Valeur et sens de l’"islamisme" dans le nouvel ordre mondial

L'islamisme du chéquier dans sa représentation obscurantiste.
L'islamisme du chéquier dans sa représentation obscurantiste.

Le monde vit aujourd’hui une crise économique majeure qu’il n’a toujours pas surmontée, des conflits armés en cours, pour la plupart dans le monde arabe, d’autres risquent de survenir sans qu’on sache l’impact à venir. Le "Printemps arabe" qui a fait irruption en 2011 laisse le monde perplexe.

L’islamisme ne cesse d’étonner, aujourd’hui les problèmes liés au monde arabe et à l’islamisme font la une des médias. Pourquoi l’"islamisme" aujourd’hui ? Pour comprendre, il faut remonter au Deuxième Conflit mondial et ce qui a prévalu dans le monde après les accords de Yalta, en 1945.

1. La guerre 1939-1945, un "troisième contingent" de l’Histoire

La naissance de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) en décembre 1922 a changé le cours de l’Histoire. La transformation de cette immense dalle qu’est la Russie et les républiques fédérées en un immense empire communiste a crée une menace pour les puissances occidentales. Celles-ci se sont efforcées pour ériger un front anti-communiste. Pour eux, le raisonnement est simple, si l’Allemagne, après la défaite de 1918, devenait communiste, l’Autriche suivra. L’Italie et la France n’échapperont pas à la contagion. Désordres sociaux, mécontentement populaires, misère sociale, après le premier conflit mondial, étaient propices pour féconder un régime communiste dans ces pays. 

Un "front anti-communiste" s’élabora dès le début des années 1920, avec la poussée fasciste en Italie. Financé par la classe possédante et les puissances occidentales qui voient en lui un rempart contre le «péril rouge», le parti fasciste, avec l’enrôlement d’une milice armée, les "Chemises noires", écrasa toute opposition et prit le pouvoir. A la suite de ce régime totalitaire qui prône le nationalisme et le respect du capital, vint l’Allemagne. Malgré l’aide des États-Unis et de la Grande Bretagne pour aider la république de Weimar et maintenir l’Allemagne dans le giron occidental, la crise de 1929 et la dépression économique qui suivit mit fin à l’essor économique. Le nombre de chômeurs allemands est passé de 500 000 en 1927 à 6 millions en 1933. Profitant de la crise, le parti nazi prit le pouvoir en janvier 1933. Il s’ensuivit le Portugal sous la dictature de Salazar qui s’appuyait sur l’armée et une milice, les "Chemises vertes", et l’Espagne sous Franco. Ces dictatures ferment au sud le front anti-communiste, qui devient un véritable "rempart" pour les deux grands empires d’Europe, la France et la Grande-Bretagne. 

Mais ce "rempart" va se transformer en "Axe des puissances centrales", où l’Allemagne, réarmant et devenant une formidable puissance militaire, forte de l’appui de l’Italie fasciste et de l’Autriche (annexée), entend réaliser ses ambitions impérialistes au détriment des puissances alliées. Idem en Asie, le Japon, surarmé, mène une politique d’expansion sur le continent asiatique. L’axe Rome-Berlin-Tokyo qui se forma sera le prélude à la guerre. Le conflit mondial qui suivit, plus sanglant que le précédent, bouleversa le monde. Un Japon deux fois atomisé, une URSS qui compte 26 millions de morts et 25 millions de sans-abri, une Allemagne détruite, divisée en deux et ses 10 millions de morts. Aussi posons-nous la question : "Pourquoi de nouveau cette hécatombe ? Quel sens ?"

Les puissances occidentales, en aidant l’Allemagne et l’Italie pour les préserver du «péril rouge», n’ont pas pris en compte que ces dictatures, devenues puissantes, pourraient leur disputer la domination du monde. Le péril rouge était-il plus fort que le risque du réveil des puissances de l’Axe. D’un autre côté, comme le "Premier contingent de 1914-1918", 2/3 de l’humanité restent toujours des laissés-pour-compte, assujettis à des puissances qui comptent moins de 1/20 de l’humanité. Quelle destinée alors pour les 2/3 de l’humanité d’Asie et d’Afrique ? Est-ce leur destinée ? S’il en est ainsi, quel serait alors le sens de leur existence ? Une "non-existence"», une "non-humanité" ? Si la colonisation qui a longtemps duré a un sens, ce conflit mondial doit aussi avoir un sens. La colonisation a permis aux peuples de prendre conscience de leur état d’être, que leur existence ne s’arrête pas à leurs frontières. Mais comment se défendre par le formidable écart des rapports de forces entre eux et l’extérieur ? Aucune possibilité de s’en sortir si des conjonctures n’inversent pas le rapport des forces. Aussi peut-on dire que la Deuxième Guerre mondiale s’inscrit en droite ligne de la crise économique de 1929, qui elle-même s’inscrit dans la Première Guerre mondiale.(*) Crises et guerres apparaissent comme des "contingents de l’Histoire", ou selon la dialectique hégélienne, des "ruses de l’Histoire" qui, mettant en conflit les puissances, permettent aux peuples soumis "d’inverser les forces".

Il nous apparaît aussi que le principal ennemi de l’Occident n’a pas été le monde colonisé puisqu’il n’avait pas assez de forces pour se libérer, mais, paradoxalement, la formidable puissance économique par où est venue "la crise", et la formidable puissance militaire par où est venue "la destruction".(*) C’est précisément de l’affaiblissement et l’antagonisme des puissances en guerre que sortira la libération des 2/3 de l’humanité. Et c’est ce qui prévaudra, le conflit mondial terminé, les peuples colonisés vont revendiquer leur indépendance, et ils l’obtiendront. Vers le milieu des années 1960, la plupart des pays colonisés ou sous protectorats sont indépendants. Un nouvel état du monde est sorti de ces trois "contingents de l’Histoire» (*) qui montrent que les hommes certes font l’Histoire, mais l’Histoire joue aussi "à sa façon" les hommes. Ces souffrances, ces millions de morts depuis le premier et second conflit mondial, en Europe et dans le monde, et auxquels s’ajoutent les ravages de la grippe espagnole (1918-1919) qui fit plus de victimes que le premier conflit mondial, sont-ils une fatalité pour les peuples occidentaux et le monde ? 

Hegel, dans ses "Leçons sur la philosophie de l’Histoire" : "Lorsque l’histoire nous met devant les yeux le mal, l’iniquité, la ruine des empires les plus florissants qu’ait produits le génie humain, lorsque nous entendons avec pitié les lamentations sans nom des individus, nous ne pouvons qu’être remplis de tristesse à la pensée de la caducité en général. Et étant donné que ces ruines ne sont pas seulement l’œuvre de la nature, mais encore de la volonté humaine, le spectacle de l’histoire risque à la fin de provoquer une affliction morale et une révolte de l’esprit du bien, si tant est qu’un tel esprit existe en nous. […] On en arrive à une douleur inconsolable que rien ne saurait apaiser. Pour la rendre supportable ou pour nous arracher à son emprise, nous nous disons : Il a été ainsi ; c’est le destin, on n’y peut rien changer […]. Cependant, dans la mesure où l’histoire nous apparaît comme l’autel où ont été sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus, la question se pose nécessairement de savoir pour qui, à quelle fin ces immenses sacrifices ont été accomplis. […] Cette masse immense de désirs, d’intérêts et d’activités (humaines) constitue les instruments et les moyens dont se sert l’Esprit du Monde (l’Essence) pour parvenir à sa fin, l’élever à la conscience et la réaliser. Car son seul but est de se trouver, de venir à soi, de se contempler dans la réalité. C’est leur bien propre (das Ihrige) que peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissante vitalité, mais en même temps ils sont les moyens et les instruments d’une chose plus élevée, plus vaste qu’ils ignorent et accomplissent inconsciemment."

Ce cours de Hegel en 1828 à l’université de Berlin nous fait dire que les hommes agissent, inconscients des événements qu’ils peuvent provoquer et ce pourquoi l’Essence "s’est déjà prédéterminée". Hitler, en provoquant le deuxième conflit mondial, a voulu faire retrouver à l’Allemagne, humiliée par la défaite en 1918, le chemin de la puissance, mais, en fait, il l’a mené au désastre, et à la destruction des empires coloniaux, qui n’était nullement convenue dans son plan. Un "Esprit du monde qui s’est servi de cette guerre" pour réaliser un nouveau saut de l’histoire.

2. L’avènement de l’"islamisme radical" dans la compétition Est-Ouest

La fin de la guerre en 1945 a ouvert une nouvelle ère à l’humanité. L’"arc de crise", i.e. la menace des pays de l’Axe disparue et avec elle les empires européens, relégués à l’Histoire, deux grandes puissances, les États-Unis et l’URSS, vont dominer le monde. La décolonisation en marche, les pays d’Asie et d’Afrique s’affirmaient. Tant l’Amérique affirmait le droit des peuples de se gouverner eux-mêmes que l’URSS poursuivait de son côté sa stratégie d’appui aux mouvements anticolonialistes au nom de la lutte contre l’impérialisme capitaliste. Cependant la disparition de l’"arc de crise" ne signifiait pas la fin de la confrontation entre le monde communiste et l’Occident. Bien au contraire, le Tiers monde ouvrira des possibilités d’intervention immenses pour les deux puissances (Corée, Vietnam, Palestine…) dans un contexte de guerre froide. 

Il aura fallu une série d’événements en 1973 pour que les États-Unis aboutissent après trente ans de guerre à la conclusion que leur puissance militaire a atteint des limites. La reconfiguration des rapports de force dans le monde, la débâcle américaine au Vietnam et la fin du mythe de l’invincibilité d’Israël (octobre) poussent les États-Unis à un changement radical de leur politique extérieure. Ne pouvant l’emporter sur les théâtres de guerre, les Américains optent pour une guerre subversive tout azimut. D’autant plus que leur situation économique et financière s’est fragilisée : dépenses de guerre, course aux armements avec l’URSS, baisse de compétitivité des entreprises. 

Les pays européens dénoncent les déficits de leur balance des paiements et le recours de la «planche à billet» et exigent de l’or à la place des dollars. L’objectif des États-Unis, puisqu’ils perdent de l’influence en Asie, est de protéger coûte que coûte le Moyen-Orient où se trouvent les plus grands gisements de pétrole du monde. Le pétrole, il faut rappeler, constitue avec le dollar américain, la pièce maîtresse du système monétaire international (SMI). Depuis les crises monétaires avec les pays d’Europe et la fin de la convertibilité du dollar-or en 1971 – les États-Unis ne disposent plus assez d’or –, le pétrole s’est substitué, de manière informelle, à l’or-métal, devenant une contrepartie sur laquelle s’adossent les émissions monétaires américaines ex nihilo. Le dollar en tant que libellé monétaire du pétrole oblige les pays développés à acheter sur les marchés monétaires des quantités de dollars pour régler leurs importations pétrolières auprès des pays de l’OPEP. Donc, face au double échec en Asie et au Moyen-Orient, les États-Unis doivent protéger ce qui fait leur force, le «dollar» et le SMI qu’il domine – sans l’argent, il n’y a pas de puissance – et cela passe par le déploiement d’un «arc de défense» des grands gisements de pétrole du Moyen-Orient contre les ambitions de l’URSS et de la Chine sur cette région. 

Cette stratégie subversive trouve son assise dans la configuration même des systèmes politiques du monde arabe. Un monde déjà divisé où l’on trouve, d’un côté, les régimes monarchiques, alliés des États-Unis, légitimés par le corps des oulémas (docteurs de la foi) et régnant sur une société régie par un droit mêlant charia islamique et droit coutumier, et de l’autre, des régimes autoritaires, issus des luttes d’indépendance (Algérie, Tunisie, Egypte, Syrie, Sud-Yémen...), et alliés à l’Union soviétique, dont la source de légitimité est fondée sur l’héritage de la lutte d’indépendance et la défense de la nation contre l’impérialisme. Une légitimité où l’Islam est posé constitutionnellement religion d’Etat, mais l’élément laïque prédomine. Cependant, malgré l’opposition entre les régimes progressistes arabes laïques et les monarchies traditionnelles (Arabie, Maroc, émirats du Golfe) qui fondent leur légitimité sur une logique à la fois tribale et religieuse et se présentent comme le meilleur rempart de l’Islam, ces deux régimes politiques se ressemblent par leurs systèmes totalitaires. Pour les monarchies, le pouvoir du souverain est absolu et n’est soumis à aucun contrôle, pour les républiques arabes, le pouvoir se fait par cooptation, i.e. mettant en place à tous les rouages de l’Etat des hommes choisis sur la base de leur fidélité au régime. Dans les deux cas, il y a absence de démocratie, de liberté d’expression et du principe d’alternance. En absence des universaux, les régimes politiques arabes ne peuvent être que des «systèmes transitoires, transhistoriques, à l’instar des systèmes politiques de la Chine et de l’URSS, appelés aussi à muter».

Ainsi divisé, les États-Unis n’auront aucune peine pour manœuvrer le monde arabe. Bien plus, ils accentueront la division en procédant à la défection du plus grand pays du front nationaliste, l’Egypte, en échanges de subsides (financiers, retour du Sinaï et paix avec Israël). Une situation qui aura des conséquences graves sur le front nationaliste. Le «Front devenu de fermeté», affaibli, va en plus s’accommoder d’une nouvelle donne, l’émergence de l’«islamisme» que les stratèges américains, en alliance avec l’Arabie saoudite, tissaient depuis les années 1960.

Des systèmes transhistoriques livrés aux vicissitudes de l’histoire. Une alliance contre-nature du pays le plus démocratique du monde, les États-Unis, avec le pays le plus intégriste du monde, l’Arabie saoudite. Une alliance de deux extrêmes. Dira-t-on l’argent n’a pas d’odeur, où la démocratie n’est qu’un pis-aller pour la superpuissance lorsqu’il s’agit de ses "intérêts géostratégiques vitaux". Plus complexe encore, une Amérique qui soutient d’un côté Israël, ennemi des pays arabes, et de l’autre, le chef de file du monde de l’Islam, l’Arabie saoudite. Si Arabes et Israéliens sont écartelés sur cette donne, ce lien commun aux deux pôles antagonistes obéit aux "Lois de la Nécessité historique". Les peuples n’y peuvent rien parce qu’il relève de l’"Essence".

 Quant à la nouvelle donne, l’"islamisme", il n’est pas sorti ex nihilo, mais d’un un contexte historique précis. Si ça ne l’était pas, pourquoi l’"islamisme» n’a pas évité aux peuples islamiques la colonisation? Pourquoi n’a-t-il pas mis en échec dès l’indépendance l’avènement des régimes politiques progressistes ? Force de dire que l’islamisme doit être historicisé dans son contexte actuel, et non dans un contexte historique passé qui a vu, par exemple, l’indépendance où l’euphorie, la joie des peuples de recouvrer leur liberté et leur dignité, de sortir du diktat des colonisateurs, leur ouvraient des perspectives radieuses. Mais cette période fut très courte, les problèmes politiques et économiques ont commencé à s’amonceler, la lassitude des guerres contre Israël, les coups d’Etat répétés, une économie à la dérive, une absence de perspectives pour les jeunes générations qui viennent s’accumuler année après année sur le marché du travail, les exclus de la manne pétrolière, l’immobilisme des structures des Etats, l’enrichissement ostentatoire d’une nomenklatura, ont fini par faire perdre la confiance populaire dans leurs Etats et amener des pans entiers de la population à se réfugier dans les mosquées. Un processus logique, un terrain déjà balisé pour l’embrigadement de la population dans l’«islamisme» où les imams joueront les apprentis-sorciers de la fatwa. Un embrigadement idéologique auquel répondra la répression politico-policière des Etats arabes. Le monde arabe entre dans la quadrature du cercle.

L’islamisme n’est pas comme on veut le décrire une idéologie obscurantiste tirée de l’Islam, mais ressort d’une idéologie qui, sans l’obscurantisme, la violence et le rejet de la démocratie, ne pourrait être "porteuse", i.e. n’aurait aucun impact sur le plan géostratégique. Car il faut "historiciser l’islamisme" dans la marche de l’histoire pour comprendre ce qu’apporte l’"islamisme" aux hommes. C’est cela le plus important, et il va au-delà de ses effets négatifs. L’Islam, une religion de plus d'un millénaire et vient à la suite du judaïsme et du Christianisme qu’il intègre dans son "Message aux hommes", n’avalise en aucun cas l’obscurantisme et la violence dont font montre les différents courants islamistes. Ces traits qui sont propres à l’«islamisme radical» sont une «réponse nécessaire à une situation historique qui le demande", un peu comme la «Révolution de 1789 et la Terreur» ont été une réponse au gouffre qui séparait les classes sociales en France. Et que les idées de Locke, basées sur des droits innés, les "droits de l’homme", "droit à la liberté", "droit à la propriété", que les pouvoirs issus de la nation et surveillés par elle, doivent respecter en vertu d’un contrat social, de Rousseau (contrat social), de Montesquieu (l’Esprit des lois), de Diderot, de Turgot, d’Adam Smith, et surtout la révolution américaine en 1773 et l’indépendance des États-Unis en 1776, préparaient. 

Tous les mouvements des masses, toutes les révolutions se ressemblent. Il y a toujours un ferment qui amène l’agitation, et une agitation peut souvent aller au-delà de ce qui a été conçu au départ. Idem pour l’"islamisme", activé comme un bras armé dans la compétition Est-Ouest, n’a toujours pas épuisé ses ressources dans la marche de l’histoire. 

3. Le premier effet du quatrième contingent du XXe siècle : le "dollar-pétrole"

Il faut maintenant analyser quel apport l’«islamisme» a eu dans la marche du monde. On ne peut croire que son instrumentalisation depuis les années 1970 par les puissances occidentales et qui n’a pas cessé aujourd’hui malgré l’islamophobie ambiante en Europe n’a pas apporté des gains à l’Occident. Et aujourd’hui le soutien des Occidentaux aux régimes islamiques, dans le cadre du «Printemps arabe», est manifeste. Qu’a-t-il apporté l’«islamisme» à l’Occident et au monde ?

Pour voir clair dans le phénomène islamiste, il faut d’abord porter un regard sur la situation économique des États-Unis dès 1971, après la décision unilatérale prise par Nixon de mettre fin à la convertibilité du dollar en or. Au cours de cette période, comme on l’a déjà dit, les pays européens refusaient d’absorber les liquidités en dollars qui n’étaient pas adossées à l’or (Gold Exchange Standard). La Réserve fédérale américaine (FED) n’avait plus assez d’or pour satisfaire la demande européenne. En 1973, les Américains trouvèrent une parade avec l’Arabie saoudite et les pays monarchiques du golfe. Facturer le pétrole arabe en dollar (politique de Kissinger). Le tandem pays du Golfe-États-Unis sur la donne pétrolière offrait des avantages à la fois à l’Amérique qui a besoin de monétiser les déficits de sa balance des paiements devenus structurels, ce qui, cumulés, passaient par un renchérissement du pétrole – les «chocs pétroliers» – et en même temps venaient gonfler les recettes pétrolières des pays du Golfe. Les deux parties étaient gagnantes avec une condition cependant, les excédents des balances des paiements arabes devaient être investis en placements américains (bons de Trésor, obligations, etc.) dans le but évident de pondérer la masse monétaire mondiale via une limitation des émissions monétaires ex nihilo par la FED. Cet accord pays du Golfe-États-Unis oblige tous les pays consommateurs (européens, japonais...) qui importent du pétrole arabe d’acheter des dollars sur les marchés internationaux pour leur règlement. Et comme le cartel fournit environ 35% de la production mondiale, dont plus de la moitié par les pays du Golfe et du Maghreb, on peut imaginer le formidable transfert du pouvoir d’achat à la fois aux pays arabes exportateurs de pétrole et à la superpuissance américaine détentrice de la monnaie de facturation. 

Cette parade donc a permis de passer le barrage des pays européens sur des liquidités en dollars non adossées à l’or-métal. L’or noir apparaît comme un substitut à l’or-métal. Ce serait comme si on avait remplacé le Gold Exchange Standard formel par le Blake Gold Exchange Standard informel. L’utilisation massive des «produits dérivés» comme instrument de couverture le doit précisément à cette fluctuation erratique des taux de changes sur les marchés internationaux. Evidemment, les pays européens détenteurs aussi des grandes devises internationales comme l’Amérique ne vont pas rester les bras croisés et subir cette situation inéquitable. Eux aussi auront à recourir à dupliquer de la même façon les bases de crédit des dollars entrants. Ainsi, on aura en Europe, au Japon le gonflement des avoirs en devises entraînant une augmentation de la monnaie centrale, sans qu’il y ait symétriquement, aux Etats-Unis, de contraction compensatrice de la base monétaire, les pays étrangers mettant leurs dollars à la disposition de l’économie américaine. Mais l’énigme est là, il ne peut y avoir de contraction compensatrice de la base monétaire, si cela intervenait, cela équivaudrait à asphyxier l’économie mondiale. Il y a certes l’inflation mondiale, si le tandem n’arrive pas à pondérer, mais, peu importe, l’inflation in fine entre, comme nous le verrons, dans les "Lois de la Nécessité". (**)

Quoi que l’on puisse reprocher au GES informel, sans ce processus, le monde entier serait allé droit au mur. En effet, sans le réajustement des prix du pétrole et l’accord entre les pays du Golfe et les États-Unis sur le «libellé monétaire du pétrole», l’absence de consensus entre les États-Unis et l’Europe sur le dollar aurait entraîné une crise monétaire bien plus grave que les deux chocs pétroliers. Le monde serait projeté dans la situation des blocs monétaires des années 1930. On aurait alors un bloc dollar, un bloc livre sterling, un bloc franc et un bloc yen, et une déflation mondiale. Toutes les puissances suivraient avec attention leurs émissions monétaires, on aurait des dévaluations compétitives où personne ne trouvera son compte. Chaque puissance tentera d’exporter son chômage à ses voisins. Résultat, il s’ensuivrait une formidable diminution de liquidités internationales avec des conséquences extrêmement graves sur les investissements, l’emploi et le commerce. Une formidable hausse du chômage s’ensuivrait dans le monde, un protectionnisme extrême et la pire des dépressions économiques que le monde aura à connaître, bien plus grave que celle de 1929. Une stagnation à l’échelle mondiale. 

Il faut aussi préciser que le réajustement des prix du pétrole et des matières premières dans les années 1960 jusqu’à 1973, qui étaient extrêmement bas – le baril de pétrole cotait environ 3 dollars, avant 1973 – a compensé la partialité dans la répartition des richesses entre l’Occident et le Tiers-Monde. Donc, en transférant une partie du pouvoir d’achat aux pays exportateurs de pétrole et de matières premières, ce réajustement des prix n’a fait qu’équilibrer les comptes avec en sus «doper l’absorption mondiale». Ce qui est vital pour les populations occidentales en termes d’emplois et de chômage. Pour un travailleur américain, européen ou japonais, il n’est pas intéressé par qui a gagné ou a perdu des dollars, des livres sterling, des francs, ou des yens, son seul souci est de conserver son emploi dont sa vie en dépend. Et ce sont des millions de travailleurs dont leur bien-être ne dépend que des salaires qu’ils reçoivent. De plus, les firmes industrielles n’ont pas manqué de répercuter la hausse des prix sur leurs exportations, ce qui devait compenser les surcoûts. Par conséquent, le réajustement du prix du pétrole a au contraire atténué la crise monétaire en Occident en diminuant les destructions d’emplois. Quant au fléau du chômage en Europe, il ne provenait pas du pétrole, il a commencé à se manifester dès les années 1960, bien avant le choc pétrolier de 1973 et provient essentiellement de l’excès de l’offre mondiale, qui ne trouve pas suffisamment une demande solvable. De nouveaux compétiteurs sont entrés en force dans le commerce mondial. La montée en puissance du Japon dans le commerce mondial et la stratégie du «tout exportation» d’autres pays asiatiques ont conduit à une augmentation d’acteurs sur un marché qui a peu changé. En réalité, la fin des "Trente Glorieuses" est liée au phénomène des "rendements décroissants". Ce qui est connu.

Le seul moyen d’atténuer la concurrence a été l’élargissement du marché mondial qui s’est opéré par le transfert du pouvoir d’achat au pays producteurs de pétrole et la superpuissance américaine (déficits structurels) via le réajustement des prix. Ce qui en fait un phénomène tout à fait naturel, ce tandem USA-Pays arabes est devenu la locomotive mondiale. Comme d’ailleurs le "recyclage des pétrodollars" auprès des pays du Tiers-Monde, de l’Est, d’Asie, et d’Amérique du sud qui a conduit à ouvrir de nouveaux débouchés pour la production industrielle des pays développés.

Le "dollar-pétrole" apparaît donc un premier effet d’un «quatrième contingent historique» puisqu’il a impulsé par l’existence des formidables réserves de pétrole dans le monde arabe l’activité industrielle et manufacturière en Europe, aux États-Unis, au Japon et dans le monde. Il est évident que les pays arabes ne sont pour rien dans ce phénomène mais il se trouve que "ce phénomène qui git dans leur sous-sol leur fait payer cher son existence", à voir les convoitises des grandes puissances, les guerres qui se déroulent pour ce sous-sol. Même l’implantation d’Israël en Palestine et les guerres qui ont suivi, le terrorisme, etc., le doivent à cette existence providentielle de l’or noir dans la région la plus convoitée du monde, le "monde islamique".

Evidemment, cette situation du monde de l’Islam n’apparaît pas parce qu’elle n’est pas suffisamment "historicisé" dans son fond, voire pas du tout. Par contre, on n’y voit que l’obscurantisme, le retour à l’âge médiéval, les guerres, les tueries, les égorgements d’hommes, de femmes et d’enfants, et on est révulsé, on condamne, on culpabilise l’Islam alors que cette religion et d’ailleurs toutes les religions n’ont rien à voir avec le mal. Les religions ont existé pour pacifier l’homme avec lui-même et son voisin, et c’est la raison pour laquelle elles resteront éternelles et survivront aux hommes. Et cette situation, le monde arabe ne l’a pas voulu, comme le monde arabe n’a jamais demandé à être arabe, ou un chrétien à être chrétien, ou un blanc à être blanc, ou un bossu à être bossu, ou un aveugle à être aveugle… le monde est fait ainsi. L’homme n’y peut rien, il ne choisit pas sa nature. 

Même les pays arabes et leurs gouvernements qui sont heureux que le cours du pétrole montent mais ne savent qu’ils contribuent par cette hausse du prix du pétrole (et qui s’étend aux autres matières premières), à l’emploi dans le monde, à limiter la hausse du chômage en Occident et dans toutes les autres régions du monde, notamment en Inde, en Chine, au Brésil, en Indonésie…, les pays les plus peuplés du monde et dont leur bien-être dépend de leur travail, de leurs exportations. Y compris aux États-Unis et les autres régions du monde. Encore aujourd’hui, la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne qui procède aux sauvetages de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie, de la France, de l’Allemagne, mais on ne le dit pas, on le dit que pour les petits pays de l’Europe du sud, la Banque du Japon avec la nouvelle politique «abemonics» du nouveau Premier ministre, se démènent pour maintenir à flot l’économie mondiale. Limiter les «dégats» que constituerait une asphyxie des liquidités internationales dans le monde tel est le leitmotiv des grandes Banques centrales du monde, sinon elle serait fatale pour le monde comme en Amérique après 1929. On peut même dire que les cinq banquiers centraux (Etats-Unis, Angleterre, zone euro, Japon, Chine), malgré des oppositions qu’il faut relativiser, œuvrent la main dans la main avec les "Quantitative easing" (QE). Cela passe inaperçu, il n’y a pas de guerre monétaire comme le laissent croire les médias. J’y ai cru un temps, mais les choses sont autres, le problème monétaire est trop grave pour le laisser aujourd’hui au gré des vents. Nous ne sommes plus à l’époque du New Deal ou de l’Allemagne hitlérienne ou l’Italie fasciste. Il y a une complicité positive entre les cinq Banques centrales et on ne peut que s’en réjouir pour un monde devenu global. Et les cinq pôles se trouvent sur le même bateau, ce qui arrive à l’un arrive à l’autre. 

Précisément, l’effet du dollar-pétrole, ou l’effet du tandem pays arabes- États-Unis, joue le rôle de pondérateur pour les cinq émetteurs centraux, donc un grand plus pour l’économie mondiale. Et cela ne se dit pas parce qu’il y a des pays arabes qui suivent le mouvement sans savoir qu’ils y participent activement pour le bonheur du monde. A quel prix, faut-il se le demander ? Parce que les prix du baril de pétrole sont élevés ? Pourtant, en Occident, l’essence coule sans problème ? Subventionnés pars les émissions monétaires ou les QE ? Non ! Des guerres en Syrie, des révolutions arabes, des menaces de guerre contre l’Iran, et un nombre incalculable de problèmes, de menaces souvent sanglantes auxquels est confronté le monde musulman et auxquels soufflent aussi les gouvernements occidentaux pyromanes. Là encore, pourra-t-on dire ce n’est pas la faute au monde arabe, ni aux pyromanes américains, européens, israéliens ou arabo-monarchiques. C’est le destin aurait dit Hegel, des "ruses de l’Histoire", ou l’"Esprit dans l’Histoire", ou simplement les "Lois inconnaissables des Nécessités historiques" qu’on ne peut qu’"historiciser" pour avoir une toute petite lumière de ce qui arrive au monde, et encore on a peur de se tromper. 

Et comme j’ai conclu dans un article précédent (***), cette analyse n’est qu’une approche qui peut être juste ou fausse, comme ce qui suivra pour l’"islamisme" qui n’a pas été développé. Elle peut être juste si l’entendement qui la reçoit l’accepte à la fois dans l’objectivité et la sérénité, comme elle peut être fausse parce que l’homme qui ne détient pas la vérité croit savoir alors qu’il ne sait pas. Mais, dès lors que le présent est chargé de valeur et de sens, et tout le monde en convient, le monde est réel et rationnel, l’homme doit être astreint de porter un regard plus haut, plus assuré, plus objectif même avec un risque d’erreur, sinon le vide et l’impuissance nous amènent à ne pas nous savoir, à ne pas nous comprendre malgré que nous vivons les événements, à avoir une idée déformée des phénomènes – soit dans le sens de l’admiration, soit dans le sens du dénigrement. Saurons-nous, nous Arabes, Européens, Américains, Africains, Juifs, Chinois, Sud-Américains, faire preuve de compréhension et de maturité dans les événements qui nous arrivent ? Tel est le défi du monde véritablement moderne.

Medjdoub Hamed

Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,

Relations internationales et Prospective.

www.sens-du-monde.com

Note :

1) Les guerres et les crises économiques sont-elles une «fatalité» pour l’humanité ? 

Partie I, par Medjdoub hamed

2) Valeur et sens de l’«islamisme» dans le nouvel ordre mondial. 

Partie II, par Medjdoub Hamed

Bibliographie :

* Les guerres et les crises économiques sont-elles une «fatalité» pour l’humanité ? Partie I, par Medjdoub hamed.

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-guerres-et-les-crises-138225

** Article à suivre

*** Vers un nouvel ordre monétaire international : ajustements, crises et douloureuses mutations, par Medjdoub Hamed.

http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/vers-un-nouvel-ordre-monetaire-135240

http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5183559&archive_date=2012-05-19

 

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Massinissa Umerri

ahhh, maintenant je comprends. Ce n'est ni la faute au corant qui est la une somme du judaisme et christianisme, ni celle de musulmans. C'est conjoncturel seulement, la faute au temps. C'est une etpe civilisationnelle necessaire a l'himanite', qui finira par sortir des tenebres et reveler la lumiere, avec un saut en avant a epater les martiens, wa kala, wa kala...

Cette pseudo-religion qui n'est autre qu'une violence aveugle, confirme une chose - que la follie est aussi contagieuse que la rage, et n'a qu'un remede certain: la balle entre les yeux. Ques cette notion de democratie n'est qu'une foutaise. Les Musulmans (tout de degre's de follie confondus) qui le demontrent sans le vouloir ou savoir - En se qui concerne les Africains, et le reste du monde pour autant dire - c'est votre probleme !

Pour la vaste majorite' des Kabyles, et d'autres Peuples Africains en nombre suffisant, comme en Lybie, au Maroce et chez une elite Touareg, le spectacle de ces mutants avec les Juifs des decennies durant est une parfaite illustration. Ne tolere cencore ce cancer, que ceux qui depondent du petrole en Arabie.

Cela fait des decennies que je vis aux USA, et croyez moi, que le seul probleme de la rue Americaine quand aux carnages contre les musulmans de la decennie passe'e n'est que d'ordre financier - quand aux autres, genre fransa ou les pays de l'est, ils ne revent que d'en voir plus, pour marquer un malheur point - faute de pouvoir le faire dans la concurance loyale.

Tradition oblige, je ne vais pas vous laisser repartir les mains vides. La difference entre l'islam et les 2 autres maladies est que l'islam c'est du mechant et les autres du vilain, autrement dit: Violents et vicieux.

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Mohand Akvayli

Je tiens à vous remercier pour cette analyse que je trouve non seulement claire mais très enrichissante sur l’histoire de l’économie mondiale !

Je conclue donc que c’est cet ordre économique mondial qui régit les rapports entre nations et que cela se fait toujours au détriment des pays les plus faibles ! Cependant comme vous l’avez mentionné, le changement dans le rapport des forces reste en partie l’œuvre des hommes même si cela se fait dans tourbillon évolutif inconscient.

En citant Hegel ‘’ C’est leur bien propre (das Ihrige) que peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissante vitalité, mais en même temps ils sont les moyens et les instruments d’une chose plus élevée, plus vaste qu’ils ignorent et accomplissent inconsciemment. " Je déduis que cet ordre mondial n’est pas, ne serait-ce quepour des raisons d’existence identitaire culturelle ou cultuelle, aussi invulnérable que ça et qu’il suffit, certes non sans peine, de bousculer ou de casser cette liaison de bivalence «or- dollar » ou « or-pétrole » ou encore mieux en ce qui nous concerne « pétrole-dollar » pour changer ce leadership économique ! Ce que tente de faire actuellement l’Iran !

Je tiens encore une fois à vous remercier pour avoir mis à notre dispositions ces connaissances Ô combien précieuses qui nous ont éclairé sur l’histoire de l’économie mondiale et les mutations du monde des finances !

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