Yennayer, un vecteur du patrimoine culturel immatériel amazigh

A nous d'imposer nos hâltes festives dans ce monde qui ressemble à un village.
A nous d'imposer nos hâltes festives dans ce monde qui ressemble à un village.

Les Algériens ont découvert la modernité à leurs dépens, dans la violence des affrontements socioculturels contre l’ordre colonial et dans la destruction brutale des fondements historiques et économiques de leur société médiévale, le déchirement et le déracinement des matrices identitaires, le déclassement et la relégation de leurs mode de vie et de leurs pratiques traditionnelles de reproduction culturelle.

Nos ancêtres ont connu une modernité agressive exterminatrice sous la domination coloniale française, dans le sang versé lors des jacqueries et des révoltes, dans l’exil, la déportation et le bagne qui ont sanctionné leurs célèbres et récurrentes insurrections. Ils ont eu à voir et toucher la modernité ravageuse dans le martyre des souffrances nées de leurs engagements pour la sauvegarde des fondements de leur identité. Ce fut le fracas du pot de terre contre le pot de fer.

Ils ont appris la privatisation des moyens de production dans les séquestres collectifs de leurs terres, connu le salariat sur les grands domaines agricoles après un pénible déracinement social et un exode sans issue vers la périphérie des villes qu’ils découvrent englués dans leurs bidonvilles insalubres et leurs cabanes de paille. Ils ont appris l’usage de la monnaie et du crédit à cause de l’usure et de l’impôt, sous le règne progressif de la marchandise, de la manufacture et du marché ! Ils ont découvert l’espace urbain comme ouvrier, portefaix, garçon de café, et travailleur journalier dans les basses besognes.

Le mode de production capitaliste n’est pas sorti des entrailles de la société algérienne comme la résultante d’un développement historique des contradictions sociales comme il le fut en Europe, mais il a été imposé par la force brutale avec le mode de vie et toutes les catégories économiques, sociales et culturelles qui lui sont propres. Alors qu’il a mis plus de trois siècles pour soumettre et intégrer le mode de production féodal en Europe, Il s’est généralisé en moins d’un siècle chez nous, imposé violemment par la colonisation de peuplement française.

Les paysans algériens, arrachés à leur appartenance atavique à une tribu, un village, une région, sont devenus des individus sans repères avec pour seule perspective la vente de leurs bras au plus offrant. Leur agriculture traditionnelle dont le moyen de production le plus développé était la charrue de bois avait à se comparer à l’agriculture coloniale industrialisée mécanisée, motorisée ! Leur médecine par les plantes approximative avait à se mesurer à la médecine des antibiotiques, de la quinine miraculeuse et des piqures à guérison magique ! La medersa coranique avec ses planches de bois, et ses nattes d’alfa, devait rivaliser avec l’école de Charlemagne, ses blouses blanches, son ordre, ses tableaux, ses tables, ses encriers, ses livres et ses cahiers ! Leur foi en la nature et leurs divinités devait céder le pas devant le calcul économique, l’efficacité et la rentabilité. La culture locale rurale avec ses savoir-faire empiriques était déclassée par la culture coloniale urbaine, sa science agronomique et ses savoirs démonstratifs.

Avec le temps, les tenants de la culture traditionnelle algérienne ont intériorisé de multiples frustrations, une série de complexes d’infériorité qui paradoxalement ont constitué des terreaux de revanches à venir, des ferments pour des comportements révolutionnaires, des aliments de détermination pour chasser le colonisateur.

C’est avec ces complexes d’infériorité, ce besoin viscéral de revanche que nous nous sommes rués au lendemain de l’indépendance sur les villes coloniales conquises. Et depuis cette date nous n’avons pas fini d’installer notre ruralité refoulée, notre paysannité inhibée déchue sur l’espace public que nous dégradons, clochardisons comme s’il appartenait encore à l’ennemi, au colonisateur vaincu. Après le concept de "Beylik", nous avons inventé celui de "Bien vacant".

Nous avions certes gagné la guerre contre la 4e puissance militaire du monde mais nous n’avons pas encore entrepris notre décolonisation culturelle. Fêter Yennayer participe de cette démarche salvatrice de décolonisation des âmes et des esprits.

Pour entreprendre ce projet de renaissance culturelle, nous devons réapprendre à revisiter et découvrir les trésors de notre patrimoine immatériel fait de traditions et d’expressions orales , d’événements festifs, de langages, de pratiques sociales rituelles, de connaissances de la nature et de l’univers, de savoir-faire liés à l’artisanat, de qualifications artistiques de recettes gastronomiques, d’aspects vestimentaires, de croyances aux forces de la nature, et tout ce qui durant des siècles s’est transmis par legs générationnels.

Yennayer, la porte de l’année amazighe, est une halte symbolique, un vecteur essentiel de notre patrimoine culturel immatériel, tout comme le sont d’autres durées comme Timechret, Amenzu n tefsut, Tiwizi u zemmur, iwedjiven n lehlal, tamuqint n’ lekhrif …

L’Etat algérien célèbre plus de 60 journées de fêtes nationales et internationales chaque année, dont une dizaine chômées et payées ! Nombreuses sont ces haltes, comme le 21 mars, journée de l’arbre, ou le 31 mai journée mondiale sans tabac, qui nous rappellent annuellement que nous faisons partie du monde et que nous partageons de nombreuses valeurs avec les autres peuples de la planète. Certaines de nos fêtes sont d’ordre historique comme le 1er Novembre et le 5 Juillet, d’autres de nature religieuse comme les deux Aïds, l’achoura, le Mouloud et le jour de l’an du calendrier lunaire, d’autres encore d’aura internationale comme le jour de l’an Grégorien, celles liées aux acquis des luttes ouvrières comme le 1er Mai, et de luttes pour l’émancipation de la femme comme le 8 Mars.

Aucune fête ne célèbre notre appartenance identitaire amazighe. C’est comme si nous étions un peuple tombé du ciel avec les pluies qui ont mouillé la djellaba d’Okba Ibn Nafaa ! Un peuple sans origines, sans racines. Nombreux sont ceux qui refusent de savoir d’où ils viennent ! C’est pour cela qu’ils ne savent pas où aller ! Ils s’accommodent d’une identité tronquée, parcellaire, incomplète, une fausse identité.

A nous donc d’imposer nos haltes festives, comme des espaces de contrepouvoir, des espaces de liberté de fait, où seront honorés l’héritage et la mémoire de nos célèbres ancêtres Imazighènes.

Rachid Oulebsir

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Commentaires (2) | Réagir ?

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mouloud karim

Toi mon téméraire ami, tu vas t'attirer les foudres des gardiens du Temple. Cela étant, tu as bien Raison, il faut surtout se garder de privilégier une variante régionale par rapport à une autre ; et s'atteler plutôt à mettre en place un corpus fait de néologismes et d'apports issus de Tamezgha dans son ensemble. En somme, une vulgate berbère standardisée. C'est à cette seule fin que nous éviterons de reproduire un certain impérialisme linguistique dont nous n'avons pas fini de payer les aberrations. -Je pense, pour lever toute équivoque, à l'arabisation frénétique que l’on nous imposé-

NB : Nous pouvons par exemple expurger notre langue d'apports inutiles. Et dire : "amdakel" au lieu de : "arfiq". "awerjjejji"-la cigale- au lieu de: "zdech" (?) ; "tazziwa" au lieu de "'el djefna". "ikeri" au lieu de "akherfi" etc, etc, etc...

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karim haddad

sur la carte nous voyons ecrit "assegwas amegaz"... trop c'est trop!

je ne vois nulle part tamazight pour laquelle je me suis battu... mais toujours le zwawa (tagawawt).. j tous les peuples de berberie utilisent des parlers qui se ressemblent : egytiens d'alexandrie.. oasis de siwah.. lybiens.. tunisiens de djerba, matmatis, senoussis, chawis des aures, tebessa, kabyles de bejaia, tipaza, chrea, miliana, hautes steppes de saida, fifains et autres amazighs de l'atlas usitent le tamazight "fin".. une seule exception: TAGAWAWT qui va de la rive occidentale de la soumam a partir de sidi aich, akbou et tazmalt jusqu'aux frontieres d'alger (tiziouzou) ou on retrouve un parlerexceptionnel lourd et emphatique (le wa se prononce bba et le "t" final devient "dha" avec ajout de la velaire "w".. exemple: amken qui derive de l'arabe "el maken devient amkwen".. fatima, mot arabe, devient fadhima etc.. 3) et nous assistons a un quasi monopole de "cette exception linguistique "partout en afrique du nord on prononce asseggas mais c'est le tagawawt qui est imposé partout (mass medias et autre journaux) avec la velaire "asseg (w) as!! la danse qui est dite "kabyle" le costtume bariolé des femmes ;la fouta (prononcer foudha en tagawawt) ne sont nullement le propre de la kabylie orientale et maritime et pourtant danse et costume sont imposés comme "kabyles"!!!!

personnellement je denonce cet etat de fait (syndrome de la belle mere et de la bru).. si on prend en termes de proportions le veriatble tamazight c'est celui de la kabylie orientale car le chawi des aures.. de lybie ou d'alexandrie et du rif marocain sont "UNE.. UNE SEULE EXCEPTION MINEURE C'EST CELUI QUI VA DE SIDI AICH A ALGER... et c'est cette exception qui s'accapare les medias (berber tizi, beur fm, radio soumam, chaine 2, chaine de tizi, doublage de films, dessins animés, tamazight de l'ecole...) basta!!!on s'est tous battus pour notre identite, langue et culture mais la c'est trop!!!toutes les variantes sont eliminés au profit du zwawa.. copie conforme de l'arabisation en algerie! jparadoxalementje salue la chaine tv4 du pouvoir, car au moins, elle, introduit les parlers chawi, targui, mozabite...

je rejette le tamazight tel qu'il est actuellement "imposé!