La liberté de conscience, le politique et l’intellectuel

Les déjeuneurs de Kabylie suscitent le débat entre les pour et les contre.
Les déjeuneurs de Kabylie suscitent le débat entre les pour et les contre.

Un déjeuner collectif et festif sur une place publique de Tizi-Ouzou en plein jeune du Ramadhan, anodin d’apparence, n’a pas laissé pourtant indifférent la classe politique, les médias, l’État et les intellectuels engagés et militants sur la scène publique.

Même des médias étrangers, intéressés, se sont invités dans le débat houleux que ce déjeuner, pas si anodin que ça a pu provoquer. D’ailleurs, des Algériens d’autres villes comme Montréal, Paris, etc. se sont solidarisés avec les déjeuneurs de Tizi-Ouzou, en venant organiser à leur tour leur propre repas festif au même moment et scandant le même slogan qui a motivé cet évènement sans précédent dans l’histoire du pays : la revendication de la liberté de conscience en acte. Défiant toutes les apesanteurs nauséabondes, qui ont perverti le sens de la lutte du mouvement de libération national en bigotisme éclairé.

Détrompons-nous, le choix de ce bigotisme ne s’est pas fait pour une quelconque revendication de souveraineté identitaire, du reste tronquée par une lecture intéressée de l’histoire ou autre patriotisme n’ayant produit que du populisme et de l’autoritarisme, méprisant au passage toute valeur citoyenne, voir humaine. Il ne faut pas perdre de vue la lutte pour le pouvoir, qui s’est engagée en même temps que le déclenchement du combat libérateur de novembre et l’échafaudage idéologique sur lequel devrait-il reposer. L’objectif était d’éviter que le peuple s’éveille à la liberté de conscience, à la démocratie et à la citoyenneté. Il fallait éliminer tous les obstacles qui se dresseraient sur le parcours qui devrait mener au pouvoir absolu et transformer la société en dominants paternalistes et sujets assistés et asservis. Ainsi furent assassinés tous ceux qui ne répondaient pas à cet impératif, à commencer par l’architecte prématuré d’une République de citoyens en phase avec la contemporanéité du monde : le lettré et le révolutionnaire Abane Ramdane. Le sang qui coule dans les veines de tous ceux et celles qui avaient à cœur de contribuer à l’émancipation du peuple, dont ils sont issus, n’a pas cesser d’être versé à ce jour, pour préserver la place privilégié qu’ils occupent par le truchement du maintien du peuple dans l’ignorance et l’âge pré-politique, pour rendre sa soumission plus acceptable et insoupçonnée.

Qu’ont-ils fait avec ce pouvoir, dressé sur un flot de sang d’innocents, versé dans l’abnégation, pour la dignité et la liberté du peuple dont ils sont issus et dont ils sont jaloux pour son bonheur ? Un pays privatisé. Un État corrompu. Ruiné. Sous-développé, malgré ses richesses naturelles et humaines. Une administration arbitraire. Des institutions soumises à la gestion occulte et mafieuse. Des équipements sociaux qui fonctionnement comme des coquilles vides, à l’image des organisations politiques « autorisées » et des structures des « représentations » populaires. Un peuple abandonné à lui-même et sujet à toutes sortes d’humiliations et de violences. Une Nation en marge de la marche de l’histoire. Moquée et méprisée par les autres Nations, même parmi les plus pauvres. Autistes au jugement des hommes et de l’histoire, leur seul souci est de persécuter leurs sujets par une surconsommation de propagande apologétique religieuse, dans toute la sphère publique et jusque dans leur espace privé, par médias interposés, pour inhiber en eux toute potentialité d’éveil de leur conscience critique. Ils peuvent même en être fiers sur ce plan et se revendiquer comme les champions du monde de la sottise politique en édifiant le plus grand espace du monde, qui soit inutile et improductif : la grande mosquée d’Alger.

Le combat de ces militants déjeuneurs ou de tous autres intellectuels engagés pour le recouvrement de la souveraineté et des libertés au profit de leur peuple s’inscrit inéluctablement dans la continuité du combat de l’intellectuel révolutionnaire, qu’était Abane Ramdane, qui n’a cessé d’inspirer les intellectuels algériens depuis cinquante ans. On continu aujourd’hui, plus que jamais, à s’en revendiquer pour s’inscrire dans la dynamique révolutionnaire qu’il a enclenché avant de périr par la cupidité et la lâcheté de politiques véreux.

La sortie médiatique incongrue d’un « politique » en manque de sérail, en l’occurrence Samir Bouakouir, qui a trouvé en Benbitour un repreneur de circonstance, tant l’objectif politique commun est d’arriver au pouvoir, au mépris des exigences républicaines, par la négation des libertés fondamentales et universelles, illustre sournoisement cet état d’esprit opportuniste qui a noyé la révolution de novembre dans le bigotisme et la gestion autoritaire du politique. Autant les pseudos politiques clientélistes du système de pouvoir autocratique ont condamnés en cœur cet acte révolutionnaire et courageux de ces déjeuneurs, autant les prétendants au pouvoir, sous le masque d’une opposition formelle, reprennent en réalité pour leur compte les mêmes termes du discours inhibiteur de l’éveil des consciences aux libertés fondamentales. Ceci est le cas d’Ahmed Benbitour, qui malgré sa volonté de refonder l’État et les institutions sur des bases légales, la légalité sur laquelle repose sa stratégie se fonde sur un électorat dépourvu de souveraineté individuelle et aliéné dans une conscience pré-politique. L’enthousiasme qu’a provoquée son initiative, qui était au départ saturée de promesses, se soldat, par une désillusion regrettable, tant son initiative était porteuse d’espoir de changement du système de pouvoir vers la légalité et d’un véritable plan de lutte contre la corruption. Ses dernières déclarations politiques contradictoires, semblent présager sa volonté de vouloir le changement sans la citoyenneté en se démarquant ainsi des véritables démocrates. Sa référence constante au Coran et à l’Islam dans ses réponses aux questions de libertés individuelles et de liberté de conscience en l’occurrence ont trahis les intentions non avouées de son projet politique. Samir Bouakouir n’avait qu’à se muer en adepte zélé et lancer sa diatribe contre les déjeuneurs pour figurer parmi les bons soldats.

Face au politique véreux, se dresse l’intellectuel engagé et militant dans l’espace public. Hypothéquant sa quiétude, ses biens et jusqu’à sa sécurité. Ainsi agit fébrilement Mohamed Benchicou avec sa plume acerbe contre les maux de son peuple. Malgré la maladie, le poids de l’âge et la solitude qui caractérise son combat, mené dans un champ de bataille ou il est à la fois le soldat et le général, tellement celui-ci est déserté par son camp. Comme pour nous rappeler, qu’il suffit d’une voix pour repousser l’hégémonie de l’injustice et du mensonge et que cette voix devrait éclore là où le silence règne en Loi. Ce fut sa réponse à Bouakouir, en interpellant la médiocrité des politiques égarés de ne pas se méprendre sur l’initiative des hommes et des femmes libres qui ont libérer leur conscience en acte devant Dieu et les hommes. Devant l’évidente légitimité de leur acte et le devoir accompli par le soutien de l’intellectuel engagé, que peut peser une riposte d’un malheureux apprenti en politique, dans une conjoncture de surenchère aveugle, mu par la recherche d’un consensus croupion, sinon, se perdre en écho lointain dans quelques abimes témoignant de moments insignifiants de la trajectoire de l’histoire de notre Nation.

Youcef Benzatat

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Commentaires (12) | Réagir ?

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moumous mouswada

C'est l'histoire d'un mec dirait Coluche à qui on montrait la lumière... mais le kidam, ignorant celle ci, est resté mrekez sur le doigt !!

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mohand aghedu

Ne tirons pas trop sur la corde. Benzetat a le mérite d'être

fidèle à lui même. Il a aussi le mérite de s'en tenir à des

principes qu'ils estime devoir défendre vaille que vaille.

En dirais-je autant de certain (s) ?

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