Les dessous des trifouillages de Bouteflika

Amar Saadani, la voix de son maître.
Amar Saadani, la voix de son maître.

Contrairement à ce qui a été annoncé et largement commenté par les médias ces derniers jours, ce ne serait pas Mohamed Médiene, alias Toufik, patron du DRS, qui serait visé par les derniers trifouillages du gouvernement et de l’ANP par Bouteflika, mais plutôt Ahmed Benbitour, son véritable adversaire aux prochaines échéances électorales. C’est Amar Saadani, nouveau SG du FLN, qui aurait dévoilé, à son insu, les dessous de ces trifouillages.

Dans un entretien au forum du journal d’Echourouk, le dimanche 15 septembre, le secrétaire général du FLN, Amar Saadani, s’est laissé aller à des confidences, comme se laisserait aller un patient sur le divan d’un analyste. Amar Saadani, « la voix de son maître », a donc parlé, ou plutôt, il a confié inconsciemment les dessous du complot. Contrairement aux injonctions qui ont été dictées aux oreilles frêles de l’apprenti sorcier qu’il est, fraichement débarqué à la tête du FLN, malgré lui. Ce n’était pas la pression du journaliste qui l’a acculé au fin fond de son inconscient pour dévoiler le lourd refoulé qui le tétanisé, parce qu’il était en territoire ami. Ce n’est plus un secret pour personne, car Echourouk est un journal gouvernemental, mais seulement, non déclaré en tant que tel, comme d’ailleurs le sont les partis politiques qui meublent la façade démocratique du système. Mais ce serait plutôt à cause d’un surmoi de circonstance. Seulement de circonstance, car dans sa fratrie, l’immoralité est devenue une vertu dans les apparences.

Quant à la circonstance elle-même, elle est de double nature. Il y a le surmoi de courte échéance, celui qui couvrira le temps de la campagne électorale pour les présidentielles à venir. Circonscrit dans le temps donc, celui de se jouer de la crédulité de la grande masse des électeurs, pour calmer leurs ardeurs et les conditionner à se plier à la gigantesque fraude électorale qui se prépare. Pour accepter sans brancher la réélection de son altesse Janus ou un représentant de ses employeurs, dans le cas où Fakhamatouhou aurait consommé son impotence jusqu’à la lie. Parallèlement, il y a le surmoi des autres, ceux qui guettent obsessionnellement nos faux pas, pour trouver prétexte à notre recolonisation, face auxquels le système doit montrer patte blanche, même si sous les pieds la vermine a rangé tout polissage, l’essentiel est que cela ne se voie pas. Puisque les deux parties seront gagnantes dans l’affaire. Chacune pourra bénéficier de sa rétribution équitablement, tant que la reconduction du statu quo se fera sans bruit.

Saadani, n’avait pas seulement, à cette occasion, dévoilé le refoulé qui le tétanisé, mais l’avait presque vomi. Lâchant à la face de son analyste, sourdement, sans même avoir été convié : « le commandant suprême des Forces armées est conscient de ce qu’il fait, il a vu la nécessité de ces résolutions - entendre les trifouillages du remaniement du gouvernement et la restructuration de l’ANP et du DRS, qui ont fait couler stérilement un gisement d’encre à nos journalistes et politologues, formatés à la myopie critique des non-dits du système, dont il faut s’attendre prochainement à la même myopie consensuelle face au même trifouillage de la constitution qui se profile - et de poursuivre « … alors, il n'est pas nécessaire de relier tout ça à l'élection présidentielle prochaine et les comptes personnels. »

Quoi de plus normal ! Diront les mauvaises langues, qu’un SG de parti politique au pouvoir vienne appuyer la stratégie de son gouvernement à la préparation des prochaines échéances électorale. Rappelons que Bouteflika est le Président d’honneur du FLN. Soit ! Mais c’est la stratégie elle-même qui est douteuse et sournoise, car, elle n’exprime pas ses véritables objectifs et motivations, plutôt elle les refoule pour tromper l’opinion, comme à ses habitudes à la veille de telles échéances. Elle est même, à la lumière de l’élaboration de l’analyste, d’une grossièreté aveuglante. D’autant plus, que sa médiatisation a été confiée à un novice en communication et de surcroit inculte. 

Une observation attentive aurait fait apparaître sur le plateau du forum du journal Echourouk, un Saadani fébrile, tel un chat qui a volé un gros morceau de viande sur la table de la ménagère et s’en est allé le manger dans un coin à l’abri des regards, et qui reviens ensuite sur le lieu du crime, léchant encore les derniers restes de gras, suspendus sur les poils saillants de sa moustache clairsemé, d’un air effarouché, empli de sentiments de culpabilité et fixant la ménagère de ses yeux grands ouverts, méfiant et prêt à bondir au moindre geste accompagné d’un infime soupçon d’hostilité. En fait Amar s’est laissé prendre au piège de ce que Sigmund Freud appel une dénégation. C’est-à-dire, « ce à quoi il veut montrer qu’il n’en croit moins et qu’en réalité il l’admet comme unique vérité. » Parce qu’il lui a été interdit de la révéler en tant que telle, sous l’injonction du surmoi qui avait tracé les contours de la ligne du refoulé en ces termes (révélés par le Soir d’Algérie) : «Je vous informe que je vais me représenter et vous ordonne de commencer à préparer le terrain.» La dénégation est une manière de prendre connaissance du refoulé, à vrai dire déjà une annulation du refoulement, mais évidemment pas une acceptation du refoulé : « … alors, il n'est pas nécessaire de relier tout ça à l'élection présidentielle prochaine et les comptes personnels. » Et c’est ainsi que le clan au pouvoir et ses porte-voix sont entrés dans une hystérie collective, inondant l’espace médiatique de brouillages de tous genres et de dénégations compulsives.

Jusqu’à là, l’objection des mauvaises langues aurait été justifiée et admise et l’on aurait pu la mettre sur le compte de la stratégie, qui consiste à attendre le moment propice pour déclarer publiquement une candidature. Cela aurait pu être ainsi. Si seulement, l’analyse n’était pas parvenue à dévoiler un non-dit, ici le refoulé que la dénégation n’a pu trahir et qui s’est dévoilé par d’autres canaux. Car, le véritable objet de la dénégation est enfui sous une deuxième couche de refoulement. Il s’agit d’un non-dit, celui qui justifierait tous ces trifouillages soudains et imprévus. Il aurait été inutile tout ce remue-ménage, si tel n’était pas le cas. Il suffisait d’attendre le moment voulu et déclarer ouvertement la candidature.

Ce qui est dévoilé en vérité, c’est une rhétorique qui s’inscrit dans les mœurs des bonnes guerres, lors des échanges indirects entre différents candidats pendant les campagnes électorales. Qui constitue le véritable refoulé des derniers trifouillages de Bouteflika. Cependant, ce deuxième niveau de refoulé, fut dévoilé par d’autres canaux dans la structure même du discours de Saadani, en venant jeter une lumière rendant intelligibles tout ce remue-ménage. C’est en cela que la stratégie de son gouvernement est douteuse et sournoise et qu’elle n’exprime pas ses véritables objectifs et motivations, plutôt, elle les refoule sous une deuxième couche, pour tromper l’opinion. Voilà pourquoi elle apparait sous une forme grossière et aveuglante.

C’est l’expression « …les comptes personnels », en fin de phrase, qui viendrait lever le voile sur les véritables motivations de tous ces spectaculaires trifouillages et leur mise en scène sous la forme d’une fuite organisée, pour les donner en pâture à des médias avides de sensationnel et les rendre ainsi plus visibles. Même des médias étrangers de grande audience, tels que France 24 et le Figaro, se sont saisis de l’affaire, pour la rendre encore visible à l’échelle internationale et la boucle du surmoi serait ainsi bouclée. Rappelons-nous, le vent de printemps qui a soufflé sur Alger, le mois de mars 2013. Un vent de printemps, à l’occasion duquel a été signé un contrat d’alliance entre Mohamed Mechati, Sofiane Djilali et Ahmed Benbitour, les engageant dans un combat politique pacifique ouvert à l’adhésion de tous les compatriotes, sous forme d’un serment, dont l’objectif se résumait à quatre non ! Non, à un quatrième mandat à Bouteflika, non à la prolongation de son troisième mandat, non à un changement de la constitution et non à la fraude électorale. Connaissant l’orgueil démesuré de Fakhamatouhou, il n’a jamais pu avaler un tel défi, considéré pour lui comme une suprême offense, puisqu’il s’est attaqué à tout ce qui représente d’essentiel pour lui: le trône. D’autant plus, que cela venait de la part de celui qui lui a claqué la porte au nez, après avoir refusé de se soumettre à ses caprices aux tous débuts de son intronisation à El Mouradia. Benbitour ne s’était pas arrêté là, puisque il avait renchérit, en insistant sur l’application de l’article 88, suite à son AVC. Ce qui aurait rendu certainement Bouteflika fou furieux, au point d’installer une certaine « animosité » entre les deux hommes. Mais ce qui va déterminer Bouteflika à passer à l’offensive, c’est la prise de conscience de la véritable menace qui commence à peser sur son trône, représentée par l’initiative de Benbitour et de celle de son programme. Certes, le programme de ce dernier, même s’il présente des insuffisances, parce qu’il s’articule sur une politique très libérale et très conservatrice, il ne vise néanmoins à rétablir la légalité à travers une transition démocratique pacifique, largement mobilisatrice. Bouteflika à du avoir des frayeurs devant les rapports des services, sur la formidable mobilisation des cercles de soutient de Benbitour. C’est à ce moment-là qu’il décide de passer à l’action. Elle fut fulgurante. Des trifouillages dans tous les sens en un laps de temps, pour ne rien changer au fond, puisque l’objectif visé est l’effet d’annonce et la neutralisation de son véritable adversaire. Et pour faire diversion, une polémique est montée de toutes pièces : il s’agit d’un conflit imaginaire entre Mohamed Médiene, alias Toufik, patron du DRS et Fakhamatouhou. De manière à faire apparaître Bouteflika comme le grand vainqueur de ce bras de fer fantasmatique et espérer augmenter son capital de légitimité. Alors qu’en réalité, il s’agit d’une rivalité plus sérieuse encore et plus menaçante pour son trône et celui de tout le système de pouvoir, dont lui et Toufik sont les principaux associés.

C’est à ce moment-là que Saadani fut désigné pour faire le point sur la situation et prêcher la bonne parole. Ce fut un véritable flop. Novice en communication qu’il est, Saadani s’était essentiellement focalisé sur les arguments du complot et avait délaissé l’essentiel des problèmes les plus urgents. A aucun moment, par exemple, il n’a été question d’inflation, d’explosion des importations, des problèmes politiques, ou les dossiers brulants de corruption qui éclaboussent les hommes du sérail, etc.

Il aurait fallu quelques minutes à Saadani, sur le plateau du forum d’Echourouk pour dévoiler les dessous de tous les trifouillages de son employeur. On avait l’impression à un certain moment, que c’était plutôt le programme de Benbitour qu’il était venu exposer. Rien n’a été négligé dans ses lignes principales.

Ca va de la professionnalisation de l’armée, traduisant les restructurations opérés par Bouteflika et qui ne sont en réalité que celles contenues dans le programme de Benbitour,* dont « Une modernisation de l’armée avec la définition d’une doctrine militaire afin de répondre aux nouvelles exigences de sécurité nationale qui mettent en premier lieu les questions de préparation à la vulnérabilité », que Saadani reprend en ces termes : « la dissolution de certains services affiliés à la Direction des renseignements et de sécurité de la direction générale de l'Armée nationale populaire est en faveur de cette institution sensible, et ce, dans le but de la professionnaliser, surtout avec les risques que connait le pays sur les frontières. »

Aux questions d’ordre politique, dont la séparation du politique et du militaire, définie dans le programme de benbitour : « la séparation du politique et du militaire est consacrée dans la Constitution en vigueur qui précise que la souveraineté appartient exclusivement au peuple. Nous n’avons donc pas besoin d’une nouvelle constitution pour assurer cette séparation. Il est vrai que toutes les élections présidentielles précédentes ont été déterminées par l’intervention de l’armée, apparente en 1965 et en 1979, ou déguisées par la suite. C’est pour cela que notre programme insiste sur le changement de tout le système de gouvernance et non se contenter de changer les personnes. » Elle sera reprise par Saadani à l’identique, dans son expression : « Comme il est aussi indispensable de séparer entre les institutions, et je pense que ce qui s'est passé est en conformité avec ces exigences […] Les élections présidentielles seront civiles […] Je pense qu’avec ces décisions, l’armée se retirera de la scène politique et de la justice ». Notons le désaveu pour quatorze ans d’exercice du pouvoir de son employeur sous ce régime ! Par ailleurs, le chef du gouvernement, Abdelmalek Sellal lui-même était intervenu sur les médias il y a quelques jours pour déclarer de manière fracassante, que le temps des fiches d’habilitation des fonctionnaires, élaborées par le DRS, était révolu.

Pour compléter le tableau de ce plagiat non avoué, il faut examiner de près le remaniement ministériel et essayer de comprendre le sens de la transformation du ministère de l’industrie en celui du développement industriel. Là encore ! C’est sur quoi repose tout l’édifice du programme de Benbitour que le plagiat est assumé. Car, c’est sur la panne du développement économique et industriel, pour dépasser la dépendance des recettes des hydrocarbures, que tout le programme de Benbitour est articulé.

Il apparaît clairement donc, en fin d’analyse, que c’est la menace que représente le programme de Benbitour et sa capacité de mobilisation citoyenne, déjà avancée, qui constituent les véritables dessous de tous les effets d’annonce survenus ces derniers jours. Il fallait neutraliser cet adversaire dangereux pour la pérennisation du système, en prenant le meilleur raccourci, c’est-à-dire, procéder au plagiat de son programme, pour freiner l’adhésion massive de la population au profit de son mouvement. Par ces trifouillages spectaculaires, massivement médiatisés, Bouteflika n’a fait donc que s’approprié le programme de son adversaire pour mieux le neutraliser et apparaître ainsi comme le véritable réformateur. Mais tout cela, uniquement dans un but électoraliste. Car, le programme de Benbitour est inapplicable dans l’état actuel des choses, puisque la majorité de la clientèle du clan au pouvoir traine suffisamment de casseroles, que s’il venait à l’appliquer, ce serait un suicide collectif. Un peu comme le serpent qui s’amuserait à se dévorer par la queue.

Youcef Benzatat

1. Entretien avec le Dr. Ahmed Benbitour, 15 avril 2013 par Youcef Benzatat

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Commentaires (4) | Réagir ?

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mohand aghedu

" Saidani débarqué à la tête du FLN, malgré lui. " ? Quezako ? Voilà l'inoxydable Benzetate qui lit dans le marc de café ! Comme diraient les partisans dr Mr Benflis : " ggimik gher immi rebbi".

PS : Est-ce un lapsus ou une confusion des genres ? Allez savoir avec Benzetate.

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michel michel michel

Du n'importe quoi monsieur benzazat! benbitour qui n'a jamais gagné une élection dans sa vie, même pas au niveau de son quartier natal à metlili, ferait peur à boutef!

franchement, entre boutef même impotent et grabataire, et benbitour, il n'y a pas photo.

C'est affligeant de constater que certains journalistes voient en un homme qui n'a milité nul part, n'a pris position sur quelque ce soit et illustre inconnu avant de devenir ministre, un homme d'Etat! AHLIL AHLIL

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