Le vagabond des étoiles

Da Mohand Larbi
Da Mohand Larbi

Da Mohand Larbi, plus connu sous le nom de Da Lachouchi ou Da Mdakwl est une grande légende de chez nous. Hier, il arpentait inlassablement les ruelles étroites de nos villages de Kabylie, aujourd'hui, il chemine en paix dans les méandres de notre mémoire collective.

Vous le voyez porter sur son dos toute sa vie et le fardeau de nos infortunes d'une époque tourmentée : un arsenal hétéroclite dont il se servait pour réparer nos ustensiles de cuisine, mais encore panser nos blessures, conjurer nos peurs et nos tristesses ; dans un monde plein de drames et de souffrances. C'était la guerre.

Avec deux boites de chique reliées par un bout de ficelle, il avait (déjà !) inventé son mobile avec en sus, cette option qui n'est pas encore inventée : mettre en connexion les amants séparés, les amoureux affligés avec leurs favorits (tes), les morts et les vivants. Ni l'espace ni le temps n'imposaient leurs limites. On pouvait même appeler Jugurtha ! Y Croyait-il ? Y croyions-nous ? Qu'importe, le spectacle valait bien un peu de notre foi.

La tête habitée par d'étranges univers, il usait de son invention pour parler aux étoiles dans une langue mystérieuse dont lui seul détenait le secret. Il apaisait la douleur des veuves éploréees, des mères et des épouses esseulées. Il s'adressait hardiment aux astres à l'aide de son bidule, leur exigeait de ramener l'exilé à la maison ou de libérer la parole bienveillante de l'être cher à jamais disparu ou encore d'allumer la flamme de l'amour dans le cœur de l'être aimé.

Souvent, il se saisissait d'un journal colonial puis, à l'aide d'une aiguille, piquait avec rage toutes les photos représentant soldats et autorités coloniales, comme pour leur jeter un mauvais sort. C'était, en quelque sorte, son rituel vaudou. Dans ces moments là, il rentrait dans une transe qui ne manquait pas de nous transmettre ce souffle qui gronde dans les entrailles de notre terre occupée. Naïfs étaient ses tours de magie, mais profonde était la communion entre ce vieillard au cœur d'enfant et la marmaille joyeuse de miséreux incrédules qu'il divertissait sur la place du village. Nous l'aimions Da Lachouchi. Il nous aimait. Ne vous méprenez pas, ne méprisez pas, en ce temps là, sous la crasse épaisse et les hardes de gueux brillaient nos ors et nos diamants. Un grand hommage à cet homme d'un genre exceptionnel. Notre vagabond des étoiles.

Mokrane Gacem

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