Pourquoi les "deux Egyptes" restent inconciliables ? (II)

Les militaires reprennent tous les leviers du pouvoir
Les militaires reprennent tous les leviers du pouvoir

Il est très difficile de passer sous silence la nomination de vingt-cinq nouveaux gouverneurs ; des militaires et des policiers, pour la plupart, était, avant même les massacres, un indicateur que l’on allait vers une dictature et vers la proclamation de l’état d’urgence dont l’abolition était une des premières demandes des manifestants du 25 janvier.

4- Le retour des notables de l’ancien régime

Plusieurs exemples ont été cités par des internautes égyptiens. Le général de police Mahmoud Othman a été nommé gouverneur de Sohag. Cet homme, gouverneur adjoint d’Alexandrie en 2011, est devenu célèbre quand il a menacé avec son pistolet des enseignants qui manifestaient. Le juge Ezzat Agowa a été nommé gouverneur de Kafr El-Sheikh. Ancien président du club des juges d’Alexandrie, il est connu pour s’être opposé au mouvement du 25 janvier 2011 et il est accusé d’avoir contribué à falsifier les résultats des élections législatives de 2005. La presse du 26 août, notamment la presse officielle et l’essentiel de la presse dite indépendante tire dans le même sens, titre sur «les deux régimes de Morsi et de Moubarak comparaissent devant les tribunaux» (Al-Goumhouriyya) ou "Jugement de deux régimes despotiques" (Roz el Youssef). Cette fausse symétrie ne semble pas tromper ces internautes qui constatent qu’aucun responsable de l’ancien régime ne comparaîtra devant les tribunaux dans les prochains mois. Ils relèvent que si Moubarak est libre, c’est pour répondre á la demande Saoudienne qui finance la transition. Ils trouvent par contre que des milliers de militants des Frères musulmans sont sous les verrous, souvent du seul fait de leur appartenance à l’organisation. Et il est probable que tous ceux qui dénonceront cette répression se retrouveront tôt ou tard en prison à leur tour. L’ouverture du procès de l’ancien président Mohamed Morsi, lundi 4 novembre dernier a montré que la contre-révolution ne cache plus ses objectifs : le retour à l’ordre ancien, à peine ravalé. Ces militants sont soumis en prison à des mauvais traitements, à la torture, qui peuvent conduire à la mort. Ainsi on cite l’exemple de Salah Ahmed Youssef, un homme de trente-cinq ans, membre de la direction du syndicats des pharmaciens, décédé en détention le 30 octobre. Peu de gens s’en émeuvent. L’organisation Human Rights Watch vient de sortir un communiqué sur le fait que les responsables policiers de tueries de manifestants désarmés n’étaient pas poursuivis. On apprend, en lisant ces activistes que le Général Mohamed Farid El-Tohami, qui a été nommé par le nouveau gouvernement responsable des services de renseignement intérieur, l’un des postes les plus importants du pays. Il est chargé notamment de la répression contre les Frères musulmans et de toute forme d’opposition contre le pouvoir. Qui est cet homme ? Il avait dirigé la sécurité militaire, avant de céder la place, pour des raisons d’âge, à Abdelfatah Al-Sissi, devenu depuis le 3 juillet l’homme fort du nouveau régime. Al-Sissi a toujours considéré El-Tohami comme son mentor. A sa retraite, ce dernier a pris la tête de l’Autorité de régulation administrative, chargée de lutter contre la corruption. Dès la chute de Moubarak, un de ses adjoints, le colonel Fathi, l’a accusé de corruption, mais son dossier a vite été enterré par la justice militaire. A l’arrivée de Morsi à la présidence, Fathi a réitéré ses accusations contre El-Tohami qui a alors été demis de ses fonctions, mais également contre le général Ahmed Chafik, candidat malheureux à la présidentielle contre Morsi, et dont la corruption avait été mise en lumière lors d’un célèbre débat télévisé en 2011 entre Chafik et l’écrivain Alaa Al-Aswani. Un diplomate occidental a balancé sur Facebook qu’il avait rencontré cet officier supérieur après le coup d’Etat du 3 juillet dernier : "il parle comme si la révolution de 2011 n’avait pas eu lieu." Quant à Cherif Bassiouni, un juriste américano-égyptien qui a travaillé pour obtenir la restitution des biens volés à l’Egypte par l’équipe Moubarak, il déclare au journaliste américain que l’Autorité de régulation administrative, qui avait les preuves et les éléments permettant de tracer les sommes volées, ne les avaient pas fournies et que, pour cette raison, «l’Egypte ne récupèrera pas un euro».

5- Une répression aveugle

Ce retour à l’ancien régime, à ses hommes et à ses manipulations, s’accompagne d’une offensive généralisée contre la liberté d’expression, dans un climat de chauvinisme national dont les Syrien, les Palestiniens, les Turcs et les Tunisiens, les artistes, les journalistes, les athlètes sportives pour ne citer qu ceux là sont les premières victimes. Ainsi, l’émission, sur la chaîne privée CBC, du célèbre humoriste Bassem Youssef, un critique virulent des Frères musulmans, a été interdite après un seul épisode. Elle avait repris, après une longue interruption, le 25 octobre dernier, mais parce que Youssef avait osé s’en prendre aux militaires, il avait été renvoyé fin septembre par CBC. Cette décision confirme ce que tout le monde sait : la plupart des chaînes privées du pays sont aux mains de capitaux liés à l’ancien régime. Toutes ces mesures ne suscitent que peu de réprobation de la part de nombre d’intellectuels de gauche égyptiens, quand ils ne les justifient pas au nom de «la guerre contre le terrorisme».pourtant, de nombreux experts en stratégie militaires révoquent en bloc la présence de terrorisme après les événements du 30 juin. Ils qualifient ces actes de troubles politiques et sécuritaires accompagnés de différentes formes de violences et d’actes hors la loi de la part d’activistes politiques. Pour parler de terrorisme selon eux, il faut qu’il ait des groupes qui revendiquent ces actes. Or, même l’attentat contre le ministre de l’intérieur, pourtant revendiqué par Ansar Beit Al-Maqdes serait selon les investigations un coup de bluff.

6- Conclusion

On constate en définitive que l’autorité intérimaire en place est tiraillée de l’intérieur comme de l’extérieur. Du premier, par des manifestations qui s’étendent maintenant aux travailleurs des entreprises économiques en voie de faillite. Des partis politiques qui étaient les pourvoyeurs de cette démarche mais qui semblent se désengager progressivement pour tout mettre sur le dos des militaires, de la police et d’une équipe gouvernementale formés principalement de technocrates venus à la rescousse de leur pays en difficulté. Du second, la pression des monarchies du Golf qui altère souvent leur souveraineté pire que le Fond Monétaire International (FMI). Les Etats-Unis et l’Europe attendent et les pressent pour renouer au plus vite avec le processus démocratique, chose qui n’est pas facile de réaliser dans le contexte actuel. Quant au service offert par la Russie, bien que fortement médiatisé, il ne satisfait pas la majorité des égyptiens pour plusieurs raisons : la Russie n’est ni un modèle de démocratie ni une approche de développement à suivre. Comme il a donné des armes à Bachar Al Assad pour tuer son peuple, il fera de même pour l’Egypte uniquement pour ses intérêts économiques dans la région et l’ambition d’un leadership. Les initiatives de sortie de crise ne manquent pas, la dernière en date est l’appel au dialogue lancé par l’alliance de soutien à la légitimité le samedi dernier et la réponse immédiate du gouvernement de transition. Il se trouve que ces bonnes volontés posent comme préalables deux conditions totalement paradoxales. D’un côté, même c’est à peine voilé : le retour à la légitimité qui voudrait dire reconnaître Morsi même s’il ne revient pas aux commandes. De l’autre, on exige d’oublier l’avant 30 août et prendre la feuille de route comme base de travail. Il est clair que ces deux positions extrêmes s’éloignent quelque peu de l’intérêt général. L’un s’accroche au pouvoir quitte à tout sacrifier, l’autre a peur d’un retour de la manivelle qui lui fera porter le chapeau. Ces deux pôles sont en effet inconciliables jusqu’à ce qu’un troisième viendra mettre de l’ordre mais dans combien de temps ?

Rabah Reghis, consultant et économiste Pétrolier

Lire 1re partie : Pourquoi les "deux Egyptes" restent inconciliables ? (1re partie)

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Bachir ARIOUAT

Parce que comme tout les peuples de l'Afrique du nord, que sont également la majorité des Egyptiens, ils sont dirigeaient soit par des juntes militaires qui sont à la solde des pays étrangers, soit ils sont dirigeaient par des régimes islamique qui sont à la solde des pays asiatique du Golf, comme la culture islamique n'est celle de la démocratie, ils ne sont pas prêt de voir le bout du tunnel, les pharaons ont laissaient des rejetons sans cervelle, eux qui ont une culture et une civilisation jamais égalé sur la terre.

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mohamed boudebza

Les égyptiens se mentent à eux même depuis le début c'est pour cela qu'il sont arrivées à cette impasse. C'est bien dommage!

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