Le Docteur confesse que c’est la recherche d’identité qui est en fait «son combat, son objectif, sa mission de survie» (Bigre !) . A ce degré de sacerdoce, je comprends que mes propos iconoclastes l’aient écorché et que sa douleur soit si visible à travers ce dernier écrit, au point d’être palpable. C’est donc avec une certaine contrition que j’ai lu sa réponse et je le sens profondément affligé. En même temps cette affliction n’est que le résultat d’une découverte : débattre n’est pas de tout repos et celui d’en-face peut parfaitement s’octroyer le droit d’être impertinent, voire plus.

Ceci dit, je ne me suis à aucun moment sentie impertinente sauf si le Docteur considère que devoir débattre avec une femme (je connais le machisme des hommes de mon pays) c’est à l’avance être confronté à une insolence inhérente à la gent féminine contre laquelle le pauvre mâle est désarmé de par sa bonne éducation, de sorte qu’une certaine frustration s’installe et fausse le débat. Pour sortir de cette situation, il faut juste reconnaître aux femmes le droit de débattre, même avec impertinence, sans pour autant se sentir diminué.

Cela ne m’empêchera pas, Docteur, de vous dire ce que je pense de votre réponse.

Vous dites que je ne vous ai pas déçu parce que vous ne vous faisiez aucune illusion sur ma volonté « d’enfourcher le cheval de la revendication berbère ». (La rhétorique est belle mais le fond manque un peu). Je ne suis pas si sûre que vous ne soyez pas déçu. Il faut croire que vous vous faisiez quand-même quelques illusions sinon quel était l’intérêt de me lancer ce défi de faire de moi votre propagandiste? C’est l’histoire de la fable «du renard et du raisin trop vert ». Passons. Vous vous livrez ensuite à une série de raccourcis qui m’amusent plus qu’ils ne me contrarient tant ils sont faciles à démonter. Par exemple, celui très comique, ( mais je suppose que c’est involontaire) de «l’avocate Oranaise qui ne permet pas au médecin Kabyle de s’exprimer».

Je ne me suis pas revendiquée comme avocate Oranaise puisque je suis inscrite au Barreau de Paris et je ne vous ai pas considéré comme «médecin Kabyle» mais comme médecin tout court. Vous faites comme tous les casuistes : vous partez de prémisses vraies pour aboutir à une conclusion fausse en tordant le cou aux déductions intermédiaires.

Deuxième exemple : Je vous conseille de vous occuper de vos patients au lieu de polémiquer. Cela devient une «interdiction», puis vous vous étonnez de me voir «faire effraction dans un article de journal» délaissant ma robe noire pour m’occuper «d’un évènement qui s’est passé à des milliers de kilomètres». Sans vouloir être désagréable vous avez jeté votre logique de scientifique par-dessus les moulins ou quoi ?.

Je ne vous interdis rien et je n’en ai ni le pouvoir ni l’envie. Pourquoi grossissez-vous le trait ? Pour mieux vous indigner ? En tout cas, je vous fais remarquer que ma robe noire justement m’autorise à polémiquer et je le fais tous les jours avec mes confrères. Par contre, vous, est-ce que votre métier est de polémiquer ? Avec qui polémiquez-vous ? Avec vos malheureux clients ? Au lieu de les soigner, vous voulez les rendre encore plus fous ? Ce serait un comble !

Vous dites que ce débat vous mettait mal à l’aise. Ne vous inquiétez pas, on l’avait deviné et personne ne songe à aggraver votre mal-être. Par contre, si rencontrer quelqu’un qui vous apporte la contradiction, vous met dans cet état comateux, c’est que le confort de l’entre soi ne vous prépare pas aux débats d’idées. Il faudra Docteur, dans ce cas passer la main à d’autres, moins occupés et moins sensibles car sortis des frontières de la Kabylie, ils auront fort à faire pour convaincre. Mais là où je ne suis pas d’accord, c’est lorsque vous ajoutez que moi aussi je suis mal à l’aise. Nous serions donc deux à être mal à l’aise ?

Parlez pour vous Docteur ! Moi, je ne ressens aucun malaise, ma blessure narcissique est cicatrisée depuis longtemps, je suis à l’aise dans mon métier, dans ma vie et dans mon pays lorsque j’y viens, assez souvent d’ailleurs et lorsque je parle de mon identité, je n’ai pas de sueurs froides et je ne me suis pas lancée dans une recherche tous azimuts chez les grecs, ou chez les celtes ou je ne sais où encore pour la trouver. Elle se trouve dans mon terroir.

Vous vous défendez avec la même maladresse contre ce que je vous reproche : cette référence à la race pure et le rejet à toutes les références identitaires qui ne seraient pas berbères. Du bout des lèvres, vous concédez que si l’Amazighité était considérée comme l’élément fondamental et les autres composantes comme accessoires ou subsidiaires, vous êtes prêt, en quelque sorte, à accepter le mélange et à déposer votre glaive de combattant. C’est la meilleure définition de l’intolérance et du déni de réalité. Au fond, Docteur, vous êtes un don Quichotte attendrissant et c’est pour cela que je ne désire pas aller plus loin dans mon propos.

En guise de clin d’œil : Je voudrais terminer en faisant passer un message à «Charles Baudelaire» : Le vrai Charles Baudelaire a décidé de lui faire un procès pour usage abusif de son identité et atteinte à sa notoriété et son talent de poète : Il a en effet écrit le sublime «Harmonies du soir», il n’a jamais écrit un post ordurier où il est question de «def……er». Il m’a chargé d’assurer sa défense et j’ai accepté.

Zohra Mahi