Novembre, cœur de l’algérianité

Novembre, cœur de l’algérianité

Il n’est pas courant de devoir commenter un texte de l’institution militaire, mais l’éditorial de la revue El Jeich consacré au 58ième anniversaire du 1er Novembre 1954 appelle bel et bien commentaires et remarques.

Ce texte surprend par sa manière d’appréhender la nation et son appel à "entretenir la flamme de notre Histoire en prenant soin de notre passé, de notre culture, de notre religion et de notre langue". Certaines formules paraissent si "évidentes" qu’on en oublie trop souvent qu’elles masquent des impensés ou expriment approches idéologiques.

Novembre n’est pas réductible aux sept années et demie de guerre de libération. Surtout, cela ne saurait se faire sans que Novembre ne perde sa pertinence et ne pose à la nation comme un horizon indépassable. Sa pertinence comme moment fondateur et élément identitaire essentiel de la nation algérienne tient à son historicité, il prend ses racines dans les tumultes de la résistance à la conquête coloniale et dans celles du mouvement national moderne. Mais il ne se limite pas à cela, tout aussi important, il se prolonge dans les développements du mouvement national dans l’Algérie post-indépendance et le destin commun que nous projetons en tant qu’Algériens. Nous voilà-là devant l’image de la braise du passé, qui se ranime au présent pour éclairer l’avenir.

Novembre est fondation de l’Etat, appropriation du territoire unifié par la conquête française et négation radicale de la ségrégation coloniale par la projection d’un idéal de démocratie et de justice sociale. Seulement, aujourd’hui, est-il pensé de la sorte ? Est-il pensé autrement qu’une irrésistible éruption dans l’histoire par une guerre violente d’un peuple spolié de souveraineté ? 

L’Histoire, ce livre ouvert, qui consigne "sans complaisance ni sentiment" les évènements et les faits, mérite d’être interrogée. Interrogeons-la et voyons si elle corrobore des formules consacrées comme la fameuse formule qui postule le "recouvrement de la souveraineté nationale". Cette formule présuppose une souveraineté algérienne (au sens moderne ?) préexistante à la conquête coloniale. Sa formulation introduit une difficulté évidente à comprendre l’échec de l’Emir Abdelkader à soulever une insurrection nationale, ou l’incapacité des Mokrani, Boubeghla et autres valeureux résistants à concevoir leurs combats comme l’expression de cette souveraineté perdue!

Au regard de cette souveraineté "préexistante" la reddition de Hussein Dey devient un acte de haute trahison. D’un autre côté, ne suppose-t-elle pas, de la part des populations autochtones, une reconnaissance unanime de l’autorité de la régence d’Alger ? "Sans complaisance, ni sentiment", tel était-il le cas ? Comment concilier cette "préexistence" de la souveraineté nationale à la différence fondamentale qu’il y a entre l’attitude d’un Dey qui abandonnant une possession ottomane s’assure toutes les garanties pour rejoindre sa patrie, et celle d’un jeune patriote qui des confins de la régence s’attèle durant des annéesà gommer la division des autochtones en tribus Makhzen et Siba par la construction d’un Etat et des appels à la naissance d’une nation ? Tout un chantier pour la lecture de notre histoire… 

Novembre, comme processus historique, comme appropriation d’un territoire et comme projection d’un destin commun est le socle fondateur de la nation algérienne. Pouvons-nous continuer d’entretenir sa flamme sans un regard lucide sur notre passé ? Pouvons-nous le prolonger en percevant la culture, la religion et la langue par le prisme déformant d’un monolithisme négateur de toute pluralité ? Notre passé millénaire peut-il être uniformisé ? La longue et lente émergence de notre nation n’a-t-elle pas été un perpétuel enrichissement de notre culture et une continuelle diversification de ses véhicules linguistiques ? L’arabe et tamazight, constitutionnellement consacrées, cohabitent avec le français trop longtemps considéré, dans une pudeur feinte, comme un butin de guerre. Peut-on continuer à ignorer ce que les assimilationnistes arabistes et islamistes ont de négateur de Novembre ? "Sans complaisance ni sentiment" pouvons-nous gommer la complaisance (la compromission) que des représentants de "l’islam", ou des courants de "l’Islam" ont eu avec la colonisation ? Les qaïd, bachagha, et même les harkis, étaient-ils moins "musulmans" que les moussebilines, les djounouds, ou les militants de la cause nationale ? Pouvons-nous continuer à faire injure aux combattants juifs ou aux combattants chrétiens de l’indépendance nationale, ou à refuser les enseignements de la confrontation en cours avec l’islamisme ? Dans les textes du congrès de la Soummam, Novembre s’est affirmé comme un refus de la théocratie, qualifiée de révolue et de rétrograde. 

De tous les éléments culturels qui peuvent participer de notre identité aucun ne peut égaler Novembre à condition de le percevoir et de le concevoir comme un moment historique. Le triptyque Arabité – islamité – Amazighité n’est pas pertinent pour définir l’Algérianité. Il peut très bien s’appliquer à toutes les identités nord-africaines. Mais Novembre – Construction de l’Etat, appropriation du territoire – négation de la colonisation et projection d’un destin commun – ne définit que l’algérianité, mais définit l’algérianité dans sa singularité.

Mohand Bakir

Plus d'articles de : Éditorial

Commentaires (4) | Réagir ?

avatar
yiwen dhegsen

"Agérien, qui es tu ?"; l'"algérien" est un concept morte-né.

Il est fort compréhensible que les héritiers du MALG, putchistes à l'été 1962 contre le GPRA, définissent l'identité algérienne comme étant le produit de la guerre de "libération" (54 - 62). Quelle autre période de l'histoire de ces pays et de ces peuples (hormis la période numide, rejetée pour des considérations de l'idéologie dominante du moment) peut prétendre donner naissance à une nation algérienne avant que la France coloniale crée, au XIX e siècle, le terme (Algérie) et le contenu (peuples, devenu peuples (indigènes et européens)). La France coloniale a conquis, annexé, éliminé, fait des choix, trié parmi les identités et les cultures qui composent ces pays "barbaresques" et a choisi celles qui arrangent le mieux le projet colonial. Quelle autre identité convient aux desseins coloniaux; quelle autre identité convient au rôle de supplétive autre qu'une identité lle même d'origine étrangère au pays et qui ne risque pas, à long terme, de lui disputer la légitimité. Cette "identité" là si ce n'est l'"identité arabe" et la religion musulmane, meilleur vecteur de la soumission.

Voila donc l'historique le socle sur lequel s'appuie le régime néo-colonial d'Alger pour définir l'"algérianité",

Quant à la légitimité de prendre la guerre de 1954 comme fondement d'une nation apellée "algérienne", cela relève de la violence oure et simple. Aucune nation au monde, et à travers l'histoire, hormis les Etats Unis qui, il faut le rappeler, est un territoire sans Histoire, sans repères historiques, peuplé de colons venant de diverses pays du monde, ce qui n'est pas le cas de nos pays), n'a été fondée suite à une guerre. Encore que c'était déjà le VIIIe siècle. Encore que la nation américaine, (plutôt les Etats américains), reconnaissait la diversité américaine et, par conséquent, la possibilité pour chaque Etat et communauté de se gouverner elle même, d'élire son Sénat local, son gouverneur, de se doter de lois spécifiques conformes au peuple, à la géographie, à l'histoire de cette Etat.

Considérer qu'une "nation algérienne" peut se substituer aux nations qui y vivaient depuis plusieurs millénaires, par simple décision d"un groupe de révolutionnaires poussés par les aléas d'une guerre à rechercher des aides et des alliances est une violence qui n'est pas moindre que celle de l'invasion et de l'occupation coloniale.

Par ailleurs, quelle meilleure preuve du caractère factice de cette "nation" que le fait que, 50 ans après la guerre, cette même nation survit à 100% de la rente des matières ? Une nation qui a des ressorts vitaux pour survivre aurait développé ses modes de subsistance en économie, sa culture en mode de vie, ses repères en bien être, son d'histoire en lien et consensus social. Dans le cas de 'Algérie, l'histoire, c'est 50 ans; du mensonge; et comment peut-il en être autrement ? L'économie, c'est une économie coloniale dépouillée des quelques avancées que les colons se sont donné; l'identité, c'est celle que nous imposée ceux qui ne tiennent que grâce à la main étrangère.

Les potentats, plutôt les sangsues putchistes, ne peuvent (et ça se comprend) légitimer la nation algérienne par l'histoire du XIX e siècle pour des raisons de cohérences dont ils sont conscients :

- L'Algérie, comme elle se présente aujourd'hui (frontières, composante humaine, régime et administration centralisés) est une création et un amalgame coloniaux. La légitimité révolutionnaire contredit la reconduite d'une Etat créé par le colonialisme.

- L'Afrique du Nord centrale (ou pays barbaresque qui allait devenir, à partir des années 1840, Algérie) présente, avant 1830, une tout autre situation. Sur les plans politiques, culturels, religieux, ethniques, identitaire,... cette contrée présente plusieurs entités :

- les beylicats,

- la Kabylie, confédération de cités-états (villages) depuis l'antiquité.

- les oasis, le m'zab, confédération des cités berbères qui ont fuit les hautes plaines vers la vallée du M'zab au moyen âge.

- le pays tamashaq.

Si bien que, quand Abdelkader voulait étendre son "émirat" en Kabylie sous la pression de l'avancée coloniale, voit sa demande a été rejeté fermement et diplomatiquement par la Kabylie pour la simple raison que le concept qu'il défendait (qu'il représentait), l'émirat, est celui là même que la Kabylie a combattu trois durant à travers les turcs; concept qu'elle a combattu depuis l'arrivée des envahisseurs musulmans. Le concept d'un chef représentant dieu (calife) ne passe pas en Kabylie; pas plus que le concept catholique de pape n'est passé en Kabylie donatiste de l'époque byzantine.

Le pays tamaheq, encore aujourd'hui meurtri et déchiré n'a de lien historique ou civilisationnel avec le "Nord" en dehors de la berbèrité. Celle-étant exclues dans les faits de l'Algérie (malgré les gesticulations débiles du pouvoir algérien depuis 1995), la domination algérienne de ce pays relève du colonialisme qui ne diffère en rien de l'époque française (d'ou la panique des potentats algériens suite aux évènements de l'Azawad).

avatar
Guel Dring

Sérieusement qu'est-ce qu'un Algérien ? C'est un habitant de ce pays appelé l'Algérie. Mais en réalité, le prototype Algérien est en voie peut - être de finition, c'est un amalgame de régions, de langues, de couleurs, qui se cherche désespérément. A la merci de mercenaires, il n'a pas encore pu se découvrir la face. Etant Algérien de souche, grâces à Dieu, je garde des traces de mes ancêtres que je n'imagine pas aussi pervers, jusqu'à concourir à la perte de ce pays très cher.

visualisation: 2 / 4