"L’homme qui n’avait rien compris" de Youcef Zirem

Le livre.
Le livre.

Quelle superbe écriture que celle de ce roman que l’écrivain, poète et journaliste Youcef Zirem vient de publier aux éditions Michalon.

C’est un roman d’une insondable solitude, dense que vient de nous offrir là Youcef Zirem. Parfois réjouissant, drôle mais souvent grave, L’homme qui n’avait rien compris nous interpelle, nous apostrophe, nous bouscule dans nos petites certitudes. On savait déjà Youcef Zirem inclassable, cultivant jalousement sa liberté. Avec ce roman, il signe un véritable plaidoyer sur nos trajectoires et la superficialité des rapports qui régissent les rapports humains.

En liminaire, il y a cette canicule qui a emporté en 2003 en France des milliers de personnes âgées. Daniel Benyacoub Laurriat y a perdu son père. Mais il refuse de l’enterrer. Il nous le dit en convoquant les abîmes de sa mémoire. D’origine juive, Daniel Benyacoub et sa famille font partie de ceux, rares, qui sont restés en Algérie, après 1962. Son père a conseillé l’armée algérienne. Puis quitta tout, sa famille, son boulot et l’Algérie, pour sa maîtresse parisienne. "Il avait quitté son pays de soleil, il avait essayé de s’adapter à cette grande capitale mais il n’avais jamais pu se départir de cette énorme nostalgie pour sa terre natale. La nostalgie tue à petit feu et il n’y a aucun remède pour ce mal incurable", raconte Daniel sur son père. Ou peut-être ne serait-ce pas là le lot de nombre d’exilés ?

En flash-back entre cette Algérie meurtrie qui l’a vu naître et Paris, "la belle et la cruelle", Youcef Zirem nous fait voyager à travers l’espace et le temps. "Quand je voyage dans le bus de Paris c’est surtout moi que je recherche", confie Daniel. Le voyage est sans doute un symbole, une quête personnelle plutôt de l’auteur. De soi sans doute, donc identitaire, mais également des autres, ses semblables.

Toute l’histoire à tiroirs de cet arpenteur de la capitale française s’effeuille alors. Par petits chapitres profonds servis par une écriture sèche, claires et sans fioritures. La trame bruisse dans toute son étendue d’une colère contenue. Celle d’un homme en colère contre la fatuité, le cynisme.

En filigrane de ce récit tout en introspection, en confession affleure la douleur brûlante de l’Algérie. Celle de cette terre quittée par dépit, désespoir de meilleurs lendemains. "La douleur est toujours un enseignement. Quelquefois, la douleur arrête le temps. Mais le temps sait se promener ; il va dans tous les sens, il excelle dans la fuite. Je ne suis dans aucune époque charnière ; je ne suis réellement que dans l’absence", lit-on en chapitre 60.

L’homme qui n’avait rien compris brosse une succession de tableaux d’hommes et de femmes qui ont marqué ce pays damné. Avec ce roman de Youcef Zirem, l’histoire et la politique ne sont jamais loin, elles sont souvent au bout du paragraphe. En contre-point d'une écriture de dénonciation qui refuse de se résoudre au silence. L'exil, la solitude, le temps qui fuit, les amours sans lendemains, un pays qui saigne et fait saigner, tout y est ou presque. L'homme qui n'avait rien compris est à lire absolument.

Kassia G.-A.

L’homme qui n’avait rien compris de Youcef Zirem aux Editions Michalon. Prix : 16 euros.

Youcef Zirem est aussi l’auteur de :

Le Chemin de l’éternité, éditions franco-berbères, 2009

La vie est un grand mensonge, Editions Zirem, 2005.

La guerre des ombres (essai), GRIP-Complexe, 2002.

L’âme de Sabrina (nouvelles), Barzakh, 2000.

Les Enfants du brouillard (poésie), Editions Saint-Germain-des-Prés, 1995.

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Atala Atlale

A la première lecture on est saisi par le sujet ; la nostalgie. Elle nous prend une fois avoir réalisé la perte nos instants de bonheur qui ont marqué notre vie au passé lointain. Dans ce livre, présenté par Kassia, je crois percevoir, dans le refus de Daniel Benyacoub Lauriat, celui d’ensevelir la mémoire, la sienne ou celle de son père. De famille juive restée en Algérie après 62. Il faut relever que les juifs en vécu avec les algériens en bonne coexistence, durant la révolution certains ont eu de la sympathie pour notre lutte d’indépendance. Leur apport dans les métiers et arts comme la musique judéo-arabe – se perpétue encore.

La nostalgie est un sentiment de mélancolie, de tristesse aussi, lié au passé représenté pas des lieux ou des personnes qui nous sont chers. L’évocation de tranches lointaines est suscitée par le regret des temps enfuis. La mémoire au crépuscule de la vie, bien souvent nous restituent quelques tranches de notre enfance et de notre jeunesse ; les plus heureuses. Je crois que le poète Marcel Proust a dans son œuvre ‘’ A la recherche du temps perdu’’ illustre parfaitement ce sentiment de la nostalgie. J'en ai gardé quelques mots pris, je ne m’en souviens plus dans quel écrit :

''Les premières pluies de l’automne réveillent à chaque fois ton souvenir, l’étreinte du passé me fait oublier nos blessures. Trouveras-tu un jour mes feuilles que le vent emporte en répétant sur tous les rivages, l’histoire d’un fou qui, après t’avoir perdue a dissipé vainement sa vie en errant à ta recherche ? Les années ont consumé sa jeunesse et ses cheveux ont pris la couleur de la cendre. ''