Pouvoir contre pays ou la destruction inavouée de l'Algérie

La question de la responsabilité du président et du gouvernement dans l'entreprise de sape du pays est engagée.
La question de la responsabilité du président et du gouvernement dans l'entreprise de sape du pays est engagée.

Le présent texte m'a été inspiré par l'article publié en février 1967 par le scientifique et critique politique américain Noam Chomsky et qui est intitulé: "The Responsibility of Intellectuals".

Naom Chomsky est bien connu pour son non conformisme vis-à-vis de la politique américaine et de sa critique acerbe de certains aspects de l'esprit occidental. Par le biais du hasard, en cette fin du mois de juin 2013, j'ai suivi une partie d'une interview avec Naom Chomsky sur une chaîne de télévision où le journaliste lui rappelait son article en question et lui demandait si depuis lors les intellectuels se sont élevés à la hauteur de leur responsabilité. L'auteur répondait: "Not enough".

Pour écrire son article, N. Chomsky s'était inspiré lui-même d'un autre article écrit par Dwight Macdonald, un éditeur et écrivain américain lui aussi non conformiste. L'article de D. Macdonald avait été publié plus de vingt années auparavant (1945) et était intitulé "The Responsibility of Peoples: An Essay on War Guilt". Cet article était une forme de réaction et de protestation face à l'horreur des guerres de son époque et aux atrocités qui les accompagnaient. Il dissertait, en particulier, sur la question de la responsabilité et de la culpabilité des peuples dans les grands bouleversements sociopolitiques à caractère apocalyptique et catastrophique qui affectent leurs pays. Quelle est la responsabilité des peuples dans les génocides et les atrocités commises par leur gouvernement ? Doit-on incriminer les pouvoirs en place ou également les peuples surtout qu'il s'agit de démocraties ? Il traitait aussi des interprétations qui s'ensuivirent face aux influences et aux manipulations politiques des gouvernements. Plus profondément, il pointait du doigt, avant terme, la question de la responsabilité de l'Etat et de "la responsabilité collective des peuples" en matière de crimes de guerre et autres.

Plus de vingt années plus tard, N. Chomsky reprit ces réflexions qu'ils trouvaient pertinentes pour éveiller les consciences à propos de la guerre du Vietnam en y spécifiant la responsabilité des intellectuels. En effet et à l'évidence, la responsabilité des intellectuels semble être plus directe que celle d'un quelconque citoyen. Naom Chomsky notait en particulier les privilèges dont disposent les intellectuels au moins dans le monde occidental au vu du pouvoir qui vient de la liberté politique, de l'accès à l'information et de la liberté d'expression. Ces privilèges ont naturellement pour conséquence d'aggraver la responsabilité des intellectuels. En fin de compte, au milieu des années soixante, les intellectuels américains ont heureusement pris conscience de leur responsabilité et ont usé de leur pleine capacité d'influence pour forcer le gouvernement américain à interrompre la guerre contre le Vietnam.

Sans se mêler directement du très riche et très intéressant débat concernant la perception du rôle et du rapport des citoyens et des intellectuels américains vis-à-vis de leur société et du pouvoir, il me semble, cependant, que les questions soulevées par D. Macdonald et N. Chomsky, entre autres critiques américains, bien que relatifs aux événements de leurs époques sont transnationales et restent pertinentes et ouvertes pour d'autres époques. 

Si on considère les pays impliqués et incriminés dans les deux grandes guerres mondiales comme le Japon, l'Allemagne, les USA et leurs alliés, l'URSS, il est facile de remarquer qu'aucun pouvoir n'a détruit volontairement son pays. Les catastrophes subies par ces derniers étaient causées par des transformations historiques, géostratégiques, des conflits d'intérêts et d'existence. Cela se soldait par des guerres dirigées généralement contre un ennemi extérieur au pays ou quelquefois contre des minorités à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Mais pour tous ces pays, on peut constater que vainqueurs comme vaincus ont réussi rapidement à redresser leur situation. Ces pays comptent, sur plus d'un demi-siècle, parmi les modèles les plus prospères.

Mais force est de constater que pour le pays qui nous concerne, soit l'Algérie, les questions soulevées par D. Macdonald et N. Chomsky méritent d'être examinées et méditées surtout en cette occasion du 51e anniversaire de l'indépendance où il est nécessaire de marquer sérieusement une halte pour faire un bilan et spécifier les responsabilités. 

A l'évidence, compte tenu des capacités énormes du pays, l'état des lieux est désastreux et les perspectives très sombres. Le constat d'échec est net et fait l'unanimité nationale et internationale. Pourtant, le pouvoir en place achève bien la démolition du pays tout en cultivant l'irresponsabilité dans tous les sens. Il est dès lors légitime de se poser les questions suivantes : y a-t-il destruction en cours de l'Algérie ? Est-elle volontaire, programmée, arbitraire ou inconsciente ? Qui en est responsable ? De plus, pour un pays indépendant, la question la plus déroutante est : pourquoi ? D'autre part, peut-on continuer à détruire le pays en toute impunité ? S'agit-il alors d'un crime volontaire ou non contre un pays ? 

Abdelouahab Zaatri

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Ydyr At Dahmane

Pour le constat, tout est dit en quelques mots : "... compte tenu des capacités énormes du pays, l'état des lieux est désastreux et les perspectives très sombres. Le constat d'échec est net et fait l'unanimité nationale et internationale. Pourtant, le pouvoir en place achève bien la démolition du pays tout en cultivant l'irresponsabilité dans tous les sens. " A l'étranger qui met les pieds pour la première fois dans notre pays, nos paysages urbains et nos campagnes donnent une image instantanée de l'ampleur du désastre auquel est soumis le pays.

Quant au caractère volontaire ou non de cette destruction, rien de plus parlant que d'examiner un point, le plus sensible, dans la gestion de tout pays contemporain, à savoir l'école. Au premier coup d'oeil, on voit qu'au delà des changements de cap idéologiques, de façade, conjoncturels et opportuniste (1979, 1991, 1999), une continuité se dégage par rapport à la gestion de l'école, et par extension du pays. C'est dire qu'il y a une volonté bien claire par rapport à ce dossier.

Les différents caps pris par le pays depuis 1962 (socialisme (boukherrouba), libéralisme (Chadli), pouvoir militaire (HCE, Zerwal), régime islamiste (Butefliqa) se rejoignent donc sur la gestion de certains points fondamentaux, l'école en premier leiu. Aucun de ces régimes politiques (portés par le même personnel politique et le même parti et, plus tard, avec ses clones) n'a varié dans l'acharnement destructif vis à vis de l'école.

Si l'école coloniale (au delà de ses contre-vérités sur la nature du régime colonial et du récit de l'histoire), a permet à de rare privilégiés algériens d'acquérir des rudiments de la réflexion et de la critique, suffisant pour déboulonner le régime colonial. l'école des premières années de l'indépendance, dans le même élan, a pu régénérer un tant soi peu les élites perdues du fait de la guerre anti-coloniale ou massacrées lors de l'été 1962 ou persécutées et crimes de Ben Bella et de Boukherrouba. Les deux derniers chapitre de la guerre contre l'intelligence sont le massacre déguisé des élites durant la guerre des années 90 et la persécution des cadres de l'économie de l'ère Butefliqa.

Le danger que constitue les intellectuels et une jeunesse éduquée n'a, de toute évidence, pas échappé aux "cerveaux" du régime. Quoi de mieux, pour ces "esprits" que de reprendre les recettes de l'époque coloniale : arabisation (baclée par ailleurs), prosélytisme de l'école, contenus pédagogiques inadéquats, dépersonnalisant, méthodes inadéquates, presque la totalités des enseignants pris parmi les recalés du système, mauvaise formation des enseignants, dévalorisation de la place de l'enseignant dans la société, etc...

Ce fol acharnement contre une institution - au coeur de toute nation moderne-, montre bien le caractère planifié de la de destruction de l'Algérie. A travers cette école, c'est un véritable travail de sape qui est mené à l'encontre des bases morales de la société, de ses réseaux de solidarités multi-millénaires, de ses modes d'organisation....

Quoi de mieux qu'une société de débiles pour laisser libre cours aux aux prédateurs, traitres pour la plupart, d'hier.

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Rachid Della

Il ne faut pas généraliser. Si problème il y a, il faudrait s'adresser à un segment spécifique du Pouvoir et ne pas mettre tout le monde dans le même sac. Un clan décime l'Algérie depuis 1990: Les éradicateurs et leur noyau dur. Ouyahia, Ben Bouzid, général Mhenna Djebbar And co. Pour neutraliser ce clan définitivement et sauver l'Algérie il faudrait mettre à nu leurs accointances internationales qui prêtent à équivoque. comment d'une part un Pays n'entretient pas officiellement de relations diplomatiques avec un autre pays et d'autres part un clan de ses services de renseignement s'appuie a 100 pour cent sur l'autre pays en question. ... La est le début de solution du problème Algérien.... ! Il faudrait commencer à expliquer cette farce secrète au peuple.... qui aura du mal à croire cela... et pourtant... !

Et si l'assassinat des diplomates Algériens en Irak était parti d'un certain clan aux capacités de nuisances gardées intactes... à l'insu du pouvoir d'Alger.... à creuser !

Finalement L'équation est terriblement simple: un pouvoir pour se renforcer à L'international a besoin de se rapprocher autant que possible du noyau dur du vrai pouvoir international (milieux de la finance...) quitte à cacher cela publiquement.

Pour ce qui est des vrais intellectuels à l'image d'un Chafik Mesbah And co ils ont tous été écrémés par les services.... ils constituent la matière grise du système.

Le vrai mal de l'Algérie se situe au niveau de la transition SM DRS.

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