Elections locales ou la recomposition politique reportée

Hormis l'argent de l'informel qui a coulé à flot, l'élection n'a pas permis une recomposition politique.
Hormis l'argent de l'informel qui a coulé à flot, l'élection n'a pas permis une recomposition politique.

La léthargie sociale imposée par les élections locales s’est finalement dissipée. La vie a repris son cours désespérément ordinaire.

C’est à peine si la population remarque l’installation des nouveaux édiles communaux. La recomposition politique annoncée en Kabylie n’a pas eu lieu. La société civile a résisté comme à l’accoutumée aux tentatives d’OPA du pouvoir central et au changement venu d’en haut, exprimant son désintérêt par une forte abstention ! Plus de 60% des inscrits n’ont pas voté en Kabylie. Le bulletin nul traduit la peur du citoyen et son besoin de se mettre en règle et se prémunir contre les excès de la bureaucratie. Le fort pourcentage de ce vote blanc a été l’une des caractéristiques sociologiques intéressantes de ce scrutin. 

A cette abstention officiellement reconnue, s’ajoute le renoncement de toute une jeunesse qui refuse de s’inscrire sur les fichiers électoraux ! Elle est évaluée à plus de 50% de la génération en âge de voter (plus de 18 ans) !

Le scrutin s’est déroulé dans le calme dans toutes les wilayas de Kabylie. A l’exception des bureaux de vote où les citoyens ont empêché les militaires de voter en masse, les residents des communes qui voulaient voter n’ont pas été empêchés. Aucun parti politique ou mouvement présent sur le terrain n’a fait obstruction à l’opération de vote. L’époque de l’opposition violente semble dépassée. 

Une classe politique saturée

Le double scrutin du 29 novembre APC et APW fut marqué par un vote militant, voire partisan, un vote à minima ! Les partis ont fait le plein de leur voix militantes et celle des cercles familiaux autour des partisans. C’est une bonne grille de lecture pour connaître la force réelle des partis en Kabylie. Ainsi l’on apprendra que les deux partis rivaux FFS et RCD gardent leurs bassins électoraux traditionnels, le RCD sur la wilaya de Tizi-Ouzou et le FFS sur celle de Bejaia, tandis que le FLN, en léger recul dans toute la Kabylie, est présent avec ses vieux partisans inconditionnels.

Le RND fait les frais de la "normalisation" du FFS et son retour houleux sur la scène politique après sa longue série de boycotts. Le RCD accuse le coup du départ de Saïd Sadi et se reconstruit laborieusement. A noter que le MPA de Amara Benyounès,malgré des moyens colossaux, n’a pu faire irruption en Kabylie où il ne possède pas encore de structures politiquement viables

Si, ici et là, quelques nouvelles têtes issues du mouvement associatif sont apparues sur le devant de la scène électorale, dans des listes indépendantes, elles ne peuvent faire illusion et donner une image de renouvellement de la classe politique. La classe politique de Kabylie est figée, ce sont les mêmes éléments qui tournent dans le même manège depuis le départ du multipartisme et les élections annulées de 1991. Le FLN et les deux partis rivaux, FFS et RCD, forment des emballages qui enjolivent avec les moyens de la modernité, un contenu médiéval rétrograde où les rivalités des ancêtres constituent encore le carburant et la motivation principale de la mobilisation individuelle et collective.

L’argent et l’esprit de clan

Quand le FFS est squatté par le clan-d’en-haut, le RCD l’est par le clan-d’en-bas et inversement selon les régions et les communes ! Quand les Ait Flane ont placé leur homme à la tête de la liste d’une formation politique ayant pignon sur rue, les Ben Flani leur répliquent en installant leur fils à la tête du parti rival. Beaucoup d’énergie est ainsi dépensée pour le même programme qui garantit l’allégeance au pouvoir central, seul gagnant dans ce combat politique fratricide local. Nous n’avons pas vu de combat de programme, ni même une connaissance synthétique de l’histoire et de la géographie des communes et des wilayas par les candidats et les directeurs de campagne électorale, l’engagement militant ne pouvant en aucun cas combler le déficit de formation politique et de niveau culturel général.

A l’époque du parti unique, la liste unique composée par la kasma du FLN alternait les représentants des clans et des familles et le résultat de l’élection connu d’avance traduisait le jeu d’équilibre et mettait en avant la puissance des familles et leur proximité avec les centres du pouvoir militaire et ceux de la haute administration d’Alger. L’argent des élections était celui de l’Etat. Qui avait l’argent choisissait les élus !

Qu’y a-t-il de changé avec le multipartisme ? Les formes ont évolué, les moyens aussi. Une compétition quasi-théatrale est organisée entre de nombreuses listes qui ont approximativement le même programme, dirigées par des hommes et des femmes choisies par leur financiers. Seuls les riches peuvent composer des listes à même de rivaliser sur le terrain avec les partis du pouvoir, FLN, RND et les partis Islamistes. Et nous savons actuellement à qui appartiennent les grosses fortunes, aux barons de l’économie informelle, aux importateurs qui ont fait plier le pouvoir lors des émeutes de jJanvier 2011. Des cercles de l’économie informelle commanditent des cercles de la politique informelle.

Evolution dans les méthodes de fraude 

A côté de cette historique abstention, l’évolution des méthodes de fraude était notable. On ne se contente plus du grotesque bourrage des urnes dans des salles obscures, mais on innove, on fraude en finesse, du moins en Kabylie ! Le remplacement des traditionnelles signatures sur le listing des électeurs par l’empreinte du doigt à l’encre phosphorique indélébile a donné lieu à de milliers de dépassements, les tenants de l’administration ont constaté comme tout le monde que l’usage de cette encre liquide ne permettait pas de lire l’empreinte, ce qui ouvre la voie à tous les trafics. On n’a vu que certains partis ont en profité, une vidéo filmant des militants du parti FLN en train de porter leur empreintes sur les cases vides d’un fichier électoral a circulé sur la toile, (les mis en cause viennent d’être interpelés par la justice). Cette manipulation des fichiers n’est cependant rien devant le vote massif des militaires hors de leurs communes de résidence, vote qui a donné lieu en Kabylie a de fortes échauffourées dans les wilaya de Bouira et de Béjaia, les citoyens avaient fermé les bureaux de vote où venaient émarger les soldats de l’ANP !

L’impossible assainissement du fichier électoral, reconnu officiellement par le Premier ministre, a permis aux formations politiques du pouvoir qui tiennent pour l’essentiel l’administration, d’en profiter par l’élaboration de procurations pour les personnes décédées et celles qui ont changé de résidence. L’opposition a baissé la voix à propos de ce fichier dont le non nettoyage semble profiter à tout le monde !

Les élections se suivent et se ressemblent ! 

Nous constatons que la classe politique de Kabylie, issue en grande partie de la matrice culturelle que fut le Mouvement culturel berbère (MCB), démantelée durant les événements du printemps noir (2000-2004), n’a pas pu se reconstruire. Comme un moteur démonté par un habile mécanicien qui attend des mains expertes pour le redémarrer, elle git en pièces détachées éparpillées sans logique, sans harmonie. La société civile n’a pas généré d’autres acteurs politiques notables. Autant durant les législatives de mai 2012, ce fut la ruée vers la candidature, autant les élections locales de ce 29 novembre n’ont pas suscité cet engouement exceptionnel. Il faut cependant noter que la majorité des candidats sont issus de l’administration locale, de l’éducation nationale et du secteur de la santé, rares sont les tenants des métiers libéraux, et les personnes autonomes des revenus de l’Etat qui se sont aventurés dans ce qui semble une véritable promotion sociale. L’élection en Algérie est définitivement une affaire de l’administration. Ce sont les fonctionnaires qui se recyclent et s’assurent un bond dans l’échelle sociale à travers les élections. Voilà une caractéristique de la nature du pouvoir en Algérie. L’opposition est ainsi domestiquée par l’octroi d’un espace de contre pouvoir interne au système : l’assemblée populaire communale face au chef de daïra, et l’assemblée populaire de wilaya face au wali. Les assemblées populaires fonctionnent dans le cadre de lois qu’elles n’ont pas élaborées. Le wali a bien entendu le pouvoir de dissoudre ces assemblées pour moult raisons relevant de la réglementation et de l’application des codes électoraux relatifs à leur fonctionnement. Les nouveaux partis créés pour les besoins de l’élection législative du 10 mai passé, ont été balayés par la règle des 7%, seuil réglementaire fatidique qu’ils n’ont pu atteindre dans leur ensemble, certains ont déjà mis la clé sous le paillasson d’autres tentent de trouver des parrains pour assurer leur survie. L’allegeance est une culture qui s’acquiert par la pratique.

De Béjaïa, Rachid Oulebsir

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Commentaires (3) | Réagir ?

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yiwen

bizarement le mak acteur bien present sur la scene politique kabyle n'a pas eu droit de cité sur cette lettre de kabylie comme le recommande l'etique du metier et le souci de bien informer les lecteurs.

cette omission de parler du mak est peut-etre due à des pressions d'en haut, ou bien parcequ'il n'y a aucun interet puisque ses militants ne seront ni député ni maire ni papw.

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Atala Atlale

À partir du moment où ce ne sont pas les choix des électeurs qui aboutissent, mais d'autres par des moyens frauduleux et autres finances blanchies, il faudra se préparer à des bouleversements violents. Il est en effet effarant cette intrusion d'individus imposée par l'argent des puissants au niveau des apc et apw, cela veut tout simplement dire que nos élus vont s'adonner au commerce et aux affaires au détriment de l'intérêt public. Il n'y a aucune intelligence dans cette démarche, enfin, le but ma parait obscur.

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