De la problématique algérienne des langues d’enseignement

L'enseignement des langues est sujet au politique en Algérie
L'enseignement des langues est sujet au politique en Algérie

Les langues d’enseignement dans le monde, ayant fait l’objet d’un survol récent *, ce papier tente de défricher l’épineuse question en Algérie. En vertu des notions déjà libellées, nous récapitulons, pour dire qu’il a été attribué à la langue, pas moins de cinq qualificatifs : morte- vivante- maternelle –dialectale – scientifique, ne s’auto- excluant pas forcément, certains pouvant se confondre.

Nous pourrions en rajouter, celui de nationale(s) et officielle ; ce qui nous fera sept qualificatifs. Sept, comme les sept merveilles du monde, ou les sept couleurs de l’arc en ciel. Ou encore, comme un train à sept wagons. Ce cadrage va nous permettre d’aborder une telle problématique.

Quel compartiment va recueillir le souffle de l’Algérie ? Selon nos linguistes, dans quel wagon loger alors, la langue dite arabe classique, ou scolaire ? Est-elle maternelle ? Est-t- elle l’unique langue utilisée à l’école ? Nous savons tous qu’il n’existe pratiquement aucun enseignant qui emploie exclusivement l’arabe scolaire, pour communiquer avec ses élèves. Avez-vous vu ou entendu un algérien s’exprimer en arabe classique dans des endroits publics, en dehors des médias et de certaines assemblées politiques ou religieuses ? Et puis même dans les mosquées, l’imam fait mouche quand il s’exprime dans la langue dialectale dite populaire. Existe-il un pays dans la sphère arabo-musulmane où l’on parle l’arabe classique ? Pourquoi certains de nos écrivains, écrivaient-ils en arabe, pour virer ensuite vers le français ? Les plus célèbres, grâce à leur plume (au jeu du clavier maintenant), combattent ou ont combattu, dans la langue du colon, sans éprouver le moindre trouble, tout en enrichissant le patrimoine national et universel, car assumant le bilinguisme. "Je n’ai pas éprouvé de déchirement entre les deux cultures, mais des possibilités multipliées", dixit Mohamed Dib. "C’est en français que j’ai prononcé la première fois le mot indépendance", dixit Malek Haddad. 

Par ailleurs, pourquoi nos instituts privés et si prisés, dispensent des formations professionnelles en langue française ? C’est que le marché technique de l’emploi utilise le français. Il semble aussi que des textes officiels de l’Etat algérien, à une époque ou à une autre, aient été écrits en français, puis traduits vers l’arabe ; dans le sens indiqué, pas l’inverse. Mais pourquoi donc ? Le malaise semble alors latent, patent… Epatant. Et douloureux en même temps.

Sachant que l’école prépare aussi, à des formations ultérieures, pourquoi dispenser l’enseignement des mathématiques, des sciences physiques et des sciences naturelles en langue scolaire, tirée par le dialectal, alors que leur enseignement s’effectue en français, à l’université et ailleurs ? Et pourquoi l’arabisation avait- elle concerné l’enseignement supérieur, à l’exception du cursus biomédical et des autres études scientifiques dès la deuxième année ?

C‘est qu’il y a moult problèmes. D’abord parce que l’arabe s’écrivant de droite à gauche et les équations mathématiques dans le sens inverse, l’élève peut aisément perdre sa boussole, en « baladant » sa main et son regard, de droite à gauche et de gauche à droite, puis en combinant les caractères arabes et latins. Pour les études biomédicales, il a toujours été hors de question de les enseigner en arabe, pour des raisons historiques, mais aussi parce que nous ne produisons pas, ou très peu la science. Des raisons similaires s’appliquent en sciences exactes. Il y a en fait, une indigence dans la terminologie scientifique arabe (1) d’autant plus que la langue arabe scolaire reste réticente à l’enrichissement, hermétique, enclavée, pour des raisons idéologiques cette fois ci. Wech ? "Wesh, t’as pas compris ?" Simple : "Wesh", qui vient du dialectal maghrébin, issu du mot berbère "ach" qui signifie "quoi" ou "comment", a été introduit dans des dicos français, après avoir été un mot d’argot, très utilisé dans les banlieues françaises. C ‘est tout.

Pour revenir à la culbute de la langue d’enseignement des sciences, du lycée à l’université, il est établi que cela constitue un handicap de taille pour les étudiants, d’autant plus que dans le système LMD «adopté» (2), on considère que l’apprentissage des langues étrangères est une exigence, et que, selon la loi d’orientation sur l’Education nationale du 23 janvier 2008, l’une des missions de l’école est de «permettre la maîtrise d’au moins deux langues étrangères en tant qu’ouverture sur le monde et moyen d’accès à la documentation et aux échanges avec les cultures et les civilisations étrangères». Il a donc fallu «poireauter» jusqu’ en 2008, c’est-à-dire 46 années après l’indépendance, pour reconnaitre, l’impérieuse nécessité de la maitrise des langues étrangères, et sa réintroduction récente dans des branches scientifiques à l’université, à travers notamment, la promulgation de cette loi qui ne demande qu’à être respectée.

Si pour l’Inde, malgré son éloignement géographique, de son ancien colonisateur, et d’autres pays anglophones, on peut considérer que l’anglais fut une capture coloniale féconde, chez nous, le français est un "butin de guerre", acquis du temps des maquis, une langue familière, loin d’être étrangère à tout le Maghreb, imbibant notre environnement, mais malheureusement, de plus en plus mal prise en charge, engendrant apparemment, chez les enfants, un phénomène de rejet inoculé, donc de malaise. Ce fait, créant des obstacles majeurs, pour une poursuite correcte des études universitaires, il y a donc urgence à soigner notre système éducatif, dont l’affreuse pathologie a été soulignée, à défaut d’être surlignée, dans une autre contribution.

Non maternelle, sacralisée, idéologisée, est-il possible à une langue d’être scientifique c’est-à-dire ouverte à l’échange ? En outre, si conformément à notre loi d’orientation citée plus haut, son article 16 stipule que l’école doit être préservée de toute influence ou manipulation à caractère idéologique, politique ou partisan, il est question alors, d’améliorer l’enseignement de l’anglais, de cesser le massacre du français, une torture du style Général Massu, et d’assurer l’enseignement des matières scientifiques, en français, dans tous les cycles de l’Education nationale, pour ne pas handicaper les générations à venir. N’oublions pas aussi, que tout enfant, telle une éponge face à l’eau, est réceptif aux langues, dès son bas âge, tel que vu par d’éminents spécialistes de la question.

Car quel est l’intérêt à apprendre les sciences, de l’école jusqu’ au lycée, avec un arabe scolaire, certes littérairement riche, mais scientifiquement maigre, et épaulé par le dialectal, et dès lors que ces sciences sont enseignées en français à l’université ? Même l’enseignement des mathématiques est appréhendé, donc fui par nos étudiants, à cause du problème linguistique justement, et comme soulevé lors d’un séminaire, tenu à Alger. Car les maths, tout comme les sciences physiques, ne se contentent pas de formules et d’équations, mais exigent une formulation claire, composée d’une terminologie riche. L’unique solution, soulevant toute chape de plomb, c’est que l’oreille du Pouvoir soit à l’écoute des gens du Savoir, nos éminents linguistes en particulier, pour ce qui concerne cette problématique sommairement soulevée. D’une manière générale, ligotés, enfermés dans des labos et n’ayant aucune prise sur le réel, des chercheurs algériens, ceux qui activent encore, cherchent, et trouvent, surtout quand ils trouvent une oreille attentive.

Sinon, combien de wagons communicants, parmi les sept cités ci haut, y aura-t-il alors, pour se lancer dans le train de ce millénaire qui a déjà pris un départ et qui n’attend que difficilement ceux en retard ? Et le temps passe vite. "Ferme tes yeux et c’est déjà l’aube", nous rappelait grand-mère, par cet adage populaire, elle avec qui, sur les chemins de sa tendresse, nous avions croisé les cavaliers de la légende, où la magie du verbe ciselée par la mélodie des mots, ondulants en doux flots, nous transportait dans ces contrées inondées d’un halo.Tout naturellement. Dans la langue du cœur évidemment, pas celle de bois. Un cas, un autre tracas …..

Rachid Brahmi (universitaire)

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (4) | Réagir ?

avatar
Ydyr At Dahmane

L'examen du contexte dans lequel l'arabe dit classique a été sorti des mosquées et des zaouia pour l'imposer dans les institutions et l'espace public permet de comprendre l'attachement acharné des politicards politiciens à l'imposer à nos sociétés.

Rappelons nous qu'avant 1930, dans les territoires beyleks ottomans, la langue officielle était le turc ancien; la sphère de l'arabe classique était le domaine cultuel.

Pour retrouver trace des prémices d'une volonté d'usage de l'arabe dit classique (classique, à vrai dire, ne sied pas chez nous : il ne l'a jamais été en Nord Afrique) au delà du l'espace cultuel (en tout cas chez les musulmans parmi nous), il faut remonter aux années 1860.

Sous l'influence des orientalistes et comme décidés à se doter d'une part d'orient (berceau du christianisme) au bas de chez soi après avoir dû céder l'Egypte aux anglais, les français de Napoléon III ont été jusqu'à abandonner l'appellation de pays barbaresques qu'ils utilisaient jusqu'alors pour désigner le Nord Afrique par le néologisme de Royaume arabe. Projet politique éphémère que ce royaume arabe dès lors qu'il n'a pas survécu à la défaite de 1870 et à l'instauration de la III e république. Il s'agissait, en fait, d'imprégner la politique de la colonie (la nouvelle patrie des colons) qui portait désormais (depuis 1839) le nom d'Algérie. d'un caractère libéral consistant à promouvoir la composante indigène "arabe" (par ailleurs, malgré les statistiques indigènes qui montraient une majorité de berbérophones et le fond berbère des populations dites arabophones) pour favoriser le commerce. Le nom d'Algérie s'appliquerait plus tard y compris aux pays annexés à cette nouvelle entité, comme Kabyle et le Sahara - le centralisme jacobin y est pour beaucoup.

Cependant, culturellement, ce projet survivra à l'empire et marquera toutes les politiques indigènes des autorités coloniales et survivra au colonialisme à travers la politique arabe de la France.

Les premières applications concrètes de la politique coloniale d'arabisation islamisation intervinrent au lendemain de la défaite finale de la Kabylie en 1971. Il s'agissait, pour déstructurer la société kabyle et en finir avec ses instances politiques, les assemblées trop libres, d'instaurer les juridictions musulmanes confiée à des Qadis à la place la justice séculaire municipale. Un autre marqueur, symbolique celui-ci, mais visible de la politique arabisation du colonialisme était l'instauration de l'Etat civil ou les noms de familles, de lignées très anciens, les noms de lieux ont cédés la place à des noms arabes. La sévérité avec laquelle les mouvements nationalistes ont été réprimés tranchaient nettement avec la bienveillance envers les religieux, la plupart du temps supplétifs de l'administration coloniale. ET l'on s'explique facilement pourquoi le mouvement des uléma n'a rejoint la révolution qu'une fois le système coloniale commençait à vaciller.

Les autorités coloniales tout comme le pouvoir qui a renversé GPRA connaissait parfaitement le pouvoir anesthésique de la religion. Et celle-ci ne peut être dissociée de la langue qui la porte. Si le christianisme n'a existé qu'en s'adossant à l'empire, en s'adonnant même à l'inquisition de nos ancêtres donatistes, l'islam, est-il besoin de le dire, c'est de la politique toute crue.

Et l'arabe dit classique dans tout ça ?

L'arabe dit classique, comme toute langue, ne s'apprend pas dans dictionnaire ou dans les cours d'orthographe - grammaire. Une langue s'apprend à travers ses classiques littéraires, scientifiques et autres. Et que propose l'arabe dit classique de fondamental ? Des textes ou la dimension religieuse est omniprésente, textes, par ailleurs, écrits par des auteurs étrangers, de pays étrangers, attachés à leurs chapelle, qui, à la place du peuple et de l'humanité préfèrent de loin leur dieu et leur secte, sans aucun lien avec les humeurs et les caractères de notre pays ? Quoi de mieux alors, pour dérouter un peuple de son destin, que lui imposer d'autres valeurs tout en lui interdisant les siennes ?

Pour finir, l'arabisation est indissociable de l'islamisation et l'islamisation est le moyen des plus sûrs faire les poches au peuple légalement.

avatar
Massinissa Umerri

Je vais peut-etre paraitre complique' qupour certains, mais je suis simple tres simple. A mon avis, il serait plus interessant de con qualifsider un qualificatif: Utile - Ou peut-etre de mesurer l'utilite' d'une langue a quelques aspects indispensables a l'equilibre et l'epanouissement d'une personne - Et l'epanouissement de tous fera celui de tout le pays. Mais nous sommes differents. Pour certains quell domage, pour d'autres quel outrage, et pour d'autres encore quelle chance !

A priori, ce regime se preoccupe ou du moins dit le faire d'apres vous, de l'ouverture sur d'autres cultures et vous semblez trouver cela positif. A mon avis, c'est trop ! au point de se perdre, en s'inventant pas des personalite's, mais des identite's qui ne sont qualifiables que de bizarres...

A mon avis, il faudrait deja se reconnaitre pour pouvoir reconnaitre son interet - des lors qu'est-ce qui est utile a un tel ou tel interet est un jeu d'enfant. il existe des gens qui ont brise' les barrieres du savoir, c. a. d. pousse' vers des limites nouvelles dans des langues qu'ils ignoraient totalement au debut du cycle superieur. Le savoir est transferable d'une langues a une autre - car le savoir c'est d'abord des idees. Ces gens, il y en a dans toutes les races, incluant des Algeriens.

La langue, c'est d'abord comme vous semblez le reconnaitre, une question d'identite', de stabilite' et donc d'equilibre emotionnel. On ne peut devenir qu'un monstre sans ca !

Par consequent, l'Arabe est le probleme des Arabes, leur culture, stabilite et evolution. On n' a pas besoin de prettendre etre Arabe pour valoriser ou temoigner de l'amitie' ou de l'amour-meme a un (e) Arabe. Meme dans les marriages mixtes ou pas, etre un mais rester 2 est parait-il l'ingredient magique du succes. La question pertinente pour tout Algerien est, a quoi pourrait me servir la langue Arabe?

Pour beaucoup et la majorite' la reponse est: La priere gouvernement ont-ils le droit de s'ingerer dans les croyances et pratiques religieuses des citoyens? La reponse est absolument Non. Cela est ecrit noi sur blanc dans la constitution Algerienne. Des lors qu'il existe ou peut exister a tout moment un Algerien qui ne soit religieux, la notion de religion d'etat est plus qu'une stupidite', mais une condition psychologique - Les Algeriens sont gouverne's par des fous !

visualisation: 2 / 4