Faut-il partir d'Algérie pour réussir ?

Les Algériens son contraints de s'exiler partout pour réussir.
Les Algériens son contraints de s'exiler partout pour réussir.

L’exercice que je vous propose, se veut comme un démenti au préjugé porté à l’encontre des jeunes Algériens qualifiés tantôt de violents, souvent d’indolents voire même de fainéants par tous ceux qui, faute de pouvoir les dominer ou les utiliser à des fins partisanes ou politiciennes, les accablent de tous les maux.

Ces jeunes sont perçus à traverser un prisme déformant qui qualifie un grand nombre d’entre eux de "hittistes" parce que chômeurs ou désœuvrés et ceux qui « plus hardis », quittent le pays certes clandestinement, de «Harragas» ; l’opprobre leur est jetée ainsi qu’a leur famille. Les jeunes sont à l’aube de leur vie et pourtant tous les jours, on leur rabâche qu’ils sont déjà morts. On leur dit que si tu ne fais pas d’études, si tu ne fréquente pas l’Ecole de Commerce, l’Ecole des Banques, l’ENA, tes perspectives de réussites économiques et sociales sont proches du SDF du coin de ta rue.

Beaucoup de nos jeunes partent, faut-il l’admettre, en désespoir de cause faute de trouver un emploi décent et pérenne dans leur pays et ce n’est pas «les mesurettes» décidées dans l’urgence, ici et là, qui vont les faire renoncer à leur projet de départ. L’Etat ne peut pas non plus, les retenir par devers-eux, en dépit de la loi qui criminalise leur acte. Ajoutez à cela d’autres jeunes, pourtant diplômés, qui pensent eux aussi, que maintenant qu’ils ont terminé leurs études, ils doivent partir et que peut-être, leur salut est ailleurs, non pas dans la fuite, mais en vue de se désaltérer, de souffler, en un mot de vivre et de s’épanouir.

Ils penseront peut-être à revenir, riches d’expériences nouvelles et imprégnés de la créativité et de l’enthousiasme qui fleurissent, aujourd’hui, aux quatre coins du monde. Et en quoi est-ce anormal de vouloir faire sa vie ? D’obtenir une reconnaissance de son bagage ou de son savoir-faire ? De vouloir prendre son indépendance à 25/30 ans ? Ils veulent tous partir et réussir, tant qu’ils sont jeunes et pleins de rêves. Ils veulent s’évader de ce pays ultra-sclérosé, loin de cette gérontocratie en déclin mais ô combien agissante et paralysante malgré le fait que chaque jour, elle s’affaisse un petit peu plus. Ils veulent quitter ce pays où un système de quelques milliers de personnes dont la moyenne d’âge oscille autour de 65 ans, décide de tout. Ce pays où l’on renâcle encore, à confier des responsabilités d’encadrement et de commandement à qui que ce soit de moins de 40 ans, à moins qu’il ne soit lui-même enfant du système, fils de, sœur de, voire copine de.

Les jeunes ont compris depuis longtemps, qu’il leur est impossible de construire quoi que ce soit et a fortiori leur avenir, à côté de cette gérontocratie qui n’a de cesse de vouloir phagocyter le pays. Alors, parler d’émergence d’un pays nouveau à côté de cette caste équivaudrait à la rendre obsolète ! Partez, revenez quand votre génération sera au pouvoir et que le changement sera démontré par les faits et non pas par les discours populistes de type «Tab djnana». Il ne s’agit pas ici de faire l’éloge de ces jeunes ou de tous ceux qui veulent absolument partir, ce qui condamnerait à terme notre pays, mais pourquoi pas les encourager à partir explorer le monde, faire des aventures qui changeront peut-être leur vie, positivement et après d’en faire profiter leur pays.

Qu’ils partent donc s’ils le veulent, qu’ils reviennent aussi, car on a besoin de leur énergie. Qu’ils partent encore et encore explorer le monde et revenir la tête pleine d’idées nouvelles, de celles dont on a besoin pour favoriser la croissance et le développement. Partez, vous n’en reviendrez que plus motivés et éclairés sur les forces et les faiblesses de votre pays. Puis découvrir l’étranger, c’est une chance, voire une nécessité ; c’est aussi une formidable entreprise et un enrichissement infini.

Les jeunes représentent la génération née par et pour un monde nouveau, baignée par la technologie, le multiculturalisme et l’ouverture au monde. L’Algérie c’est bien sûr leur pays de naissance mais pas uniquement, car le monde leur ouvre les bras. Qu’ils s’en emparent comme ceux de leurs compatriotes qui se sont installés et fait leur trou, ailleurs dans le monde. Comme Mouna Hamitouche, algérienne retenue dans la liste des 1064 personnalités du Royaume-Uni et du Commonwealth, qui seront nommées Membre du prestigieux Ordre de l’Empire Britannique (BME) et décorées par la reine Elizabeth pour leurs travaux. Journaliste de formation Mouna Hamitouche a occupé les fonctions de maire d’Ellington (mairie de Londres) de 2010 à 2011.Elle a exercé auparavant en Algérie, dans plusieurs quotidiens nationaux et à l’APS en 1979. Des Algériens élus municipaux, sénateurs il y en a en France en Belgique et au Canada. Les citer tous serait fastidieux. L’autre exemple est celui du Dr Elias Zerhouni, qui a suivi sa formation initiale en Algérie. Il est aujourd’hui professeur de radiologie et d’ingénierie biomédicale et conseiller senior à l’Ecole de médecine de l’université John-Hopkins.

Il est l’auteur de plus de 200 publications scientifiques, a déposé 8 brevets et a fondé ou cofondé 5 entreprises innovantes. Nous n’évoquerons pas ces milliers de médecins partis en France en quête d’une vie meilleure, faute d’avoir été compris en Algérie. Tous des jeunes, pétris de bonne volonté mais usés par les boniments des responsables qui ne se souciaient guère du secteur de la santé. La preuve, ces derniers partent se soigner à l’étranger.

En France toujours, Pierre Rebhi, parti tout petit d’Algérie, est connu comme l’un des pionniers de l’agriculture-écologique. Le Maroc et la Tunisie l’ont sollicité pour des séminaires organisés à l’intention des agriculteurs et des étudiants ; en Algérie, il reste méconnu. Nul n’est prophète en son pays comme on dit. Economistes, chefs d’entreprises, personnages publics ou autres sommités, les exemples sont nombreux parmi les algériens qui ont réussi , hors de leur pays. L’auteur Nordine Grim, dans son livre «Entreprise, pouvoir et société» démontre qu’un algérien qui a subit l’échec de nombreux initiatives entrepreneuriales en Algérie, non pas comme on pourrait le croire suite à une tare congénitale mais par la faute d’absence ou d’insuffisance de catalyseurs de l’entrepreunariat qui sont entres-autres, la liberté d’entreprendre, l’autonomie de gestion, la stabilité juridique et institutionnelle et j’ajouterais pour ma part, un piètre climat des affaires. Comme Arezki Idjerouidene qui n’est autre que le patron de la compagnie aérienne Gofast-Aigle Azur, qui a réussi hors de son pays natal non sans avoir tenté de faire quelque chose chez lui, en vain.

Pour illustrer davantage la réussite des algériens qui partent, je citerais ce chiffre de 99000 entreprises créées en France par nos compatriotes qui ont ainsi offert en 2001, pas moins d’un million d’emplois aux Français. Ce chiffre qui par ailleurs, tord le cou à l’affirmation selon laquelle l’algérien est très peu productif par rapport au Sud Coréen qui produirait 38 dollars par heure de travail et l’Allemand qui s’en sort avec 62 dollars, quand l’Algérien n’en fait que 6,2 dollars. Pour peu qu’on le mette dans les meilleurs conditions de travail, l’algérien qui n’est pas génétiquement différent des autres travailleurs étrangers, est capable de s’inscrire dans les normes mondiales voire même de réaliser des performances. En fait, l’algérien n’est pas stérile, c’est son environnement qui l’est et un forumiste en a fait la démonstration suivante : les italiens ont construit le barrage de Taksebt à Tizi-Ouzou avec des ouvriers 100% algériens. Les chefs arrivent sur le chantier à 5 heures du matin et repartent à 19 heures et les salariés arrivent à 6 heures et quittent le chantier à 17 heures. Et le barrage a été livré dans les délais ; quand le patron est sérieux, l’ouvrier l’est aussi. Il n’y a pas d’autre secret.Ceux qui partent ne gagneront pas peut-être beaucoup d’argent au départ mais la possibilité que leur niveau de vie s’accroisse est statistiquement meilleure que s’ils étaient restés au pays à s’embourber.

D’autres Algériens qui partent et qui réussissent dans le monde. Il y en a encore. A Rustenburg où vit Sid-Ali «Harraga» à l’origine, qui explique qu’il a ouvert une boutique où il s’exerce au métier de coiffeur. Il explique que l’Afrique du Sud lui a ouvert les bras grâce à sa législation simplifiée et attractive pour les étrangers en quête d’opportunités ou porteurs de projets.

Pour ce qui est de son retour au pays, il rétorque sans hésitation : "Je ne compte jamais revenir au bled, je suis bien en Afrique du Sud, je mange bien, je m’habille «griffa», je gagne beaucoup d’argent. Pourquoi voulez-vous que je revienne dans un pays qui ne m’a même pas donné de travail ?" Des comme lui en Afrique du Sud, il y a aussi ces compatriotes kabyles que nous avons vu à la télévision nationale qui les a filmés dans leur restaurant où ils faisaient la promotion du couscous et de la robe berbère. Pendant ce temps là, nos officiels en charge du tourisme, n’arrêtent pas d’avoir mal aux lombaires et aux articulations à force d’aller «d’assises en assises» dans une quête éperdue de dynamisation du secteur touristique et de promotion de la destination Algérie.

Même dans le domaine des médias, il y a des Algériens qui sont partis et qui ont réussis : on peut citer Hafid Derradji, Khadidja Bengana, Abdelkader Ayad ou encore Madjid Boutamine. Il n’est point besoin de revenir sur les circonstances de l’exil de ces algériens qui dominent les écrans de télévision du Moyen-Orient et dont les compétences sont plus que reconnues. L’autre exemple pour en finir, non pas parce qu’il y en a plus d’algériens qui réussissent à l’étranger, mais pour contenir cet article dans les proportions voulues, l’autre exemple disais-je, nous vient de notre champion olympique, Tewfik Mekhloufi qui s’est installé en Ethiopie, sachant qu’il ne peut réussir qu’en ces lieux.

De ce qui précède, d’aucuns pourraient faire remarquer qu’exhorter les jeunes à partir équivaudrait à vider le pays de sa substance, de sa force de mobilisation, de l’élan et du dynamisme de ce segment particulier de la population. Ils se trompent ceux qui pensent ainsi, car il s’agit d’un mouvement global de migration qui s’est déclenché dans le monde, inexorablement. Les jeunes de tous les pays émigrent et veulent aller dans les pays qui vont faire avancer le monde dans les 10, 20 ou 30 années prochaines. Après, la destination choisie reste du domaine du libre arbitre. Phénomène universel disais-je, à l’instar de ces français qui quittent l’hexagone pour trouver du travail, monter une entreprise ou réaliser leurs rêves.

Ils sont partis vivre et travailler à New-Delhi, Shangaï, Hong-Kong ou Rio au Brésil. Certains d’entre eux ont monté des boulangeries au Québec ; ils croulent sous les CV de leurs compatriotes restés au pays, mais piaffant d’impatience de les rejoindre et de tenter l’aventure. Alors que le chômage atteint des pics intolérables en France, des jeunes salariés dans les T.I.C et l’internet arrivent à gagner 25 % de plus de ce qu’ils auraient perçus dans leur pays d’origine. 

Quelques chiffres concernant ces français qui émigrent : ils sont 500 000 à Londres, 100 000 à Berlin, combien en Chine et à Dubaï ? En tout, ils sont quelques 2 000 000 ! Et autant de lobbys, ajouterais-je. Et combien sont-ils les algériens qui sont partis et qui ont réussi ? autant ou plus, allez savoir.

Pour conclure faut-il partir pour réussir? Peut-être au vu des exemples cités supra. Non, si on se réfère à l’exemple de cet algérien, Hamza Bendelladj, jeune hacker de 24 ans qui a fait le buzz. Il est devenu célèbre malgré lui après avoir utilisé, frauduleusement, des serveurs destinés à prendre le contrôle d’ordinateurs personnels et aussi pour avoir fait une promotion agressive de leur virus pour voler des données confidentielles. Il fait l’objet d’une décision d’extradition et il risque gros dans cette affaire.

Non, si on se rappelle de tous ces ingénieurs en pétrochimie et autres spécialistes en hydrocarbures, formés à grands frais par l’Algérie et vite débauchés par le Qatar et l’Arabie Saoudite et leur argent maudit ! Non, si on pense au gâchis de tous ces informaticiens et autres hydrauliciens partis au Canada et ailleurs, car n’ayant pu cohabiter avec leurs responsables d’alors, aussi autoritaires que médiocres managers. Faut-il pour autant encourager tous ces algériens et algériennes à rentrer au pays, à transformer leur savoir-faire et le mettre au profit du développement socio-économique du pays ? 

Un certain nombre d’entres-eux ont tenté le pari. Ils ont vite déchantés. Tout le monde ne peut pas partir, ne doit pas partir. Nous avons besoin de sang neuf pour nous régénérer. Pour ceux qui ont décidé quand même de rester, on leur dit qu’on ne veut pas de révolution, ou de grand soir. Manifestons, discutons et rassemblons nos idées. Le printemps arabe n’a pas de prise sur nous et c’est tant mieux ! Du travail, du travail politique, de la citoyenneté, des réformes, des idées, voilà ce qu’on attends de vous … le reste devrait suivre.

Donc, partir pour réussir oui, partir pour fuir, non !

Chérif Ali

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Notproud

La question ne se pause même plus !