Bouteflika-DRS : la fin du régime bipolaire ou la "Re-Boumedienisation" du pouvoir (1)

Bouteflika-DRS : la fin du régime bipolaire ou la "Re-Boumedienisation" du pouvoir (1)

Il y a encore une quinzaine de jours, avec la rentrée sociale, la succession d’Abdelaziz Bouteflika constituait l’ordre du jour des gardiens du temple du Pouvoir et de leurs féroces janissaires.

Par Rachid Oulebsir (*)

Comment sauver le système politique qui garantit la pérennité de leur hégémonie sur le partage de la rente ? Comment remplacer le cercle présidentiel sans remettre en cause l’équilibre historique des clans et surtout sans laisser l’espace et le temps à l’opposition réelle atomisée dans la société civile de se structurer et arrêter définitivement le moteur provisoirement déréglé de la machine complexe des cercles concentriques du Pouvoir. 

"Les experts" pompiers du système ont déployé leurs dernières énergies pour nous brouiller la vision et nous enfermer dans la fatalité du scenario habituel où un homme providentiel est coopté par les décideurs réels du renseignement militaire (DRS) auquel on opposera d’interchangeables haridelles qui ruent dans les brancards sans briser les harnais, des contestataires de théâtre sous le joug de la raison d’Etat et de la rente et quelques jeunes pur-sang piaffant d’impatience de faire tourner les meules qui broient le peuple dans les cercles vertigineux de la rente. 

Nous attendions de voir les spécialistes des élections du ministère de l’Intérieur convoqués de nuit pour nous sortir un score Brejnévien, validé par des observateurs au look de touristes sexuels venus de l’Occident auxquels seront opposés des observateurs ventripotents venus d’Orient avec leurs tapis et leurs chapelets de prière. Les opposant-maison crieront à la fraude, occuperont la rue et les medias légers quelques semaines et tout rentrera dans l’ordre ! Le DRS veillera ! Les lignes rouges quelque peu piétinées sont retracées, toutes les pièces sont révisées, le moteur du système mortifère peut redémarrer. Gloire à Nos martyrs !

Comment donc évacuer le chef de l’Etat sur son fauteuil roulant ? Par la petite porte de l’article 88 de la constitution ou par la fenêtre sans barreaux d’une démission à la Chadli !?

Coup de théâtre dans les orgues du pouvoir ! Bouteflika sort son plan B et précipite la recomposition du pouvoir longtemps différée par sa maladie. De sa main tremblante à moitié paralysée, Abdelkader El Mali, le malin, sortit tel un prestidigitateur de la manche de son survêtement de sport sa dernière carte tremblante et frappa du poing sur la table. Il fit au DRS une proposition qu’il ne pouvait refuser. De la situation de Cheikh Mat (Echec et Mat), il surprit la reine, les cavaliers et leurs Fous qui préparaient leurs noces incestueuses ! Le sauveur du Système en 1999, cria haut et fort «Le système c’est moi !»

Les retombées de l’attaque terroriste de Tiguentourine

En deux semaines de course folle, le chef de l’Etat, affaibli physiquement, donné pour politiquement sortant, réalisa ce qu’il projetait, avec les derniers fidèles du groupe d’Oujda, depuis que le pouvoir lui avait échappé des mains après la mort de Boumediene en 1978. Il mit en chantier la réunification du pouvoir entre ses mains présidentielles, projet qu’il avait maintes fois différé depuis son retour aux affaires en 1999, refusant notamment d’être un "trois quarts de président". Cette expression prise au premier degré à son époque revêt aujourd’hui tout son sens politique. Une crise interne à l’ANP, lui offrit l’opportunité d’abattre ses cartes et de dépouiller le DRS de ses prérogatives de contrôle de l’institution militaire en amont et en aval et de déplacer du même coup le noyau dur du pouvoir de la bureaucratie des renseignements vers les bureaux du palais d’El-Mouradia !

Unifier sous sa férule les multiples segments du pouvoir, tout le pouvoir comme au temps béni du Conseil de la révolution où le chef des forces armées, le colonel Houari Boumediene, avait à son service, la redoutable Sécurité militaire, l’appareil central du FLN et ses organisations de masse et la haute administration héritée de la colonisation efficace dans le contrôle des populations et de l’asservissement des castes techniciennes utiles dans la réalisation de la rente par le truchement du gouvernement, des walis et des chefs de daïras.

Le pouvoir apparent dans son costume civil et le pouvoir réel dans son treillis militaire réunifiés sous une seule autorité, sous la coupe d’un seul homme : le chef de l’Etat ! Centres d’élaboration, espaces d’exécution et segments d’évaluation et de répression articulés en cercles concentriques autour d’un noyau : la présidence de la république. Comme au temps prospère de Houari Boumediene le pouvoir totalitaire est comme un oignon, composé d’une dizaine de pelures qui se couvrent les unes les autres et toutes protégeant le noyau central.

Cette insolente réussite n’est-elle pas trop facile ? Ce DRS donné pour un ogre qui tenait le clan présidentiel dans le filet des enquêtes sur la corruption a-t-il réellement abdiqué sous les coups de boutoir et les peaux de banane des serviteurs zélés du président ? On se souvient de la seconde élection de Bouteflika et du rôle joué par les services du général Toufik dans l’éjection d’Ali Benflis et de son clan vers une longue traversée du désert. Est-ce la fin du deal entre la présidence et le DRS ? En s’aventurant sur les plates bandes de Toufik, Bouteflika joue-t-il un coup de poker, ou a-t-il réellement réuni les moyens de son coup de force ? La hiérarchie des renseignements militaires n’est-elle pas en position de faiblesse après le pourrissement dans la gestion des affaires de haute corruption qui ont éclaboussé la souveraineté nationale ? L’attaque terroriste de Tiguentourine (In Amenas) qui avait violé les frontières du pays, n’a-t-elle pas montré les limites et dévoilé l’inefficacité des services de renseignements du DRS ? Pour une meilleure efficacité des services de sécurité des armées, Bouteflika vient finalement d’exercer ces fonctions du chef suprême des forces armées en mettant fin à la suprématie du DRS sur l’état-major de l’ANP, copiant la structuration de nombreuses armées dans le monde. Le clan du président tirera, à l’évidence, le maximum de dividendes de ce redressement dans la hiérarchie militaire.

Fin de la suprématie du DRS sur l’état-major

L’armée vue de loin comme un bloc monolithique où l’ordre et la hiérarchie maintiennent une cohésion à toutes épreuves, est en réalité traversée par des courants politiques au point où ses chefs interdisent aux medias nationaux de la qualifier de "Grande muette". Héritière de la glorieuse armée de libération nationale elle a toujours exercé un rôle politique en désignant ou en cooptant les hommes du pouvoir apparent auxquels elle trace les feuilles de route avec des lignes rouges voire même les méthodes de gouvernance.

De nouveaux rapports de force au sein de l’armée ont à l’évidence fait émerger une élite derrière l’actuel chef d’état-major, favorable à l’exercice par l’ANP des seules fonctions que lui délimite la constitution. Une élite qui voudrait s’émanciper de la tutelle spectrale de la police militaire interne relevant de la direction centrale de la sécurité de l’Armée. Abdelaziz Rahabi, un enfant du système, ancien ministre démissionné par l’entourage du président, au fait des mécaniques du pouvoir, parle à ce propos de l’émergence d’officiers quadragénaires dans les structures du DRS. Quel est le poids de cette nouvelle force qui n’accepterait plus l’hypertrophie du rôle politique de l’institution ? Bouteflika vient d’exploiter cette nouvelle donne pour pouvoir déplacer les centres de décision des renseignements militaires vers l’autorité conventionnelle de l’Etat major. Le transfert de trois principaux bureaux sous la tutelle directe du chef d’état-major promu vice-ministre de la Défense ne signifie pas une neutralisation du DRS mais un glissement de sa force de frappe, sa capacité de contrôle de l’institution, en amont et en aval, entre les mains du président de la république ! 

Par ailleurs l’attaque terroriste du centre pétrolier de Tiguentourine (In Amenas) avait mis en avant le rôle prépondérant des forces spéciales de l’ANP et la lourdeur des services de renseignement de l’armée et ceux du ministère de lIintérieur qui, n’auraient pas vu venir les véhicules des terroristes islamistes sur mille kilomètres de désert. Cette défaillance en d’autres temps aurait immédiatement été suivie d’effets par la sanction des responsables directs. Bouteflika avait engrangé ces cartes pour les abattre le moment venu. C’est fait. Justifiant le transfert de la Direction centrale de la sécurité militaire de l’armée du DRS vers l’état-major.

Ahmed Fattani, directeur du quotidien L’expression, ancien responsable de la presse consulaire à Tunis, écrira dans sa mise au point de ce mardi 17 septembre. "C’est pour assurer une meilleure performance dans l’acheminement direct et rapide du renseignement que cette direction est transférée à l’état-major". C’est cela ! Il y avait un disfonctionnement évident du renseignement, notamment lors de cette attaque terroriste d’In Aménas. Il arguera que c’est ce qui se fait dans toutes les armées du monde en citant les armées française, russe et américaine. La mise sous la responsabilité directe du chef d’état-major des renseignements militaires n’est-elle pas la conséquence de ce manque de rapidité dans un contexte international dangereusement mouvant ?

Pouvoir réel et pouvoir apparent : vers un exercice totalitaire du pouvoir

En retraçant les lignes qui séparaient le pouvoir apparent exercé par les institutions de la république et le pouvoir réel détenu par les services de renseignements de l’armée, Bouteflika fait-il faire au pays un pas vers la démocratie ou au contraire fait-il main basse sur les segments du pouvoir qui lui manquaient pour instaurer un totalitarisme à la soviétique !?

Depuis l’indépendance, trois forces politiques régissent la vie du pays. Le FLN parti unique héritier du capital idéologique du mouvement national et de l’aura symbolique de la guerre de libération nationale, l’ANP unique institution réellement nationale, légataire de la glorieuse ALN, détentrice du pouvoir des armes et garante de l’unité de la nation par la présence de ses corps sur tout le territoire reconquis, et l’administration héritée de la colonisation française garante du fonctionnement de l’Etat, notamment de la réalisation de la rente pétrolière unique source nationale de richesse.

Les deux premières forces, ALN et FLN, avaient eu à en découdre lors de la crise politique de l’été 1962 par l’entremise du GPRA et de l’Etat major général,…l’issue de la crise meurtrière avait porté Ahmed Ben Bella au pouvoir, un président civil sous l’étroit contrôle de l’armée notamment de ses services de sécurité hérités du MALG. De 1965 à 1999, excepté la tragique parenthèse du Président Boudiaf, et l’éphémère transition du HCE présidé par Ali Kafi, le chef de l’Etat est toujours issu des rangs de l’ANP porté à la tête de l’Etat avec un simulacre électoral, rituel qui officialisait la pérennité de l’Etat algérien aux yeux des partenaires étrangers et maintenait l’organisation des cercles du pouvoir à leur place. Le combat meurtrier entre les civils et les militaires avait pour objectif la mainmise sur l’administration d’Etat laissée par la France coloniale. Qui avait le pouvoir sur cette administration avait l’Etat et le pays entre les mains.

Ce triangle du pouvoir, cette hydre à trois têtes, structure encore de nos jours la forme et le contenu du pouvoir dans ses expressions externes, ses apparences mais aussi dans sa pate et son énergie interne. Militaires, politiciens et administrateurs technocrates s’entendent dans leur règne sur la réalisation de la rente et son partage, la capacité de nuisance des groupes et des cercles étant la valeur motrice des processus de gouvernance !

Après la mort de Boumediene, durant vingt ans, les militaires imposèrent par le truchement des services de renseignement leur prépondérance aux deux autres protagonistes du pouvoir. Le pouvoir devint bipolaire. Le président de la république fut cantonné dans le pouvoir institutionnel apparent avec ses multiples contrepouvoirs enjoliveurs d’une démocratie d’apparat ! "La révolution d’Octobre 88" ne changea pas la logique interne du système, bien au contraire elle organisa l’avortement d’une insurrection populaire généralisée. Et permit même au système de s’habiller des attributs formels de la démocratie nécessaires et suffisants pour être présentable aux yeux des partenaires occidentaux et de leurs opinions humanistes. Un parlement avec ses deux chambres, une opposition pluraliste, une presse libre prise en otage en amont par la publicité d’Etat, une liberté sociale surveillée et surtout la prise en charge sociale de la jeunesse composant 75% de la population contre sa dépolitisation organisée par l’école.

Le DRS ne s’est jamais mis en travers de la route de Bouteflika contribuant même en 1999 à mettre fin à sa traversée du désert. En 2004, l’opinion publique fut manipulée au point de voir en Ali Benflis le futur président coopté par les militaires ! A la dernière minute il fit les frais de la force centrifuge du DRS. La donne change aujourd’hui. En 1962, Ben Bella le civil était l'homme de Boumediene le chef d’état-major militaire, aujourd’hui, Le chef d’état major militaire est l'homme de Bouteflika le civil. Le pouvoir réel est tombé entre les mains du président qui avait déjà le pouvoir apparent. C’est une nouveauté que la société civile pourrait peut être exploiter. Le centre de décision, noyau dur du pouvoir, est désormais à El Mouradia, alors que de 1962 à l’été 2013 il était au MDN dans les bureaux du DRS.

R. O. (A suivre)

(*) Ecrivain, Universitaire,

Diplômé en économie politique

Des universités Paris-Nord et Paris-Panthéon-Sorbonne

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Bouteflika-DRS : la fin du régime bipolaire ou la "Re-Boumedienisation" du pouvoir (II)

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Massinissa Umerri

Un article inteeressant duSoir:

Il ne resterait vraissemblablement que le poste de Vice-President pour filston, qui lui regnera donc 15 + 5N anne'es, Autant changer le terme al mouradia a Assaidia.

<b>Tarek Hafid - Alger (Le Soir) </b>

Abdelaziz Bouteflika peut-il prolonger son mandat de deux années ? Pour atteindre cet objectif, il devra amender, une nouvelle fois, la Constitution afin de passer du quinquennat au septennat.

La durée du mandat présidentiel est inscrite dans l’article 74 de la Constitution : «La durée du mandat présidentiel est de cinq ans. Le président de la République est rééligible. »

Rappelons que c’est cette disposition qui avait été modifiée en novembre 2008 pour lui permettre de briguer un troisième mandat. Et comme en 2008, le président de la République devrait choisir la voie la plus simple et la plus rapide pour modifier la Constitution. Il lui suffira d’opter pour la voie parlementaire en appliquant l’article 176 :

«Lorsque de l'avis motivé du Conseil constitutionnel, un projet de révision constitutionnelle ne porte aucunement atteinte aux principes généraux régissant la société algérienne, aux droits et libertés de l'homme et du citoyen, ni n'affecte d'aucune manière les équilibres fondamentaux des pouvoirs et des institutions, le président de la République peut directement promulguer la loi portant révision constitutionnelle sans la soumettre à référendum populaire si elle a obtenu les trois quarts (3/4) des voix des membres des deux Chambres du Parlement. »

Gouvernement, Parlement et Conseil constitutionnel… Abdelaziz Bouteflika maîtrise toutes les institutions qui participent au processus de décision. Sauf qu’une fois institué, le septennat ne sera valable qu’à partir de la tenue d’un scrutin présidentiel en 2014. Cette obligation est édictée par l’article 71 de la Constitution. «Le président de la République est élu au suffrage universel, direct et secret. »

En 1999, 2004 et 2009, Abdelaziz Bouteflika a été élu par le peuple pour des mandats de cinq années. Dans la situation actuelle, la formule de la «rallonge» de deux années lui sera attribuée par un collège de constitutionnalistes. Le Président ira-t-il jusqu’à supprimer l’article 71 pour faire sauter ce verrou ?

Impensable, à moins d’aller à l’encontre d’une autre disposition constitutionnelle, l’article 178. «Toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte au caractère républicain de l'Etat, à l'ordre démocratique, basé sur le multipartisme (…). »

Pour Bouteflika, user d’un jeu d’écriture pour rester deux ans de plus au pouvoir sans passer par la case élections, s’avère être irréalisable. A moins de mettre sérieusement en péril l’avenir de la République algérienne.

T. H.

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moh-said outioua

Pour la partie du peuple qui n'a jamais consenti à se soumettre à ces prédateurs, il n'y a qu' un seul pouvoir maléfique que la rente entretient pour effacer toutes traces de valeurs qui doivent fonder une nation.

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