L’Armée et Bouteflika, deux faces d’une seule pièce

Bouteflika entouré d'officiers supérieurs.
Bouteflika entouré d'officiers supérieurs.

L’Armée est le centre d’un pouvoir non avoué, tout le reste n’est que décor civil.

Nous sommes à la veille d’élections présidentielles et de révision de la constitution, initiées unilatéralement par un système de pouvoir qui est en toute évidence, centralisé, totalitaire et autoritaire à la fois et dont le centre se situe sans ambiguïté au cœur de l’armée. Or, l’idée que l’on se fait généralement de sa structure, pour le commun des Algériens, s’apparente faussement à la représentation d’un système clanique dépourvu d’un centre, du moins depuis la disparition de Boumediene. Cette image est particulièrement véhiculée par les gagnants de la société, ces privilégiés qui sont partie intégrante des nantis du système, qui va jusqu’à dire à certains que le pouvoir est dépourvu d’une adresse fixe. Or, il n’en est rien et cet imaginaire caractérise leur stratégie de survie, par une auto censure volontaire, qui consiste dans le refoulement de sa véritable nature. Cette attitude participe de la propagande du pouvoir lui-même pour détourner l’opinion sur son identité, qui aura pour conséquence de brouiller les pistes, de confondre la masse du peuple et d’installer chez lui le doute sur sa véritable nature centralisée. 

Mais le refoulé chez ces élites ne résiste pas longtemps à la charge du besoin d’extérioriser la vérité, par l’invention d’euphémismes pour l’exprimer, tel que la muette pour désigner son corps devenu innommable, voire invisible pour le cas du chef du DRS, dont l’image est restée longtemps inaccessible aux regards de la masse du peuple. La résultante de cette confusion, chez l’Algérien, minore sa conscience politique et le rend indécis et inoffensif, ne sachant qui incriminer pour les injustices qu’il subit, d’où le vague qui entoure ses critiques contre le pouvoir et son acharnement contre l’administration, les faux élus et une certaine bourgeoisie compradore. Le ticket de survie et la réussite sociale de ces clients du pouvoir dépendent de leur volonté et de leur capacité de discrétion et de refoulement sur la vrai nature du pouvoir. Le système a besoin d’eux pour donner l’impression qu’il existe une liberté d’expression en Algérie et de lui servir de faire valoir à l’existence d’un État et des institutions civiles démocratiques, en leur accordant une relative liberté critique sur la fraude qui entoure leur désignation, sur la corruption et toutes sortes de dérives qu’il comptabilise à son passif. Cependant, ces critiques sont conditionnées de manière à ne jamais dépasser une ligne rouge implicitement matérialisée, de façon à veiller constamment à la déculpabilisation du véritable centre de ce pouvoir - qui n’est autre que l’état-major de l’armée et des services de sécurité exerçant le pouvoir de façon collégiale - et sur son irresponsabilité dans la faillite de la construction de l’État. 

Il n’y a pas en Algérie de clan Bouteflika ou de clan au sein de l’état-major de l’ANP ou du DRS qui s’affrontent. Il peut y avoir des rivalités entre personnes, mais sans remettre en question la structure du système en ses principes et ses finalités. L’Algérie est dominée par l’ANP depuis l’indépendance du pays, qui abrite en son sein la police politique, représenté aujourd’hui par le DRS, comme force de régulation de la société civile, par la menace, le chantage ou l’élimination physique. Elle exerce une autorité absolue sur tous les ordres de l’État et de la société : la justice, les services de sécurité, le trésor et tout ce qui représente dans son ensemble l’État et la société. C’est un système de pouvoir qui s’apparente au fonctionnement d’un système mafieux, qui s’est progressivement constitué sur les ruines de la dictature militaire pyramidale de Boumediene. La présidence de Bouteflika ne pourrait exister sans la complicité de l’état-major de l’armée et de sa force de régulation qu’est le DRS. Bouteflika est comme tous ceux qui l’ont précédé et ceux qui l’entourent pour le seconder : un fusible interchangeable en cas de défaillance aux attentes du système, même s’il bénéfice, dans son cas particulier, de complicités plus importantes au sein du centre du pouvoir. 

À la veille de ce méprisant rituel périodique des présidentielles et ce faux semblant de révision constitutionnelle, ces valets de la dictature militaire essayent de vendre à un peuple terrorisé par la brutalité de ce système de pouvoir une illusion critique sur des vices de procédure constitutionnels par-ci, des offensives électoralistes illusoires de l’opposition par là, des simulations de descentes anti-corruption des services de sécurité tous azimuts, comme si l’Algérie fût un état de droit, dont l’élite contrôle les dérives du pouvoir et accomplit librement son droit à l’expression publique. L’Algérie est une dictature et ses forces de sécurité répriment et neutralisent par tous les moyens possibles tous ceux qui s’opposent à son système de pouvoir totalitaire.

La liberté d’expression et l’autonomie de la parole citoyenne et patriotique devraient dénoncer cet état de fait en permanence et non pas confondre la population sur ses véritables bourreaux. L’opposition politique et les élites généralement devraient naturellement concentrer leur discours sur la demande de dissolution de la police politique, l’élection d’une constituante, qui est la seule institution légitime à élaborer une constitution et exiger la non-ingérence du pouvoir occulte représenté par l’état-major de l’Armée et ses services dans les affaires politiques de l’État. Tout autre propos ou démarche ne sont que compromissions et légitimation de la dictature militaire. Le peuple doit être en permanence conscientisé sur cet état de fait jusqu'à un certain niveau dans sa prise de conscience politique, qui lui permettra d’acquérir les moyens de la résistance et de la lutte politique pacifique pour l’accès à sa souveraineté.

Youcef Benzatat

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (9) | Réagir ?

avatar
Faro Laz

Merci Monsieur Benzatat, pour ce jet de lumière dans les noirceurs des bas-fonds de l'Algérie. Oui il s’agit bien des bas-fonds et non pas de certaines hauteurs ensoleillées du pays.

On peut tout faire avec une arme au poing mais on ne peut jamais s’acheter une dignité et surtout pas l’honneur d’avoir le respect général des populations.

Les algériens comme tous les peuples du monde ne pardonneront jamais et surtout n’oublieront jamais qu’ils ont été menés droit à cette impasse alors qu’ils étaient prédisposes a un succès certain.

Personne n’a de respect pour la faillite. Ce système qui brillamment décrit dans cet article ci-haut est la cause et la consequence de cette faillite. Personne ne trouvera que la raison profonde en est peut etre que les populations en ont accepte la naissance, le development et finalement la stagnation. Par contre tous pointeront le doigt a tous ces despotes sortis des bas-fonds du pays.

Je lis beaucoup sur comment les algériens retrouvent leurs hommes bien que disparus maintenant pour les ennoblir en quelques sorte a posteriori. Un système juste est un système de règles justes qui permettent aux meilleurs algériens de briller et de monter vers les hauteurs pour guider le reste. Qui les suivra en leur obéissant plutôt naturellement.

avatar
Si Mourad

Maintenant que cette configuration connue du pouvoir réel en Algérie a été dite pour la énième fois, posons-nous quelques questions:

- Qu'est ce qui fait que l'Armée (classe dirigeante) et par "déduction-dénoyautante" la Sécurité Militaire (rebaptisée) ont le réel pouvoir? Réponse : Parce que ses gens ne font pas partie de "ceux qui creusent"...

- Comment arrêter de creuser et oser dire "basta ya!" à "moul el moukah'la" ? Réponse: à chacun de se faire son opinion, en connaissance de la réalité algérienne et du contexte mondial qui se profile, loin de nous, à côté de nous, mais sûrement pas autour de nous !

visualisation: 2 / 9