Quand la société a commencé à se hiérarchiser, de petits malins, au lieu de convaincre avec des idées de vaincre à la force de leurs bras, on fait de la manipulation leur Eureka. Imaginons des parents éduquer leurs gosses avec : «tu auras un bonbon ou mon poing sur le visage si…, si…» L’éducation bonus-sanction ou l’abrutissement garanti. Les psys disent qu’un enfant gâté ou martyrisé c’est un enfant malade et combien le manque de santé peut nous isoler même des êtres les plus chers. L’excessif n’est pas nul comme l’affirmait Talleyrand, mais néfaste. On sait que le cerveau s’est développé quand l’homme a commencé à vivre en groupe. Mais que se passe-t-il quand on sape la cohésion sociale quand on fait du groupe un amas de fissures ? En un mot quand on utilise la plus simple la plus efficace des manipulations : la division. Le chef n’a pas attendu les progrès de la psychologie pour découvrir que la peur est la meilleure arme pour diviser les autres et se diviniser. En Egypte, «cœur» du monde arabe, on revient aux chouyoukhs de l’armée et le prochain raïs sera à 51% démocrate cosmétique à la Moubarak et à 49% islamiste photogénique à la Qaradawi. C’est l’Algérie, "cerveau" du monde arabe qui a inventé les 51% 49% avec le clou 1% masmar Djouha sans Djouha. Le miracle comme la comète de Halley doit finir son cycle avant de réapparaitre et les années propices 1980-1990 sont définitivement perdues. Il y a manipulation même dans ce «printemps arabe» disent certains observateurs, le ver a pénétré le fruit en 1996 avec la «télé-révolution» Al Djazeera. "Tous les chemins mènent à Doha"(1) Et Ghannouchi l’a démontré en s’empressant d’aller faire ses embrassades au Qatar et nommer son gendre, un ex-chef du centre des études d’Al Jazeera, ministre des affaires étrangères. En Egypte, la chaine satellitaire a bousculé son programme pour une émission spéciale place Tahrir afin de faire tomber Moubarak, qui, au Qatar en 2000, après avoir visité les locaux de la chaîne a lancé : "Dire que tous mes ennuis proviennent de cette boite d’allumettes. » Pendant que sa rivale Al Arabiya faisait tout le contraire en singeant plus intelligemment notre Unique « bonne nuit les petits, le Nil va bien !".

En Libye, le Qatar a financé l’armement et envoyé en renfort des pions, des ex-djihadistes. Au Yémen, tous les vendredis les caméras qataries captent le moindre trouble à la sortie des mosquées des grandes villes. Au Maroc, à la veille des élections, sa star médiatique Cheikh Al Qaradawi était en mission pour soutenir les Frères musulmans… "Dans les eaux troubles de ce formidable bouillonnement, l’émir qatari…veut promouvoir la démocratie chez la plupart de ses voisins, sans l’appliquer sur son propre territoire… La lutte entre les frères ennemis du Golfe est une des clés du fameux «printemps arabe» et des manipulations dont il a fait l’objet… il n’y a pas de printemps arabe." (2) On se souvient de la montée du FIS et de sa réserve inépuisable d’argent comparée aux moyens dérisoires de l’opposition démocrate…Il faut reconnaitre que le Qatar comme l’Arabie saoudite ont de l’argent et de clairvoyance pour laisser bosser les experts. L’élève a dépassé le maitre : "Le monde regarde CNN et CNN regarde Al Jazeera.» Et Al Jazeera, hélas, ne regarde personne que le chéquier de son émir, son unique actionnaire. Que dire de la manipulation des télés nationales arabes versées dans la propagande, la médiocrité des programmes et le manque de professionnalisme pour un seul objectif encenser le pharaon. Quant aux chaînes privées, en Egypte par exemple, toutes appartiennent à des hommes d’affaires qui n’ont rien à voir avec le journalisme. Ne parlons pas de l’Algérie où les télés privées comme le "printemps" semblent surgir du chapeau d’un magicien masqué, mystère et boule de gomme ! On rêve d’importer la démocratie, comme nos produits alimentaires, en l’absence de toute institution démocratique. Pure sorcellerie. Manipulation ou pas, le «printemps arabe» devait éclater tôt ou tard. Dès 2002, le PNUD (programme des Nations unies pour le développement) a publié un rapport accablant sur le développement humain dans le monde arabe. De nombreux livres avaient prédit en 2000 troubles voire implosions. Et quand on lit que "de 1973 à 2004, les pétrodollars représentent à peu près 3000 milliards de dollars et la traçabilité est impossible pour 70 % de cette manne pétrolière." (3)…

On ne peut parler de la manipulation des médias sans parler de la pub. Là, les techniques sont mathématiques, l’exactitude y règne sans partage. Il y a la technique tout simple : susciter la jalousie genre "si votre voisin(e) a la super bagnole(le mirifique tapis), pourquoi pas vous ?" Plus sournoise, celle qui fait appel à la psychologie. Le sociologue Adrian Furnham a montré à 79 volontaires un feuilleton télévisé, précédé ou suivi d’une marque de bière selon le cas. Dans le feuilleton, des jeunes buvaient de la bière dans une ambiance festive. En remplissant leur questionnaire, les candidats qui ont vu la pub avant le feuilleton ont pour la plupart mémorisé la marque et ont voulu acheter la boisson contrairement à ceux qui l’ont vue après. Selon le psychologue, le feuilleton produit un effet d’encrage mnésique qui réactive les images mentales vues dans la pub. Par contre, lorsque la pub vient après le feuilleton, elle provoque la saturation, elle n’active que les images de la bière du film sans aucune marque. Encore plus sournoise, la technique ciblant nos sentiments. Deux psychologues de Séoul ont fait visionner un spot «choc» sur les accidents de voiture à des volontaires et un document sur la pollution du pétrole à d’autres, puis ils ont voulu évaluer s’ils peuvent acheter un 4X4. Le premier groupe a accepté dans sa grande majorité, jugeant le 4X4 plus sécurisant en cas d’accident. Par contre les autres le trouvèrent trop polluant. Une autre technique où l’argent rend les cobayes plus solitaires et plus égocentriques. On a diffusé les mêmes images à deux groupes en ajoutant des symboles de richesse (or, billets…) pour l’un deux. Puis on leur a demandé de rejoindre un par un une salle d’attente où se trouvaient d’autres personnes. Ceux qui avaient eu droit aux images avec les symboles choisissaient généralement des chaises loin des autres personnes tandis que les autres avaient tendance à s’en rapprocher. Dans une seconde expérience on leur a demandé d’emprunter un à un couloir où un « acteur » faisait tomber sa boîte à crayons, ceux qui avaient vu les images sans les signes de richesse s’empressèrent de l’aider à ramasser ses crayons tandis que les autres se montrèrent indifférents pour la plupart. Pour flatter notre ego, la pub faire appel à l’or à l’argent surtout pour les produits cosmétiques, amaigrissants…, Al Jazeera a choisi carrément comme logo le globe en or. Il y a aussi la technique qui fait appel à notre émotion. On a présenté à 223 personnes deux stylos identiques : un bleu un beige. Quand un volontaire essayait le bleu on fait passer une musique indoue (étrangère à l’oreille occidentale) quand il essayait le beige, c’est une musique agréable familière qu’on diffusait. Généralement, la préférence allait au stylo beige. Pour confirmer, on a inversé les musiques et c’est le bleu qui l’a emporté…

C’est dans le domaine politique où la manipulation est la plus sollicitée, toutes ses stratégies techniques y sont présentes assassines à la diable. Mais quand on regarde ses effets dans le monde arabe, on s’aperçoit qu’il n’y a plus rien à manipuler, la machine est complètement déréglée à force d’être réglée. On a des chefs qui nous détestent et qui se détestent tellement entre eux. Exemple, à chaque Ramadhan, chacun voit le croissant lunaire à sa porte. Comme disait Ibn-Khaldoun, ils se sont accordés pour ne pas s’accorder. Malgré les embrassades face aux caméras, ils ne réagissent qu’en frères ennemis : ils s’opposent sur la Palestine sur la Syrie l’Irak… face à l’OTAN, l’UE, l’OMC, le FMI, l’Unesco, la ligue Arabe l’OPEP etc. Ils nous ont tellement abrutis qu’on accepte qu’ils se succèdent à eux-mêmes jusqu’à leur mort et transmettre le pouvoir à leurs rejetons ou leurs potes en contradiction avec l’Islam qu’ils jurent de respecter, la main posée sur le Coran : "chaouarhoum fi al amr" "Demande-leur, leur avis." Et quand on nous demande notre avis, des urnes sortent des Ghannouchi (le toubib qui a mis le docteur Marzouki sous tranquillisants) des Morsli (une bataille perdue mais pas la guerre), des Abassi Madani (interdit de pouvoir, mais l’Algérie de ses rêves réalisée à 99%). Quand on avait conseillé au shah d’Iran d’éliminer Khomeiny, il a paniqué et a répliqué comment peut-il tuer un mollah, un saint ? ! C’est plus facile d’éliminer un Boudiaf qu’un leader du FIS. Si les symboles de richesse nourrissent le narcissisme, les symboles divins la combinaison des deux et leur appropriation c’est carrément la quatrième dimension. Notre manipulation c’est «tu marches ou tu crèves» Et on marche et on crève au lieu de répliquer : Je ne peux marcher que si j’ai des jambes, des jambes solides. Certes je crèverai un jour mais après avoir marché un peu. Même le vote fait partie du jeu, on a bien offert à la femme algérienne ce droit pour qu’elle accepte reconnaissante le code de la famille de 1984. Le vote nécessite la citoyenneté, où trouver un citoyen arabe à part chez nos émigrés en Occident ? Manipulés en Cheval de Troie par des sultans pour tuer dans l’œuf toute aspiration démocratique, les islamistes trouvent bien leur compte. Troie a été brûlée pas le Cheval. Car quel sens donner à des partis islamistes quand l’Islam est religion d’État dans toutes les Constitutions rédigées signées par ces mêmes despotes ? Patrick le Lay, PDG de TF1 en 2004 a tenu ces propos qui ont scandalisé à l’époque : «Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible. C'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages de pub. Ce que nous vendons à Coca Cola, c’est du temps de cerveau disponible.» Un cerveau, simplement un cerveau disponible ou pas, où le trouver ? À Tunis où tout a viré au blabla stérile, des intellectuels qui tournent en rond s’accusent ou se défendent selon le sens que Maître Ghannouchi donne au fil ? En Égypte ? Attendons pour voir, le cas algérien est dans tous les esprits, ils ont certes des islamistes plus cultivés plus experts en verbe, mais une foule abrutie par moult manipulations est une bombe qu’on ne peut désamorcer que par une énième manipulation d’où le problème …

Mimi Massiva

(1) Christian Jambet (le Crépuscule des Idoles de Nietzsche)

(2) Naoufel Brahimi El Mili (professeur en sciences politiques à Paris)

(3) Pierre Terzian