"L’Algérie devrait avoir le niveau d’un pays développé"

Camille Sari, docteur en économie et expert en finances
Camille Sari, docteur en économie et expert en finances

Docteur en économie, Camille. Sari nous donne dans cet entretien son appréciation sur le scandale de corruption de Sonatrach et les causes qui sont à l’origine de la propagation de ce phénomène.

Tout d’abord, êtes-vous surpris de la dimension internationale que prend le scandale de Sonatrach ?

Ce n’est pas la première fois que des dirigeants sont mêlés à des scandales liés à Sonatrach, et je pense que la nature de ce genre de société, un bien public, qui appartient à l’ensemble de la nation, donne forcément beaucoup de facilités pour faire profiter de cette manne beaucoup de gens. La nature des activités pétrolières fait que tous ceux qui sont proches du pouvoir essayent d’en profiter. Je vous cite le cas de la compagnie française ELF, dont le PDG expliquait que des personnalités politiques étaient impliquées dans des détournements à des fins privées. C’est un peu le cadre général.

Malheureusement, ce genre de structure attire les convoitises, mais il ne faut pas être naïf au point de croire que c’est le seul secteur concerné. Il y a de la corruption également dans le secteur bancaire, dans le milieu de l’administration, la douane, le fisc, etc. Il était évident qu’au vu des montants colossaux qui circulaient, cela ne pouvait qu’attirer des convoitises et de toute façon tout le monde sait plus ou moins quand on fait le parallèle entre les exportations pétrolières et les résultats économiques, on voit bien qu’il y a des «fuites». Ce qui est étonnant, c’est que l’affaire soit sur le devant de la place publique. On s’en doutait, mais on s’est toujours dit qu’on se contentera de juger des sous-fifres.

C’est un peu l’arbre qui cache la foret, histoire de montrer à la population qu’il y a une lutte contre la corruption. Mais la structure qui profite le plus de la corruption n’est pas apparente, n’est pas identifiée. Les circuits sont multiples. Sonatrach ne pouvait qu’être le lieu où certains dirigeants ou proches du pouvoir ou ceux qui dirigent de façon occulte tirent bénéficie de cette manne. Il y a eu beaucoup déclarations officielles dont celle de l’ancien chef du gouvernement, Brahimi, qui disait que depuis l’indépendance jusqu’aux années 80, il y a eu 36 milliards de dollars qui ont été détournés. Cela aurait été naïf de croire que Sonatrach est la seule organisation où il ne se passe rien.

-Mais s’il n’y avait pas la justice et la presse italiennes, on n’en saurait pas autant…

Oui, malheureusement. Il y des instruments internationaux pour surveiller aujourd’hui les mouvements de fonds. Si, moi, je vais déposer 1000 euros en espèce à la banque, celle-ci me demandera de justifier cet apport, alors que ce n’était pas le cas avant. Il ne faut pas oublier que cela entre notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Tous les mouvements sont donc détectés. Ce qui se passe, c’est que le GAFI alerte les gouvernements. C’est ce qui s’est passé pour cet Algérien qui a acheté un bien immobilier à 2 millions d’euros à Paris. Mais, selon la presse française, il a fallu relancer le gouvernement plusieurs fois pour qu’on l’arrête.

Cela veut dire que tant qu’il n’y a pas une pression extérieure, les autorités concernées ne bougent pas, sauf dans certains cas de règlement de comptes, ou pour montrer à la population qu’il y a une lutte contre la corruption. Ce sont parfois les opérateurs internationaux qui ont été lésés qui mettent sur la table ces affaires-là. Mais on ne sait pas tout. Parfois, ce sont les autorités du pays d’origine qui doivent faire les investigations nécessaires. Le gouvernement italien n’a pas les moyens d’aller fouiller dans les comptes bancaires d’untel ou untel, ou d’aller voir le patrimoine en Algérie d’untel ou un autre pour une question de souveraineté.

-Pensez-vous que les affaires avec ENI ou SNC Lavalin soient isolées, ou alors la pratique est généralisée à d’autres contrats ?

Tout à fait. Je suis convaincu que vu les transactions colossales de la première entreprise du pays, je pense que ce qu’on sait jusque-là, ce n’est pas grand-chose par rapport à ce qui reste à savoir. Mais la question qu’il faut poser est : le saura-t-on un jour ?

-La corruption est-elle la résultante ou la conséquence de la mauvaise gouvernance ?

J’ai fait il y a quelque temps une mission en Algérie avec un cabinet conseil et nous avions rencontré plusieurs banques auxquelles nous avions proposé un logiciel pour détecter le blanchiment d’argent et être au fait des transactions illicites. Techniquement, c’est possible, mais on a eu une fin de non-recevoir parce que j’ai l’impression que même la non-modernisation du secteur bancaire algérien, c’est voulu. On ne veut pas le moderniser parce qu’on va tout de suite faire des recoupements. Ce n’est pas normal que certaines banques africaines utilisent des techniques sophistiquées et que ce ne soit pas le cas en Algérie. Ce n’est pas une question de moyens ou de ressources humaines. Tout cela est disponible, mais on ne va pas l’utiliser parce qu’on n’a pas envie que les choses deviennent transparentes.

L’informatisation permet d’éliminer beaucoup de fraudes. Il faut une volonté politique de l’Etat pour dire : nous allons utiliser tous les moyens technologiques et informatiques, ainsi que les contrôles internes et externes, l’indépendance de la justice. En Afrique du Sud, ils ont tenté une expérience, copiée sur les britanniques, celle de publier l’identité des fraudeurs après qu’ils aient été jugés. Je pense que cela peut être un élément de dissuasion en Algérie. Mais tout cela relève d’une volonté politique de l’Etat d’instaurer un système de contrôle pour éliminer la corruption. C’est l’avenir du pays qui est en jeu.

-Comment imaginer l’impact sur les entreprises étrangères dans leur approche du marché algérien ? Seront-elles dissuadées ou alors intègrent-elles déjà cette donne ?

J’ai accompagné de petites sociétés étrangères qui étaient intéressées par des partenariats à long terme en Algérie. Elles se disent prêtes à jouer le jeu, mais affirment que d’autres sociétés, espagnoles, italiennes par exemple, ne jouent pas je jeu. D’autres sont prêtes à verser des pots-de-vin, offrir des cadeaux, des avantages. Pour les sociétés étrangères, ce sont des opérations quasiment blanches. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas affectées parce qu’elles font leur calculs en y intégrant les commissions à payer. Mais c’est l’Etat algérien qui est lésé et non la société étrangère. Il y a même des sociétés écrans qui jouent le rôle d’intermédiaires, alors que cette notion était avant interdite en Algérie jusqu’au début des années 90. Ce sont des sociétés de commerce basées à l’étranger qui reçoivent ces commissions et qui ont une existence tout à fait légale sur le plan juridique.

-Sommes-nous face une fatalité, selon vous ?

Non, ce n’est pas une fatalité et je pense qu’on peut agir pour diminuer le phénomène par des mesures à prendre. La lutte contre la corruption peut donner de 2 jusqu’à 10% de PIB supplémentaire pour l’Algérie. Ceux qui sont à l’origine de cette corruption et qui l’encouragent menacent la sécurité du pays. Je pense même qu’il faut les condamner pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Ce sont eux, et non les jeunes qui manifestent dehors qui menacent la paix sociale, les équilibres de la société et peuvent favoriser des révolutions violentes.

Il y a des mesures qui ont fait leurs preuves ailleurs, comme la publication de toutes les affaires de corruption, des condamnations fermes, l’indépendance de la justice, l’introduction de nouvelles technologies de l’informatique pour détecter tout ce qui est blanchiment d’argent. Mais tout cela dépend de la volonté politique. Quand on entend les déclarations d’Ahmed Ouyahia quand il n’était plus premier ministre, selon lesquelles l’Algérie est phagocytée par la mafia, les oligopoles, etc. je lui dirais qu’il fallait le faire quand il était au pouvoir. Il faut peut-être espérer une nouvelle élite qui soit patriote dans le bon sens du terme, qui défende l’intérêt du pays. Parce qu’avec tous les moyens dans dispose l’Algérie, on devrait avoir le niveau d’un pays plus qu’émergent. Quand on considère tous les moyens et ressources, y compris humains, je suis convaincu que l’Algérie pourrait compter parmi les pays développés. Mais la situation est en train de prendre des proportions énormes. Il y a énormément d’argent gaspillé et c’est dommage.

Safia Berkouk/El Watan

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Commentaires (10) | Réagir ?

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Rachid Bouliche

Bonjour

L'Algérie restera toujours un mauvais élève, par conséquent, elle restera encore avec les sous développés. YA3ADJABA, un ministre en poste depuis plus de 15 ans, et, les gouvernements successifs, ce sont toujours les mêmes personnes qui partent et qui reviennent, et ce durant 50 années d'indépendance. Il faut du sang nouveau, il y a des compétences, malheureusement, qui ne sont pas utilisées, parce que le profil recherché par les décideurs, c'est le dégrés de"Cousin age, de Voisin age, et de Copin age. Du moment que le Président reconnait en disant "TAB DJANA". C'est tout le monde qui doit partir.

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uchan lakhla

Attendre du régime un changement relève d'un cynisme politique et une ineptie intellectuelle.

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