Ne pas passer à côté de l’essentiel

Palais de la présidence.
Palais de la présidence.

Les affaires de corruption et de pots de vin se sont invitées dans le débat politique algérien. Cette " intrusion" survient au moment où il était prévu de focaliser l’attention nationale sur la révision de la loi fondamentale. Cela devait être l’étape ultime du "processus de réforme politique", annoncé le 15 avril 2011 dans un discours à la nation.

La manière avec laquelle ces révélations éclipsent les échéances politiques renvoie à la nature politique profonde du système algérien : ce qui remet en cause les équilibres internes du système supplante ce qui assure la cohérence institutionnelle. Pourtant il ne faut pas considérer que les scandales récurrents et les réformes envisagées comme des questions éloignées et sans rapports. Les prendre, comme c’est le cas actuellement, pour des problématiques disjointes, sans interconnexions, sans liens entre elles, aboutit à sacrifier l’essentiel. 

Il se trouve bien sûr des experts pour nous expliquer que les affaires de corruption, y compris les plus récentes, révélées par la presse au Canada et en Italie, qui impliquent des personnalités proches du chef de l’État, ne sont en définitive, que des "malversations individuelles", des "actes isolés", sans significations ni portées systémiques. Ces experts peuvent concéder l’existence de travers dans la gouvernance algérienne, en l’occurrence, la centralisation de la prise de décision et la prolifération des intermédiaires ; mais en aucun cas, ils ne pointent du doigt le caractère organique de ces malversations. 

Cette approche se trouve complétée par l’éternelle invocation de la théorie du "complot ourdi". Ses tenants allèguent une "offensive programmée contre l’Algérie", "une tentative de mettre à mal le pays" (sic), "semer l’embrouille entre ses dirigeants civils et militaires" (resic) et enfin ternir «les réalisations institutionnelles» engrangées depuis janvier 1992. Le but qu’ils y voient est celui de provoquer un "printemps arabe" en Algérie et le procédé qu’ils identifient est celui de "frapper le moral des Algériens", de saper leur confiance «vis-à-vis de leur État et de leur classe dirigeante». Ils concèdent aussi "quelques dysfonctionnements", "des lacunes politiques ou judiciaires", mais ils se refusent à y voir "un miroitement de «guerre de clans» ou le signe avant-coureur d’une "révolution de palais"". S’ils dénoncent des "semeurs de troubles" qui seraient les vecteurs inconscients d’un danger fatal sur la nation, ils se gardent de les identifier. Pourtant, cela aiderait à engager le débat, mais est-ce là l’objet recherché ?

Où pouvons-nous chercher les "inconscients dangereux" qui se font les relais "des menaces" et "des périls" ? Probablement au sein des quelques titres de la presse nationale qui gardent encore une haute idée de leur mission au service de leurs lecteurs. Ceux qui cherchent à comprendre posent des questions et les chercheurs d'os. Toutes les analyses et enquêtes que nous pourrions leur lire ne seront pas parole d’évangile. Mais, leur mérite sera de tenter d’éclairer l’opinion nationale et de situer toute question dans le contexte politico-institutionnel algérien. 

Ces segments de la presse sont identifiables. Ce sont notamment, ceux qui refusent de se laisser bercer par l’éternelle fable de l’acte isolé, parce qu’ils constatent que « L’absence de contre-pouvoir, rôle dévolu normalement à l’Assemblée et à la Cour des comptes, a poussé à une permissivité sans limites et sans vergogne si on en juge par l’irruption instantanée de ces nouveaux riches qui ne cachent même pas leur comportement ostentatoire". Ceux qui s’interrogent sur le mode de gestion du secteur de l’énergie particulièrement au vu de la «mise en veille» du Conseil national de l’énergie. Ceux qui évitent d’avoir la grosse tête, car tout en jouant leur rôle, ils savent que "les relais sont cassés : ni les partis, ni les élus, ni la société civile, ni la justice, ne se sentent concernés par un article qui aurait provoqué un tsunami politique dans d'autres pays..." Ils agissent comme une fraction de l’Algérie qui échappe encore à la normalisation bureaucratique.

Les récentes affaires de corruption mettent manifestement en cause le système dans son ensemble. Quelle que soit la lecture qu’on en fait. C’est le fonctionnement même de l’État qui est en cause. Le rôle des hommes ou des clans ne peut à lui seul expliquer ces forfaits. Sans interroger la nature du système et les logiques insufflées aux institutions, il restera impossible d’avancer des explications convaincantes.

L’édifice formel de l’Etat algérien est institutionnel. Il est établi par une constitution qui identifie les pouvoirs, en fixe les prérogatives et organise les rapports. Mais ce côté institutionnel est battu en brèche. Dans le fond, c’est une logique d’autorité qui anime l’édifice. Cette dualité est ancienne, il est possible de la faire remonter à la guerre de libération nationale (même si ses racines vont plus loin). Cette dualité n’est pas au sein de la constitution, c’est une dualité qui englobe celle-ci. Une dualité constitutionnelle inédite, qui met aux prises deux constitutions. Une écrite (la plateforme de la Soummam, l’Assemblée constituante algérienne, les constitutions de 1976, 1989 et 1996) et une autre coutumière (Pouvoir "seigneurial" construit sur la légitimité historique). Leur confrontation a toujours eu des manifestations violentes. Assassinat de Ramdane Abane, Coup de force du Majestic, coup d’État du 19 juin, disparition précoce de Boumediene, arrêt du processus électoral, assassinat de Boudiaf, démission de Liamine Zeroual,... Cette conflictualité va atteindre le paroxysme avec la révision pour assurer un troisième mandat pour Abdelaziz Bouteflika. Mourad Benachenhou, ancien ministre, tient à ce sujet des propos on ne peut plus illustratifs : "La Constitution révisée actuelle a été adoptée en violation de son article 76, car elle a profondément «affecté les équilibres fondamentaux du pouvoir et des institutions» et violé «la forme républicaine de l'État» en donnant, entre autres, le monopole du pouvoir suprême à une seule personne dont l'élection est garantie tant qu'elle est en vie (…)" Cette révision a mis l’Algérie sous le règne de la constitution coutumière. La corruption, trouve sa légitimation dans ce balancement. La logique seigneuriale portée par la constitution coutumière conçoit un rapport patrimonial à l’État et aux institutions, ce qui fonde aux yeux des « seigneurs » leurs privilèges dont celui de la concomitance de l’occupation d’un poste et de l’enrichissement personnel. 

C’est la même logique est à l’œuvre dans les "réformes politiques du 15 avril". Elle assujettit la révision de la constitution écrite à la mise en conformité des lois organiques à celle coutumière. Ce qui se traduit par le renforcement du caractère répressif et autoritaire des lois sur les partis, les associations, la presse, et prochainement sur les mass-médias. Une fois ces lois fixées, que reste-t-il à déterminer dans la révision de la constitution écrite ? Pas grand-chose. La durée du mandat, le type de "filet" constitutionnel (Sénat ou vice-présidence), et subsidiairement, peut-être, formuler un autre bricolage identitaire pour donner l’impression d’être à l’écoute de la société.

Il apparaît nécessaire et urgent de sortir de cette dualité constitutionnelle pour pouvoir combattre efficacement l’ensemble des déviances qui en surgissent. Cette sortie ne peut se faire ni dans l’improvisation, ni dans l’infantilisation et la marginalisation de la société. C’est une sortie ordonnée vers une république algérienne fondée sur la citoyenneté, construite sur les libertés et les droits, qui peut être appelée une véritable transition démocratique, et qui aura des chances de mettre un terme à la patrimonialisation de l’Etat avec son lot d’arbitraire, de népotisme, de corruption et autres gabegies. 

Mohand Bakir

1- http://lesoirdalgerie.com/articles/2013/02/26/article.php?sid=145739&cid=2

2- http://www.lnr-dz.com/index.php?page=details&id=22303

3- http://www.liberte-algerie.com/editorial/tentation-195068

4- http://www.elwatan.com/actualite/actes-isoles-ou-corruption-organisee-25-02-2013-204620_109.php

5- http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/02/20/article.php?sid=145476&cid=2

6- http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5149574

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Commentaires (2) | Réagir ?

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mohamed boudebza

vous l'avez dit tout va finir comme d'habitude c'est un complot de l'exterieur et les Algeriens gobent tout, vous croyez que quelqu'un se preoccupe de ce qui est ecrit dans la constitution, ils gerent et réagisent à travers le regard des occidentaux point barre

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Aztek Bakou

Bonjour,

Incompétence caractérisée et guerre des clans déclarée dites vous?

Si l`assainissement des rouages de l`état des fonctionnaires parasites et opportunistes n`est pas une priorité alors, a la quoi bon d`avoir une constitution et un arsenal juridique qui ne servira qu`a garnir les étagères et archives des administrations et de la justice!!!

Des constitutions couches bébés et autres???

Best regards