SNC-Lavalin et corruption en Algérie, les journalistes enquêtent, la justice à la traîne

SNC-Lavalin et corruption en Algérie, les journalistes enquêtent, la justice à la traîne

Alger le 25 octobre 2013. Dans notre communiqué du 22 février dernier, intitulé "L’entreprise canadienne SNC Lavalin impliquée dans des affaires de corruption en Algérie : Sonatrach 3 et Sonelgaz 1", nous avions lancé un appel au gouvernement algérien à l’effet de "sortir de son silence et à annoncer des mesures urgentes".

Huit mois plus tard, le silence gouvernemental est toujours de mise, et dans cette affaire, la justice algérienne est aux abonnés absents. Sous d’autres cieux, les enquêtes policières, judiciaires et de journalistes avancent et nous appportent régulièrement de nouveaux éléments sur l’implication de l’Algérie dans cet énorme scandale aux ramifications internationales.

SNC-Lavalin a la particularité ces douze dernières années d’avoir nommé à des postes importants – 1ère vice-présidence du Groupe-, et dans leurs "filiales pays", des "Nord-Africains". C’est le cas aussi pour les "intermédiaires", désignés par le Groupe, ou imposés, pour l’obtention de marchés. Comment sont-ils "choisis" ? Pour leurs compétences ? Pour leurs diplômes ? Pour leur carnet d’adresse ? Pour leurs liens divers et familiaux avec les gouvernements Maghrébins ?

Parmi eux, on retrouve Sami Bebawi, d’origine égyptienne, installé au Canada depuis longtemps, très peu connu de l’opinion publique algérienne et peu médiatisé dans les scandales de corruption impliquant SNC-Lavalin, ayant occupé jusqu’en 2006, le poste de 1ère vice-président du Groupe (qu’il a quitté au début de 2007), ayant été derrière les principaux contrats avec l’Algérie et "apprécié" des dirigeants algériens. Très "généreux" et grand seigneur, et pour cause (!), Sami Bebawi s’était distingué dans la wilaya de Skikda (où il avait obtenu la réalisation d’une centrale électrique) en offrant en 2006…100 ordinateurs aux écoles de la région, «don» en fait financé avec l’argent des ....contribuables algériens ! Les scandales de corruption de SNC Lavalin de ces dernières années ne se sont pas limités à l’international : il y en a eu aussi au Canada, ce qui a provoqué un véritable séisme au sein de l’opinion publique de ce pays, et l’affaire du CHU Mc Gill de Montréal n’est pas le moindre de ces scandales, affaire où le directeur général de cet hôpital s’est vu «offrir» comme cadeau par Sami Bébawi une de ses villas cossues au coeur de ...Montréal !

Depuis 2012, Sami Bébawi, qui a fui le Canada, est dans la cible de la justice canadienne qui a saisi des propriétés et bloqué des comptes bancaires au canada appartenant à des proches de Sami Bébawi.

Salim Amdadou, est l’actuel directeur général de «SNC-Lavalin Algérie», filiale du Groupe, dont les bureaux de Ben Aknoun à Alger, ont été perquisitionnés, trop tardivement, par la police judiciaire début juin 2013. Avant d’occuper ce poste, Salim Amdadou avait été le patron de «Dessau Maghreb Algérie» pendant plusieurs années. Lors de rencontres avec la presse entre 2007 et 2009, l’ancien directeur général de "Dessau Maghreb Algérie" était présenté comme titulaire d’un doctorat en génie de transport de l’Ecole polytechnique de Montréal, établissement prestigieux, ce qui est faux, comme le révèle un «mail» de la "conseillère en communication" de l’établissement en question, daté du 30 août 2013, en réponse à une» demande de journalistes de Radio canada : "..... Selon les informations qui viennent de m’être transmises par le secrétariat général de Polytechnique, aucun diplôme de doctorat n’a été octroyé à Monsieur Salim Hamdadou.» SNC Lavalin et son «Monsieur anti-corruption» vont certainement dans les prochains jours en tirer les conclusions qui s’imposent. Il faut rappeler que "Dessau", Groupe canadien, est mêlé aussi à des affaires de corruption, notamment au Canada dans l'attribution et l'exécution de certains contrats municipaux à Montréal.

Comment a été nommé Salim Hamdadou à la tête de SNC-Lavalin Algérie, le faux docteur de l’Ecole polytechnique de Montréal, dont les pratiques de népotisme sont dénoncés par de nombreux emplyés de SNC Lavalin Algérie ? Quels sont ses liens avec Farid Bédjaoui ?

Par ailleurs, pourquoi la justice algérienne à ce jour ne veut pas auditionner Ryadh Ben Aïssa, Vice-président de SNC-Lavalin de 2006 à 2012, aujourd’hui en prison à Genève (les magistrats suisses ont fait part de leur disponibilité à faciliter cette audition, ce qu’ils ont permis à la Gendarmerie Royale Canadienne) ?

Liste noire et pratiques opaques

De quel droit le ministre de l’énergie et des mines, puis le PDG de Sonelgaz (alors que celui de Sonatrach reste muet à ce sujet) ont annoncé il y a quelques mois que SNC-Lavalin était sur une liste noire en Algérie, privée de marchés publics, alors que la justice algérienne ne s’est pas du tout prononcée sur l’existence de faits de corruption avérés ? A moins que le ministre et le PDG de Sonelgaz se soient appuyés sur une décision de la Banque mondiale de "blacklisté" une centaine de filiales de SNC-Lavalin suite à une implication de cette dernière dans des affaires de corruption pour des projets financés par cette banque ? Dans ce cas là, pourquoi ne pas sanctionner aussi les entreprises étrangères ((chinoises et françaises notamment), "blacklistés" par la Banque mondiale et qui continuent à obtenir d’importants marchés en Algérie sans être inquiétés outre mesure ? De quel droit en plus, puisque réglementairement, c’est au ministre des finances, et ce, conformément au Code des marchés publics, de rendre publique sur son site Internet la liste noire des entreprises non autorisées à soumissionner pour des marchés publics ? Par ailleurs, le «Monsieur anticorruption» de SNC Lavalin a déclaré récemment à la presse que son entreprise n’a pas été destinataire d’une notification du gouvernement algérien lui signifiant son inscription sur une liste noire des marchés publics.

Corruption parrainée par des clans

Comme toutes les multinationales qui s’adonnent à la corruption pour obtenir des marchés, la stratégie utilisée est de s’appuyer sur les clans au pouvoir ou à sa périphérie, ceux qui tiennent les cordons de la bourse. Ces multinationales apportent même une "assistance technique" à ces clans et leurs intermédiaires pour faciliter les placements à l’étranger de ces commissions et ces pots-de-vin qui se chiffrent à des centaines de millions de dollars : mises en contact avec des banques peu regardantes sur l’origine de ces fonds ; recrutements d’avocats spécialisés dans la gestion des fortunes ; ouverture de comptes protégés dans les paradis fiscaux ; et montage de sociétés-écran. "Assistante technique" qui a aussi permis à un certain nombre de dirigeants de SNC Lavalin de se "sucrer" au passage et de bénéficier de "rétro-commissions" que les justice suisse, canadienne et italienne essayent de localiser, de chiffrer et surtout de récupérer !

Le dénominateur commun aux affaires de corruption de SNC-Lavalin en Algérie, en Tunisie et en Libye, c’est l’apparition de clans pour la gestion de cette criminalité organisée : les Farid Bédjaoui et Chakib Khelil pour l’Algérie, les Benali en Tunisie et l’un des fils Khadafi en Libye.

Le plus grave dans cette affaire de SNC Lavalin au Canada, au Maghreb et dans le reste du monde, et qui est encore loin d’avoir livré tous ses secrets, c’est que la corruption a été une pratique utilisée systématiquement durant des années par les dirigeants de cette multinationale, contrairement à toutes les déclarations de ces derniers - aussi bien de ceux qui ont été écartés, que de ceux qui les ont remplacés et qui sont en poste aujourd’hui, privilégiant la thèse de «l’acte isolé», thèse battue en brèche par les justices suisses et canadiennes. SNC Lavalin ne va pas sortir indemne de cette affaire : elle commence à en payer le prix à travers des pertes de marchés, une baisse du chiffre d’affaire, une crédibilité sérieusement malmenée, des poursuites judiciaires dans différents pays,etc. Mais ce type de multinationales, avec l’appui du gouvernement canadien complaisant, des lobbys patronaux et financiers, n’est pas prêt de s’effondrer : la «reconstruction» est en cours, un monsieur «anti-corruption» a été recruté pour faire le ménage et faire le dos rond quelque temps pour laisser passer l’orage, puis rebondir certainement en changeant de nom et repartir à la conquête de nouveaux marchés.

Depuis plusieurs années maintenant des journalistes canadiens, tous types de médias confondus, et à l’image de leurs confrères algériens mènent l’enquête sur SNC Lavalin, tant au Canada que dans les pays où il y a eu corruption à grande échelle. Radio (télé ) Canada à travers son équipe d’«Enquête» s’est illustrée par des investigations notamment en Tunisie et en Libye (une émission a été diffusée en mars dernier), et en juin dernier en Algérie qui a donné lieu à un reportage diffusé hier soir, dont l’intitulé est tout un programme : «Au coeur du système secret de SNC-Lavalin». En bas de ce communiqué, nous publions les liens Internet qui permettront de voir ces 2 émissions (celle sur l’Algérie étant accessible aujourd’hui en début d’après-midi).

Pour l’AACC, Djilali Hadjadj, porte parole

Pour voir les émissions de la télévision canadienne sur la corruption de SNC Lavalin au Maghreb:

1. Tunisie et Libye : http://www.radio-canada.ca/emissions/enquete/2012-2013/Reportage.asp?idDoc=278157

2. Algérie : http://www.radio-canada.ca/emissions/enquete/2013-2014/

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