, c'est-à-dire les plus payants côtés renseignement, qui y assisteront. Moscou s’est d’ailleurs positionné pour être le gestionnaire unique de toute l’information produite. Il a déclaré qu’il ne voulait pas trop d’agents de sécurité américaine à Sotchi et à même limiter le nombre de policiers du FBI dans la ville olympique. Les Russes ont peut-être de très bonnes raisons de laisser les renseignements américains dans le noir. 

Les Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi sont un projet personnel de Poutine qui a été membre des services de renseignement et d'action du KGB, avant de devenir un des plus proches conseillers du président Boris Eltsine qu’il a finalement remplacé. Il s’est rendu personnellement à Guatemala City en 2007 pour faire du lobbying auprès du Comité international olympique afin qu’il choisisse cette région au bord de la Mer Noire. Il prévoit d’ailleurs d’importantes retombées de ces jeux qui devraient pourtant coûter 51 milliards de dollars. Selon le ministère russe du Développement économique, ils devraient amener une croissance de 2,5 % du PIB du pays au cours de cette année, ce qui est beaucoup plus élevé que les 1,9 % prévus par l’agence de notation Moody. Où les russes trouveront-ils ces 0,6 % supplémentaires ? Peut-on inclure dans le calcul russe une exploitation massive des renseignements collectés à Sotchi ?

Côté politique, la participation du président chinois Xi Jinping à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d'hiver est supposée donner un nouvel élan aux relations entre les deux pays. Vladimir Poutine a d’ailleurs déjà planifié d’aller visiter l’Iran, un de ses alliés clés au Moyen-orient juste après les jeux. Leur apprendra-t-il à quel point l’occident croit à leurs propositions de limitation de leur programme nucléaire ? Les informations recueillies pourraient servir de cadeau pour promouvoir les liens économiques avec Téhéran. À court terme, un approvisionnement quotidien supplémentaire de 500 barils de pétrole iraniens est en jeux. Le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif, vient d’ailleurs de se rendre à Moscou pour rencontrer le président russe. Vient-il de passer une commande ? Comme le montre son implication dans le conflit syrien, Vladimir Poutine est un joueur hyperactif au Moyen-Orient et tente de contourner l’embargo américain contre l’Iran qui a besoin d'argent, de marchandises et de renseignements technologiques. Tout ce que Moscou possédera en abondance après Sotchi.

Que tout cela ne soit que des coïncidences ou la pointe de l’iceberg d’une importante opération de renseignement, on pourrait fortement recommander aux athlètes, visiteurs et toutes les personnes qui iront à Sotchi de n’avoir aucun renseignement privé ou sensible dans tous leurs équipements informatiques. Il serait aussi plus sécuritaire de changer tous les mots de passe avant le départ et juste après le retour. Les personnes qui travaillent dans des postes sensibles pourraient même déjà planifier d’acheter un nouvel ordinateur portable à leur retour et donner leur vieux à leurs enfants pour qu’ils y installent leurs jeux. Cela pourrait sûrement amuser les cyberespions russes et chinois qui font un travail si routinier. 

Michel Gourd

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