Les trois défis majeurs du futur président de la République algérienne

S'il y a une volonté de changement, le prochain locataire de ce bureau aura du pain sur la planche.
S'il y a une volonté de changement, le prochain locataire de ce bureau aura du pain sur la planche.

L’Algérie à la veille de l’élection présidentielle d’avril 2014 est à la croisée des chemins. Il y a lieu d’éviter de se faire des illusions grâce à la rente des hydrocarbures car l’histoire montre clairement qu’aucun développement durable ne peut se réaliser au sein d’une société anémique et l’Algérie ne saurait échapper à cette règle universelle. Il existe un théorème universel en sciences politiques celui des 20/80% devant en termes d’objectifs stratégiques s’attaquer à l’essentiel et non au secondaire en cernant les blocages réels. Sinon on peut déverser autant d’argent que l’on veut mais avec un impact faible comparable à celui qui veut remplir d’eau un réservoir trouvé.

Aussi je recense trois défis majeurs : le premier défi sera celui d’améliorer la gouvernance se fondant sur des institutions tenant compte des nouvelles mutations géostratégiques mondiales ; le deuxième défi majeur sera de rétablir le savoir et de moraliser la société. Le troisième défi est d’instaurer le dialogue permanent, promouvoir la décentralisation et impliquer de la société. Les actions de politique socio-économique (industrie – agriculture- commerce/services) doivent se mouler au sein de ces objectifs stratégiques.

1.- Le premier défi sera celui d’améliorer la gouvernance se fondant sur des institutions tenant compte des nouvelles mutations géostratégiques mondiales

La gouvernance désigne l’ensemble des mesures, des règles, des organes de décision, d’informations et de surveillance qui permettent d’assurer le bon fonctionnement et le contrôle par l’Etat, d’une institution ou d’une organisation qu’elle soit publique ou privée, régionale, nationale ou internationale. Institution, du latin Instituo (établir, instituer) désigne une structure d’organisation d’origine humaine et destinée à s’inscrire dans la durée dans le domaine juridique. Toute institution se présente comme un ensemble de tâches, règles, conduites entre les personnes et pratiques. Elles sont dotées d’une finalité particulière. Nous trouvons les institutions locales et internationales, politiques, économiques, sociales et communautaires. Dans ce cadre existent des liens dialectiques dans la mesure où la gouvernance à pour but de fournir l’orientation stratégique au sein d’institutions crédibles. Dans cette logique, la notion d’institution est multiple recouvrant des règles formelles et informelles de comportement, des moyens de faire respecter les règles, des procédures de médiation en cas de litige. La gouvernance efficace au moyen d’une décentralisation réelle à ne pas confondre avec déconcentration, ce qui est le cas en Algérie, se fondant sur un pouvoir jacobin centralisé dépassé, nécessite l’engagement de tous les participants à mettre en œuvre l’ensemble des éléments suivants : un personnel bien orienté, entraînant la meilleure communication, une approche systématique, une plus grande accentuation sur les valeurs collectives et le code d’éthique, une gestion des risques et des relations régulières avec les citoyens et les tiers et une livraison de qualité optimale. Elle exige l’intégrité fondée sur l’honnêteté et l’objectivité, aussi bien que sur les normes de justesse et de probité quand il s’agit de l’intendance des fonds publics et la gestion des affaires d’un organisme. L’intégrité est dépendante des normes personnelles et du professionnalisme des individus, elle est aussi reflétée dans les pratiques de la prise de décision, procédures, qualité et crédibilité. Enfin, elle exige la qualité de leadership qui est exigée du conseil décideur et/ou de l’administration exécutive de l’organisation. Dans le secteur public, cela nécessite une communication lucide et claire entamée avec le président de l’organisation et une détermination nette et précise des priorités du gouvernement. De plus, l’administration exécutive doit faire preuve d’une capacité collective à assurer une bonne administration et de communiquer les normes cohérentes de la gouvernance. Or en Algérie, l’administration publique tant centrale que locale souffre de graves faiblesses qui entravent et pervertissent son action, favorisent les comportements douteux et suscitent chez les citoyens et les usagers un sentiment de frustration et parfois de rejet.Le bureau est nécessaire mais lorsqu’il est efficace et n’alourdit pas ce que les économistes appellent les coûts de transaction en fonctionnant en tant que pouvoir bureaucratique, en vase clos, en donnant l’illusion de prendre des décisions au nom de la majorité. Ces faiblesses en Algérie tiennent, fondamentalement, à des défauts d’organisation et de méthode qui se traduisent par de lourdes déficiences dans la conception et la programmation des actions, la multiplication de procédures lourdes et redondantes, un manque de suivi sur le terrain, l’absence de mécanismes d’évaluation et de contrôle appropriés qui favorisent la prolifération de pratiques malsaines telles que le clientélisme, le népotisme, la corruption, les abus d’autorité en tous genres et le gaspillage de ressources publiques rares. Comme conséquence de ces dérives, le sentiment du service de l’Etat et du public est profondément altéré, favorisant chez de nombreux responsables et agents publics des comportements et des mentalités qui aboutissent, dans la gestion de la chose publique, à développer des logiques et des finalités propres qui placent les moyens publics au service d’intérêts particuliers.

2.- Le deuxième défi sera de rétablir le savoir, fondement de l’entreprise créatrice de richesses s’insérant dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux (couts/qualité) et de moraliser la société

Le fondement du développement du XXIème siècle repose sur la maitrise de la connaissance. Il devient urgent d’améliorer la qualité qui s’est nettement détérioré en investissant massivement dans le capital humain de qualité. Les Universités algériennes, dans leur majorité se sont bureaucratisés, impliquant de revoir leur fonctionnement et leur management. Une Nation sans son élite est comme un corps sans âme et n’a aucun avenir en ce monde où règne l’interdépendance des Nations, impitoyable et turbulent Les pays émergents ont fondé leur développement sur la maitrise technologique et managériale, profitant de la mondialisation. Rétablir le savoir, c'est-à-dire le travail fondement de la richesse des Nations, implique forcément de lutter contre les rentes spéculatives, la bureaucratie néfaste et la corruption. Un dirigeant immoral ne peut donner de leçons de moralité aux citoyens comme on ne peut pas lutter contre la corruption à coups de loi et de décrets mais par une bonne gouvernance (et un véritable Etat de droit) qui conditionne le devenir du pays. La Banque mondiale retient les formes de corruption suivantes : les «dessous de table». L’OCDE propose la définition suivante : «corruption signifie toute commission ou paiement offert par une entreprise à un agent et à toute personne occupant une position de pouvoir, afin d’influencer sa décision en faveur des intérêts de l’entreprise». Avec la mondialisation des échanges, le placement dans des paradis fiscaux, et ce, aidé souvent par des cabinets conseils spécialisés, il est très difficile d’évaluer les commissions et autres paiements suspects qui circulent dans un monde de comptes secrets, de comptabilités parallèles, de fonds cachés, de réseaux d’influence invisibles pour le plus grand nombre. Pour le cas Algérie, la gouvernance déficiente et la corruption sont des problèmes que vivent quotidiennement les Algériens. Leurs impacts sur la pauvreté et la croissance entraînent des conséquences particulièrement désastreuses. Au quotidien, les pauvres ne peuvent pas avoir accès à des centres de santé, à l’école ou à d’autres services essentiels parce que leur administration publique ne cherche pas à répondre à leurs besoins ou parce qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas payer de pots-de-vin La corruption est un aspect d’une mauvaise gouvernance, qui donne lieu à l’utilisation des biens publics à des fins privées. Il y a prévarication lorsqu’un représentant de l’Etat accepte, sollicite ou extorque un pot-de-vin et lorsque des agents privés donnent ou offrent des pots-de-vin pour circonvenir aux politiques et procédures de l’Etat pour se procurer un avantage comparatif et en tirer profit. La corruption peut aussi être le fait de parties du secteur privé mais avoir trait à des activités de l’Etat et avoir un impact sur ces dernières. C’est le cas, par exemple, lorsque des soumissionnaires forgent des ententes frauduleuses dans le cadre des marchés publics. Les travaux de recherche et l’expérience montrent que la qualité de la gouvernance, notamment la maîtrise de la corruption, a un impact significatif sur la croissance. Une corruption incontrôlée peut détruire une économie en remettant en cause la légitimité des institutions de l’Etat, en aggravant les inégalités et en déchirant le tissu social. Les problèmes de gouvernance et de corruption sont des obstacles majeurs à la réduction de la pauvreté. Une mauvaise gouvernance et la corruption signifient souvent que les ressources qui devraient alimenter la croissance économique et offrir aux pauvres des opportunités d’échapper à la pauvreté sont en fait utilisées pour enrichir des élites corrompues.

3.- Le troisième défi est celui du dialogue permanent, comme outil de gouvernance réaliser une véritable décentralisation à ne pas confondre avec déconcentration et d’impliquer la société

La population veut des gouvernements plus responsabilisés et plus transparents. Ce pays semble être entre deux, du temps réel et de la nécessité de saisir les occasions avant que les fenêtres d’opportunités ne se referment pour développement durable. Le véritable défi est de faire articuler ces deux temporalités. Et la seule solution durable est la moralité de ceux qui dirigent la Cité, liée à la démocratisation avec l’implication de la société civile. Même si l’Algérie connaît aujourd’hui une certaine stabilité politico-financière, due essentiellement à des facteurs externes (98% d’exportations représentées par les hydrocarbures), les problèmes de la gouvernance et de la consolidation de l’Etat de droit se posent avec acuité. Les dysfonctionnements structurels et systémiques internes de l’administration, résultant de la forte centralisation du pouvoir de décision et de la persistance de certaines formes d’autoritarisme ont fait que la dépense monétaire inégale depuis l’indépendance politique n’a pas été proportionnelle aux impacts économiques et sociaux. Une nouvelle gouvernance est le moyen d’améliorer les prestations des services publics et faciliter le bon fonctionnement des institutions, favorisant une meilleure interaction des institutions. Une meilleure interaction entre l’Etat, ses institutions et le public implique plusieurs actions stratégiques. Premièrement, une gouvernance démocratique qui garantit une meilleure représentation des citoyens dans les institutions de l’Etat et une large participation au débat démocratique. Deuxièmement, la gouvernance économique doit favoriser l’assainissement du cadre macroéconomique général du pays, des secteurs bancaires et financiers. Troisièmement, la gouvernance administrative doit rapprocher l’administration des citoyens, faciliter l’informatisation de l’état civil, du domaine foncier, du recensement des populations, de la collecte des impôts. D’une manière générale, le facteur crucial des efforts de réforme de la gouvernance ont pour principal objectif d’établir des Etats capables, transparents et comptables de leur action.

L’une des grandes priorités générales consiste à accroître la transparence des activités en facilitant l’élargissement de la participation des organisations civiques et des médias et l’intensification de leur supervision. Lorsque les citoyens et les médias ont un large accès à des informations sur les opérations des institutions publiques, ils peuvent contribuer de manière cruciale à tenir l’Etat comptable de ses actions. Cet accès peut impliquer la publication de données sur le budget et la passation des marchés, l’ouverture d’un accès aux dossiers et aux rapports de l’État, et la diffusion systématique par l’Etat d’informations sur ses opérations et ses accomplissements, notamment, par le biais du portail e-gouvernement. Une plus grande transparence peut également aider à établir la crédibilité des décideurs qui communiquent des informations sur leurs revenus et leurs biens. Une société civile dynamique, des communautés locales impliquées, et des citoyens indépendants sont autant d’éléments essentiels d’une bonne gouvernance

En résumé, une incertitude plane sur le futur économique de l’Algérie à la veille de l’élection présidentielle, qui espérons le se déroulera sans remous, la stabilité étant le fondement du développement futur. Face aux nouvelles mutations mondiales, l’Algérie doit mettre fin à cette corruption socialisée, qui menace les fondements de l’Etat, au moyen de mécanismes démocratiques (un Etat de droit se fondant sur une justice réellement indépendante) pour éviter les règlements de comptes inutiles. Pour cela, une nouvelle gouvernance des services publics et des institutions devient urgente. Le phénomène de mondialisation accentue cette tâche et rend plus complexe le rôle traditionnel de l’Etat largement influencé par l’internationalisation de l’économie.

Mais ne versons pas dans la sinistrose. L’Algérie recèle d’importantes potentialités pour peu qu’existe une volonté politique de changement, et une gouvernance rénovée, processus de décision collectif n’imposant pas systématiquement une situation d’autorité. Cette stratégie ne peut donc émerger qu’en rétablissant la morale à tous les niveaux, ainsi qu’une coopération entre les institutions dans laquelle chacune exerce pleinement ses responsabilités et ses compétences. Il suffira que les futurs dirigeants algériens appliquent, au lieu de discours creux qui ne portent plus, les principes élaborés au XIVe siècle par le grand sociologue maghrébin, Ibn Khaldoun, qui a montré clairement que la décadence d’une Nation commence par l’immoralité et donc de donner le primat à l’effort et au travail sur les valeurs spéculatives.

Dr Abderrahmane Mebtoul, Expert International en management stratégique

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Commentaires (4) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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klouzazna klouzazna

Il manque juste un quatirème défi (et PAS LE MONIDRE) à relever

... FOUTTRE EN TOLES ET POUR LONGTEMPS TOUS LES VOYOUX QUI ONT SAIGNE LE PAYS, POUR DEGRAISSER TOUS CES JOUES ET CES VENTRES MALHONNETEMENT ENGRAISSES...

C'est le dernier défi mais pas le MOINDRE, LAST BUT NOT LEAST !!!

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