Hadj Saïd Khaled, le Dreyfus algérien ?

Hadj Saïd, la deuxième victime des affrontements de Ghardaïa
Hadj Saïd, la deuxième victime des affrontements de Ghardaïa

Il y a tant de silences assourdissants. Ils me sont incompréhensibles. Tant de regards détournés. Les raisons de tant de retenue me sont inaccessibles. Des mutismes saisissants. Alors que je sais ces voix si promptes à s’élever lorsqu’il est attenté à la vie humaine dans d’autres contrés.

Lettre à mes amis

Quelles explications à cela ? Comment ceux qui ont souffert dans de leurs êtres de l’indifférence qui couvrait les crimes islamistes, ceux qui ont connu la stigmatisation et l’invective pour leurs idées et leurs convictions, paraissent aujourd’hui insensibles au malheur qui nous atteint, une nouvelle fois, dans notre chair ?

Nos concitoyens mozabites sont martyrisés, humiliés, assassinés, mais tant de réactions tardent à s’élever. Nous sont-ils, à ce point, différents, indifférents et étrangers ? Ou bien, les épreuves nous ont finalement ébranlés au point de faire de nous des mutants déshumanisés ? J’avoue ma totale incompréhension. 

Le 19 janvier 2014, à Ghardaïa, Hadj Said khaled Ben Aissa, 35 ans, père de deux enfants a été lynché par des Baltaguia à la solde de la régence d’Alger. Laissé à terre dans un état d’inconscience, Hadj Said khaled n’échappe pas à la hargne de policiers qui achèvent la sale besogne de leurs supplétifs : la mise à mort d’un homme qui a pour seul tort d’être mozabite. La scène, en témoigne la vidéo prise à partir d’une terrasse, ne laisse pas de place au doute sur la gravité des faits. Les policiers, censés être au service de la loi républicaine, ont non seulement agressé un homme qui était à terre blessé et inanimé, ils ont aussi empêché d’autres citoyens de lui apporter secours et aide. 

C’est un assassinat ! Il est emblématique de la patrimonialisation de l’état algérien au profit d’une caste prétorienne mafieuse, vassale des multinationales et des pétromonarchies wahhabites du golf. Il est une violation de l’esprit et de la lettre des lois de république, un arbitraire qui se drape d’un racisme à peine voilé. C’est l’aveu d’une haine viscérale des Algériens et de l’Algérie. 

Depuis les dernières années de la décennie 1990, l’impunité et la prime au crime constituent les fondements des politiques de l’oligarchie au pouvoir. Depuis cette période l’État algérien est détricoté et ses institutions vidées de toute substance. Quel est le domaine où les délinquants, les voyous et les mafieux n’ont pas été promus en acteurs des affaires publiques ? Quelle est l’institution qui n’a pas été minée et détournée de ses missions républicaines ? La société algérienne est travaillée au corps avec deux armes redoutables : l’arabowahhabisme comme dérivatif identitaire, culturel et cultuel ; et, la distribution de subsides financiers comme armes de corruption et de désocialisation de masse. 

En un peu moins de deux décennies, la société algérienne est au bord de son démembrement. Elle a été attaquée dans tous ses ressorts, elle a été minée en son cœur par ce qui était censé être son émanation et sa représentation. Pour l’essentiel, son sort a été joué dans l’approche et le traitement de la confrontation à l’islamisme. Le projet d’État islamique qui a fait irruption autant par la dévastation, la violence et l’agressivité que par l’entrisme dans les institutions éducatives, judiciaires, culturelles et cultuelles, n’a pas été identifié comme projet antinomique à la République algérienne. L’establishment politique, dans sa quasi-totalité, a failli. En réduisant, la confrontation avec l’islamisme à une question de lutte pour le pouvoir, à une problématique de légitimité des modes d’accès et de maintien au pouvoir. Nous sommes passés à côté d’une rupture essentielle dans notre trajectoire historique. L’histoire des nations se structure autour de moments de mutations qualitatives, qui sont généralement des moments de confrontation, de crise et correspondent dans leurs dénouements à des sauts qualitatifs. Pour ce qui concerne l’Algérie, ce moment, le choc avec le projet d’État théocratique, au lieu d’être une avancée vers la concrétisation de l’idéal de République démocratique et sociale, s’inscrit dans notre histoire comme un effondrement dramatique, une régression qui ne peut rien avoir de fécond. 

Depuis le déclin de l’Empire ottoman et son dépècement par les puissances coloniales, deux conceptions étatiques se trouvent aux prises sur l’étendue qu’il recouvrait. L’une communautaire et théocratique, le projet califal ; l’autre nationale et plus ou moins ouverte à la modernité. La colonisation a contraint cette confrontation et l’a dénaturée. Elle l’a contrariée et comprimée au point de gommer parfois ses antagonismes. Ce qui n’empêche pas qu’elle ait ressurgi dans les états postcoloniaux. Elle est au cœur de la phase récente baptisée «printemps arabe». C’est une confrontation sociétale, elle embrasse tous les aspects de la vie et n’admet pas de synthèse ou de compromis. Dans sa portée historique, elle emprunte beaucoup à la guerre de sécession américaine.

La crise du Mzab s’inscrit de multiples façons dans cette confrontation. La dérive arabowahabiste du régime algérien, scellé dans ladite «concorde nationale», prend les allures d’un néo-fet’h, une néo-islamisation. 

L’histoire de l’islamisation de l’Afrique du Nord étant totalement occultée et surtout totalement ignorée par ceux-là qui se disent «les défenseurs de l’islam» il est possible, aujourd’hui, d’entreprendre de nouveaux fet’h visant la Kabylie, les Aurès, le Mzab, l’Ahggar… Des régions qui n’ont pourtant pas à être «islamisées». Seulement cette néo-islamisation entend quelque chose de particulier qu’aucun fet’h n’a tenté ou réussit : arabiser, tant le fet’h cette fois n’est pas islamique mais wahhabite. 

Les mozabites, qui sont une mémoire vivante de l’implantation de l’islam en Afrique du Nord. Mais aux yeux des nouveaux prophètes ils sont Ibadites, donc ennemis des Omeyades. Ils sont Amazighs, donc altérité par rapport aux koreich. Ils sont une cible idéale pour ces wahhabites qui se vivent en conquérants. N’a-t-on pas vu des attaques contre les maisons mozabites. N’a-t-on pas vu leurs murs démantelés et leurs intérieurs dévastés et incendiés ? N’a-t-on pas vu des mausolées profanés ? N’est-ce pas là des déracinements symboliques si l’on peut dire, ou des déracinements simplement.

Gestes de colère ? Oh, non ! Ces actes coordonnés, planifiés sont la traduction concrète du mot d’ordre lancé dans les meetings «des Arabes» par les meneurs du néo-fet’h : «Baladiya Malikiya !». En d’autres termes : Il faut éradiquer ces Ibadites Amazighs, ou Amazighs Ibadites (on ne sait quelle est leur pire tare aux yeux des nouveaux seigneurs). Les agressions sont loin d’être le fait de marginaux. Lorsque l’on arrive à ce qu’une grève générale soit déclenchée pour empêcher la sanction de policiers pour "négligence coupable", nous sommes plus proches du pogrome (pratique qui n’a jamais eu d’existence dans nos sociétés Nord-africaines) que de tensions «intercommunautaires»

Cette l’agression a ébranlé la société mozabite. Jusque-là, sa réaction a toujours été de se replier sur elle-même dans une forme singulière d’isolationnisme. Cette société s’est toujours repliée sur ses propres solidarités internes pour tenir face à l’adversité. Elle a toujours accepté d’être ignorée pour éviter d’être agressée. Mais la jeunesse mozabite, cette fois, s’est rebellée et refuse dans la vielle attitude de se réfugier dans un statut de quasi-dhimi. 

Le choc est donc double, d’un côté il y a l’agression wahhabite (exogène) et de l’autre une fracture générationnelle (endogène) portée par les aspirations légitimes de la jeunesse mozabite à jouir d’une véritable citoyenneté. 

La jeunesse mozabite s’est donné un représentant : le Dr Kamel Eddine Fekhar. Ce statut est l’élément essentiel d’appréciation de cette personnalité. Son discours et ses contenus sont secondaires (tant qu’ils ne trahissent pas les aspirations de la jeunesse mozabite). Cette revendication de citoyenneté portée par la jeunesse mozabite est une remise en cause frontale du système militaro-bureaucratique en place depuis 1957. On ne peut pas passer à côté de cette donne politique majeure. D’ailleurs tous les courants qui n’ont qu’un attachement formel à l’idéal d’une République démocratique et sociale n’apportent qu’un soutien timoré aux populations mozabites. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Peut-être que la crise Mozabite va recentrer nos perceptions de la crise algérienne et nous amener à mieux appréhender la confrontation entre ses deux pôles.

La famille de Hadj Said khaled Ben Aissa, dont la maison a été dévastée et incendiée, a porté plainte contre la sureté nationale. Elle exige que toute la vérité éclate sur cet assassinat odieux. L’exigence de vérité doit être celle de tous les démocrates, républicains et patriotes algériens. Nous avons tous vu ce crime. Nous n’avons pas le droit de nous taire ! Sommes-nous capables de lever un large mouvement pour la vérité sur la mort de khaled Hadj Said ? Ce jeune mort à la fleur de l’âge est-il notre Dreyfus ? Je le crois, y a-t-il parmi nous un Zola ? ….

Mohand Bakir

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Commentaires (1) | Réagir ?

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uchan lakhla

L'assassinat d'un homme quel que soit les conditions est un acte ignoble et lâche, ce ne peut être que l'œuvre d'un criminel, c'est bien de lancer votre incompréhension derrière votre clavier dans un quartier parisien, c'est bien d'accuser un peuple muselé et asservi par le DRS que vous ne cessez de défendre ici sur cette tribune, on comprend aisément votre positionnement idéologique, la clique des janvieristes, ceux qui ont mené le pays à l’abîme, ceux qui ont amené le petit Mario dans un char blindé, pour lui coller tous les malheurs qui arrive à ce pays, mais bon Dieu ou est le rapport avec Dreyfus ? C’est carrément l'est et l'ouest, vous voulez peut être joué le rôle d'un Zola algérien, sans être un vrai Zola, un jour, vous défendez le DRS, un jour vous accusez les supplétifs du régime qui sont au service du DRS, comme si les Baltagais ne sont pas au service du DRS, ce qui arrive souvent, quand on souhaite sauté du coq à l'âne, votre J’accuse est lamentable, pathétique et affligeant.