Au-delà du despotisme et de l’intégrisme

La pratique politique est viciée par le pouvoir et ses nombreux leviers de rente.
La pratique politique est viciée par le pouvoir et ses nombreux leviers de rente.

Depuis l’avènement de la "démocratie" en Algérie, après le soulèvement populaire de 1988, toutes les tentatives d’échange à l’intérieur des partis politiques, dans les échanges des partis entre eux, entre les membres des mouvements associatifs, dans les réseaux sociaux, et partout où les Algériens essayent de s’organiser, ça se solde par l’échec, et les débats finissent par tourner à vide.

Le plus souvent, ces débats finissent par prendre la tournure de parodie de thérapie collective stérile. Pire ! plus que l’on s’éloigne de ce moment voulu comme fondateur du débat démocratique, plus que cela semble s’aggraver et prendre l’allure d’un autisme généralisé. Cela est d’autant plus grave, que les protagonistes de ces ersatz de débat donnent l’impression de renvoyer le reflet d’une pathologie partagée et qui trouve un prolongement naturel chez un nombre important de nos concitoyens, exprimant avec une force d’évidence une vérité très sombre sur notre conscience collective et l’état de déliquescence dans lequel est acculée notre société, en l’exposant à toutes sortes de dérives et de convoitises.

Cette situation se trouve résumée le plus souvent dans l’expression de l’auto dérision (inconsciente) du génie populaire et que l’humoriste Fellag répercute dans son art, particulièrement dans l’énigme qu’il nous lança à la face, à tous : "Lorsqu’un peuple coule, quand il arrive au fond, il remonte. Nous ! quand on arrive au fond, on creuse." Une énigme sous la forme d’une indignation, que l’on peut traduire par ce terrible sentiment de haine de soi. Une haine de soi se validant d’elle-même par l’anathème contre toute volonté vers un élan libérateur, considérant que la libération qui a déjà eu lieu était à la limite comme impropre à la consommation, après qu’elle fut réduite à l’innommable par ceux-là même qui étaient censés la promouvoir, parce que nécessitant l’effort et la volonté de sa réinvention continuelle. Une haine de soi couplée à la négation de tout ce qui peut constituer quelque chose pouvant contribuer à la cristallisation d’un lien social, d’un intérêt commun. Une haine de soi couplée à un rejet violent et brutal de tout ce qui peut constituer une innovation, une entreprise créatrice, ou toute autre forme de proposition inédite. Ayant pour fâcheuse conséquence, la neutralisation de tout ce qui peut contribuer à mettre en mouvement un quelconque processus d’émancipation politique collective et l’amorce d’un début d’une authentique tradition démocratique.

L’énigme de Fellag a cela d’essentiel et d’implacable, c’est qu’elle vient nous rappeler que l’indépendance que nous avons chèrement acquise, avec l’espoir qu’elle a fait naître en nous, qui était tellement immense jusqu'à ce que le rêve en est devenu aveugle, n’a fait que nous replonger dans les conditions qui étaient les nôtres - par tant de frustrations et de privations - durant la nuit coloniale et, dont la réalité ne tarda pas à nous rattraper. D’abord, par l’ignominie d’une caste despotique ayant immobilisé l’élan libérateur par l’entremise d’un régime de la terreur, par la corruption de puissants complices, motivés par leurs seuls intérêts égoïstes, avec l’octroi de parts de la rente en achetant leur silence et leur inaction au mépris du serment libérateur.

Ensuite, par l’intrusion de hordes fanatiques dans le champ de l’horreur, qui avaient leur façon originale d’exercer à leur tour leur terreur avec leur laconique la yadjouz. Ils devinrent tellement puissants et tellement pervers, qu’ils se retrouvèrent naturellement obligés à disputer le monopole de la violence, de la terreur et de la barbarie à la caste des despotes. Le conflit, qui s’ensuivit entre eux, et qui déboucha sur une telle surenchère dans la perversion de la violence et de la barbarie, était tellement hors de l’entendement humain, que tous les mots de toutes les langues que parlent les hommes ne suffiraient pas à en rendre compte. Les indus à cette discorde n’avaient d’autres choix, que l’hibernation ou la résignation dans la soumission. Beaucoup parmi eux, qui ont été pris dans les plis de la barbarie qui s’en est suivi ont étaient victimes de traumatismes et de séquelles psychologiques, dues aux tortures inhumaines qu’ils avaient subies, jusqu'à en perdre la raison.

Pourtant, au tournant de l’indépendance nationale, nous avions tous espéré à ce moment-là, que son avènement allait nous ouvrir tous les champs du possible, de la liberté, et de la dignité enfin retrouvée, et que la vie allait s’offrir à nous avec tous ses enchantements.

En vain ! C’était sans compter que nous avions sous-estimé la complexité de cet engrenage de la terreur, qui se nourrissait de tout ce qu’il y avait de plus archaïque et de plus violent dans les structures mentales et anthropologiques de notre société. Nous sommes amenés à l’évidence, que l’obstacle à nos rêves et à notre libération ne relève plus de la terreur d’une dictature ou d’un système politique corrompu, aussi despotique qu’il soit, ni d’un quelconque intégrisme religieux ou ethnique, mais bien plus grave encore. C’est tout l’héritage des conséquences de la colonisation, qui nous a maintenus à l’écart de toute civilisation et de progrès pendant très longtemps, suffisamment longtemps pour nous dépouiller jusque dans notre humanité et nous priver de capacités à pouvoir cultiver des réflexes de sociabilité et de lien social et du respect d’autrui dans sa dignité et ses droits. Ayant pour conséquence l’aggravation de notre repli sur soi, sur la famille et sur la tribu reconstituée en "clan", privilégiant le développement de toutes les formes d’égoïsme, de cynisme et de barbarie, au détriment de tout intérêt général ou national, depuis la guerre de libération, avec les conflits de leadership interminables au sein de «la famille révolutionnaire», jusqu'à ce jour dans les retranchements les plus reculés de la société.

Notre indépendance est arrivée comme naît au monde un enfant prématuré. Est-ce les signes de notre prédisposition à la recolonisation ? Si tel est le cas, comment remettre le processus de notre libération en mouvement pour dépasser cet immobilisme et nous éviter que l’on soit encore une fois re colonisable ?

Youcef Benzatat

Plus d'articles de : Analyse

Commentaires (15) | Réagir ?

avatar
farid hamid

Bonjour tout le monde

L'auteur a dit: ".... qui se nourrissait de tout ce qu’il y avait de plus archaïque et de plus violent dans les structures mentales et anthropologiques de notre société... " Voici, à ce propos une petite

Discussion ordinaire dans un café quelque part en Algérie

L’un est émigré, un autre travaille au sud, le troisième rêve de partir et le dernier est un chômeur endurci. Un groupe de jeunes, tous du village, se rencontre par hasard au café et parle entre eux. De leur discussion, d’apparence anodine, émane bien des vérités. Des rêves, des espoirs, …mais aussi des préjugés, des déceptions, des mensonges, des jalousies et autres sentiments divers qu’ils ressentent les uns, les autres.

Farid : « une belle lurette Abdella. Content de te revoir ! Toujours à la Sonatrach ? »

Abdella : « Je ne viens que rarement au village et le plus souvent, je rentre de nuit. Je suis chef d’équipe maintenant et mon frère Smail est aux Émirats où je lui rends assez souvent visite. Et toi, toujours dans l’enseignement au sud ? »

Abdella savait que Farid vit en France, mais, il a préféré faire semblant de ne pas le savoir. Etre chef d’équipe dans le sud est plus valorisant socialement qu’être enseignant !

Farid : « Non mon ami, je ne suis plus enseignant. Je ne vais quand même pas passer toute ma vie à stagner ? Actuellement, je vis, avec ma petite famille, à Paris où je travaille comme cadre à Carrefour. Tu connais cette grande enseigne ? Tu sais mieux que moi qu’il n’y a aucun avenir dans ce bled même à la Sonatrach. Alors, j’ai préféré sauver ma peau et celle de ma famille. »

Abdella, ne pouvant plus supporter l’audace et le nouveau statut de Farid, trouva le prétexte d’un rendez-vous important et s’excusa de ne pas pouvoir rester plus longtemps avec eux. Il met le moteur de sa Clio en marche et démarre en trombe !

Salah : « je ne comprends pas la suffisance de ton cousin Abdella ! Qu’est-ce qu’il a à gagner en montrant toujours cet air de supériorité à la con ? Voilà le problème des Algériens ! Mais bien fait pour sa gueule ! Tu l’as vraiment rabaissé. Il ne m’a même pas invité à son mariage le mois passé. Tu t’imagines ! Quand il m’a rencontré, il m’a dit qu’il était tellement occupé qu’il a oublié d’inviter ses amis du village. Par contre, ses nouveaux amis fortunés de la Sonatrach, eux, tous étrangers au village, il ne les a pas oubliés. C’est comme s’il a honte maintenant de nous. Mais, quand j’ai vu sa femme dans sa Clio, j’ai vraiment ri. On dirait une vieille saucisse. »

Rezki : « complexés, certains, dès qu’ils sortent de la misère, ils mettent carrément une tombe sur leur passé, ils oublient même leurs anciens amis qui ont juste la malchance de rester pauvres. La majorité des cousins d’Abdella ne travaille pas et il n’a jamais pris aucun d’entre eux au sud. Chef d’équipe de mes c…oui ! Avec ces gens là, c’est notre misère qui les met toujours en valeur. Ils croient s’élever et être importants en espérant toujours nous voir dans la même situation de démunis. Il arrive ici et paye une tournée de cafés juste pour montrer qu’il a réussi dans la vie et qu’il a beaucoup d’argent. Moi, j’ai juré de ne jamais accepter de le boire. »

(Rezki, énervé, sortit sa boite de « Chemma » de sa poche et en plaça une bonne dose sous sa lèvre supérieure)

Salah : « à propos de boire justement, as-tu pensé encore à nous cette année Farid ? Je n’oublierai jamais la bouteille du Red Label que tu nous as offerte l’année passée ! Ah França, le pays des rêves ! C’est la belle vie pour toi maintenant mon ami ! C’est vraiment dommage que le consulat ne donne plus de visa comme autrefois, sinon à 700 milles dinars, avec la connaissance en plus. De toute les façons, inutile d’espérer si tu n’as pas d’hébergement. Il n’y a que les étudiants qui semblent favorisés. Et toi Farid, est-ce que tu peux m’envoyer une attestation d’hébergement que je puisse demander un visa ? »

Farid : « désolé Salah, mais c’est impossible. Je vis dans un 27 m2 et la mairie n’acceptera jamais de m’établir ce formulaire avec une telle superficie. De plus, n’imagine pas que c’est facile de vivre en France. Il y a beaucoup de misère même là-bas. La plupart des sans papiers y végètent et n’ont aucun avenir. Crois-moi, sur divers plans, ici c’est mieux que là-bas. Mais, moi, je pense toujours à vous. Cette année, je vous ai ramené une autre marque de whisky, le Clan Campbell que j’ai payé très cher, avec du jambon et des saucissons secs. Vous allez vous régaler ! »

Juste après, Farid reçoit un coup de fil de son frère sur son nouvel Ipod qui lui demandait de rentrer à la maison pour manger un bon couscous que ses sœurs ont préparé à son honneur. Il s’excusa, auprès de ses amis, de ne pas pouvoir rester plus longtemps avec eux et rentra chez lui.

Rezki : « Salah, ne crois surtout pas aux bobards de Farid. Il dit qu’il ne peut pas t’envoyer l’hébergement. Mais, dis-moi alors, comment se fait-il que son frère soit parti deux fois à Paris ? Et s’il ne fait pas, comme il le dit, bon vivre en France, que fait-il alors là-bas ?

Pourquoi chercher surtout à nous décourager comme ça ? Farid est un menteur ! Il est comme les autres. Il a réussi mais il ne veut pas perdre son temps ni son argent à aider des personnes, même une vieille connaissance comme toi, en dehors de ses proches. C’est bien de se rappeler de nous, mais ce n’est pas de saucisson sec dont nous avons besoin. »

Rezki soupira et ressortit sa boite de prise de sa poche et, comme le café d’Abdella, il jura aussi de ne plus boire même le whisky de Farid.

-1
avatar
zwen

je ne sais pas comment etre heureux sans faire l'amour. les hommes et des femmes 40, 45 et plus de 50 ans, sans sexualite? et vous esperez comme meme que le pays evoluera? il n y a aucune raison. tout le peuple est resté psycologiquement a l'age de la puberté. et vous voulez que ce peuple travaille et donnera des resultats? son besoin le plus elementaire n'ai pas satisfait. quel malheur!

avatar
youcef benzatat

Le plus dur, c’est lorsque Rezki se trouvera complètement acculé au mur, à ce moment-là ! il n’aura d’autres choix, que d’aller frapper à la porte de l’unique employeur de la Wilaya : Rab D’Zaïr. Et là ! mon ami, ça sera très dur pour Farid, Abdellah, Salah et tous les autres que nous sommes.

-1
visualisation: 2 / 14