Yasmina Khadra, l’alchimiste des temps modernes

Yasmina Khadra, écrivain et candidat à la présidentielle.
Yasmina Khadra, écrivain et candidat à la présidentielle.

"Nous avons besoin d'hommes qui sachent rêver à des choses inédites." JFK.

Parler de Yasmina Khadra en gardant ses pieds bien ancrés de nordiste, c’est le rater, entraver la bohème qui l’habite et surtout manquer une escapade improvisée vers les somptuosités du Sahara, exactement à la limite nord-ouest de Bechar dont l’âpreté s’adoucit fragilement par l’épanchement circonspect d’une commune appelée Kenadsa.

C’est là que Mohamed Moulessehoul a vu le jour prolongeant ainsi une lignée discrète de poètes établis. De cet endroit il a beaucoup retenu, surtout le mot sourdre que les eaux sereines du Ksar savent si bien employer afin d’offrir à la région sa prodigieuse « Rue des palmiers ». De la vie en général, il a appris que l’embrun est prisé surtout là où les vagues se font désirer. Et il ne se gêne point pour saler tout ce qu’il entreprend, même sa venue à l’écriture. D’aucuns qualifieront d’inepte le fait de se départir d’un nom prometteur, gorgé d’aisances Moulessehoul, au profit d’un autre scabreux. Lui le met sur le compte du fortuit, les plus avisés diront que l’homme a l’art de savoir sortir de l’ardu tout en y demeurant et il n’a pas perdu. Le prodige étant en la témérité de sa plume.

Tout part du vert sombre dans lequel il a été incorporé alors que la flavescence absinthe des champs lui procurait ses premiers émois colorés. Le vert, une couleur réputée être tumultueuse, capricieuse, difficile à fabriquer et à maîtriser, mais dès qu’elle est obtenue, elle se stabilise, devient apaisante et symbolise alors la santé, l’endurance, la renaissance, la fraicheur de vivre, la générosité et la modération. On l’associe aussi à la chance, à l’ambition, au pouvoir et au prestige. Elle est censée tapisser l’Eden et rendre aisées toutes les cadences, mais si elle choisit de devenir l’Eldorado d’une phalange, piétons opteront pour la déserter.

En revanche, on peut devenir verts de colère lorsque des pourfendeurs verts de jalousie nous envoient une volée de bois vert. Par bonheur, les inconditionnels sont là pour nuancer, même si parfois ils racontent des vertes et des pas mûres.

Habituellement, lorsqu’on on a été taillé dans les turbulences de cette couleur, on finit tôt ou tard par faire allégeance, pas en ce qui concerne Khadra ! La dissidence sommeille toujours en lui et veut le pousser à l’extrême, discipliné qu’il est tout de même devenu (on n’en sort pas sans séquelles) il rétorque à chaque fois : "Oui, mais à ma façon". C’est cette capacité de flirter avec l’innommable et de savoir en sortir indemne qui fait sa spécificité. Un monsieur ne sachant guère entreprendre sans s’éprendre, mais avant tout qui aime éprouver. Les intrications ne parviennent qu’à enhardir ses entrailles. Les damnables l’exaltent et drainent toute sa chevalerie. Il s’empresserait de leur prêter main forte, mais à condition qu’ils tendent la leur. C’est aussi sa façon d’écrire et de tenir le lecteur en haleine. Il commence par écrouer les vocables qui ont mal servi, il les galvanise, les précipite dans une arène, prêt à supporter ce qui s’ensuivrait, mais pas avant d’avoir susurré : «Je vous restitue le choix qui vous a été dérobé». Sublimés, après avoir été tant avilis, ils ont envie de transcender et optent pour fusionner au lieu de s’empoigner. Ils finissent ainsi comme Turambo aurait dû, éminents et remplis de prestiges. Redevables à leur auteur, ils l’intronisent, déchaînent les foules, imminent pour ses détracteurs et les révèlent, sempiternels valets doués juste en bafouilles. Houla ! Le bonhomme ferait un excellent président !

Mais il est déjà mieux, un alchimiste des temps modernes et des anciens, il a hérité cette précieuse pierre philosophale ayant le pouvoir de transmuer les métaux vils en or pur. Et le vilipender revient tout simplement à l’encenser. Alors, qu’on ne se gêne surtout pas. Mais qu’en est-il de ses personnages immolés régulièrement au pied de l’autel qu’il a érigé à la gloire de son écriture ? Ces anti-héros qui ne devraient surtout pas resplendir plus que ses héros principaux, les mots.

Cruelle sentence présumant que Khadra n’est qu’un piètre calculateur. L’est-il ? Oui, si l’on considère ses écrits à travers les lorgnettes très répandues du subjectivisme. Autrement, on reconnaitrait un tant soit peu que son passage entre les pans féroces de la verte lui a surtout appris que les héros sont des chimères empruntées aux mythologies ancestrales et que l’existence est plus jalonnée de la gent turpide que celle pétrie dans la noblesse ! Donc à quoi ça sert de bombarder les lecteurs de héros à l’emporte-pièce, pour qu’au final ils se fassent torpiller par des velléités étourdies ?

Yasmina Khadra, depuis ce jour où il a tenu les lambeaux d’un enfant occis par les héros de l’abjection s’est juré d’emprunter l’autre versant, celui des gens saisissables, dont les prétentions réformatrices se limitent à un quotidien souvent oublieux. Quant aux crâneurs prônant la refonte du monde alors qu’ils n’arrivent même pas à se faire, ils se heurteront toujours à son scepticisme et n’occuperont probablement jamais les devants d’un de ses romans.

Et Khadra jure toujours fidélité. C’est même de ce principe que semble dépendre son salut alors que d’autres n’entrevoient en lui que félonie. Mais l’ont-ils un instant considéré sans parti pris ? S’ils l’avaient fait ils auraient au moins percé son secret. Moulesshoul, l’enfant de neuf ans, arraché au giron maternel pour être projeté dans celui souverainiste d’une institution aliénante est toujours là, tapi à l’ombre, en conflit permanant entre deux antagonistes qui le minent, son âme vagabonde de bédouin et un sens accru du devoir exacerbé par les débâcles paternelles. L’envie de circuler et celle de gîter, renier les dogmes ou s’y plier, braver les opinions rétives ou flirter avec la docilité. Et par-dessus tout, ne jamais décevoir personne, ceux qui ne lui ont laissé aucun choix et ceux qu’il a choisis. En fin conciliateur, il a trouvé la meilleure façon de s’affranchir sans affecter ses édifices, Yasmina Khadra, son alter-égo, porteur d’une dualité haute en couleurs, le pouvoir créatif contre celui normatif qui l’obnubile, défaire les mots du joug qui les oppresse et les proposer aux lecteurs exempts des codes usuels. Le nomade qui fermente en lui est-il pour autant satisfait ? Bien entendu non ! Peut-on se contenter d’effluves aussi capiteux qu’ils soient lorsque des massifs de roses nous apostrophent. À cette vague à l’âme il doit quelques désertions mais qui ont pour effet heureux de le renvoyer hâtivement à l’olympe de toutes ses fortunes, l’Algérie, "One, two, three, viva l’Algiré !". Là, il pointe rudement le doigt sur ses travers, les nôtres et dévoile nos infortunes. Il l’aime, il nous aime oui mais il ne sait pas mentir et s’il était capable de complaisance, il le serait avant tout avec lui-même. Hors, il s’autoflagelle chroniquement de doutes et ça dépeint sur ses protagonistes qui fuient la scène plus tôt qu’ils y entrent et se comportent toujours en antihéros anéantis par les tribulations.

Mais qu’importe, nous avons déjà en lui le héros, et nous l’accompagnerons, même si ça nous relègue dans les limbes. Mieux vaut vaciller en compagnie d’un intellectuel que croupir aux pieds d’un béotien.

Houria Magha

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Commentaires (9) | Réagir ?

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elvez Elbaz

Un knadsi qui a renié ses origines africaine et bérbére, et éructe tout partout qu'il est arabe, arabe, arabe... !pire que le bandit imposé par degaule et boukharouba président!

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Nachabe Madih

Une belle littérature Houria. Et pour mieux savourer toute l'affection aveugle que dégagent le sens qu'en disciple sans faille vous attribuez à vos mots, il ne vous reste qu'à nous narrer en l'alternant à la description, la vie des beaux Lièvres qui bondissent hors terrier et se perdent dans les étendues piégées de la Hmada de Knadsa!

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